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L exotisme littéraire entre le 18ème et le 21ème siècle. En 1829, Hugo déclarait : Au siècle de Louis XIV on était helléniste, maintenant on est

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Lucile Lunde

L’exotisme littéraire entre le 18ème et le 21ème siècle

En 1829, Hugo déclarait : “Au siècle de Louis XIV on était helléniste, maintenant on est orientaliste” (Said 51). L’exotisme littéraire, dont l’orientalisme est un sous-genre, provient de l’attrait qu’exercent les contrées lointaines et les moeurs étrangères sur les écrivains. Les origines de l’exotisme en littérature remontent au temps des croisades au Moyen Âge avec la fascination de l’Orient. Si les grandes découvertes du 15ème siècle puis la multiplication des voyages et l’essor du colonialisme véhiculent l’image d’un “sauvage” heureux s’opposant à l’homme civilisé corrompu, cette image changera à partir du 20ème siècle. Au siècle des Lumières et au- delà, ce genre littéraire permet également aux écrivains de jeter un regard critique et satirique sur la civilisation européenne. Les Romantiques du 19ème siècle construisent, quant à eux, une image idéalisée et stéréotypée d’un Orient où ils se réfugient pour échapper au mal du siècle.

Les contes merveilleux, très populaires au 17ème siècle, connaissent un regain de succès avec la publication des Mille et une Nuits en 12 volumes entre 1704 et 1717. Traduit par Antoine

Galland, ce recueil de contes arabes reflète le goût du public du 18ème siècle et transpose le lecteur dans l’univers érotique du sérail avec les récits merveilleux de Shéhérazade dans lesquels figurent génies, sorciers, talismans, magiciens et animaux extraordinaires. Shéhérazade est elle- même un symbole de la femme orientale et des droits précaires dont elle jouit dans la société orientale. Les récits des sept voyages de Sindbad, en particulier, permettent de décrire des cultures, coutumes et systèmes politiques différents et apportent également beaucoup

d’informations sur les marchandises échangées pendant le commerce avec l’Orient. Par ailleurs,

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les récits enchâssés apportent une réflexion sur les abus de pouvoir, l’inégalité entre faibles et puissants et l’idéal d’un monarque clément.

Montesquieu, tout comme Voltaire et Diderot, va plus loin dans ses Lettres Persanes et il utilise les personnages orientaux pour critiquer la monarchie et la société française. Dans ce roman épistolaire publié en 1721, Montesquieu porte un regard ironique sur la vie mondaine, le

gouvernement despotique du roi et les institutions religieuses à travers les yeux des deux Persans Uzbek et Rica. Dans la lettre XXIV, Rica qualifie le roi de France de “grand magicien”

manipulateur et le Pape de “magicien” encore plus puissant capable de convaincre le peuple de faits invraisemblables (Montesquieu 56). Il est également stupéfait de la hâte et de l’impolitesse des Parisiens et exprime ici les sentiments de l’auteur lors de son arrivée à Paris de la province (Martino 295). La condition des femmes du harem et celle des femmes parisiennes fait l’objet de descriptions particulièrement contrastées. Montesquieu oppose la “grande liberté” des femmes occidentales occupées à se plier aux “caprices de la mode” à l’emprisonnement des femmes du sérail, gardées “pour l’honneur, et non pas pour le bonheur de [leur] époux” (Montesquieu 31, 54, 61). La révolte des épouses du harem à la fin de l’oeuvre montre cependant qu’un régime basé sur le despotisme n’a aucun avenir. Montesquieu intègre par ailleurs dans son roman un apologue dont le cadre se situe en Arabie et dont l’histoire est racontée par Uzbek. En opposant les sociétés sauvages des bons et des mauvais Troglodytes, l’auteur exprime sa conviction que le bonheur ne peut reposer que sur la vertu et l’intérêt général et non sur la poursuite de plaisirs égoïstes.

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Les idées de Rousseau sur le bonheur et la vertu s’accordent avec celles de Montesquieu mais selon lui, les hommes sauvages “ne sont pas méchants, précisément parce qu’ils ne savent pas ce que c’est qu’être bons; car ce n’est ni le développement des lumières, ni le frein de la loi, mais le calme des passions et l’ignorance du vice qui les empêchent de mal faire” (Rousseau 56). Dans son Discours sur l’Origine de l’Inégalité publié en 1755, Rousseau identifie le développement de l’esprit et la “faculté de se perfectionner” comme la source de toutes les misères et de l’inégalité (45). Muthu explique que Rousseau distingue trois états humains : un état de nature pur, une phase primitive et la civilisation moderne (33). Le peuple du Nouveau Monde se situe pour lui dans une phase primitive en raison de leur force physique proche des animaux et de leur

simplicité mentale. Lorsqu’il décrit l’évolution de la société, Rousseau caractérise l’état sauvage comme la “véritable jeunesse du monde” et l’”époque la plus heureuse et la plus durable” (71).

La vie naturelle des Amérindiens leur permet ainsi d’être plus heureux et leur caractère noble les sauvegarde de la corruption inhérente à la civilisation. Pour lui, la liberté et l’indépendance de l’homme sauvage disparaissent avec l’apparition de la notion de propriété, de la division du travail et de l’esclavage. Rousseau résume le progrès de l’inégalité à trois phases : l’instauration de “l’état de riche et de pauvre”, “celui de puissant et de faible”, et enfin “celui de maître et d’esclave” (85-86). Ainsi, contrairement à Montesquieu ou Voltaire qui proposent des sociétés naturelles où le bonheur est possible, Rousseau accuse le progrès d’avoir détruit tout bonheur possible.

Voltaire attaque la notion d’idéal sauvage de Rousseau dans un chapitre de son conte oriental Candide, paru en 1759. Dans le cadre de l’un de ses voyages, Candide découvre un peuple où les

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jeunes filles ont des singes pour amants et où les habitants sont des cannibales. Voltaire donne ainsi au lecteur une image de moeurs exotiques perverses qui s’oppose à l’état primitif dépourvu de corruption dépeint par Rousseau. Cacambo n’est par ailleurs pas étonné des relations entre les singes et les jeunes filles et déclare : “Ils sont des quarts d’hommes, comme je suis un quart d’Espagnol” (Voltaire 61). L’auteur défend ainsi la notion d’égalité entre les hommes et condamne les préjugés. L’univers imaginaire dans lequel évolue le héros permet cependant à Voltaire de traiter de thèmes philosophiques et de critiquer les institutions et les moeurs de son époque.

Le Discours de Rousseau a également fait une grande impression sur Diderot qui reprend le topos de l’île utilisé dans les voyages de Sindbad dans son Supplément au Voyage de

Bougainville. Ce dialogue, écrit en 1772, traduit l’essor de l’exotisme océanien en brossant le portrait du peuple tahitien et s’inspire du récit du navigateur Louis Antoine de Bougainville après son tour du monde. Diderot y décrit le sauvage comme “innocent et doux, partout où rien ne trouble son repos et sa sécurité” (Diderot 14). Il ne partage ainsi pas l’opinion idéalisée de Rousseau dans le sens où le sauvage est un homme dont les actions dépendent de la situation dans laquelle il se trouve. Selon lui, la bonté et la méchanceté sont des éléments permanents de la condition humaine et il discrédite de nombreuses affirmations sur le caractère paisible et en bonne santé du peuple du Nouveau Monde propagées par le mythe du bon sauvage en décrivant les maladies et les conflits qui sévissent entre les tribus (Muthu 51-52). Le peuple tahitien sert cependant d’exemple pour montrer de quelle manière une société peut être organisée afin d’être productive pour la collectivité et satisfaisante pour l’individu. La société tahitienne possède par

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exemple un système qui encourage la procréation mais les moeurs sexuelles libres permettent, selon le vieux tahitien, d’éviter les retombées liées à la jalousie. Diderot profite ainsi de l’intérêt pour l’Orient pour critiquer les principes de moralité dictés par l’Église et dénoncer la notion de propriété qui caractérise la société occidentale. L’interlocuteur B remarque par exemple que les vertus de “pudeur, retenue, bienséance” sont apparues après l’appropriation de la femme par l’homme et sont ainsi artificielles (Diderot 68). Par ailleurs, le vieux Tahitien critique le colonialisme et condamne l’esclavage en qualifiant les Européens d’”hommes ambitieux et méchants” qui font preuve de cruauté envers les autochtones et n’apportent que malheur et maladies (Diderot 19). Il oppose la corruption et la misère de la civilisation occidentale à la liberté, l’innocence, l’honnêteté et le bonheur de leur société égalitaire qui suit “le pur instinct de la nature” (Diderot 20). Diderot montre ainsi qu’une société peut atteindre le bonheur tout en ayant des moeurs et des lois différentes et incite le lecteur à s’interroger sur le droit que la société a à imposer ses lois sur un peuple vivant en paix.

Au 19ème siècle, l’Orient fascine les Romantiques qui tentent d’échapper au mal du siècle en cherchant un monde mystérieux dans l’Ailleurs oriental mais l’image qu’ils donnent des Orientaux est stéréotypée et loin de la réalité. Said remarque que pendant la première moitié du 19ème siècle, Paris est la capitale du monde orientaliste (51). Il cite Hugo, Nerval,

Chateaubriand, Flaubert, Lamartine et Gautier parmi les orientalistes les plus importants (Said 53, 99). Said remarque cependant que les oeuvres reflètent l’impérialisme et le racisme

européens envers le peuple oriental et réduisent l’Orient à quelques notions telles que la

sensualité, une tendance au despotisme, une mentalité aberrante et une culture sous-développée

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(204-205). La description des Natchez, peuple amérindien vivant dans le Mississippi, reflète les idées romantiques de l’exotisme américain dans l’oeuvre imaginaire de Chateaubriand René. Les

“[h]eureux sauvages”, qui laissent “couler les jours sans les compter”, sont comparés à des enfants dont les seules activités sont de jouer et de dormir (Chateaubriand 68). Le spectacle d’un

“groupe d’Indiens qui passaient gaiement dans la plaine” illustre le rapprochement de l’auteur qui voit en eux l’innocence d’un peuple non touché par la corruption de la société (68).

À partir de la deuxième moitié du 19ème siècle, le réalisme puis le naturalisme, qui se

caractérisent par un portrait objectif de la réalité, remplacent le romantisme et mettent un terme à la mode de l’orientalisme (“L’orientalisme littéraire” 10). Dans son recueil Nouvelles Orientales, publiées en 1938, Marguerite Yourcenar plonge le lecteur dans le folklore et les mythes de pays aussi divers que la Grèce, la Chine, le Monténégro et le Japon. Laude déclare que le recueil renvoie à un “Orient de l’âme” et reflète l’intérêt de l’auteure pour la philosophie asiatique (81).

La nouvelle “Notre-Dame-des-Hirondelles” représente par ailleurs “la violente confrontation entre le monothéisme chrétien et le paganisme chamanique” (89). La nouvelle décrit les

croyances et superstitions des paysans qui honorent les nymphes et s’opposent à la foi chrétienne du moine Thérapion. Lorsque celui-ci fait emmurer la grotte dans laquelle se trouve les nymphes pour sauver le salut de ses “ouailles”, une jeune femme mystérieuse apparaît et tente d’appeler à la compassion du moine en invoquant l’amour de Dieu pour tous les êtres. Marie reflète la position de Yourcenar qui critique l’exclusivité du Christianisme et l’interprétation trop littérale de l’évangile (Laude 90).

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Alors que les oeuvres précédentes étaient écrites par des auteurs occidentaux portant un regard sur l’Orient ou faisant intervenir des personnages orientaux, L’Amour, la fantasia (1985) exprime la double appartenance de son auteure Assia Djebar et appartient à la littérature postcoloniale. Le récit mêle l’histoire de la conquête de l’Algérie à partir de 1830 et le passé de l’auteure où s’opposent les cultures algérienne et française. L’auteure reprend plusieurs métaphores utilisées par les écrivains orientalistes en comparant l’Algérie à une femme et la conquête guerrière à une conquête amoureuse : “L’Algérie-femme impossible à apprivoiser”, “Ce monde étranger qu’ils pénétraient quasiment sur le mode sexuel. […] Y pénètrent comme en une défloration. L’Afrique est prise malgré le refus qu’elle ne peut étouffer » (Djebar 84, 85). L’orientalisme provient ainsi de l’opposition entre le colonisateur et le sujet colonisé mais Djebar donne voix aux “femmes algériennes oubliées et exclues de l’histoire” qui ont souffert sous la cruauté et la violence des Français pour les réhabiliter (Medjad 220-221). Le récit reflète également la dualité de l’auteure prise entre deux cultures aux moeurs très différentes. Djebar oppose la liberté de mouvement de l’adolescente française aux jeunes filles arabes cloîtrées dans leurs maisons. À travers son regard de fillette arabe, l’exotique se situe dans les “demeures françaises [qui] exhalaient une odeur différente, reflétaient une lumière secrète” (Djebar 38). L’oeuvre reflète également les relations conjugales de la société orientale dans laquelle “le dernier des hommes de la société dominante s’imaginait maître, face à nous”, une société dans laquelle l’épouse ne nomme pas son mari par son prénom et l’époux n’écrit pas à son épouse (Djebar 183). Djebar dénonce cette société patriarcale tout comme elle dénonce l’oppression du colonisateur. Dans ses chapitres sur l’Histoire de l’Algérie, elle évoque les femmes algériennes qui se sont battues aux côtés des hommes au 19ème siècle, puis celles qui ont participé à la résistance et contribué à la guerre

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d’indépendance au 20ème siècle. L’oeuvre de Djebar dévoile ainsi la complexité des rapports qui s’instaurent lorsque l’Orient est exposé à la colonisation par l’Occident et les problèmes

d’identité qui en résultent pour le peuple colonisé.

L’exotisme comme source d’inspiration littéraire est ainsi un mouvement qui a subi une

importante évolution depuis le 18ème siècle. Instrument de critique de la société contemporaine ou lieu mystérieux d’évasion, les oeuvres exotiques et orientalistes reflètent longtemps les aspirations personnelles de l’auteur et la soif colonisatrice de la société européenne. Du bon sauvage au turc despote, les représentations stéréotypées de l’Oriental ont souvent reflété l’esprit de domination de la culture occidentale. L’orientalisme s’affaiblit avec le retrait des puissances coloniales à partir du 20ème siècle mais Said constate à la fin du millénaire que l’Orient est encore une entité qu’il s’agit de craindre ou de contrôler. Pour les anciennes colonies,

l’indépendance a entraîné l’émergence d’auteurs en quête d’identité qui affrontent leur passé et tentent de se libérer du qualificatif d’Oriental pour être écrivain à part entière mais l’histoire coloniale, qui a empreint la littérature exotique et orientale, laisse une marque indélébile sur les nouveaux écrivains orientaux.

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Bibliographie

Chateaubriand. René. Paris: Bordas, 1984. Print.

Diderot, Denis, and Laurence Rauline. Supplément au Voyage de Bougainville. Paris: Hatier, 2013. Print.

Djebar, Assia. L’amour, la fantasia. Paris: Éditions Albin Michel. 1995. Print.

Galland, Antoine, and Florence Chapiro. Sindbad le marin et autres contes des Mille et Une Nuits. Paris: Éditions Larousse, 2007. Print.

“L’orientalisme littéraire”. vousnousils. Casden, n.d. Web. Accessed 12 May 2016.

Laude, Patrick. "La Connaissance Orientale Et Le Feminin Chez Marguerite Yourcenar."

Symposium: A Quarterly Journal in Modern Literatures. Vol. 60. No. 2. Heldref, 2006.

Web. Accessed 11 May 2016.

Martino, Pierre. L'Orient Dans La Littérature Française Au XVIIe Et Au XVIIIe Siècle. New York: B. Franklin, 1971. Print.

Medjad, Fatima Grine. “Identité plurielle et histoire collective au féminin dans l’Amour, la fantasia d’Assia Djebar”. n.p. n.d.: 216-231. Web. Accessed 9 Feb. 2016.

Montesquieu. Lettres persanes. Paris: Garnier-Flammarion, 1964. Print.

Rousseau, Jean-Jacques, and Jean-Claude Quirin. Discours sur l’Origine de l’Inégalité, extraits.

Paris: Librairie Larousse, 1967. Print.

Said, Edward W. Orientalism. New York: Pantheon Books, 1978. Print.

Voltaire. Candide, and Yves Bomati. Paris: Éditions Larousse, 2007. Print.

Yourcenar, Marguerite. Nouvelles orientales. Paris: Gallimard, 1963. Print.

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