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MÉMOIRES D'UNE COMÈTE

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Academic year: 2022

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MÉMOIRES

D'UNE COMÈTE

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Du même auteur

LES ARMES SECRÈTES ALLEMANDES (Berger-Levrault, 1947).

L'HUMANITÉ DEVANT LA NAVIGATION INTERPLANÉTAIRE (Cal- mann-Lévy, 1947).

LES HORIZONS DE L'ÉNERGIE ATOMIQUE (Calmann-Lévy, 1948).

LES ARMES DE DEMAIN (Berger-Levrault, 1949).

THÉORIE ÉLÉMENTAIRE DES PILES ATOMIQUES (Dunod, 1950) DESTINS INDUSTRIELS DU MONDE (Berger-Levrault, 1950).

L'ATOME, UNIVERS FANTASTIQUE (Hachette, 1951).

APPAREILS ET CERVEAUX ÉLECTRONIQUES (Hachette, 1952) L'ÈRE DES ROBOTS (Julliard, 1953).

DÉCOUVERTE DE LA CYBERNÉTIQUE (Julliard, 1955).

LA SCIENCE À LA CONQUÊTE DU PASSÉ (Plon, 1955).

LOGIQUE DE LA VIE (Julliard, 1956).

LA ROUTE DU COSMOS (Julliard, 1957).

VICTOIRE SUR L'ESPACE (Julliard, 1959).

LOGIQUE GÉNÉRALE DES SYSTÈMES ET DES EFFETS (Dunod, 1960).

L'HOMME DANS L'ESPACE (Julliard, 1961).

LE FABULEUX PARI SUR LA LUNE (12 septembre 1959) (Laf- font, 1961).

PLATE-FORME POUR LE COSMOS (Julliard, 1962).

LE ROMAN DE LA MATIÈRE, Cybernétique et Univers I. (Jul- liard, 1963).

LE ROMAN DE LA VIE, Cybernétique et Univers II. (Julliard, 1966).

DEMAIN L'ESPACE (Julliard, 1967).

L'HOMME SUR LA LUNE (Julliard, 1969).

LE ROMAN DES HOMMES (Julliard, 1973).

A LA RECHERCHE D'UNE VIE SUR MARS (Flammarion, 1976).

LA CHAÎNE BLEUE (Éditions n° 1, 1979).

VICTOIRE SUR L'ÉNERGIE (Flammarion, 1980).

VERS UNE SOCIÉTÉ DE COMMUNICATION (Hachette, 1981).

HISTOIRE DE LA TERRE (Nathan, 1982).

LE CIEL DES HOMMES (Flammarion, 1983).

LE FUTUR AUJOURD'HUI (Plon 1984).

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ALBERT DUCROCQ

MÉMOIRES D 'UNE COMÈTE

« Tous les 76 ans, je reviens ! »

PLON 8, rue Garancière PARIS

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La loi du 11 mars 1957 n'autorisant, aux termes des alinéas 2 et 3 de l'article 41, d'une part, que les « copies ou reproductions strictement réservées à l'usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective », et, d'autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d'exemple et d'illustration, « toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite » (alinéa 1 de l'article 40).

Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles 425 et suivants du Code pénal.

© Librairie Plon, 1985.

ISBN : 2-259-01403-8

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CHAPITRE PREMIER CONGÈRES DU COSMOS

Comète de Halley vous m'avez nommée, n'ayant de regards que pour l'imposante queue dont je me pare lorsque, tous les quelque 76 ans, près de vous je passe.

Revenir, toutefois, c'est mourir un peu : par cette queue, à travers l'espace, je sème un peu de ma substance, faite de matériaux gelés qui, à l'approche du Soleil se gazéfient.

En moi voyez en effet une des nombreuses congères cosmiques, autrefois formées dans l'espace à partir de flocons que collèrent les jeux de la mécanique céleste, comme sur votre planète le vent agglutine des particules de neige pour constituer des blocs qui barrent vos routes dès que leur dimension représente plusieurs mètres.

Or, c'est en kilomètres que se mesure ma taille. Elle dépasse de très loin celle de tous vos objets froids et, notamment, de vos icebergs, ces derniers naissant de la solidification d'une eau rassemblée liquide, alors qu'une congère est créée par une accumulation de cristaux dans lesquels l'eau est déjà glace.

J'ai, en vérité, la structure d'une congère, en étant beaucoup plus grosse qu'un iceberg : ma masse dépasse la centaine de milliards de tonnes, soit cent fois les 15000 icebergs qui se détachent annuellement du Groenland.

Cependant, alors que vos objets de glace sont l'image même de la propreté — immaculée est votre neige ; si pure est la matière de vos icebergs que leur remorquage fut suggéré afin qu'ils deviennent autant de mines d'eau douce

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là où celle-ci est rare — une congère cosmique est toujours sale pour avoir, lors de sa formation, emprisonné poussières ou roc, métaux, et composés chimiques les plus divers.

OASIS DE CHALEUR

Vous concevez mal cette existence de congères volantes dans l'océan intersidéral ?

Elle découle pourtant de la plus élémentaire logique dès l'instant où hydrogène et oxygène représentent les deux éléments, chimiquement actifs, les plus abondants de l'uni- vers : leur combinaison engendrant l'eau, celle-ci devra être regardée comme le plus banal des composés.

Et nul ne s'étonnera de la rencontrer solide. Eau est glace si les températures sont basses. Tel est le cas dans notre univers local où un froid vif règne partout, hormis au voisinage immédiat des étoiles, dans des oasis de chaleur, plus exiguës que le système solaire.

Imaginez-vous, au centre d'un terrain, un pamplemousse de 9 cm simulant le Soleil ? A 10 m de distance, la Terre sera un grain de plomb. A 52 m, une cerise figurera Jupiter. A 190 et 300 m, Uranus et Neptune seront de petites billes ; à moins de 470 m, une tête d'épingle sera Pluton. Les pamplemousses — quand ce ne seront pas des oranges ou seulement des abricots — représentant les étoiles voisines devront être placés à plusieurs milliers de kilomètres. Plus encore que cet espacement des astres, apparaîtra impression- nant le rapide abaissement des températures quand on s'éloigne du Soleil.

Il éclaire. En dépit de sa puissance — 380 000 milliards de milliards de kilowatts — c'est un pauvre brasero dans un univers où il ne parvient pas à glisser un soupçon de tiédeur, sa chaleur ne dépassant pas ses abords. En êtes-vous à quelques dizaines de mètres seulement ? Déjà, le froid interdit toute transformation de la glace. Depuis la formation du système solaire, elle a subsisté ; dure comme le roc à

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— 160 °C, elle constitue le matériau de satellites de Jupiter, couverts de cratères, semblables à s'y méprendre à des cratères lunaires.

Vous écartez-vous de la petite place occupée par le système solaire ? A quelques kilomètres, le thermomètre accuse — 250 °C. Et vous enregistrez — 270 °C, soit la température des espaces interstellaires, si vous vous aventu- rez dans les limbes qui, loin du Soleil, forment le plus clair de son domaine, gigantesque vu les parcours qu'il vous faudra effectuer avant de tomber sous le giron d'une autre étoile.

LA RONDE ÉTERNELLE

Or, dans ces limbes, ce sont des millions d'objets glacés en tout genre — congères de boue, boules de neige fourrées de gravats, pseudo-icebergs — qui gravitent nonchalamment, depuis des milliards d'années.

Avant d'être comète, je figure dans leur ronde, à une année-lumière, au temps de ma sombre et longue jeunesse.

Alors, à tous les instants et dans toutes les directions que le regard embrasse, mon ciel est noir. Dans une nuit sans Lune et sans fin, seules des étoiles sont visibles. Le Soleil est la plus belle. Cependant, je n'en reçois même pas la lumière dont aujourd'hui Vénus vous gratifie. Et il ne m'envoie aucune calorie, de sorte que ma substance reste figée. Du cosmos, je contemple les feux d'artifice. Des constellations, je découvre la mouvance. Face à un univers en continuelle métamor- phose, la notion d'événement est pour moi dénuée de sens.

« Quelle est ton époque ? » me demande-t-on. Je réponds :

« L'éternité »...

Les routes suivies par tous ces objets qui hantent les limbes du Soleil ?

Elles sont quelconques et même pas définies, car sans cesse remodelées, les étoiles proches constituant épisodique- ment autant d'éléments excitateurs. Elles accélèrent ou freinent ces objets, déformant et tordant leur orbite toujours

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précaire, car ce qu'une étoile a fait, une autre pourra le défaire, les courses étant continuellement changeantes.

Cependant, aussi longtemps qu'elle demeurera loin du Soleil, une congère restera congère.

Elle cessera de l'être, elle se trouvera engagée dans le processus qui la fera comète, si une de ces perturbations lui vaut une chute vers le Soleil avec, à la clé, une pénétration dans son oasis de chaleur.

Je revis ce voyage tel que je l'ai effectué. Il est féerique.

Au-dessus de moi, le Lion et la Grande Ourse évoluent vers leur forme actuelle tandis que, dans la direction de mon mouvement, les étoiles de Pégase se prennent à dessiner un carré, non loin du Soleil. L'éclat de ce dernier augmente au point que, bientôt, les ténèbres se dissipent. Il brille de plus en plus. Finalement, je discerne ses planètes, je mesure leur rôle considérable dans le destin des comètes.

LA LOTERIE JUPITÉRIENNE

Si vous devez être reçu par un souverain, redoutez de trouver sur votre route un personnage important. Selon ses dispositions à votre égard, il facilitera la rencontre ou se montrera dissuasif. Pis : il saura vous contraindre à repartir plus vite que vous n'êtes venu.

Ainsi, Jupiter est par excellence l'éminence grise, véritable Parque des objets arrivant dans l'oasis de la chaleur solaire aux limites duquel il se tient : sa gravitation leur imposera tous les destins. Comme toute apprentie-comète, il est de règle qu'à la loterie de son mouvement je sois soumise.

La planète géante tourne en 11 ans autour du Soleil. Ainsi, pendant les millions d'années que dure mon approche, je la vois effectuer des milliers et des milliers de révolutions, folle comme l'est dans un atome la course de l'électron dont le physicien n'imagine pas qu'il puisse occuper une position déterminée.

Et, de même qu'à la roulette, ia case sur laquelle se fixera

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la bille est seulement entrevue au dernier moment, une totale incertitude plane sur le sort de qui entre dans le système solaire. Il pourra s'en trouver éconduit pour toujours — il aura fait le voyage pour rien — si Jupiter l'accélère. Le voilà, au contraire, pris dans les rets de ce système si Jupiter l'a freiné, d'autant plus captif qu'est plus grande la fraction de sa vitesse dont il aura été amputé.

Rarement, sa nouvelle orbite sera définitive : un objet gravitant parmi les planètes est continuellement soumis à leur action. En outre, il arrivera que la déformation de sa trajectoire par leur fantaisie se double d'un facteur interne : une brutale transformation en gaz de ses matériaux pourra lui valoir le comportement d'une fusée. Dès lors, il changera spontanément d'orbite, comme aujourd'hui un engin spatial manœuvre.

Avec la possibilité que l'événement le conduise à passer à quelque moment près de Jupiter — ce sera la remise en cause de son statut, et toujours la menace d'une éviction qui le renverrait, peu ou prou amputé — ou encore à se trouver, par un heureux concours de circonstances, transféré sur une orbite assez stable, à distance respectable de cette planète.

J'ai cette chance. Après diverses tribulations, je me découvre sur une orbite protégée dont les caractéristiques me laissent hors de portée de Jupiter.

Certes, les différents corps du système solaire m'attirent ou me repoussent. Mais de loin, sans décider de mon sort comme ce fut le cas lorsque j'arrivais des limbes solaires.

L'influence des planètes entraîne seulement des irrégularités de mon mouvement que traduiront des écarts dans la durée de mes révolutions — elle variera entre 68 et 79 ans — sur une orbite remarquable qui m'approche davantage du Soleil que la brûlante Vénus, avant de m'en éloigner au-delà de Neptune.

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MES QUATRE SAISONS

Ainsi je connais d'étranges saisons car cet impressionnant balayage du système solaire, auquel me condamne une monotone navette entre une chaude oasis et des limbes glaciaux, les lois de la mécanique céleste le doublent d'une grande disparité dans le régime de mes vitesses : c'est en bolide que je côtoie le Soleil, ma vitesse étant voisine de 55 km/s, pour devenir moins rapide qu'un avion de ligne lorsque j'en suis loin. Et cela me vaut un hiver démesuré- ment long. Quelque 75 ans durant, sur les 76 qui représen- tent mon année standard, congère je reste en dehors de l'oasis de chaleur entretenue par le Soleil dont les pâles rayons se réfléchissent sur ma surface sans l'émouvoir.

Mon printemps débute quand, moins distante que Jupiter, j'ai pénétré dans cette oasis. Alors ma substance s'échauffe pour, dans le vide, directement engendrer gaz et poussière

— les physiciens diront qu'elle se sublime — et cela bien en dessous de la température de 0 °C qui, dans votre échelle terrestre, désigne la glace fondante. Cessant d'être un objet nu exposé à l'espace, me voici entourée d'une atmosphère, que vous appellerez chevelure.

Cette dernière, cependant, n'a aucune raison de coller à moi. Comme tout corps céleste, j'attire les matériaux de mon environnement mais ma pesanteur n'atteint pas la dix- millième partie de la pesanteur terrestre. Ainsi, abandonnez- vous une masse à 1 mètre au-dessus de ma surface ? Très lente, sa chute demandera trois quarts de minute. Et une pesanteur aussi faible ne saurait retenir les produits nés de ma sublimation : le rayonnement solaire tend à les emporter comme le vent souffle une chandelle.

Tel est le temps de mon éveil. En direction opposée au Soleil, je me vois affublée d'une queue qui grandit, semaine après semaine.

Puis, c'est mon court été, marqué par le temps où, en trombe, je survole le Soleil, les astronomes ayant, à partir de racines grecques, créé le très joli mot de périhélie (peri = près

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de, helios = Soleil) pour désigner le point où, de l'astre du jour, je suis le plus proche.

Ma queue sera-t-elle alors la plus développée ?

Non. Au cours d'une journée terrestre, le mécanisme d'accumulation de la chaleur joue pour vous valoir les températures les plus élevées non pas à midi mais vers 13 heures, après que le Soleil a culminé. Pareillement, ma queue prend son extension maximale au cours des semaines suivant mon passage au périhélie, car alors ma surface est la plus chaude.

C'est l'automne quand je m'éloigne du Soleil, ma queue se résorbant rapidement. Encore un peu de temps et elle a cessé d'exister. Redevenu noyau de glace passif, dans un autre hiver je suis entrée.

Bref, apparaîtra ainsi le temps où, tel un fruit que l'on pèle, je perds à peu près 1 m de ma substance. Alors, dans votre ciel, sous les traits d'une comète très belle je me présente, les circonstances ayant fait de la Terre ma com- pagne et mon amante.

LA MÊME PÂTE

A son inclinaison par rapport au disque où se meuvent les planètes, mon orbite doit, en effet, sa stabilité. Ce disque, elle le traverse à deux reprises, lors de mon printemps — je franchis mon nœud ascendant en m'approchant du Soleil (ce sera, en 1985, le 9 novembre) — et à l'automne (ce sera, en 1986, le 11 mars) avant d'aller hiberner sous ce disque.

Or, ces deux nœuds présentent pour particularité d'enca- drer l'orbite de la Terre.

Ainsi, est-ce essentiellement votre planète que je fré- quente, une planète à maints égards très étonnante. Ne l'est- elle pas d'abord par son appellation ? En la disant Terre, vous avez choisi de lui donner pour nom l'humus de ses régions fertiles, productrices de votre nourriture.

Le contraste apparaîtra total entre cette somptueuse

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planète et la pauvre congère que je suis : ma matière est grossière, peu variée, la vôtre est riche, hautement élaborée.

Vous êtes chauds et impétueux. De la vierge Pallas, j'ai la froideur. Qui nous croirait faits de la même pâte ?

Or, c'est le cas. Faute d'être nés de la même mère, nous eûmes probablement ce père commun : le grand nuage de gaz et de poussières qui, autrefois, en une fantastique valse- condensation, enfanta le système solaire, nos dissemblances étant imputables aux lieux différents de ce nuage où nos sorts respectifs se décidèrent à partir de substances identi- ques.

Coulent en effet aujourd'hui dans vos artères — elles sont devenues votre sang après avoir constitué l'eau de la mer — des molécules dont aurait pu naître ma glace. Et les matériaux de votre corps ont été bâtis sur un carbone que rien ne distingue de celui occlus çà et là dans ma substance.

D'où vient la divergence de nos destins ? Ce n'est pas à moi, enfant naturel du froid universel que la question doit être posée. Vous êtes l'exception...

PLANÈTE AGITÉE

Etrange aura été le sort de votre Terre, monde agité s'il en fut.

Volontiers, on juge remarquable la grande masse d'eau dont il est détenteur. Il n'y a, en réalité, pas lieu de s'en étonner, puisque l'eau représente le composé vulgaire de l'univers.

Pas davantage, on ne devra être surpris — en raison de multiples sources internes de chaleur, à commencer par la radioactivité de maintes roches — des températures élevées auxquelles se trouvèrent portées les entrailles de la Terre dont, de ce fait, les matériaux se déshydratèrent. Ainsi, dans les temps ayant suivi sa formation, une eau jaillit-elle par tous les pores de son écorce.

La suite apparaîtra, en revanche, très extraordinaire.

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Sur un monde lointain, cette eau fût restée glace. Elle serait devenue vapeur et aurait été dissipée autour d'une planète plus proche du Soleil.

Mais, dans l'oasis de chaleur solaire, la Terre occupe la position privilégiée qui permet à son océan de subsister, excité à souhait par les rayons du Soleil : une vapeur s'en élève jusqu'aux altitudes où une température plus basse lui vaut de se condenser en nuages poussés par le vent. L'eau retombe alors sous forme de pluie, créant rivières et fleuves pour retourner à la mer chargée des matériaux arrachés aux continents. Et c'est le début d'un nouveau cycle. Depuis que la Terre existe, à des dizaines de milliers de reprises toute son eau est ainsi passée dans l'atmosphère pour revenir dans une mer toujours plus salée, avec pour contrepartie, une usure du relief : par kilomètres cubes, la terre se trouve chaque année drainée sous forme d'alluvions. A ce jeu, toute la masse des continents aurait depuis longtemps été engloutie, Terre serait devenue Océan, n'aurait été un second facteur d'agita- tion lui-même spécifique à votre planète : la fragmentation de son écorce.

A la différence de Mars, dont l'épaisse croûte est d'un seul bloc, çà et là percé par les cheminées de volcans permanents, la Terre possède une écorce de plaques multiples, chacune se trouvant animée de son mouvement propre sur un magma qu'entraîne l'écoulement de matériaux pâteux, en prove- nance des régions centrales. De ce fait, les continents se comportent comme autant de radeaux. Ils s'écartent avant de se réunir, puis de se séparer et à nouveau de se retrouver, consécutivement à des collisions génératrices de montagnes.

Ainsi, au fur et à mesure qu'un relief est détruit par l'érosion, un autre naît : aux pluies se trouvent toujours offertes de nouvelles montagnes, sur les flancs desquelles le tracé des fleuves est sans cesse renouvelé.

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CETTE MALADIE, LA VIE

Cependant, dans la foulée de cette double agitation s'engage un grand mouvement chimique, que l'on ne saurait pas davantage regarder comme spécifique à la Terre.

En maintes régions de l'univers, des molécules parfois complexes se sont spontanément formées au gré de rencon- tres entre éléments. C'est notamment tout un bras de la galaxie d'Andromède que les radiotélescopes révèlent plongé dans un nuage gigantesque, riche en composés organiques.

Dans ce paradis chimique que représente votre planète, le processus va connaître une exacerbation au point que matière va devenir vie, cela parce que, dans tout atome, il convient de voir une machine, minuscule autant que subtile et, de surcroît, ignorant le repos. Ainsi les éléments recèlent un dynamisme dont naîtront des structurations en cascade si les circonstances s'y prêtent. Tel est justement le cas dans le milieu terrestre, générateur de composés incomparablement plus variés que l'espace, et, de plus, relevant de classes remarquables.

L'aventure biologique est fille de deux d'entre elles, la première étant la classe des acides nucléiques, capables de fabriquer des composés identiques à eux-mêmes à partir de matériaux de leur voisinage.

La vie, c'est cela : une prolifération de substances par réplication chimique. Sur le moment, non seulement on ne voit pas où le processus va mener, mais on se gardera de le décrire en termes dithyrambiques. Il semble plutôt fâcheux, faisant craindre que la Terre ait été gagnée par un cancer chimique. Tel, au demeurant, aurait certainement été le point de vue défendu par des écologistes du minéral : dans la vie naissante, ils auraient vu un poison, une moisissure destructrice de roches, un trouble-fête dans l'harmonie de la Terre.

Or, ces acides nucléiques sont porteurs d'une informa- tion : leur structure représente une somme de données dont un jour vos chromosomes hériteront. Ils la transmettent, par

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le seul fait qu'ils produisent à leur image d'autres substances capables du même exploit, comme la photocopie d'un texte constitue le document qui pourra lui-même être photocopié.

Voici, en effet, que le verbe s'est fait chair avec l'affinité de ces matériaux réplicatifs pour une autre classe remarquable, encore plus naturellement apparue sur la jeune Terre, celle des composés actifs consistant en des chaînes d'acides aminés — ils seront vingt à constituer l'alphabet biologique

— capables de fabriquer ou transformer maints matériaux, à commencer par d'autres composés actifs.

Vous admirez la puissance de l'animal, la finesse de ses membres, la vivacité de son regard, vous étudiez son régime alimentaire. Ce sont autant d'attributs relevant non de l'être lui-même mais de relations extérieures au service de cette réalité biologique : des substances élaboratrices d'autres substances au sein de ses cellules. Elles sont le système expert chimique que, par la méthode de Monte-Carlo, l'évolution a constitué. Une telle situation, Samuel Butler — auteur, au siècle dernier, du sarcastique ouvrage Darwin au pays des machines — l'avait bien entrevue en présentant la poule comme le moyen pour l'œuf de fabriquer un autre œuf...

La surprise est le terme du mouvement.

Née maladie de la Terre, la vie a pris les dimensions d'une épidémie aux proportions inquiétantes avec l'invasion des continents, même s'il apparaît alors que cette maladie tend à vigoureusement se combattre elle-même avec la lutte tou- jours plus féroce des espèces engagées dans un combat où toutes les alliances se scellent, toutes les ruses se dessinent, et cette conséquence : une accélération de l'évolution. L'être ne se contente pas de gérer son corps. Pour connaître son environnement afin d'y adapter son comportement, il déve- loppe son système nerveux.

C'est alors le miracle de la pensée.

Le mouvement enfante l'être dans lequel la Terre trouve un docteur autant qu'un prédateur, l'univers une conscience.

Cela au moment où — il y a peut-être 170000 ans — à cette Terre, je me lie.

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L'HEURE SUPRÊME

Oui, j'ai eu avec la Terre un grand rendez-vous dans l'espace comme dans le temps, un temps qui m'était compté.

Comètes, nous sommes les roses du cosmos : dès l'instant où chacun de nos passages dans l'oasis de chaleur solaire doit être payé d'un tribut de notre masse, rarement notre vie dépasse quelques milliers d'étés. Sont-ils très espacés ? Cela représente une durée minime à l'échelle des temps cosmi- ques.

Or, mon propre destin offre ceci de particulier : il coïncide avec l'heure suprême de la Terre, où une nouvelle nature va naître de l'esprit des hommes.

Ils sont enfants d'une prodigieuse épopée de la matière qu'il m'a été refusé de vivre. Au même titre, elle a été refusée, du moins avec une telle puissance, aux autres terres du système solaire, et probablement à des systèmes planétaires entiers, l'épanouissement de la vie requérant des facteurs dont la conjonction est rare. Lorsque la vie est apparue, des milliards d'années lui sont nécessaires pour engendrer un être intelligent.

Mais cela l'homme ne le sait pas. Il ne mesure pas sa chance d'exister, il n'apprécie pas la merveille que constitue son corps, machine transcendante faite de quelque six milliards de milliards de milliards d'atomes subtilement structurés en molécules qui se commandent les unes les autres à l'enseigne d'une fantastique auto-organisation. A peine cependant peut-elle faire face aux agressions de toute nature d'un milieu hostile, tant physiquement que par les autres costumes de la vie.

Tout au plus une grande étape a-t-elle été franchie lorsque je surviens : la guerre du feu est terminée.

Les hommes l'ont gagnée avec, d'abord, le secours d'un agent extérieur, la foudre incendiaire de forêts : ils se sont employés à en conserver le feu avant d'apprendre à le créer eux-mêmes. Forts des techniques que leur ont données ce feu

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artificiel, ils ont créé des moyens toujours plus perfec- tionnés jusqu'à oublier le temps où pour eux le feu était un problème. Un dialogue, instauré entre l'œil et la main pour les besoins de l'action, a alors permis une modélisa- tion toujours plus affinée du monde extérieur, modélisa- tion de surcroît transmissible d'un individu à un autre par voie externe : l'homme bénéficie de l'expérience et du savoir de ses semblables.

Cela, toutefois, dans le petit domaine qui lui est direc- tement accessible : les lois de l'univers — et partant le sens profond des événements terrestres — lui échapperont aussi longtemps que, pour l'aider à les découvrir, un agent ne sera pas dans le ciel une réplique de sa main sur la Terre.

D'une certaine manière, ce rôle va, historiquement, m'incomber.

LA GUERRE DU SAVOIR

Alors, en effet, cet homme est engagé dans la lutte suprême, la guerre du savoir : il la gagnera encore plus difficilement que la guerre du feu.

Le schéma du système solaire est aujourd'hui familier à l'écolier. Quelques coups de crayon lui suffisent pour esquisser le mouvement des planètes autour du Soleil. En réalité, sa main est guidée par les générations qui l'ont précédé, par les millions d'êtres qui furent autant de combattants obscurs dans cette guerre du savoir, l'histoire ayant seulement retenu quelques noms. Ils m'eurent pour alliée, je fus leur cheval de Troie dans le cosmos, en leur offrant la plus extraordinaire des leçons de choses.

L'orientation de la queue en direction toujours opposée au Soleil ne témoigne-t-elle pas que, par ses radiations et son vent, ce dernier la meut ?

Et ma trajectoire, mes vaines tentatives pour m'éloigner du Soleil — vers lequel je suis condamnée à revenir

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comme si quelque élastique invisible me retenait à lui — n'illustrent-elles pas l'attraction universelle ?

Assurément, cette dernière serait apparue comme une évidence à la seule considération de mon mouvement s'il avait pu être observé de l'extérieur comme aujourd'hui est regardée une maquette du système solaire.

Mais, c'est à l'intérieur de ce système, depuis une planète dont il ne comprend pas la mécanique que l'homme me voit.

Tous les 76 ans...

En regard des ères géologiques, 76 ans représentent un laps de temps dérisoire pendant lequel la Terre joue à la statue. C'est la personne rencontrée hier et retrouvée aujour- d'hui. Sauf accident, aucune différence ne sera décelable dans les traits de son visage. Et pour qui a suivi l'aventure d'homo devenu sapiens, c'est encore à l'aube des civilisations une durée insignifiante, à peine équivalente à trois généra- tions, une durée pendant laquelle rien ne se passe. Répétant les gestes de son père, l'enfant n'a d'autre pensée que de semer les mêmes graines dans le même champ.

Avec l'accélération du progrès, 76 ans finiront par devenir un temps appréciable, voire considérable pour le développe- ment de l'entreprise humaine.

Quand cela ?

Ce changement de régime est largement lié à l'image que l'homme se fera du monde et de ses lois, une image que je m'offre à lui procurer s'il veut bien m'observer.

Las, longtemps il me regarde mais il ne me voit pas. Je passe loin de lui et il me croit tout près. Je suis à ses yeux un phénomène atmosphérique comme le météore ou l'arc-en- ciel. Lorsque je reviens, il ne me reconnaît pas, il croit avoir affaire à un autre objet, ou plutôt à une autre manifestation, l'idée d'objet cosmique ne s'étant pas imposée à une époque où la seule notion de Terre est encore absente.

D'où l'extrême lenteur avec laquelle l'étincelle de pensée que j'apporte va embraser les esprits.

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CHAPITRE II

RENDEZ-VOUS MANQUÉ AVEC ARCHIMÈDE Quand, d'une considération de mon mouvement, se pro- duira le déclic intellectuel qui fera découvrir le système solaire ?

Appelé à déboucher sur une modélisation de l'univers, grand objectif de la guerre du savoir, un tel processus aurait sans doute pu, dans l'absolu, être amorcé dès l'an — 240 : le printemps de cette mémorable année me voit passer près de la Terre.

L'homme alors me remarque : trace de ses observations a pu être retrouvée dans des chroniques chinoises. Sous le titre Ancient and Medieval Observations of Comets and Novae in Chinese Sources, un professeur de l'université de Malacca à Singapour, Ho Peng Yoke, publiera en 1962, aux éditions Pergamon Press, les résultats de l'exégèse des textes à laquelle il s'est livré, accompagnés d'une documentation en provenance d'archives japonaises ou coréennes, parfois aussi anciennes que le XIV siècle avant notre ère. Or, une confrontation de ces données avec les conclusions des cométologues les plus réputés ne laisse aucune place au doute : j'ai été aperçue très tôt en Extrême-Orient. Je le suis, à coup sûr, en cet an — 240.

Peut-être suis-je également contemplée depuis les rives de la Baltique, où un spectacle frappe les populations : cette année-là, le 16 mai, dans le ciel que peuvent contempler les hommes, je me place entre le Soleil et la Lune, que ma queue effleure. Une chanson populaire lettone évoque un balai

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d'argent dont se sert le Soleil pour repousser la Lune : n'eut- elle pas pour origine cet événement ?

Que ne suis-je, en cette année — 240, observée par ceux dont il aurait été tellement souhaitable que je sois remar- quée : les scientifiques grecs ! Le sort de la Terre en eût peut- être été changé.

Après l'apparition des premières sociétés urbaines — dans le sud de la Mésopotamie au quatrième millénaire, dans une large partie du Proche-Orient au cours du troisième millé- naire avant notre ère — après la disparition de la culture égyptienne vers l'an — 1500, la défaite de Troie vers — 1280, et le sac de Ninive en — 612, la civilisation semble alors avoir confié au monde grec son flambeau. Il n'a jamais brillé d'un tel éclat, ce monde représentant une merveilleuse source de sagesse, de lumière et de beauté, alliée à une grande puissance.

La Grèce, en effet, ce n'est pas seulement une force politique dont, au cours des trois siècles précédant cet an

— 240, le pouvoir s'est exercé à travers une grande partie de

l a M é d i t e r r a n é e , d e p u i s C h y p r e j u s q u ' a u x c ô t e s d e l ' I t a l i e , d e p u i s C y r è n e l ' A f r i c a i n e j u s q u ' a u x r é g i o n s p r o c h e s d e l a m e r N o i r e ( a l o r s a p p e l é e P o n t - E u x i n ) , r i c h e s e n b o i s e t a u t r e s m a t i è r e s p r e m i è r e s . C ' e s t l e r è g n e d e l ' e s p r i t a v e c l ' é p a n o u i s s e m e n t d ' u n e p r e s t i g i e u s e c u l t u r e . T o u t e l a p s y - c h o l o g i e h u m a i n e e s t c o n t e n u e d a n s E s o p e t a n d i s q u ' a v e c P l a t o n s o n t n é s t o u t à l a f o i s l a p h i l o s o p h i e , l e l a n g a g e b i n a i r e e t l a c y b e r n é t i q u e .

S u r t o u t , d a n s c e t t e G r è c e i l f a u t v o i r u n p a r a d i s d e l a s c i e n c e : T h a l è s d e M i l e t a d é c o u v e r t l ' é l e c t r i c i t é à t r a v e r s l e f r o t t e m e n t d e l ' a m b r e . A m b r e , e n g r e c , s e d i t « é l e c t r o n » . L e t e r m e s e r a u n j o u r q u o t i d i e n n e m e n t u t i l i s é p o u r d é s i g n e r d e r e d o u t a b l e s t e c h n o l o g i e s : à j a m a i s , u n e c o n s o n a n c e g r e c q u e e n r a p p e l l e r a l ' o r i g i n e . T h a l è s a é t u d i é l e s p r o p r i é t é s d e s a i m a n t s e t p a r a i l l e u r s d é g a g é l a n o t i o n a p p a r e m m e n t h é r i t é e d e s C h a l d é e n s — d e S a r o s : a i n s i r e s t e r a d é n o m m é l e t e m p s d e 2 2 3 l u n a i s o n s ( 1 8 a n s e t 1 1 j o u r s ) a u b o u t d u q u e l l e S o l e i l e t l a L u n e s e r e t r o u v e n t d a n s l e s m ê m e s p o s i t i o n s p a r r a p p o r t à l a T e r r e q u i , e n l ' o c c u r r e n c e , a e f f e c t u é s u r

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elle-même 6585 tours un tiers de sorte que les mêmes éclipses se répéteront décalées de 8 heures, la similitude devenant quasi totale après 71 Saros soit 15833 lunaisons.

Grâce à cette science des mouvements de la Lune et de la Terre, Thalès a ainsi pu prédire la mémorable éclipse du 28 mai de l'an - 585 survenue, nous rapporte Hérodote, au moment où Lydiens et Mèdes étaient sur le point de se battre ; les uns et les autres se trouvèrent terrorisés par le phénomène au point d'en oublier leur conflit.

Créateur de l'acoustique et fondateur à Crotone d'une école célèbre, Pythagore a dégagé une relation entre le poids du marteau et la hauteur de ses sons lorsqu'il frappe une enclume. Le physicien s'est doublé d'un mathématicien aux yeux duquel le nombre est le principe de toute chose : au XX siècle, les scientifiques ne raisonneront pas autrement lorsqu'ils décideront de voir dans chacune des particules élémentaires constitutives de la matière une collection de nombres. Le nom de Pythagore restera attaché à un théo- rème célèbre longtemps connu sous le nom de pont aux ânes : dans un triangle rectangle, le carré de l'hypoténuse est égal à la somme des carrés des deux côtés de l'angle droit. Un triangle rectangle dont les côtés sont mesurés par des nombres entiers sera dit pythagoricien.

La géométrie ? Elle sera euclidienne. Dans ses Eléments, Euclide a — pour cent générations de mathématiciens — rassemblé, idéalement ordonnées, toutes les notions fonda- mentales sur nombres et figures. Il a inventé cette arme secrète du mathématicien, la démonstration par l'absurde, ses livres traitant successivement de la géométrie plane, de la théorie des proportions avec toutes ses applications à la géométrie, de l'arithmétique — Euclide démontre l'existence d'une infinité de nombres premiers — et enfin de la géométrie dans l'espace. Le livre 14 et dernier de ces Eléments, apocryphe, doit être imputé à Hypsiclès.

La médecine ? Elle est née avec Hippocrate dont, après plus de vingt-trois siècles, le serment sera toujours prononcé.

Et très vite, cette médecine grecque a trouvé ses spécialistes : Eristate a décrit la circulation du sang, Démétrius a créé la

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gynécologie, Hérophile a désigné le cerveau comme siège de l'intelligence.

Forte du prestigieux héritage de Périclès — tout à la fois promoteur de la démocratie et de l'urbanisme, protecteur des arts et des lettres — la Grèce a promu tant une philosophie de l'être que le culte des lettres, des arts et de la formation sociale. A l'âge de sept ans, le jeune Grec apprend à lire ; il écrit avec un roseau taillé trempé dans de l'encre. Et on lui enseigne le dessin, une large place étant accordée aux tracés géométriques. Dans les années suivantes, ce sera le temps de l'éducation avec la préoccupation d'assurer à l'adolescent un parfait équilibre, avec un corps harmonieusement déve- loppé, une vive intelligence et de larges connaissances scientifiques.

De ce grand mouvement, n'est-on pas en droit d'attendre la société qui percera les secrets de la matière ? Oui, cela un observateur de la Terre aurait été fondé à l'espérer dans le contexte grec. Il aurait, en l'an — 240, légitimement pu croire imminente une civilisation de la pensée au spectacle de Syracuse.

SYRACUSE

Etonnante et opulente Syracuse !

Les regards se tournent vers cette cité longtemps demeurée la plus riche de toute la Grèce, sur une Sicile où Rome a supplanté Carthage : nous sommes au lendemain de la première guerre punique. Ce sont ici de belles avenues, là des ruelles tortueuses avec, en guise de panonceaux, des inscrip- tions au charbon.

Chacun vaque à ses affaires, vivant la journée entière hors de chez lui après avoir pris, en guise de petit déjeuner, du pain trempé dans du vin, et retrouvant sa maison le soir pour un repas copieux.

Ce sont des habitations en bois ou en brique, volontiers recouvertes de tuiles, dont le plan apparaîtra très conven-

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tionnel. On y découvre une galerie, une salle à manger, une cuisine, avec une cheminée et des chambres que des lampes éclairent. Des coffres tiennent lieu d'armoires, et les lits se présentent sous la forme de chaises longues, utilisables aussi bien pour dormir que pour lire, écrire ou manger. Dans les caves, de grandes jarres conservent vin et huile. Du moins en va-t-il ainsi dans les beaux quartiers où vivent les personnes aisées.

C'est le cas d'Archimède, apparenté au roi Hiéron et à son fils Gelon. Après s'être, dans sa jeunesse, rendu à Alexandrie pour y être instruit par les disciples du grand Euclide, Archimède est revenu habiter Syracuse. En cet an — 240, il a quarante-sept ans.

Illustre Archimède, prodigieux inventeur, touche-à-tout de génie, tu as imaginé la vis. Tu resteras célèbre par nombre de découvertes dont chacune aurait suffi à immortaliser un homme.

Volontiers, la fusée est présentée comme une invention chinoise. Or, nombreux sont les indices permettant de penser que, comme les Egyptiens, les Grecs avaient su exploiter la force propulsive des gaz produits par la combustion de certains composés et notamment par des phosphures de soufre, capables de s'enflammer spontanément au contact de l'air : tel aurait été le secret de lampes trouvées dans des tombeaux. L'historien des idées aéronautiques, Jules Duhem, considère que cette science de la fusée aurait été donnée à l'Inde par les ingénieurs d'Alexandrie. Si l'on en croit le rhéteur et sophiste gaulois Favorinus, une machine volante en forme de colombe aurait été construite par Archytas ; Regiomontanus et Léonard de Vinci tenteront de la reconstituer. Et Claudien affirme que toi, Archimède, aurais créé un moteur à réaction en provoquant le mouve- ment autonome d'une sphère par éjection d'un air com- primé...

Tu as découvert le « principe » qui portera ton nom dans les très étonnantes conditions que nous rapporte l'ingénieur romain Vitruve.

Voulant offrir une couronne en or aux dieux, Hiéron avait

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procuré le métal nécessaire à un artisan. Ce dernier avait confectionné une couronne de ce poids, fort bien faite mais à l'intérieur de laquelle il avait en partie remplacé l'or par de l'argent. Ayant soupçonné la supercherie, le roi t'avait prié d'en apporter la preuve sans détruire la couronne. Tu en eus l'idée en entrant dans ton bain. Voyant l'eau déborder, tu compris que le liquide déplacé représentait le volume de ton corps. Ainsi tu fis réaliser deux objets de même poids respectivement en or et en argent, tu notas soigneusement les évacuations d'eau qu'ils provoquaient lorsqu'on les plon- geait dans un bac plein à ras bord. Et tu pus calculer très exactement la quantité d'or que l'artisan indélicat avait subtilisée.

Archimède, tu as calculé le nombre π, rapport au diamètre d'un cercle de sa circonférence, en encadrant cette dernière par deux séries de polygones, des polygones de 96 côtés, si ce n'est de 324 côtés...

Tu resteras l'inventeur du calcul infinitésimal, grand outil de l'ingénieur et du mathématicien : au XVII siècle, un membre de l'ordre des jésuates le mathématicien italien Bonaventura Cavalieri, considéré comme ayant écrit le premier traité de calcul intégral, puisera chez toi son inspiration. Tu sus en effet dégager la notion de continuité des changements que vaut à une figure une série de modifications mineures affectant un de ces éléments, et également la notion d'indiscernabilité, autorisant le rempla- cement d'une forme compliquée par une autre plus simple lorsque la différence peut être rendue inférieure à toute valeur donnée. Ainsi tu pus calculer le volume de la sphère en assimilant cette dernière à l'empilement d'un grand nombre de disques de très faible épaisseur. De cela, à juste titre, tu t'es montré très fier : tu exprimas le souhait que figurent sur ta tombe une sphère et son cylindre circonscrit, dont elle occupe les deux tiers du volume.

Et quel brillant géomètre tu fus ! Le premier, tu as découvert les propriétés de la spirale arithmétique. Et tu as étudié la courbe qui est à. la base de toute la mécanique moderne, une courbe familière aux automobilistes qui obser-

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vent attentivement le cheminement d'un point d'un pneu.

D'abord, il est en contact avec le sol. Puis il s'élève selon la verticale pour s'incliner et devenir deux fois plus rapide que le véhicule, sa vitesse diminuant ensuite jusqu'à prendre une composante horizontale nulle lorsque le sol sera à nouveau touché. Et le processus se répète, ce point décrivant une cycloïde faite d'une succession d'arches dont tu soupçonnas la longueur : quatre fois le diamètre de la roue.

Illustre Archimède, bien sûr, tu t'es passionné pour la science des sciences : l'astronomie. Tu sus déterminer le diamètre du Soleil et tu inventas le planétarium.

Comment alors les Grecs imaginent-ils l'univers ? A peine plus âgé que toi — tu as été son contemporain — Aristarque de Samos a proposé une représentation du monde dans laquelle la place centrale est accordée au Soleil ; le physicien a compris que lors d'une éclipse c'est l'ombre portée par la Terre qui est aperçue sur la Lune. Ce fut à ses yeux tout à la fois une preuve de la rotondité de la Terre et un moyen pour calculer la dimension et les distances des astres. Quant aux étoiles, elles doivent, à en juger par leur immobilité appa- rente, se trouver considérablement plus loin, a estimé Aristarque...

Ainsi, une excellente modélisation du système solaire est présente en filigrane dans la pensée grecque. Seule manque une compréhension de la force à laquelle ce système doit son équilibre : l'attraction universelle. Une force que, sans doute, tu aurais découverte, Archimède, si au lieu de te trouver au bord d'une mer dont le niveau varie peu, tu avais pu admirer l'Atlantique et ses majestueuses marées. Leurs horaires et leurs amplitudes t'auraient certainement suggéré de les imputer au Soleil et à la Lune.

A défaut, le mouvement d'une comète n'aurait-il pu t'éclairer sur les forces qui agissent dans le système solaire ? Las, en cet an — 240, tu ne me vois pas. Ou si tu me regardes, c'est de façon désinvolte. Je passe dans le ciel de Syracuse sans que tu me remarques et probablement une très grande occasion aura été perdue.

Cet ostracisme qui me frappe dans ton esprit est d'autant

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plus incompréhensible que les idées de Démocrite sont certainement dans ta mémoire. Démocrite ne s'est pas contenté d'inventer la théorie particulaire, affirmant les objets constitués par un très grand nombre d'atomes. Le philosophe a séjourné chez les Chaldéens ; il en a retenu que les comètes ont le comportement des planètes de sorte que l'on peut prédire leur retour. Cela nous sera confirmé par Sénèque avec cette très pertinente réponse à une objection :

« Vous prétendez que si les comètes étaient des planètes, elles se trouveraient dans le zodiaque. Mais qui a fixé au zodiaque les limites des corps célestes ? »

Après toi, grand Archimède, des fléaux sans nombre vont s'abattre sur Syracuse. La cité sera successivement romaine, byzantine, arabe, souabe, aragonaise, espagnole, italienne : à l'ère industrielle, des installations pétrolières la défigure- ront. Ta personne subsistera seulement par une place et un monument, mais ton âme ne cessera de hanter ces lieux.

Avec le castello Eurialo, ses nombreux tunnels et galeries où tu œuvras pendant l'attaque de Marcellus, le théâtre grec pour 15000 spectateurs creusé dans le roc à Néapolis sera conservé : le visiteur peut contempler la pierre sur laquelle s'assirent Platon, Pindare et Sophocle, la pierre sur laquelle tu pris place toi-même pour regarder jouer Euripide.

Les militaires auront leurs champs de bataille. Dans la guerre du savoir, Syracuse fut le mien. Je perdis la bataille parce qu'Archimède eut pour moi dédain. Plus de dix-huit siècles vont s'écouler avant qu'un astronome me com- prenne...

INGÉNIEURS ET SAVANTS

En cet an - 240, c'est en fait tout un aréopage de scientifiques qui, en Grèce, sont versés dans la compréhen- sion du monde.

Archimède est en rapport avec Desithée aussi bien qu'avec le fils spirituel d'Aristarque, Conon de Samos, auquel il

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dédicacera plusieurs de ses ouvrages. Dans la foulée de ses réflexions sur les courbes, Nicomède imaginera la conchoïde pour fournir une solution à la division d'un angle en trois parties égales, Persée étudiera le tore dont Dionysodore calculera le volume.

La correspondance qu'il a entretenue avec Eratosthène nous révèle par ailleurs qu'Archimède a inventé l'algèbre : n'y trouve-t-on pas évoqué le problème des « boeufs du soleil » auquel on ne connaît pas de solution arithmétique ? Le brillant Eratosthène est lui-même alors dans toute la force de l'âge : sans doute a-t-il quarante ans en cette année

— 240. Pour évaluer le temps, il a jeté les bases d'une chronologie scientifique. Ce mathématicien est par ailleurs inventeur du « crible » grâce auquel la liste des nombres entiers devient celle des nombres premiers lorsqu'on y barre successivement les multiples de 2, 3, 5, 7...

Surtout Eratosthène a créé le globe terrestre. Des millé- naires durant, subsistera chez beaucoup d'hommes la croyance en une Terre plate. Or à l'époque d'Archimède, il est acquis que la Terre est une sphère suspendue dans le vide, sphère sur laquelle Eratosthène a imaginé de placer des parallèles et des méridiens.

La Grèce occupe évidemment le centre du monde. Mais, de nos jours, quel pays ne se donne pas cette place ? Aucune limite australe n'est assignée à l'Afrique car nul n'a encore reconnu le cap de Bonne-Espérance : cependant le contour de l'Europe apparaît avec les îles Britanniques, celui de l'Inde avec Ceylan. Et, de ce globe terrestre, Eratosthène a su calculer la dimension : cela est très extraordinaire.

Répondant à l'appel de Ptolémée III qui a souhaité en faire le précepteur de son fils, Eratosthène s'est, en effet, quelques années auparavant, rendu en Egypte. Il a appris qu'à Syène

— la cité aujourd'hui devenue Assouan — les rayons du Soleil éclairent les puits les plus profonds au moment du solstice d'été; cela signifie qu'en ce lieu l'astre du jour occupe une position très voisine du zénith. Ce n'est pas le cas à Alexandrie où, au même moment, l'ombre d'une tige montre les rayons du Soleil, inclinés, par rapport à la

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verticale, d'un cinquantième de circonférence. Telle est donc, comprend Eratosthène, la différence de latitude entre les deux villes : or, selon les officiers royaux auxquels a été confié un cadastre de l'Egypte, Syène et Alexandrie sont séparées par 5000 stades. Cela implique 250000 stades pour le tour de la Terre.

Une prise en considération de la distance séparant Syène et Meroe permettra par la suite d'affiner ce chiffre. Eratos- thène proposera 252000 stades — soit 39690 km si l'on admet pour le stade égyptien une valeur de 157,5 m — une détermination dont la précision apparaîtra étonnante, vu les moyens de l'époque.

Eratosthène a, par ailleurs, mesuré l'angle dont est incliné l'axe de la Terre.

APOLLONIUS ET CTESIBIUS

Ma trajectoire autour du Soleil ? C'est une ellipse, cette dernière faisant partie, avec la parabole et l'hyperbole, des courbes par le mathématicien dénommées coniques car obtenues en coupant un cône par un plan. Plus générale- ment, lorsqu'un objet se meut au voisinage d'un corps céleste, l'action de ce dernier lui vaut de décrire une courbe ayant l'aspect d'une conique.

Or, une étude exhaustive des coniques est, à cette époque, conduite par Apollonius de Perge.

Il n'est déjà pas homme facile. Peut-être a-t-il vingt ans en — 240. Les défauts de son caractère s'accentueront avec l'âge. Pappus nous le dépeindra toujours occupé à dénigrer ses confrères.

Il demeure que, dans cet Apollonius, on doit voir un génie.

Avec Archimède, il restera un grand créateur de la géométrie supérieure — celle qu'à l'ère industrielle on enseignera dans les établissements destinés à former des ingénieurs — après qu'Euclide eut enseigné la géométrie élémentaire. Toutes les propriétés des coniques, on les trouve, exposées de façon

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remarquable avec une sobriété qui n'exclut pas la prise en compte d'un luxe inouï de détails, dans son Traité des sections coniques, un ouvrage en huit livres, sept d'entre eux étant parvenus jusqu'à nous, dont trois par le canal d'une traduction arabe.

Et Apollonius de s'intéresser particulièrement aux comètes ; en elles il voit « des astres semblables au Soleil et à la Lune dont le cours ne se fait pas dans l'univers sans être assujetti à quelque loi constante ». Aurais-je été directement à l'origine de ces vues prophétiques ? Nul ne le sait. On retiendra seulement cette prescience de la mécanique céleste et de la gravitation très exactement 2000 ans avant que le nom de Halley me soit attribué.

Les Grecs ne sont pas seulement des théoriciens. On trouve parmi eux des ingénieurs de haut niveau.

Parmi les esprits éclairés que la Grèce compte en — 240, mention doit être faite de l'étonnant Ctesibius, auteur de la première « théorie des machines ». Ce fils d'un barbier avait commencé par exercer la profession de son père. Son génie mécanique en fera le fondateur, à Alexandrie, d'une grande école d'ingénieurs.

Il découvre l'élasticité de l'atmosphère et la force motrice que crée l'air comprimé. Ce sont ainsi de remarquables machines qu'il peut construire : appareils de démonstration à usage de décideurs, instruments de musique (orgue), outils scientifiques (pour des visées astronomiques), mais égale- ment dispositifs utilitaires pour le levage des fardeaux ou l'aspersion automatique en eau bénite des fidèles pénétrant dans un temple...

Ctesibius est l'inventeur de la machine aspirante et foulante à deux pistons dite ctésibique, dont les pompes à incendie transposeront le principe.

Par-dessus tout, avec cet ingénieur, l'horloge est née.

Jusqu'alors le temps était mesuré par le niveau de l'eau dans des clepsydres rudimentaires dont le contenu s'écoulait goutte à goutte. Ctesibius imagine un flotteur grâce auquel des rouages sont actionnés : des index feront connaître l'heure et le jour...

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IL S'EN FALLUT DE PEU

Peut-être s'en fallut-il alors de très peu pour que la civilisation grecque triomphe.

Ne fus-je pas la pierre angulaire qui lui manqua pour élaborer un modèle conforme d'univers dans lequel auraient trouvé place les lois de la matière ? Deux millénaires auraient alors été gagnés dans l'histoire des hommes.

Au fait, pourquoi donc cette civilisation grecque avorta-t- elle ?

Nombreux sont les facteurs conjoncturels que l'on ne manque d'évoquer, dont la lutte entre Sparte et Athènes et le sort que Rome allait réserver à la Grèce. Mais, à l'ère industrielle, les Etats ne s'entre-déchireront-ils pas dans des conflits, meurtriers psychologiquement autant que matériel- lement ?

Faut-il chercher une explication d'ordre social ? Volon- tiers, on fait remarquer que le mouvement industriel n'avait aucune raison de s'imposer en Grèce : pourquoi aurait-on remplacé par des appareils ces machines humaines appelées esclaves dont on ne s'indignait pas d'avoir fait des robots vivants, des robots qui ne coûtaient rien et fonctionnaient fort bien ?

L'argument n'apparaîtra pas davantage convaincant. Est- ce par philanthropie qu'à la fin du XVIII siècle on fera massivement appel à la houille et à l'acier en Europe occidentale ? Bien sûr que non. La machine de Watt s'imposera en raison de sa rentabilité. L'ingénieur écossais ne saurait être regardé comme l'inventeur de la machine à vapeur que déjà précédemment Papin et Newcomen avaient imaginée. Essentiellement Watt inventera les organes qui en élèveront le rendement. Cela parce que la technique des mesures aura atteint le degré de précision requis pour la construction de machines performantes : alors il apparaîtra avantageux de demander aux hommes non plus de fournir de

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l'énergie mais de construire des dispositifs producteurs d'énergie à leur place.

Les Grecs ne l'entendirent pas ainsi : la substitution d'une énergie mécanique à l'énergie humaine n'eût pour eux pas été avantageuse vu la faiblesse de leur technologie, imputa- ble à des facteurs économiques, à savoir une large absence sur leur territoire des matières qui, en Europe, permettront l'avènement d'une civilisation industrielle par le biais de la métallurgie, mais plus encore une incapacité à évaluer les grandeurs. Sans doute, les Grecs auraient-ils été dans l'impossibilité de contrôler une activité industrielle avec la rigueur qui l'aurait rendue rentable, faute d'un système de mesure qui aurait permis la reproductibilité du travail, de sorte que la question clé sera la suivante : ce système, pourquoi les Grecs ne l'ont-ils pas eue ?

LES DEUX LANGAGES

Faut-il admettre qu'ils n'avaient pas socialement l'intelli- gence nécessaire pour l'obtenir ?

Nul ne songera à retenir une telle explication.

Tout porterait au contraire à les croire, à beaucoup d'égards, plus intelligents et probablement plus dynamiques que nombre de nos contemporains.

Imaginons au demeurant que l'on ait su conserver à basse température quelques centaines d'œufs fécondés, au temps de Périclès ou d'Archimède, des œufs que l'on donnerait aujourd'hui à des mères porteuses, qui douterait que n'en naissent de brillants sujets promis à occuper des postes clés de la politique, de l'administration, de l'industrie ou de la science ? La réflexion, on devra le souligner, ne vaut pas seulement pour les Grecs. Anatomiquement, l'homme n'a guère changé au cours des derniers millénaires. S'il fait plus aujourd'hui — ou plus exactement s'il fait autre chose — l'explication doit en être recherchée non dans le matériel mais dans le logiciel, entendons dans une structuration

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différente du cerveau après la naissance à partir d'un même ensemble de neurones précâblés.

Là est, en effet, le propre de l'homme. L'animal vient au monde avec pratiquement toute l'information primaire dont il aura besoin au cours de son existence et cela lui donne une chance de ne pas périr s'il est abandonné, alors que, dans pareille éventualité, l'homme sera condamné : il a besoin des autres pour survivre et c'est avec le concours des autres qu'il modélise son cerveau, ce dernier se trouvant ainsi structuré sous l'effet de trois facteurs, à savoir un câblage génétique qui permet au cerveau de gérer le corps et de se représenter physiquement le milieu extérieur, un câblage personnel créé par la volonté de l'individu, et un câblage social avec l'information que l'homme reçoit de ses semblables, l'agent de ce câblage social n'étant autre que le langage.

Dans le langage, on doit, en effet, voir une représentation du monde extérieur en dehors de ce dernier et en dehors des individus eux-mêmes, représentation immatérielle à la fois évolutive — le propre d'un langage est de vivre — et forcément très particulière. Quelle que soit la richesse de son vocabulaire et de sa grammaire, les possibilités d'un langage en matière de représentation du monde sont toujours limitées avec la seule description « analogique » qu'autorisent les mots.

Les Grecs se sont surpassés dans cette description, avec toutes les subtilités d'une langue qui nous laisse admiratifs, une langue dans laquelle l'infinitif d'un verbe pouvait prendre plusieurs formes pour penser dans le présent ou dans le futur. Des désinences permettaient d'indiquer soit l'action, soit son résultat. L'adjectif autorisait que soient pris en compte les genres et les domaines...

D'une certaine manière, cette langue était trop belle car les Grecs en furent les prisonniers, comme dans l'aventure biologique la levée de certaines options enchaîna les espèces à des filières.

Ainsi, la perfection du langage analogique grec interdit le développement de l'autre langage : le langage numérique.

Or, le chiffre est le vecteur de la connaissance scientifique

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Je suis une congère du cosmos, la loterie du système solaire m'a placée sur une orbite qui me vaut de vous retrouver tous les soixante- seize ans.

Dans la guerre du savoir que vous menez, je représente une alliée de poids pour aider à comprendre les lois de l'Univers : ne suffit-il pas de me regarder pour découvrir ma tête attirée par le Soleil, celui-ci repoussant ma queue?

Mais des siècles durant, c'est eux-mêmes que les hommes voient en moi. Ils me rendent responsable des guerres, de la hausse des prix, des tremblements de terre, des invasions de sauterelles, de la qualité de leurs vins ou du dessin des œufs de leurs poules, me faisant le miroir de leurs problèmes.

Survient un certain docteur Halley. Il me reconnaît. Il me prend comme témoin pour accréditer l'attraction universelle de Newton.

Avec Swift, Fontenelle, Voltaire, d'Alembert, avec l'ardent Clairaut et la belle Émilie, je vous fais vivre le plus étonnant suspense dans l'effort des hommes pour découvrir les ressorts du ciel.

À mon temps de triomphe succède celui d'une certaine disgrâce : au XIX siècle, mes passages relèvent de la routine.

Soudain, à l'ère spatiale, me revoici grande vedette : une meute d'engins me prennent pour cible. Dans ma glace, les scientifiques voient en effet la matière, conservée vierge, dont naquit le système solaire. Je veux moi-même vous en conter la prodigieuse histoire.

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