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Un archevêque d’Alexandrie assassin ? Retour sur une incrimination lancée à l’encontre de Dioscore 1er

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Academic year: 2022

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Studia Ephemeridis Augustinianum 125

ISBN: 88 7961 135 6

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CHRISTIANITY IN EGYPT:

LITERARY PRODUCTION AND INTELLECTUAL TRENDS STUDIES IN HONOR OF TITO ORLANDI

Edited by Paola Buzi and Alberto Camplani

Institutum Patristicum Augustinianum Via Paolo VI, 25 - 00193 Roma

2011

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Pubblicato con il contributo del Dipartimento di Storia, culture, religioni, Sapienza Università di Roma, fondi del PRIN Forme e strutture

comunitarie del cristianesimo (I-IX secolo) fino alle soglie della formazione dell’Europa (2008-2010)

Cura redazionale: Paola Buzi – Alberto Camplani

@ Augustinianum 2011

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INDEX OF THE VOLUME

P. Buzi – A. Camplani, Introduction V

Tito Orlandi: Publications on Christian Egypt and Coptic Literature XI Th. Baumeister, Charisma und Beichte im frühen ägyptischen

Mönchtum 1-17

A. Bausi, La nuova versione etiopica della Traditio apostolica:

edizione e traduzione preliminare 19-69

H. Behlmer, Female Figures in Coptic Hagiographical Texts – Update

and Preliminary Results 71-86

Ph. Blaudeau, Un archevêque d’Alexandrie assassin ? Retour sur une

incrimination lancée à l’encontre de Dioscore 1er 87-100 A. Bo ’Hor , L’ Allocutio ad Monachos d’Athanase d’Alexandrie

(CPG 2186) : nouveaux fragments coptes 101-158

E. Bresciani, Una scultura lignea copta. Rivisitando Medinet Madi 159-163 D. Bumazhnov, Kann man Gott festhalten? Eine frühchristliche

Diskussion und deren Hintergründe 165-176

P. Buzi, Miscellanee e florilegi. Osservazioni preliminari per uno studio

dei codici copti pluritestuali: il caso delle raccolte di excerpta 177-203 A. Camplani, A Syriac fragment from the Liber historiarum by

Timothy Aelurus (CPG 5486), the Coptic Church History, and

the archives of the bishopric of Alexandria 205-226 J. den Heijer – P. Pilette, Murqus Simaika (1864 – 1944) et

l’historiographie copto-arabe: à propos du manuscrit Musée Copte,

Hist. 1 227-250

S. Donadoni, Una homologia del presbitero Severo 251-255 S. Emmel, On Using «Proportional Extension of Text» as a Criterion

for Placing Fragments in a Dismembered Codex 257-278 C. Gianotto, L’interpretazione del mito delle origini di Gen. 1-3 nel

Vangelo secondo Tommaso e negli Atti di Tommaso 279-288

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INDEX OF THE VOLUME 639

J. E. Goehring, The Ship of the Pachomian Federation: Metaphor and

Meaning in a Late Account of Pachomian Monasticism 289-303 D. Johnson, Monastic Propaganda: The Coptic Hilaria Legend 305-324 B. Layton, Punishing the Nuns: A Reading of Shenoute’s Letters to the

Nuns in Canons Book Four 325-345

G. Lettieri, Il frutto valentiniano 347-367

E. Lucchesi, Regards nouveaux sur la littérature copte 369-414 S. Pernigotti, Tra gli abitanti di Bakchias: culture a confronto 415-425 E. Prinzivalli, Origene e lo strano caso dell’omelia 39 su Luca 427-442 M. Sheridan, The Encomium in the Coptic Literature of the Late Sixth

Century 443-464

M. Simonetti, Tra Atanasio e Melezio 465-476

A. Suciu – E. Thomassen, An Unknown «Apocryphal» Text from the

White Monastery 477-499

J. Timbie, The Interpretation of the Solomonic Books in Coptic

Monastic Texts: «Reading» Community 501-512

S. Torallas-Tovar, A Coptic Exegetical Text on Daniel 8,5-18: A

Parchment Codex Page From Montserrat 513-521

J.D. Turner, Coptic Renditions of Greek Metaphysics: The Platonizing

Sethian Treatises Zostrianos and Allogenes 523-554 J. van der Vliet, Literature, liturgy, magic: a dynamic continuum 555-574 S.J. Voicu, Per una lista delle opere trasmesse in copto sotto il nome di

Giovanni Crisostomo 575-610

E. Wipszycka, Le lettere di Sinesio come fonte per la storia del

patriarcato alessandrino 611-620

INDEX OF ANCIENT AUTHORS AND WORKS 621

INDEX OF MODERN NAMES 629

INDEX OF THE VOLUME 638

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UN ARCHEVÊQUE D’ALEXANDRIE ASSASSIN ? RETOUR SUR UNE INCRIMINATION LANCÉE À L’ENCONTRE DE DIOSCORE1ER Dans un courrier adressé à l’empereur Maurice, dix évêques sis dans le territoire désormais contrôlé par les Lombards, usent d’un remarquable argument pour revendiquer avec vigueur leur adhésion au schisme d’Aquilée (591). Défenseurs des Trois Chapitres, ils affirment que seule leur résolution conserve à l’empereur son autorité. A leurs yeux, en effet, s’en prendre à quelque aspect des décisions chalcédoniennes ne blesse pas seulement la foi et la cohésion de l’Église : une telle charge altère ipso facto la dignité impériale qui a permis la réunion du quatrième concile et a garanti la juste application de ses décisions. Aussi n’hésitent-ils pas à comparer les modalités de réunion du concile de 451 et de celui de 449, pour mieux conclure « qu’en raison de l’absence de l’empereur très chrétien (scil. Théodose II), durant le second rassemblement des évêques à Éphèse, Flavien, le très saint évêque de votre ville royale, défendant la vérité de la foi catholique, a été tué par Dioscore l’Alexandrin »1. Le propos ne souffre guère la nuance, moins encore la précision. Il n’en atteste pas moins une évolution parachevant la composition de la figure criminelle à laquelle est assimilé l’archevêque d’Alexandrie. S’il a donc fallu plus d’un siècle pour qu’une telle construction de l’hérésiarque sanglant fût accomplie en Occident, c’est bien parce que tant que les structures ecclésiologiques de l’Empire (naissance de deux hiérarchies puis dissentiment au sein de la communauté diphysite) n’avaient pas décisivement entériné la division de 451, la mémoire des actions de Dioscore ne pouvait être sans contredit radicalisée à ce point. Autrement dit, s’il existait bel et bien des matériaux abondants pour que l’Alexandrin pût apparaître comme l’abominable chef de meurtriers, il aura fallu un travail de recombinaison déterminé par la succession des luttes ecclésiales pour que se fixe l’image détestable le conformant, eu égard à son rang et à celui de la victime, à un abominable profanateur, tandis que Flavien ferait l’objet d’un culte en Italie. Ainsi constituée, cette légende noire de Dioscore serait appelée ensuite à exercer une longue influence historio-

1MGH, Ep. 1, I, 16a = ACO IV-2, 13425-28. Sur les conditions qui president à la redaction de ce courrier, voir en dernier lieu C. Straw, Much ado about Nothing : Gregory the Great’s Apology to the Istrians, in The Crisis of the Oikoumene. The Three Chapters and the Failed Quest for Unity in the Sixth Century Mediterranean, éd. C.

Chazelle — C. Cubitt [Studies in the Early Middle Ages 14], Turnhout 2007, 125-126.

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graphique. C’est ce processus de formation que nous nous proposons d’étudier ici. Ainsi donc, au contraire de l’article — aussi riche que ses conclusions sont contestables — de Chadwick2, il ne s’agit pas tant de chercher à revenir vers le fait brut (la mort de Flavien) que d’examiner en quoi Dioscore est devenu en personne le coupable idéal après être apparu d’emblée à Rome comme un fauteur d’inacceptables violences.

I. Dioscore, le condamnateur de l’innocent ?

Si nous savons que le 8 août 449, la sentence de déposition à l’encontre de Flavien fut décrétée avec une grande soudaineté au point d’arracher au diacre romain Hilaire un cri de contestation énoncé en latin (le célèbre contradicitur), tandis que Flavien interjetait immédiatement appel3, la supplique rédigée peu après en ce sens par le Constantinopolitain4, non plus que le témoignage du légat périlleusement revenu à Rome ne laissent croire qu’une trop sévère atteinte physique a été portée contre l’ar- chevêque (Flavien) au cours du tumulte, puis de la mise sous garde qui ont suivi sa condamnation5. Bien plus, comme l’a établi Duchesne, le 13 octobre 449 encore, Hilaire ne sait rien des mauvais traitements infligés à celui dont il fut compagnon d’infortune6. Si donc les menaces brandies et exercées par Dioscore sur les évêques présents pour obtenir leur consentement semblent avoir été persuasives, puisque la force publique et la gent monastique environnant la réunion conciliaire leur donnaient crédit7, il ne semble pas que Flavien fût couvert de coups et d’outrages

2The Exile and Death of Flavian of Constantinople : A Prologue to the Council of Chal- cedon, in Journal of Theological Studies 6 (1955), 17-34. Sur les excès de son hypothèse attribuant la mort de Flavien à une entente entre Pulchérie et Anatole, voir nos remarques dans Alexandrie et Constantinople (451-491). De l’histoire à la géo-ecclésiologie, préf. J.-M. Carrié [Bib. des Éc. Fr. d’Athène et de Rome 327], Rome 2006, 123, n. 51.

3ACO, II-1-1, 191.

4ACO, II-2-1, 77-79. Sur l’exact nature de cet appel, voir S.-O. Horn, Petrou kathe- dra. Der Bischof von Rom und die Synoden von Ephesus (449) und Chalcedon [Kon- fessionkundliche und kontroverstheologische Studien 45], Paderborn 1982, 75.

5H. Chadwick, The Exile and Death of Flavian of Constantinople, 18-19 (cit. note 2).

6Histoire ancienne de l’Église. III, Paris, 1910, 422-423, note 2.

7Cf. ACO II-1-1, 1803-1812 ; voir aussi la lettre de Flavien à Léon, ACO II-2-1, 7834-

38 : «… aussitôt une multitude de soldats m’entoure et alors que je voulais me réfugier auprès du saint autel, il ne me le permit pas mais s’efforçait de me tirer hors de l’église. Un nombreux tumulte s’étant donc produit, j’ai pu avec peine me réfugier en quelque lieu de l’église et là, avec ceux qui étaient avec moi, me cacher mais non pas sans (être mis) sous garde cependant, afin que je ne sois pas capable de vous faire savoir quels sont tous les maux qui ont été commis sur ma personne.»

(en l’absence de toute autre mention, les traductions sont nôtres).

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UN ARCHEVÊQUE DALEXANDRIE ASSASSIN ? 89

nombreux au point que sa vie fût mise en danger dans l’église elle-même.

Sans doute, Dioscore s’entoura-t-il des garanties de la légalité, obtenant que son adversaire fût maintenu sous garde jusqu’à ce que la sentence d’exil prononcée par Théodose parvînt jusqu’à la ville conciliaire en bonne et due forme8. Peut-être fallut-il quelques semaines pour qu’il en aille ainsi. Sûrement le séjour en prison du Constantinopolitain fut-il rendu plus pénible par les agissements des clercs alexandrins9 et des moines, mais c’est bien la marche forcée sous escorte qui eut raison de lui.

Il décéda en Lydie près d’Hypapea10, localité qui constituait sans doute le terme assigné à son exil. Il est bien probable que rien ne lui fut épargné sur le chemin11, et l’on peut même penser que sa mort a été recherchée par ses gardes, à l’instar de celle de Chrysostome, peu après Comane, sur le chemin de Pytionte. Les ennemis de Flavien à la cour, Chrysaphe12 en premier lieu ont bien pu veiller à ce qu’il en soit ainsi. Dioscore prit-il une part active au forfait ? Cela ne paraît pas vraisemblable. Il n’aurait rien eu à gagner à paraître à la manœuvre et sans doute pensait-il se satisfaire, comme ses prédécesseurs, que son rival constantinopolitain fut relégué

8Comme l’a fait observer H. Chadwick, The Exile and Death of Flavian of Constantinople, 19 (cit. note 2).

9Comme le souligne le libelle d’accusation du diacre alexandrin Ischyrion qu’il composa contre Dioscore et présenta au concile de Chalcédoine à l’occasion de la 3e session (13 octobre 451) : « Car Harpocration a été toujours au service de sa folie (scil. de Dioscore) avec Pierre le susdit diacre, comme l’ont montré les agissements à Éphèse contre Flavien de sainte mémoire… » (ACO II-1-2, p. 191-4, trad. A.-J.

Festugière, Éphèse et Chalcédoine, actes des conciles [Textes, Dossiers, Documents 6], Paris 1982, 86518-21.

10Gesta de nomine Acacii, dans Epistulae imperatorum pontificum aliorum inde ab. a.

CCCLXVII usque ad a. DLIII datae, Avellana quae dicitur collectio (ci-après CA), éd. O.

Guenther [CSEL 35], Vienne 1898, 99, 44315 ; The Chronicle of Marcellinus. With a Reproduction of Mommsen’s Text (1893), trad. anglaise et comm. B. Croke [Australian Association for Byzantine Studies, Byzantina Australiensia 7], Sydney 1995, a. 449, 19.

11Ainsi que l’indique le témoignage consigné par Nestorius dans Le livre d’Héraclide de Damas traduit en français suivi du texte grec de trois homélies de Nestorius sur les tentations de notre Seigneur et de trois lettres (lettre à Cosme, présents envoyés d’Alexandrie, lettre de Nestorius aux habitants de Constantinople), trad. F. Nau (d’après l’éd. de P. Bedjan), avec le concours de P. Bedjan et M. Brière, Paris 1910, 315-316 (V). Voir aussi CPG 5751. Cf. encore les observations de S. Acerbi, Conflitti politico- ecclesiastici in Oriente nella tarda antichità : il II concilio di Efeso (449), Madrid 2001, 132.

12Spathaire particulièrement influent auprès de Théodose II (cf. Chrysaphius”, PLRE, II, p. 295-297), ennemi de Pulchérie et sans doute à l’origine de l’implication de l’eunuque Saturninus (Marcellinus, Chronique, a. 449, 19) dans l’issue fatale de l’exil assigné à Flavien.

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90 PH. BLAUDEAU

dans l’oubli, à l’instar de Nestorius. Car la mise en œuvre de son ambitieux projet géo-ecclésiologique supposait seulement l’élimination institu- tionnelle de Flavien : il pourrait ainsi s’assurer de la délicate promotion de son apocrisiaire Anatole13. Aussi faut-il ne pas trop rapporter les deux événements (décès de Flavien / élection d’Anatole) l’un à l’autre. Il reste probable que Flavien mourut vers octobre-novembre, plusieurs semaines avant l’élévation d’Anatole et alors même que le pape demandait encore aux Constantinopolitains de continuer à tenir le réprouvé d’Éphèse pour leur pasteur légitime14. Naturellement, le diacre d’origine égyptienne Anatole, qui devait sa promotion à Dioscore et à l’empereur, ne fit-il tout d’abord aucune référence au condamné et moins encore à sa disparition dans le courrier qu’il adressa à Léon pour lui annoncer sa propre élection (décembre 449)15. Le temps n’était sûrement pas venu d’exalter Flavien ; tout juste son corps, sur lequel continuait de peser la condamnation légale, avait-il reçu une sépulture bien localisée.

13Voir notre Rome contre Alexandrie ?, in Adamantius 12 (2006), 149.

14Ep. 50, 2124-28 : «Nous ne voulons pas que votre dilection soit abattue par cette affliction, puisque c’est une plus grande gloire que votre constance est sur le point de vous procurer, si aucune menace, aucune crainte, ne vous sépare de votre évê- que éprouvé. Quiconque aura osé s’emparer du sacerdoce tandis que votre évêque Flavien survit sain et sauf, ne pourra jamais être tenu dans notre communion ni n’être dénombré parmi les évêques ». Considérer que la mort de Flavien intervient en octobre-novembre comme nous le proposons ici suppose de ne pas retenir comme dies natalis de Flavien la date (17 ou même 18 février) qui est suggérée par la tradition (cf. Synaxarium ecclesiae Constantinopolitanae e codice Sirmondiano nunc Berolinensi adiectis synaxariis selectis, éd. H. Delehaye, Propylaeum ad acta sanctorum novembris, Bruxelles 1902, 472) tout en relevant au passage que sa mémoire est aussi honorée dans le codex Sirmondianus au 12 novembre (ibid., p. 218). On reconnaîtra de toute façon que les indications calendaires de la sorte véhiculées ne renvoient pas obligatoirement au décès des intéressés, ni ne s’avèrent toujours exploitables (Chadwick, The Exile and Death of Flavian of Constantinople, 31-33). Ainsi, à la lumière des observations déjà formulées par Chadwick et réitérées par Acerbi (Conflitti 135, cit. note 11), les conséquences historiographiques de notre hypothèse apparaissent clairement : au contraire d’une fin située en août 449 ou en février 450, la mort de Flavien, placée en octobre-novembre 449, ne peut être considérée trop facilement comme « le tragique épilogue » du concile d’Éphèse ni moins encore comme le prologue, affreux et calculé, de celui de Chalcédoine

15ACO II-4, xxxv-xxxxvi. Plutôt que la manifestation d’indépendance à l’égard de Dioscore que manifesterait cette lettre, comme le pense Chadwick (The Exile and Death of Flavian of Constantinople, 26, cit. note 2) elle répond à la volonté d’une reprise de contact urgente qui n’est pas alors contraire aux intérêts de Dioscore.

Voir notre Rome contre Alexandrie ?, 149-150 (cit. note 13).

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Rien ne laisse véritablement croire que la situation connut le moindre changement à cet égard tant que Théodose II régna. Quelque temps après la réunion d’Éphèse, celui-ci avait publié un édit confortant toutes les décisions prises par l’assemblée qu’avait présidée Dioscore. L’empereur condamnait le nestorianisme pervers imputé à Flavien et à Eusèbe de Dorylée. Aussi signifiait-il fermement leur déposition, de même que celles de Domnus d’Antioche et de Théodoret de Cyr ; il prévenait également toute ordination de quelque individu qui partagerait leurs convictions.

Cette disposition demeura valide jusqu’à sa mort16. A Rome, où la rumeur du décès de Flavien avait été diffusée au début de l’année 45017, Valen- tinien III, Galla Placidia et Eudoxie avaient bien été associés par le pape Léon à la déploration des injustices de l’évêque alexandrin, de son inimitié à l’encontre de Flavien. Mais en vain18. Aussi, après avoir acquis la certitude de sa disparition, Léon doit-il bientôt admettre que l’appel du Constantinopolitain est devenu caduc. En conséquence, la demande de réunion d’un nouveau synode, à laquelle le pape ne renonce cependant pas19, apparaît plus hypothétique que jamais. C’est désormais l’acceptation, en synodes régionaux, du Tome à Flavien20 qui s’impose à ses yeux comme la mesure de la réconciliation à venir21. Cette stratégie doit lui permettre de contourner l’influence de Dioscore sans revenir sur ses méfaits puisque décidément l’empereur ne retire rien de sa faveur à l’Alexandrin. Aussi le pape ne développe-t-il pas encore de réquisitoire contre ce dernier. C’est dans ces circonstances probablement qu’un anonyme, un clerc sans doute, répond vers le même moment au noble romain qui l’a commissionné pour réfuter l’hérésie d’Eutychès et le recours de celui-ci à la lettre (prétendue)

16ACO II-3-2, 88-89. Le récit de Théophane selon lequel Théodose se serait repenti et aurait regretté le sort infligé à Flavien, permettant à sa sœur Pulchérie d’organiser le retour de ses reliques (Chronographie, AM 5942, éd. C. De Boor [Biblio- theca scriptorum Graecorum et Romanorum Teubneriana], Leipzig 1883, 102) n’est aucunement corroboré par une quelconque source plus ancienne et ressem- ble fort à une tentative de réhabilitation du pius princeps. Voir S. Acerbi, Eterodossia e coercitio imperiale nei Concili Ecumenici del V secolo, in Geríon 24 (2006), 368.

17ACO II-3-1, 1527-29 : (lettre d’Eudoxie à son père Théodose) : « Il a été écrit ici en effet que toute rivalité avait été agitée jusqu’à ce point que Flavien avait pu être retiré des choses humaines ».

18L’ensemble de l’échange épistolaire (six courriers) est conservé : ACO II-3-1, 13-17 = ACO II-1-2, 5-8.

19Cf. Ep. 69, 3130 ; Ep. 70, 3015-17(16 juillet 450).

20Point n’est besoin de trop insister sur l’habile témoignage d’attachement au Constantinopolitain ainsi manifestée, même si c’est bien la praedicatio du succes- seur de saint Pierre en matière de doctrine qui est principalement signifiée.

21Sur cette réaménagement des modalités de retour à la communion romaine, cf. S. O. Horn, Petrou Kathedra, 109 (cit. note 4).

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de Jules de Rome à Denys22. Or, au détour de son raisonnement, il affirme pour faire bonne mesure que c’est l’archimandrite — et non pas Dioscore — qui a tué Flavien23.

22Le dossier ainsi constitué est conservé au premier chef dans une section reproduisant 22 lettres de Léon d’un manuscrit du Mont-Cassin du XIIIe s. (codex Casinensis 2), et pour cette raison dénommé par E. Schwartz collectio Casinensis.

Voici comment il résume l’intérêt et l’origine de la composition du clerc anonyme : « les choses qui ont été adjointes aux lettres de Léon à propos de l’appel d’Eutychès (= ACO II-4, 143-151) ne sont pas (seulement) rares mais (carré- ment) uniques. La version latine du libelle d’appellation d’Eutychès qui en forme le début, n’est pas celle qui fut éditée d’après le scrinium papal dans la collectio Novariensis (n°6.7, ACO II-2-1) mais une autre à l’usage d’un noble romain (« nobilitas tua » ACO II-4, 14528) ce qui n’aurait pu se produire sinon à la condition de faire connaître la copie grecque au traducteur depuis le même scrinium. J’ai cru (ACO II-2-1, vi-vii) que celui-ci était ce même clerc qui, sur la demande de ce noble personnage, avait reçu la charge de réfuter Eutychès et s’était spécialement appliqué à annihiler le témoignage incommode du pape romain Jules qu’Eutychès avait adjoint. Il va de soi que le noble romain que le clerc, qui a accompli sa demande, traite avec la plus haute dévotion, brillait d’une grande autorité auprès de Léon. J’ai conjecturé qu’il aurait été membre de la gens Anicia ou d’une autre du même genre. Je ne nie pas qu’il a pu se produire que ce même homme ait constitué la collectio Casinensis après 449, mais il me semble plus probable que c’est depuis le scrinium de cette noble demeure que ces documents étaient parvenus à celui qui rassembla cette collection même ou celle en fonction de laquelle elle a été entreprise. Il est certain que la collectio Casinensis est d’origine et romaine et assez ancienne» (ACO II-4, xiii).

Dans sa recension, P. Peeters, in Analecta Bollandiana 50 (1932), 392, a cepen- dant fortement critiqué ce point de vue, refusant qu’un noble romain ait pu être commissionné par Léon et croyant reconnaître des éléments de latinité carolingienne dans le texte anonyme de la collectio. De notre propre étude du dossier que nous ne pouvons exposer ici en détail, nous retenons que l’actualité de la proposition eutychienne repoussée, la singularité parfois hétérodoxe de la christologie diphysite défendue et l’absence de toute mention de l’entreprise christologique menée par Léon font croire à une date haute de rédaction et à un moment difficile pour le pape, nonobstant la possibilité de traces de recom- position à une époque plus tardive. Ces caractéristiques premières orientent vers la période fin 449-automne 450. On sait qu’à cette époque la controverse est agitée à Rome et des experts sollicités, comme le suggère le Conflictus cum Serapione, peut- être mis par écrit au même moment, dialogue avec lequel le dossier du clerc anonyme comporte quelques points de contact.

23Cf. ACO II-4, 14610.

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UN ARCHEVÊQUE DALEXANDRIE ASSASSIN ? 93

II. Dioscore, le châtieur du pur ?

C’est donc bien le décès de Théodose II (juillet 450) puis l’élévation de Marcien et ses premières initiatives qui incitent à développer une nouvelle présentation des responsabilités de Dioscore dans la mort de Flavien.

Parmi celles-ci, la réintroduction du nom du l’ancien condamné dans les diptyques constantinopolitains, à l’initiative prompte et zélée d’Anatole24, puis le retour en grande pompe de ses restes solennellement déposés aux Saints-Apôtres25, signalent suffisamment l’intention de promouvoir feu l’archevêque au rang de confesseur, sinon de martyr. A Rome comme à Alexandrie, le message est parfaitement compris : tandis que Dioscore ose sans doute s’en prendre aux images du nouveau souverain26, Léon loue sa piété au contraire et se défait de toute précaution pour caractériser les décisions éphésiennes. Son emploi du terme brigandage (latrocinium27) a fait florès. On remarque alors que le pape n’exonère pas ceux qui tels Eustathe de Beyrouth ou Juvénal de Jérusalem ont secondé Dioscore dans son entreprise. Le pape réclame que leur nom ne figure pas dans la liste des diptyques et que leur cas soit réservé à son jugement28. Toutefois les mises en cause les plus graves de Léon concernent Dioscore au premier chef, surtout à mesure que le concile et les risques inhérents au renver-

24Théodore le Lecteur, Theodoros Anagnostes Kirchengeschichte, éd. G.Ch. Hansen, [GCS neue Folge 3], Berlin 1971, 19952, E 357, p. 10019-20 : « Ayant devancé (le retour des reliques), il inscrivit son nom dans les diptyques sacrés ».

25Lettre de Pulchérie à Léon, 22 novembre 450, ACO II-3- 1, 1914-17 (=ACO II-1-1, 934-39) : « que ta sainteté sache que, par un précepte de notre seigneur et prince très serein, le corps de l’évêque Flavien de sainte mémoire a été transporté dans la glorieuse cité de Constantinople et qu’il a été déposé comme il convient dans la basilique des apôtres dans laquelle ses prédécesseurs avaient établi d’avoir leur sépulture ». Voir aussi Léon, Ep. 79, 382 et Ep. 83, 4227

26 Cette étonnante accusation figure dans le libelle de Sophronios, lu lui aussi lors de la 3e session du concile de Chalcédoine (451), ACO II-1-2, 248-11. Sur son interprétation, cf. R. Teja, Una accusacíon de crimen majestatis contra el patriarca Dióscuro de Alejandría en el concílio de Calcedonia, in Munera amicitiae. Studi di storia sulla tarda antichità offerti a Salvatore Pricoco, éd. R. Barcellona — T. Sardella, Soveria Mannelli 2003, 524-526 spécialement et notre Alexandrie et Constantinople, 128 (cit.

note 2).

27 Cf. Léon, Ep. 95, 514.

28Cf. Ep. 85, 452-10 ; Ep. 80, 403-7.Voir aussi notre communication Hors des diptyques point de salut ? Regard sur la genèse, le développement et l’amoindrissement de certaines exigences romaines en Orient (415-604), in Les Pères de l’Église et les dissidents. Dessiner la communion: dissidence, exclusion et réintégration dans les communautés chrétiennes des six premiers siècles. Actes du IVe colloque de La Rochelle (25, 26 et 27 septembre 2009), ed. P.-G.

Delage, La Rochelle 2010, 353-354.

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sement du rapport de force se rapprochent : à suivre Léon, l’Alexandrin a jugé de façon perverse dans l’affaire de Flavien, condamnateur il a montré son impiété, bien plus sa malveillance s’est manifestée sans frein29. Pour autant le pontife romain, qui reconnaît à Flavien la qualité de confesseur30, ne verse pas dans une accusation débridée. Ni avant, ni même après le concile, il ne fait de Dioscore le meurtrier de Flavien. La comparaison avec le traitement réservé à Timothée Aelure dans les courriers pontificaux de 457-460 accuse un peu plus encore le trait. Car ce dernier est quant à lui dénoncé par le même pape avec la dernière des énergies comme un parri- cide, un nouveau Caïn, après que la nouvelle de la mort ignominieuse infligée à Protérius (mars 457) a été diffusée31. Cette différence constatée est renforcée bien plutôt qu’elle n’est infirmée par l’étude de la lettre prétendument adressée par Léon à Théodoret (ep 120, AD 453). Dans celle-ci en effet, Dioscore est désigné comme un homicide sacrilège dont l’horrible crime frappe les esprits par le jeu d’images saisissantes: le « se- cond pharaon »32 « trempa ses mains impures dans le sang de l’évêque innocent et catholique…»33 puisqu’il « entreprit d’ôter à Flavien la vie du siècle présent »34. Déjà suspectée par les Ballerini35, puis rejetée par Silva- Tarouca36, cette missive a fait l’objet d’une étude de détail menée par Schieffer37 qui conclut justement à l’interpolation d’un long passage38

29Cf. Léon, Ep. 83, 4235, 431, Ep. 85, 4432.

30Ep. 105, 5826-27

31Cf. notre Rome contre Alexandrie ? , 185-186 (cit. note 13).

32ACO II-4, 7918.

33ACO II-4, 802-3.

34ACO II-4, 8016-17.

35Ils relèvent en effet comme autant de traits troublants le fait que ce courrier ne fut pas exploité, par les défenseurs des Trois Chapitres, que son style ne correspond pas à celui habituellement employé par Léon et que figure au terme de la missive la mention alia manu, qu’ils n’avaient jamais rencontrée par ailleurs dans l’épistolier léonin (= PL 54, col 1046, note k).

36Sancti Leonis Magni epistulae contra Eutychis haeresim. II. Epistulae post Chalcedonense concilium missae (a a. 452-458) [Textus et documenta in usum exerci- tationum et praelectionum academicarum, series theologica 20], Rome 1935, xxxiv- xxxxviii. Relevant les arguments énoncés par les Ballerini, Silva-Tarouca examine en détail la particularité de sa tradition et en conclut qu’elle ne provient pas du scrinium pontifical. Mais l’orientation hypercritique montrée par ce philologue grève en partie la réception de ses observations.

37Der Brief Papst Leos d. Gr. an Theodoret von Kyros (CPG 9053), in ANTIDWRON. Hulde aan Dr. Maurits Geerard bij de voltooiing van de Clavis Patrum Graecorum, Hommage à Maurits Geerard pour célébrer l’achèvement de la Clavis Patrum Graecorum, éd. J. Noret, Wetteren 1984, 81-87.

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figurent les formules précitées. Composé en vue d’exalter par un procédé anticipatoire la constance de la tradition théologique occidentale devant les polémiques longtemps agitées après Chalcédoine, cet ajout est l’œuvre d’un partisan des Trois Chapitres39. Habile connaisseur de l’épistolier léonin, cet anonyme en exploite les traits saillants pour exacerber l’opposition entre Flavien et Dioscore, selon une orientation déjà indiquée lors des débats synodaux de 451, puis rappelée par tel courrier contenu dans le codex encyclius avant d’être confortée par Facundus d’Hermiane.

Car, venues des rangs des évêques orientaux, les accusations qui furent lancées contre Dioscore à Chalcédoine (451) sont tout aussi expressives et suggestives que trompeuses. Volontiers réitérées, elles présentent l’archevêque égyptien comme un assassin40, lui imputant déjà le détestable titre biblique de pharaon41. Mais le caractère déclamatoire de ce genre d’incrimination s’accompagne à l’occasion d’une précision intéressante (les coups fatals à Flavien auraient été portés par les soldats42). Surtout, elles ne sont pas exclusives. Outre le fait que le groupe des Orientaux a volontiers recours à un pluriel (les meurtriers) aux contours mal définis certes, mais qui vise le parti des évêques encore fidèles à Dioscore lors de la première session conciliaire43, une inculpation plus sévère encore s’abat avec une singulière intensité dans un tumulte lorsque l’ascète syrien Barsauma paraît à l’occasion de la 4e séance chalcédonienne. Diogène de Cyzique s’écrit même: « Barsauma qui est entré au milieu de vous a égorgé Flavien. Il était là et disait : égorge »44. La réputation de violence entre-

38Qui pourrait correspondre à la section suivante : ACO II-4, 7827-8111. Sur cette proposition et ses limites, voir encore R. Schieffer, Der Brief Papst Leos, 84, note 26 (cit. note 37), D. Jasper dans ANTIDWRON,et H. Fuhrmann, Papal Letters in Early Middle Ages [History of Medieval Canon Law], Washington 2001, 54 et 57 note 237.

39H. Fuhrmann, 84-85.

40ACO II-1-1, 6926-27 ; 7020-21 ; 7514-15 ; 11132-33 (où Dioscore est également qualifié de parricide) ; 14314-17 ; 19531-32. Basile de Séleucie évoque quant à lui l’horrible homicide (miaifoniva) auquel Dioscore a contraint, ACO II-1-1, 17932-34.

41ACO II-1-1, 14316. Il s’agit par cette figure prototypique, déjà appliquée à Théophile, de fustiger ses abus plutôt que son pouvoir, comme l’a bien vu H.

Hauben, The Alexandrian Patriarch as Pharaoh. From Biblical Metaphor to Scholarly Topos in Egyptian Religion. The Last Thousand Years. Studies Dedicated to the Memory of Jan Quaegebeur, éd. W. Clarysse, A. Schoors et H. Willems [Orientalia Lovaniensia Analecta 84-85], Louvain 1998, 1351.

42ACO II-1-1, 7515.

43ACO II-1-1, 6930-31, 7015.

44ACO II-1-2, 11626-27, trad. A.-J. Festugière, Éphèse et Chalcédoine, 5132-33 (cit. note 9).

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tenue autour de ce personnage renforce l’impact de l’exclamation45, qui toutefois n’entraîne pas le retrait du sulfureux moine46. Elle conduit l’historien à considérer que l’imputation de la mort de Flavien à Dioscore n’est pas générale : elle procède d’un groupe de pères conciliaires actif certes, mais circonscrit, qui vise à obtenir la condamnation de l’Alexandrin comme hérétique, ce que formellement le concile de 451 n’entérine pas parmi les attendus de sa déposition. De plus, cette incrimination comporte une valeur métaphorique, elle vise la sanction synodale prononcée par Dioscore à l’encontre de Flavien, embrassant dans un même mouvement simplificateur ses tristes conséquences47. On remarquera d’ailleurs que le vocabulaire usité à l’encontre de Barsauma par Diogène provoque une inflexion de sens induisant une responsabilité plus grande de l’higoumène dans les mauvais traitements subis par le Constantinopolitain. Toutefois les exclamations épiscopales qui suivent en reviennent au terme plus attendu de meurtrier48. Ce sont donc des motivations postérieures, attestant l’âpreté des controverses post-chalcédoniennes, qui suscitent une mise en accusation aggravée de Dioscore pour mieux concentrer sur lui l’ensemble des reproches dont il convient désormais d’accabler un hérésiarque à sa mesure.

III. Dioscore, l’affreux sacrificateur du juste ?

Une fois de plus, il importe de rappeler que la construction de l’image d’un Dioscore sanguinaire est permise par la dénonciation en règle de ses choix accomplie par Léon, spécialement après Chalcédoine. Toutefois, la figure d’opposition que le pape tend d’abord à tracer ne fait de lui que l’assertor jamais éponyme de l’hérésie, comme s’il demeurait quelque gène

45Dans la Vie de Barsauma telle que F. Nau nous la fait connaître, on trouve en effet l’expression suivante prêtée à l’higoumène lui-même dans le contexte post- chalcédonien : « je ne suis pas l'ennemi des rois fidèles et je ne suis pas meurtrier des pontifes véritables, mais je suis l’ennemi des empereurs apostats et je hais les pontifes renégats. Je n’ai jamais tué d'évêques mais le Seigneur tue le pontife qui renie la vérité, le menace… » (Résumé de monographies syriaques, in Revue de l’Orient chrétien 19 [1914], 280, 74e prodige).

46Comme l’a observé H. Bacht, Die Rolle des orientalischen Mönchtums in den kirchenpolitischen Auseinandersetzungen um Chalkedon (451-519), in Das Konzil von Chal- kedon. Geschichte und Gegenwart. II. Entscheidung um Chalkedon, dir. A. Grillmeier et H. Bacht, Würzburg 1953, 238.

47Cf. H. Chadwick, The Exile and Death of Flavian of Constantinople, 22.23 (cit.

note 2).

48ACO II-1-2, 11638-39.

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à trop farder son portrait dans une galerie où plus encore que la stupidité perverse d’Eutychès, c’est la sauvage cruauté d’Aelure qui frappe bientôt par son allure horrifiante49. Car si Léon s’emploie à souligner que son aspect monstrueux n’est que l’épouvantable caricature de traits déjà caractéristiques de Dioscore, la rétro-identification du maître au disciple est plus sûrement suggérée par un courrier de réponse à l’enquête lancée par l’empereur Léon (458) après l’intronisation d’Aelure et le lynchage de Protérius à Alexandrie. Dans la lettre de Sébastien de Bérée, Flavien est présenté comme le nouvel Abel50, ce qui incite à identifier le fratricide.

Car pour que l’application typologique soit cohérente, il importe que le profanateur homicide soit un évêque lui aussi, de rang comparable à Flavien de surcroît. Tout concourt donc à faire de Dioscore un nouveau Caïn. L’intention du propos est claire : plutôt que de désigner, à l’instar du pape Léon, la logique de violence a crescendo commise sur l’initiative d’Aelure comme inhérente au phénomène hérétique, Sébastien de Bérée lui préfère le motif du crime originel accompli par Dioscore. Flavien est érigé de la sorte en protomartyr, tandis que disparaît toute difficulté concernant Protérius : point n’est besoin de répondre aux miaphysites qui l’accusaient de parricide, puisqu’il avait à leurs yeux usurpé le siège alexandrin51, ni trop insister : son massacre sur les fonts baptismaux52 n’est que la lamentable réitération d’un sacrilège déjà perpétré sur la personne de Flavien. Relativement isolée dans le codex encyclius, une telle représentation vise sans doute à exalter un peu plus la mémoire du Constantinopolitain conformément au programme défini par l’empereur Marcien dont les vertus sont simultanément rappelées et louées53. On comprend en revanche que ce passage soit cité in extenso à deux reprises par Facundus d’Hermiane dans son Pro defensione trium capitulorum ad Justinianum54. Car l’infatigable collecteur et apologète africain n’ignore pas

49Voir notre Rome contre Alexandrie ?, 180-184.

50ACO II-5, n° xvii, 3029. Sur l’identification du siège, Bérée, dont l’auteur de la lettre, Sébastien, est titulaire, cf. Th. Schnitzler, Im Kampfe um Chalcedon. Geschichte und Inhalt des “Codex Encyclius” von 458 [Analecta gregoriana 16], Rome 1938, 84.

51Cf. Liberatus, Breviarium causae nestorianorum et eutychianorum, ACO II-5, XIV, 123 et notre communication L’élection d’archevêques diphysites au trône alexandrin (451- 482) : une désignation artificielle et contrainte ? prononcée lors du colloque Episcopal Elections in Late Antiquity (ca 250-ca 600 AD), Faculty of Theology, Katholieke Universiteit Leuven (26-28 octobre 2009), à paraître.

52Sur ce carnage qui emporte également six de ses prêtres, voir notre étude Alexandrie et Constantinople, 151-152 (cit. note 2).

53ACO II-5, n° XVII, 3016-18.

54Facundus d’Hermiane, Facundi episcopi ecclesiae Hermianensis opera omnia, éd.

J.-M. Clément, o.s.B. et R. Vander Plaeste [CCL 90A], Turnhout 1974 = Défense des

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qu’à Rome, on a longtemps entretenu la mémoire de Flavien décédé en confesseur55. Aussi, à ses yeux, la signification protologique de la mort du Constantinopolitain garantit par anticipation la validité inconditionnelle des décisions chalcédoniennes telles qu’elles furent entérinées par Léon56. En effet, confirmé par le pape, le concile déjoue par avance toutes les menées hérétiques, discrédite définitivement toutes leurs intentions et condamne leurs brutalités comme autant de répliques du crime initial, promu en quelque sorte au rang de forfait indépassable. L’habileté argu- mentaire de Facundus consiste alors à ne pas s’en prendre explicitement, nominativement, à Dioscore, comme si la condamnation de sa mémoire n’en était que mieux assurée par le silence assourdissant entretenu sur sa culpabilité, alors même que le Byzacénien ne se prive pas de stigmatiser ailleurs l’emportement ou la violence montrés par l’Alexandrin à Éphèse57. Quelques années plus tard, le diacre romain Pélage qui, à n’en pas douter, avait déjà suggéré à Vigile de célébrer par quelques mots la persévérance de Flavien dans son Constitutum (mai 553)58, reconduit le raisonnement de l’évêque africain alors qu’il compose lui aussi une Défense des Trois Chapitres (courant 554 sans doute): très dépendant du texte même de Facundus, Pélage reprend le passage déjà emprunté à Sébastien de Bérée.

De la sorte, il exhausse à son tour le renom du second Abel sans

Trois Chapitres (à Justinien). I. Livres I-II. II-1. Livres III-IV. II-2. Livres V-VII. III. Livres VIII-X. IV. Livres XI-XII, introd. et trad. française Anne Fraïsse-Bétoulières [SCh 471, 478, 479, 484 et 499], Paris 2002-2006, II-5-13, 336 et XII-3-20, 188.

55Comme en attestent les Gesta de nomine Acacii déjà cités (note 10), le suggèrent le De Vitanda communione Acacii — brouillon d’un traité de Félix II — Publizistische Sammlungen zum acacianischen Schisma, éd. et comm. E. Schwartz [ABAW 10], Munich 1934, 4133-34 et la troisième lettre de Gélase aux évêques dardaniens (ep 26, JW 664, Urk 88, CA 95, p. 37912, 38210-12), comme le révèle surtout la lettre de Symmaque dénonçant les partenaires de la communion d’Acace et faisant écho à la dénonciation d’Ischyrion (cf. supra, note 9) : « Éphèse le (Pierre Monge) connut avec toute la société de Dioscore, là où avec l’auteur du péché véritable il se fit connaître comme artisan de la fin de saint Flavien », lettre aux évêques et aux clercs d’Illyricum, Dardanie et Dacies, 8 octobre 512 ou 5 mars 513, ep 13, JW 763, CA 104, p. 4895-7. Voir encore notre Alexandrie et Constantinople (cit.

note 2), p. 352.

56Sur l’indispensabilité de cette accréditation, cf. Y. Modéran, L’Afrique reconquise et les Trois Chapitres, in The Crisis of the Oikoumene, 75 (cit. note 1).

57Voir spécialement Défense des Trois Chapitres, V-III-29, 258239 (cit. note 54) et XII-3-3, 17419-20.

58JW 935, CA, 83, 29123-28.

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mentionner l’Alexandrin59. Cette fois cependant, le redoutable effet d’incrimination implicite ne dure guère. Car en l’espace de quelques lignes, Pélage bascule dans la dénonciation ouverte en pointant le timor Dioscori qui étreignit Domnus d’Antioche et le poussa à la compromission en août 44960.

***

L’interpolateur déjà signalé de la lettre de Léon à Théodoret de Cyr se meut donc dans un ordre de pensée que la controverse interne à la communauté chalcédonienne exacerbe : s’étant autorisé à revisiter et conforter la relation entre le pontife (Léon) et l’un des représentants les plus fameux de la christologie antiochienne (Théodoret), il passe outre les retenues jusque-là respectées par les défenseurs des Trois Chapitres et achève de transformer Dioscore en un abject victimaire. Ce faisant, il procède à la cristallisation d’une outrance, certes facilitée par une certaine tendance latine, mais que le souvenir de la complexité des faits avait jusque-là empêchée. La manœuvre est si habile qu’aux époques moderne et contemporaine encore, elle parvient à leurrer nombre de philologues et historiens experts61, jusqu’à tromper Schwartz62, à défaut de s’être précédemment imposée dans la diffusion manuscrite de l’épistolier léonin63. Aussi contribue-t-elle à insinuer jusque dans les représentations occidentales modernes, cette conception spécifique de la violence alexan- drine qui tend à disqualifier la communauté miaphysite puisqu’au travers de son chef originel, elle s’est terriblement tachée du sang de l’innocent.

Plus encore, par un raccourci déformant et effrayant, la scène paraît faire

59Pelagii diaconi ecclesiae Romanae In defensione trium capitulorum. Texte latin du manuscrit Aurelianensis 73 (70), éd. introd. et notes Robert Devreesse [Studi e Testi 57], Cité-du-Vatican 1932, VI, 6217-18.

60Pelagii diaconi ecclesiae Romanae, 6326-27.

61Duchesne, Histoire ancienne de l’Église, III, 422-423, note 2, marque à ce point le peu de conformité entre le propos pontifical supposé et les informations réunies à Rome, que son avis sur l’authenticité de la lettre doit être tenu pour réservé et ce bien avant que K. Silva-Tarouca ne revienne sur les problèmes posés par cette missive.

62Le philologue allemand prétend affirmer l’authenticité de l’intitulatio et de la subscriptio (ACO II-4, xxviiii) et croit que la lettre a été ajoutée d’après le modèle trouvé dans le scrinium de Rome à une collection plus ancienne par un adversaire du 5e concile (ACO II-4, xxxviii). Il pense expliquer ainsi l’ignorance de cette pièce par les autres défenseurs des Trois Chapitres, ainsi que la spécificité de sa forme et la rareté de sa diffusion.

63Sur ce point, cf. en dernier lieu R. Schieffer, Der Brief Papst Leos, 82 et 86 spécialement (cit. note 37).

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converger tous les abus de pouvoir reprochés aux archevêques alexandrins depuis Théophile. Dès lors portant à son paroxysme la démesure prêtée aux ‘pharaons’, elle en annonce la déroute. Fascinante perspective sans aucun doute mais dont la puissance d’attraction tient de la force du mythe64.

PHILIPPE BLAUDEAU

Université d’Angers Institut Universitaire de France CERHIO (UMR 6258)

64On remarquera au passage que Duchesne, Histoire ancienne de l’Église, III, 426, avait évoqué l’image du bouc émissaire pour cerner le sort qui devait être réservé à Dioscore lors du concile de Chalcédoine. Suggestive comme à l’accoutumé avec celui qui fut longtemps directeur de l’Ecole française de Rome, cette désignation prend un sens renouvelé si l’on garde à l’esprit que Duchesne ne pouvait tout à fait écarter les assimilations si adroitement répandues par la prétendue lettre à Théodoret et si l’on considère les résultats de cette présente étude. On observe en effet combien en cet exemple précis, et quoi qu’il en soit des responsabilités historiques de l’Alexandrin, s’est cristallisé le processus socio-anthropologique si remarquablement mis en évidence par les nombreux travaux de René Girard et qu’il résume ainsi à propos d’Oedipe: « ce n’est certainement pas un bouc émissaire du point de vue du mythe : il a réellement (nous soulignons) accompli le parricide et l’inceste dont on l’accuse, et les Thébains ont non seulement le droit mais aussi le devoir de le détrôner et de le plonger dans les ténèbres » (id. et G.

Vattimo, Verità o fede debole, 2006 = Christianisme et modernité. Entretiens menés par Pierpaolo Antonello [Champs 864], Paris 2009, 131). Mutatis mutandis, l’intervention de l’interpolateur partisan des Trois Chapitres apparaît en pleine lumière : il est celui qui a achevé le déplacement de sens destiné à faire croire que Dioscore avait réellement mis à mort Flavien.

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