La Lettre de l'Hépato-gastroentérologue • Vol. XXI - n° 1 - janvier-février 2018 | 11
DOSSIER
Avant-propos
Le microbiote intestinal
Pr Marc-André Bigard*
I
l existe un microbiote partout où notre organisme est en relation avec l’extérieur. La composition du microbiote est différente selon qu’il siège au niveau de la peau, de la cavité buccale, des narines, des poumons, de la vessie, du prépuce ou du vagin, ou de l’intestin. Le microbiote intestinal est le plus abondant puisque son poids est estimé à environ 2 kg et qu’il constitue 60 % du poids des selles.Pendant longtemps, la connaissance de la “flore intestinale” est restée limitée du fait de la difficulté de culture des nombreuses espèces bacté- riennes. En dehors de la recherche de pathogènes dans le contexte d’une diarrhée aiguë, certains auteurs attachaient de l’importance à un examen appelé, dans la nomenclature des actes de biologie, “coprologie fonction- nelle” ou “fécalogramme” de Goiffon, en cas de diarrhée chronique ou de colopathie fonctionnelle. Un excès de flore iodophile était en faveur d’une diarrhée de fermentation tandis que cette flore disparaissait après anti- biothérapie. Les progrès de la biologie moléculaire ont été déterminants pour mieux appréhender notre microbiote avec, initialement, l’approche ribosomale, puis la métagénomique, qui donne accès à l’ensemble des gènes du microbiote intestinal, ensemble constituant le deuxième génome humain. La composition du microbiote intestinal humain est maintenant bien connue : le microbiote collectif comporte plus de 1 000 espèces et le microbiote personnel quelque 200 espèces, avec un socle commun de 15 à 20 espèces en charge des fonctions essentielles. Ce microbiote renferme environ 1 014 bactéries, soit 10 fois le nombre de cellules eucaryotes de l’organisme. Il existe un noyau d’environ 200 000 gènes et 60 espèces à la fois dominantes et prévalentes chez l’homme. Chaque individu a un microbiote stable constituant une “signature” personnelle. On dénombre 5 phyla bactériens (Firmicutes, Bacteroidetes, Actinobacteria, Proteobacteria et Verrucomicrobia).
Si la composition du microbiote est bien connue, il reste beaucoup à faire pour en comprendre les fonctions précises. On connaît son rôle direct dans la digestion, mais le microbiote agit également sur le fonctionnement de l’épithélium intestinal et participe à l’équilibre du système immunitaire intestinal.
* Service d’hépato- gastroentérologie, CHU de Nancy.
DOSSIER
Avant-propos
L’altération qualitative et fonctionnelle du microbiote intestinal constitue la dysbiose, qui pourrait jouer un rôle dans la survenue de certaines maladies sous-tendues par des mécanismes auto-immuns ou inflammatoires. Le lien est évident avec les maladies inflammatoires chroniques de l’intestin (MICI), ce qui fait l’objet de la mise au point de l’équipe de Xavier Roblin (cf. article
“Qui dit MICI dit dysbiose”, p. 14). Dans le syndrome de l’intestin irritable, une implication du microbiote est probable mais les espoirs thérapeutiques sont pour le moment décevants, du fait du grand nombre de souches testées et de la mauvaise qualité des études (cf. article de Pauline Jouët et Jean-Marc Sabaté, p. 21). Camille Zallot fait quant à lui le point sur la transplantation fécale, avec une indication validée dans l’infection récidivante à Clostridium difficile et des espoirs pour le traitement des MICI (p. 43). Le microbiote intervient dans le domaine du cancer à deux niveaux, la cancérogenèse et l’efficacité des thérapies anticancéreuses ; Anthony Lopez présente les dernières données sur le sujet (p. 33). Enfin, un domaine en plein dévelop-
pement est celui des liens entre microbiote, alimentation et maladies méta- boliques. L’augmentation continue de l’obésité dans le monde
rend urgente la mise au point de nouvelles approches thérapeutiques, parmi lesquelles figure la modu-
lation du microbiote intestinal (cf. article d’Abderrahim Oussalah, p. 28). ■
HOMMAGE
Ce dossier est dédié à la mémoire du professeur Philippe Ducrotté, disparu le 30 décembre 2017, à l’âge de 62 ans.
Philippe Ducrotté s’est consacré pendant 30 ans à l’étude des troubles fonctionnels digestifs, notamment dans le domaine de la physiopathologie de cette pathologie fréquente et invalidante pour de nombreux patients.
Chercheur brillant, il était également un enseignant hors pair qui a donné sa dernière conférence moins d’un mois avant son décès. Il nous avait fait l’honneur de coordonner et d’écrire en grande partie le dossier
“Syndrome de l’intestin irritable“, paru en 2015 dans le troisième numéro de La Lettre de l’Hépato-gastroentérologue. Depuis quelques années, le rôle de l’interaction microbiote intestinal-aliments dans la pathogénie et le traitement de la pathologie fonctionnelle intestinale constituait un axe privilégié de sa recherche. La discipline a perdu l’un de ses guides, un homme charmant, doté d’une autorité naturelle, reconnu par toute la communauté gastroentérologique.
Marc-André Bigard et le comité de rédaction
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