• Aucun résultat trouvé

LE DROIT ET LA DOCTRINE LA JUSTICE

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2022

Partager "LE DROIT ET LA DOCTRINE LA JUSTICE"

Copied!
21
0
0

Texte intégral

(1)
(2)

LE DROIT

ET LA DOCTRINE

DE

LA JUSTICE

PAR

P.-C. SOLBERG et GUY-CH. CROS

NOUVELLE ÉDITION

PARIS

LIBRAIRIE FÉLIX ALCAN

108, BOULEVARD SAINT-GERMAIN, 108

1936

Tous droits de reproduction, d'adaptation et de traduction réservés pour tous pays.

(3)
(4)

AVANT-PROPOS

La théorie de la formation du droit développée dans les premiers chapitres de cet ouvrage est nouvelle en ceci que nous plaçons à une époque déterminée de l'évolution humaine le besoin qu'éprouvèrent nos lointains ancêtres d'avoir des règles fixes d'après lesquelles une tierce partie, servant d'arbitre entre deux parties occasionnellement en litige, mais, par ailleurs, liées entre elles, pouvait aplanir leurs différends et opérer une réconciliation.

Le point de départ de nos raisonnements à ce sujet est une observation de Montesquieu touchant les lois primi- tives des Germains, qui, selon lui, « roulaient presque exclusivement sur les troupeaux ». Nous sommes arrivés à cette conclusion que les premiers usages n'ont pas été établis et les premières règles d'où notre droit positif est sorti n'ont pas été formulées avant que l'élevage du bétail fût devenu la princicipale occupation des hommes des races supérieures. C'est alors que des différends réitérés et ana- logues entre gens appartenant aux mêmes tribus ont créé aussi bien le besoin de règles fixes de conciliation que la possibilité de former ces règles par la fréquence même et la répétition de cas semblables.

Par ailleurs, notre exposé s'appuie sur l'opinion que les premières règles de droit n'ont pas été constituées par voie

(5)

d'autorité, c'est-à-dire par les commandements d'un chef tout-puissant, mais qu'elles sont inexplicables si on ne les considère pas comme le résultat de délibérations générale- ment pacifiques entre hommes libres, tenues dans les assemblées publiques des tribus, où des amis communs s'efforçaient d'amener les parties en litige à se réconcilier au moyen de concessions mutuelles.

Dans la seconde partie, nous nous sommes proposé de mettre en lumière les deux conceptions antagonistes et irréconciliables du mot justice, legs de l'antiquité gréco- romaine : La conception égalitaire des Hellènes, tendant au partage égal des biens, et la conception romaine qui, elle, attribue à chacun son dû, sans se préoccuper de l'iné- galité des conditions qui résulte inévitablement de ce mode de partage.

Quand on cherche, en remontant dans le temps, l'origine de nos idées sur la justice, on ne peut s'arrêter qu'après être parvenu jusqu'à l'antiquité grecque ; et là, on s'aperçoit que les doctrines, que beaucoup se plaisent à appeler modernes, sont identiquement les mêmes qui ont été pro- fessées depuis plus de deux mille ans.

Nous nous sommes efforcés de montrer les raisons pour lesquelles la «∆ίϰη» des philosophes grecs différait essen- tiellement de la «Justitia» des jurisconsultes romains, et à tracer les voies par lesquelles les conceptions différentes, représentées par ces deux déesses, sont parvenues sans changement jusqu'à nous.

Comme ce livre ne s'adresse pas en première ligne aux spécialistes de l'histoire et de la philosophie du droit mais au public instruit, nous avons évité le plus possible d'insé- rer des références dans le texte. Toutetois nous croyons devoir nommer, parmi les ouvrages que nous avons consul- tés, d'abord la grande synthèse française d'Henri Berr,

(6)

L'Évolution de l'Humanité, et, en outre, Ancient Law, par Henry Sumner Maine, Outlines of historical Jurispru- dence, par Sir Paul Vinogradoff, et Socialismus und sociale Fragen in der antiken Welt, par R. von Poehlman.

Nous devons encore remercier ici M. Olivier Martin, professeur à la Faculté de Droit, pour l'intérêt qu'il a bien voulu montrer à l'élaboration finale de notre ouvrage ainsi que pour les suggestions fécondes qu'il nous a fournies sur plusieurs points importants.

(7)
(8)

Le Droit

et la Doctrine de la Justice

CHAPITRE PREMIER La Horde primitive et la Domestication des animaux.

« La vérité fondamentale, à savoir qu'une grande partie des lois des nations aryennes remontent aux coutumes des temps de coopé- ration non litigieuse dans les âges obscurs, est une mise en garde contre le rationalisme des utilitaires étroits et une incitation à l'étude historique des lois comme un produit des conditions sociales. » (VINOGRADOFF, Outlines of historical Jurisprudence, vol. I, p. 368.)

D'après les fouilles qui ont ramené au jour tant d'objets et d'ossements provenant de l'âge néolithique, c'est envi- ron cinq ou six mille ans avant notre ère que l'élevage du bétail est devenu une occupation de grande importance chez nos ancêtres lointains.

Si l'on se fie aux indices subsistant dans les lois primi- tives et si l'on admet comme probable que les usages qui correspondent à notre droit d'aujourd'hui n'ont été formés que longtemps après la première domestication des ani- maux et datent d'une époque relativement proche de nos jours, il faut bien se garder de croire que les hommes des races supérieures n'avaient pas, dès l'âge « prélitigieux », atteint un degré de civilisation considérable.

(9)

Les hommes qui, les premiers, ont domestiqué les ani- maux n'étaient certainement pas des « sauvages » sans aucune culture, comme les Pygmées ou comme les négroïdes de l'Australie. Les races supérieures dont les fouilles nous ont révélé l'existence préhistorique en Europe savaient fabriquer des armes et des outils en pierre, apprêter les peaux et faire de la poterie. Elles savaient bâtir des cabanes longtemps avant de posséder des animaux domestiqués, et dans les grottes, leurs pre- mières demeures, les manifestations d'un goût artistique développé nous frappent d'admiration encore aujourd'hui.

On utilisait déjà la houe pour cultiver les céréales, l'orge principalement, dans les endroits propices. Il devait donc exister des clôtures, sans lesquelles il est difficilement con- cevable qu'il eût été possible de domestiquer des bovins.

C'étaient probablement les femmes, demeurant au camp lorsque les hommes étaient partis chasser, qui, par les longues journées d'attente, ont remarqué les premières que les céréales poussaient dans les endroits dont on écartait les feuilles mortes ou la végétation. Comme pourvoyeuses et gardiennes des graines, les femmes ont dû exercer une grande influence sur l'économie de la horde quand l'agriculture primitive eut atteint quelque impor- tance.

Les hommes allaient à la chasse. Depuis des milliers d'années, leurs ancêtres avaient longuement et de près épié les bêtes occupées à brouter. Ils avaient donc, à coup sûr, acquis depuis très longtemps les qualités essentielles néces- saires à la domestication, l'extrême patience et la connais- sance: approfondie des habitudes des animaux. Mais leurs approvisionnements étaient toujours précaires, et, avant que la culture des céréales eût pris un certain développe- ment, ils ne pouvaient guère se permettre le luxe de garder

(10)

auprès, d'eux, pendant tout un hiver, des bêtes vivantes. Ils, se trouvaient trop souvent dans la même nécessité que le paysan pauvre d'aujourd'hui qui tue sa vache pour ne pas mourir de faim, nécessité d'ailleurs beaucoup moins pénible pour un chasseur. Les bêtes captives étaient là comme réserve de vivres et, si on les mangeait, on pouvait les remplacer par une chasse heureuse.

Les relations entre les membres des petites hordes que formaient nos ancêtres probables (les Magdaléniens?) et qui s'abritèrent d'abord dans les grottes calcaires de l'Eu- rope Centrale, furent sûrement très amicales et pacifiques.

Sans unité et sans coopération, ces chasseurs mal outillés ne pouvaient ni capturer des animaux, ni se défendre- contre leurs nombreux ennemis. Leur dépendance mutuelle était si grande qu'il leur fallait à tout prix s'entendre et:

régler les rapports journaliers de manière à éviter les rixes.

Dans la horde primitive la bonne conduite sociale a dû être imposée et rigoureusement maintenue par voie de commandements. De même chez les races qui, intellec- tuellement, en sont encore aujourd'hui à l'âge de pierre, nous trouvons des règles et des rites, souvent incompréhen- sibles pour nous, mais toujours invariablement observés.

La punition que l'on infligeait dans les cas graves était de chasser du camp l'individu qui se rendait insupportable.

Être chassé du camp, c'était la mort; l'homme primitif ne pouvait pas vivre seul. La paix intestine fut assurée de cette manière par l'élimination des êtres « insociables ».

La vie que menaient dans leurs camps ces êtres naïfs et enfantins ressemblait sans doute à celle d'une famille nom- breuse de nos jours, où tous les enfants assistent aux repas communs ; il allait de soi que chaque membre reconnu de la horde eût sa part des vivres existants. Pourtant chacun avait des choses à lui, ainsi que les enfants d'aujourd'hui

(11)

ont leurs jouets. La propriété était respectée pour ce qui était des objets personnels, tels que vêtements, armes, outils, ornements. S'il n'en avait pas été ainsi, nous ne les aurions pas retrouvés dans les tombeaux, auprès des morts.

Il est difficile d'émettre une opinion précise sur l'organi- sation sociale et matrimoniale de ces petites hordes de l'âge de pierre. Cette organisation fût-elle matriarcale, ou bien patriarcale comme on l'a cru sans contestation jusqu'à la fin du siècle dernier? Les sociétés organisées matriarcale- ment qu'on rencontre dans des vallées inexpugnables des massifs de l'Himalaya et du Caucase sont-elles une survi- vance ou bien des phénomènes isolés qui se sont manifes- tés depuis que ces sociétés ont été séparées du reste de leurs tribus ? Pour répondre à cette question, nous avons, depuis une cinquantaine d'années, les moyens que nous fournissent les fouilles et les études des anthropologistes sur les mœurs et les coutumes des races inférieures d'au- jourd'hui. Mais les fouilles nous renseignent sur la vie journalière et non sur l'organisation, et l'on hésite à se fier trop aux observations sur les peuples primitifs de nos jours, quand il s'agit d'hommes qui, il y a quelque six à sept mille ans, possédaient déjà une haute civilisation en com- paraison de celle qu'ont atteinte maintenant les négroïdes d'Australie. La différence qui nous sépare intellectuelle- ment des Hellènes qui assiégeaient Troie ne paraît pas très considérable ; un Ulysse aurait certainement su se débrouil- ler sans trop de difficulté dans le monde moderne. Faut-il croire que le développement cérébral s'est réalisé avec plus de lenteur au cours des trois derniers millénaires que pen- dant les trente siècles qui les ont précédés ? Rien ne nous l'indique. Et les ancêtres des Hellènes ont dû, à l'âge néo- lithique, ressembler beaucoup plus aux héros d'Homère

(12)

qu'à ces races peu capables de progrès et peut-être même dégénérées qu'étudient les anthropologistes. Quoi qu'il en soit, l'existence du matriarcat, constatée de nos jours en maint endroit, a attiré l'attention sur de nombreux passages de la littérature de l'antiquité qui nous indiquent, à ne point s'y méprendre, que le patriarcat n'était pas si général qu'on l'a cru. Et ce qui nous fait encore supposer que le patriarcat est d'origine relativement récente, c'est qu'à l'approche des temps historiques la toute-puissance pater- nelle n'était pas aussi bien affermie qu'elle le devint plus tard, pas même chez les ancêtres des Juifs. Jusqu'ici on a basé sur une tradition vénérable la croyance que la famille patriarcale fut le noyau de la société. Mais, en face des preuves apportées aujourd'hui pour élucider la question, il semble impossible de maintenir plus longtemps ce point de vue.

On a voulu que les hommes aient vécu d'abord en couples séparés, comme les grands carnivores ou comme les plus forts des singes anthropoïdes, et que la famille patriarcale soit sortie de ces couples isolés. Mais ce qui a conféré peu à peu aux hommes, mal outillés et dépourvus d'armes véritables, leur supériorité sur les bêtes de proie de toute espèce qui les entouraient, ce n'était pas une force corporelle égale à celle des gorilles, mais bien plutôt leur faiblesse, qui les contraignait à s'associer et à vivre en bandes aussi nombreuses que possible. Ce n'est pas l'homme isolé, c'est l'homme de la société, le « ζώον πολιτιϰόν » qui a conquis le monde, et c'est grâce à la horde, qui survivait aux individus, que l'on a pu accumuler et conserver les observations d'où sont issues toutes les inven- tions.

Le patriarche traditionnel, qui règne en souverain absolu sur femmes et enfants, c'est le mâle fort, qui a de bonnes

(13)

armes et des troupeaux. Le patriarcat a-t-il existé avant les armes et les troupeaux ? Nous n'avons point d'indices qui nous permettent de le croire. Au contraire, le fait que les enfants appartenaient en toute propriété au père de la famille, que celui-ci pouvait les tuer, les « sacrifier », sans prendre égard à la mère, contraste non seulement avec nos mœurs et sentiments « adoucis », mais encore à tel point avec le souci de la progéniture, si prononcé chez les femelles de tous les animaux supérieurs, qu'il semble impossible aujourd'hui de voir dans le patriarcat absolu autre chose qu'un état exceptionnel dans la vie de l'huma- nité. Il faut croire que, de prime abord, les enfants ont appartenu aux mères, et que la parenté n'existait que par filiation maternelle. Naguère encore les défenseurs de la

« famille patriarcale » se refusaient à regarder l'époque his- torique, pendant laquelle elle fut indiscutablement la base d'un grand nombre de sociétés, comme une période de transition par laquelle il a fallu passer, et ils avaient trans- formé la vénération traditionnelle dont on entourait les patriarches en une sorte de respect superstitieux pour le patriarcat. Il ne fallait point y toucher. Bien plus, ils consi- déraient comme une atteinte à la dignité des « maîtres de la création » le fait de soutenir qu'il n'a jamais existé une période présociale, au cours de laquelle les hommes vivaient, comme les grands carnivores, par couples isolés. Et, quant aux indices historiques, ils s'efforçaient de fermer les yeux devant ceux qui nous portent maintenant à croire que l'organisation originelle de nos ancêtres fut matriarcale, comme elle l'est chez bon nombre de tribus existantes.

Pourtant, Je patriarcat a duré si longtemps et il a formé la base de tant de sociétés qu'on peut se demander si la durée même de cet état ne nous fournit pas la preuve qu'on doit y chercher, en définitive, le vrai fondement de la

(14)

société civilisée. La conclusion qu'on a tirée autrefois de l'existence du patriarcat, quant à l'infériorité des femmes, infériorité que la Genèse affirme en nous disant que la femme a été créée pour être « l'aide de l'homme », ne s'impose-t-elle pas encore aujourd'hui ? C'est pour répondre à cette question qu'il est d'un haut intérêt, non pas tant de savoir si la position des femmes dans les temps primitifs fut si forte qu'elles y ont exercé une vraie « matriarchie », que de s'expliquer les causes qui, peu à peu, ont donné a l'homme la toute-puissance dans « la famille patriarcale ».

La domestication des animaux a naturellement été entreprise et entreprise à nouveau maintes fois et en maints lieux, avant que l'élevage du bétail ait pu devenir l'occupa- tion principale d'une race quelle qu'elle soit. La formation des grands troupeaux s'est faite si lentement que l'imagina- tion de ceux qui y assistaient n'en a pas été frappée. Aussi aucune tradition n'existe touchant la domestication, bien que celle-ci ne remonte pas à une époque que nous considé- rons aujourd'hui comme très reculée. Il est probable que le gros bétail a été introduit en Europe par une nouvelle race brachycéphale, dont mous retrouvons Les crânes dans les sépultures de l'âge néolithique, et dont on rencontre au j our- les descendants principalement dans les régions monta- gneuses. Des disciples de Gobineau, qui veulent attribuer une supériorité absolue aux dolichocéphales, aux « têtes longues », ont émis l'hypothèse que les brachycéphales furent refoulés dans les montagnes par l' avan ce de la race nordique qui prit possession des terres fertiles. C'est con- clure, sans beaucoup réfléchir, des conditions actuelles à ce qui a dû exister il y a quatre ou cinq mille ans. Les con-

(15)

trées fertiles et convoitées de l'Europe centrale, c'étaient alors les montagnes avec leurs pâturages d'été, âprement défendus par leurs occupants. Il est bien possible que les brachycéphales soient venus avec leur bétail de l'Asie Mineure, où l'on a voulu localiser la domestication des bovidés, quelque sept ou huit mille ans avant notre ère.

S'il en est ainsi, les routes d'immigration ont suivi le flanc des montagnes, puisque dans les vallées les forêts barraient le chemin et que, pendant l'été, l'herbe n'y poussait point.

Au contraire, sur les montagnes il y avait bien moins d'obstacles et, la neige fondue, les pâturages abondaient.

Aussi les animaux, dès le début du printemps, recher- chaient-ils d'eux-mêmes les hauteurs et y entraînaient-ils leurs gardiens.

Le chien fut le premier animal domestiqué. On l'élevait probablement au début pour servir de nourriture. Le che- val fut domestiqué relativement tard, presque dans les temps historiques. On a trouvé un sceau gravé, datant d'en- viron 1 600 ans avant J.-C., qui représente l'arrivée du pre- mier cheval en Crète. Les contes que les Hellènes nous ont laissés sur les Centaures semblent indiquer que le cheval domestiqué leur était inconnu avant qu'ils eussent franchi les Balkans, au XIV siècle avant J.-C.

Tant que firent loi les doctrines d'Aristote et ses trois étapes de la civilisation : chasseurs, nomades, agriculteurs, et quand on croyait encore à une création simultanée, l'existence des animaux tout prêts, de prime abord, à être mis dans l'étable n'avait rien d'étonnant ; le problème de la domestication ne pouvait pas se poser.

Pourtant, après la conquête du feu, ce fut là l'événement capital dans la marche de l'humanité vers notre civilisa- tion, en tout cas pour les races indo-européennes

1. C'est probablement Auguste Comte qui, le premier, attira l'atten- tion sur l'immense importance de la domestication des animaux.

(16)

Dès le premier jour, les animaux domestiqués rendirent la vie de la horde plus variée, plus riche, dirait-on aujour- d'hui. L'élevage nécessita un travail suivi et intelligent ; il fallut étudier la manière de vivre des bêtes, les garder et les protéger. L'existence devint plus sûre. En épargnant le bétail, quand la récolte et la chasse étaient bonnes, on se créa des réserves. Les famines ne furent plus aussi meur- trières et la horde devint plus nombreuse. On pouvait laisser vivre un plus grand nombre de nouveaux-nés.

Il semble que ce soit peu de temps après la domestica- tion des animaux qu'on a commencé à utiliser le cuivre.

C'est probablement aux gardiens des troupeaux qu'il faut attribuer l'honneur de cette grande innovation. Leurs ancêtres, les chasseurs, avaient, sans doute, dès les temps les plus lointains, été frappés par les minerais cupriques, les pyrites à l'éclat doré, dont les veines apparaissaient par endroits dans les montagnes, là où le roc était à nu, et ils avaient probablement observé qu'on pouvait s'en servir pour faire facilement du feu. Mais, comme ils étaient tou- jours à la poursuite du gibier, ils n'avaient pas les loisirs des gardiens de troupeaux qui, demeurant des journées entières à la même place, ont dû s'amuser à mettre des pyrites sur leurs foyers et ont remarqué le métal qui en découlait parfois. La Genèse, en nous disant des enfants de Caïn, c'est-à-dire d'une race étrangère, qu'ils savaient forger l'airain, nous fait supposer que les habitants des plaines de la Mésopotamie ne furent pas les premiers à découvrir les métaux, en dépit de leur civilisation si ancienne. L'opinion, émise par quelques savants, que le gros bétail et le cheval furent d'abord domestiqués en Asie Mineure cadre bien avec le fait que la métallurgie était, en tout cas, de très vieille date dans ces contrées. C'est là que l'on sut en premier forger le fer, dont les Hitittes fai-

(17)

saient le commerce avec les rois d'Égypte dès le milieu du second millénaire avant J.-C.

De bonnes armes facilitèrent la garde des troupeaux. On s'attaqua avec plus de hardiesse aux bêtes de proie et le bétail, petit et gros, put se multiplier davantage. Mais, un jour, les troupeaux devinrent si nombreux qu'il ne fut plus possible de les ramener au camp chaque soir. Il fallut créer des camps nouveaux, d'abord provisoires, puis per- manents. On laissa ensuite une partie des troupeaux aux jeunes gens qui s'établirent à demeure dans les nouveaux camps.

La horde se divisa alors en clans différents

Cette division de la horde en clans créa, pour le main- tien de la paix dans la tribu, des difficultés inconnues aupa- ravant. Ceux qui s'étaient établis dans un camp nouveau se sentirent indépendants, aussitôt le fait accompli. S'il survenait des disputes entre des gens appartenant à des clans différents, ces disputes ne pouvaient plus être réglées par la voie du commandement. Chaque clan aurait pris le parti des siens, et, à l'ordinaire, il n'existait pas de chefs assez puissants pour avoir de l'autorité en dehors de leurs propres camps. De tels chefs ne surgirent que quand les guerres commencèrent, lorsque les attaques des tribus étrangères obligèrent les clans à s'unir de nouveau pour la défense commune ou pour la reprise des troupeaux enle- vés. Avec l'établissement de nouveaux camps, les vols de bestiaux devinrent possibles. Dans le camp unique, le vol n'avait guère de raisons d'être ; on pouvait tout au plus dérober quelques vivres. Tout le monde savait ce qui appar-

1. Genèse, ch. XIII, verset 6 et suivants : Séparation d'Abraham et de Loth : « Car leurs biens étaient trop considérables pour qu'ils demeurassent ensemble et la contrée où ils séjournaient ne pouvait plus leur suffire à cause de leurs troupeaux ».

Voir aussi Genèse, ch. xxxvi : Séparation de Jacob et d'Esaü.

(18)

tenait à chacun, et l'on aurait tout de suite remarqué celui qui se serait paré des objets d'autrui ou se serait servi des outils qui ne lui appartenaient pas. Le vol des provisions même devait être l'exception. D'abord il était dangereux, et, pendant les famines, tous les membres de la horde s'en- tr'aidaient de leur mieux.

Mais, quand on put faire passer les bestiaux des pâtu- rages communs ou avoisinants dans son propre camp et les y recéler, la tentation de profiter d'une occasion offerte devint souvent irrésistible. Celui qui, de cette manière, pou- vait augmenter le troupeau, n'était certainement pas mal reçu à son retour chez les siens.

Pourtant, si les occasions de querelles se multipliaient, la sympathie mutuelle et l'ancien sentiment de solidarité étaient plus forts entre les membres des clans divers que les raisons qui auraient pu les pousser à se battre. N'arri- vant plus à régler leurs querelles par l'autorité d'un chef commun, ils durent avoir recours à de nouveaux moyens pour maintenir entre eux des relations pacifiques. Il fallut, pour s'entendre, se faire des concessions mutuelles. C'est alors que le droit a pris naissance.

La division des hordes nombreuses en clans s'est cer- tainement produite en mainte occasion pour d'autres rai- sons que la multiplication des troupeaux, et l'on ne petit nier qu'un droit litigieux ait pu se former chez des races qui ne possédaient :pas de bétail Quand les Espagnols firent la conquête du Mexique, la dinde était le plus grand des animaux domestiques chez les Aztèques, dont la civilisa- tion était pourtant avancée, quoique cruelle. Et, — selon le témoignage des moines espagnols, à vrai dire générale- 1. Il paraît, pourtant, qu'en Afrique les races habitant les régions

où la mouche tsé-tsé rend impossible l'élevage du bétail n'ont pas de droit litigieux.

(19)

ment crédules et peu critiques, — les Aztèques avaient un droit et des tribunaux. Mais l'important pour nous c'est de connaître le développement des idées de droit et de justice chez les races aryennes et de comprendre pourquoi et com- ment les mots qui forment les noyaux de ces idées prirent naissance dans les assemblées de tribus de nos ancêtres lointains. C'est à ces assemblées que nous ramènent les règles que nous pouvons encore discerner chez Homère et chez Hésiode qui nous rapportent les usages des Hellènes tels qu'ils étaient avant que leurs lois aient été fixées par écrit.

Les traditions religieuses et les cultes de l'antiquité dont l'origine remonte sans doute bien au delà de la formation des premières règles du droit, confirment ou, en tout cas, ne démentent pas l'opinion exposée plus haut touchant l'organisation matriarcale des hordes primitives. Partout nous trouvons le culte d'une déesse, mère des dieux, reine des cieux et de la terre. Chez les Romains et les Hellènes, ces déesses furent Déméter, Cybèle et Hécate.

Le culte d'Hécate, que les Hellènes devaient à l'Asie Mineure remonte aux temps les plus éloignés, ce qui nous

1. En Asie Mineure, l'organisation matriarcale de la famille subsistait encore dans les temps historiques. Ce fait nous est attesté, non seulement par ce que raconte Hérodote des mœurs de ses populations, mais, de plus, par les jurisconsultes romains. Dans le Pont, les fils prenaient le nom de leur mère et appartenaient à leurs villes, usage dont, d'après Ulpien, Pompée avait expressément per- mis la continuation lorsque le pays fut conquis. (Digeste, livre L, cha- pitre I, § I.)

(20)

LIBRAIRIE FÉLIX ALCAN EXTRAIT DU CATALOGUE

IMP. PRESSES UNIVERSITAIRES DE FRANCE - VENOBLE-PARIS FRANCE

(21)

Participant d’une démarche de transmission de fictions ou de savoirs rendus difficiles d’accès par le temps, cette édition numérique redonne vie à une œuvre existant jusqu’alors uniquement

sur un support imprimé, conformément à la loi n° 2012-287 du 1er mars 2012 relative à l’exploitation des Livres Indisponibles du XXe siècle.

Cette édition numérique a été réalisée à partir d’un support physique parfois ancien conservé au sein des collections de la Bibliothèque nationale de France, notamment au titre du dépôt légal.

Elle peut donc reproduire, au-delà du texte lui-même, des éléments propres à l’exemplaire qui a servi à la numérisation.

Cette édition numérique a été fabriquée par la société FeniXX au format PDF.

La couverture reproduit celle du livre original conservé au sein des collections de la Bibliothèque nationale de France, notamment au titre du dépôt légal.

*

La société FeniXX diffuse cette édition numérique en vertu d’une licence confiée par la Sofia

‒ Société Française des Intérêts des Auteurs de l’Écrit ‒ dans le cadre de la loi n° 2012-287 du 1er mars 2012.

Références

Documents relatifs

- La prise de conscience de la réalité dans laquelle ont est plongé, l'amorce d'une analyse de l'école, et tout ça sans discours magistral, sans morale

jag skulle vilja..

Techniquement, lorsque vous vous projetez en temps réel dans le monde physique, comme lors d'une EHC, vous êtes en fait à la limite de la zone tampon entre les dimensions physique

] mais cette pratique ne signifie pas et ne saurait signifier que l'Etat auquel une telle demande de sauf-conduit est adressée soit juridiquement tenu d'y faire

Elles ont été intégrées en premier dans Excel de 1992 (N° 4) puis dans Excel 93 (N° 5) qui a été le premier programme Microsoft voyant apparaître le langage VBA (voir définition

La technologie s'intéresse à tout ce que construit l'homme, en particulier les nombreux objets techniques qui nous entourent et dont nous nous servons tous les jours..

Le rapport 2010 du PNUD propose un nouveau calcul de l'IDH : les trois dimensions qui entrent dans le calcul de l'indice composite restent les mêmes (santé, éducation, niveau de

C'est une instance qui se réunit à titre exceptionnel, sur décision du chef d'établissement, lorsque le comportement et l'attitude d'un ou plusieurs élèves sont dangereux pour