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Erotisme et vécu corporel

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Academic year: 2022

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Texte intégral

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G. Abraham D. Vlatkovic

force etfaiblesse

:

antagonisme

oucomplicité

?

Qu’il s’agisse de la notion de force liée par exemple à l’état de santé ou à une prétention individuelle tout court, ou encore à des expériences existentielles répétées, cela ne garantirait certes pas que le corps humain ne soit toujours ressenti que favorablement par son possesseur. La notion de force en soi pourrait en effet faire prendre des risques vis-à-vis de la santé qui, en l’occurrence, ne serait pas gérée convenablement, alors que l’avoir fait passer à travers ces mêmes risques sans qu’elle en soit endommagée nous donnerait l’impression d’être quel- que peu invulnérables.

Au contraire, le sentiment d’être conditionné par la faiblesse – présumée, héritée ou acquise, peu importe – nous suggére- rait de la prudence dans la prise de risques et l’évitement de répéter des expé- riences ressenties d’avance comme dangereuses pour notre santé et notre équi- libre psychophysique. L’impression, en somme, d’être faible dans notre corps, soit à cause de sa morphologie, soit dans son fonctionnement, nous contraindrait à prêter davantage d’attention aux sensations qui s’en dégagent, à lui accorder une possibilité de s’exprimer plus fréquente et plus nuancée que si tout cela était prévu déjà comme favorable et tenu sous contrôle. De telle manière que si la conviction d’avoir un corps à toute épreuve nous permettait néanmoins, ne serait- ce que de temps à autre, la perspective d’un soudain affaiblissement, il en résul- terait peut-être un avantage dans l’équilibre dynamique du sujet en cause. Com me si ceux qui se considéreraient d’emblée comme chétifs pourraient s’apercevoir que leur prudence, leurs économies énergétiques, leur évitement d’excès fini- raient par se révéler comme des manifestations de force et d’endurance plutôt que comme l’expression d’une véritable faiblesse.

Si maintenant nous essayons de déplacer tant bien que mal les notions géné- riques de force et de faiblesse du côté d’un vécu érotique au sens large, nous pourrions peut-être faire équivaloir la notion de force à celle d’excitation, tandis que la notion de faiblesse pourrait, grosso modo, se traduire en celle d’inhibition.

En l’occurrence, on ne saurait même plus avec exactitude si un état d’excitation serait le déclencheur d’un élan érotique, ou si au contraire un soudain élan éro- tique produirait inévitablement un état propice à l’excitation généralisée de tout le corps. Alors qu’à l’opposé, nous pourrions nous demander si une tendance pré- valente à l’inhibition devrait être vue comme le déploiement d’une force de con- trôle, ou davantage comme le camouflage d’une faiblesse érotique intrinsèque.

Etre érotiquement nanti, en d’autres termes, ne pourrait qu’induire une excita- tion restant, elle, sans cesse à fleur de peau. Etre érotiquement peu doué corres- pondrait alors, dans ce sens, à se barricader tant bien que mal derrière des codes Sexuality and subjective experience

Sexual satisfaction could depend at first on the bodily self-perception of everyman. More- over, this person needs to be capable of in- tegrating pleasure, which is fleeting, without neglecting the quality of the relationship with the partner.

Rev Med Suisse 2012 ; 8 : 635-9

Une vie sexuelle satisfaisante dépend en premier lieu de la qualité de l’autoperception de son propre corps de l’individu en cause. Néanmoins, la satisfaction sexuelle dépend aussi de la capacité de gérer le plaisir, en soi fugace, et de la qualité de la relation avec le partenaire.

Erotisme et vécu corporel

perspective

Pr Georges Abraham 13, avenue Krieg 1208 Genève Dr Dejan Vlatkovic 9, rue de Vermont 1202 Genève dvlatkovic@bluewin.ch

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moraux, des hésitations, des méfiances, le tout pour ne pas chevaucher aisément le «tigre érotique».

Toujours est-il qu’existe la possibilité de tout renverser à cet égard et de remarquer l’existence d’aspects propre- ment paradoxaux, aptes à montrer qu’une force érotique intense peut se déployer justement surtout face à une in- hibition tenace, imbibée même de préjugés, inhibition qui nous défierait de la dépasser, de la contourner envers et contre tout. Alors qu’une excitation prise en soi se moque- rait d’emblée des inhibitions, des interdits, et pourrait ne subsister que le temps d’un feu de paille, puisqu’en effet, sans un contexte impliquant la prohibition et la culpabilité, toute excitation érotique peut se révéler fictive et postiche.

Et l’on assiste bel et bien, de nos jours, à un contraste de taille : on parle beaucoup de sexe et on affiche facile- ment des images pornographiques, on dénie toute culpa- bilité, mais qu’on le veuille ou non, la sexualité a perdu sa force de frappe primordiale et instinctive, se voyant pour ainsi dire obligée de mendier de l’excitation aux drogues ou à des comportements de type paraphilique.

Une autre manière de se confronter à cette étrange dia- lectique entre force et faiblesse, où ces deux entités ne montreraient pas seulement une incompatibilité fonda- mentale, mais nous permettraient de percevoir justement leurs éventuelles complicités, c’est de se référer à une dia- lectique similaire que l’on peut détecter entre mémoire et oubli. La mémoire, prise en soi, puise sa force dans la ca- pacité à retrouver des souvenirs surtout lointains et avec des détails parfois négligeables. Et pourtant, si la mémoire sou haitait se défaire complètement de l’oubli, réputé son ennemi de toujours, elle courrait à sa perte en devenant sur- chargée de données, saturée d’informations, débordant de détails inutiles. La mémoire nécessite donc structurellement sa contrepartie et présumée rivale, l’oubli, dont la dispari- tion déjà pour quelque temps créerait des problè mes in- quiétants.

En pratique, dans le domaine spécifiquement psychia- trique, les troubles de la mémoire, qu’ils soient prédémen- tiels ou démentiels, apparaissent somme toute plus sus- ceptibles d’un espoir thérapeutique que des symptômes découlant d’une «incapacité à oublier» telle qu’elle se ma- nifeste dans des syndromes paranoïaques, dans les états phobiques et les troubles obsessionnels-compulsifs.1

plaisiretdouleur

:

irréductiblesennemis ouhabilesdiplomates

?

Un contraste encore plus marqué que le précédent se dessine entre douleur et plaisir, étant donné que la souf- france et la jouissance se défont de toute problématique d’allure conceptuelle et acquièrent à l’instant un «portrait charnel» indiscutable.

Apparemment, il ne pourrait pas y avoir de compromis, de mélange hybride entre des douleurs physiques bien caractérisées et une forme ou une autre de jouissance au- thentique. Tout au plus peut-on rencontrer un plaisir certain lorsqu’on arrive à se débarrasser, ne serait-ce que tem- porairement, d’une douleur persistante et productrice de sen sations fort désagréables, voire ressentie, à la lon gue, comme insupportable. Par contre, on ne ressent pas une

douleur physique si un plaisir charnel s’estompe ou dispa- raît d’un coup.

Le contraste entre douleur et plaisir paraît donc inapte à établir des états intermédiaires, voire paradoxaux, où par exemple une douleur physique serait censée remplacer un plaisir subjectivement perçu et apprécié. Et pourtant, déjà en présence de simples démangeaisons, le fait de pouvoir se gratter offre la perspective de transformer immédiate- ment un désagrément en agrément.

En plongeant maintenant dans le domaine proprement érotique se font jour deux positions quelque peu antithé- tiques. Si l’on vise par exemple une plénitude orgasmique de quelque façon dénuée de limites, de réticences, avec des nuances vaguement conceptuelles de type tantrique, on doit s’attendre à une réaction explosive et aussi libéra- toire, dont la durée très courte témoigne à sa manière de la force jouissive qui doit la caractériser. Alors que si l’on pré fère une jouissance plus subtile, mais davantage per- sistante, apte à se prolonger au-delà du prévu, il est en premier lieu nécessaire de faire un deuil préalable d’un or- gasme explosif. Il s’agit plutôt de se rendre capable pro- gressivement de savourer pour ainsi dire une sensation érotique après l’autre, de découvrir littéralement tout ce que l’accouplement d’un homme et d’une femme peut mettre en place dans le corps de chacun d’eux. De nouveau, du point de vue vaguement conceptuel, nous nous rangerions dans ce cas plutôt du côté du taoïsme, ou alors nous adhé- rerions aux conseils en provenance du Kamasutra.

Quoi qu’il en soit, on devrait renoncer à un plaisir idéal, d’une intensité davantage croissante que décroissante, d’une durée presque illimitée, où en fait la douleur dans toutes ses formes n’aurait plus droit de cité.2

En réalité, le fait déjà de devoir choisir entre une inten- sité consistante et une durée non restrictive nous met deva nt la nécessité de nous rendre compte qu’il y aurait toujours à faire le deuil d’un plaisir «immaculé», capable de narguer la douleur, ou au moins de la tenir à distance.

En pratique, l’intensité d’un plaisir érotique se montre, sans moyenne mesure, inversement proportionnelle à sa durée.

Toutefois, tout peut changer si nous dépassons les fron- tières de ce qu’on appelle volontiers une physiologie sexo- logique, susceptible de «flirter» de temps à autre, s’il le faut, avec quelques jeux érotiques inhabituels, comme le bon- dage, mais qui serait néanmoins réfractaire à s’embarquer dans un sadomasochisme pur et dur. Car dans le cadre de véritables comportements sadomasochistes, le mélange, pour ne pas dire une confusion recherchée, entre souffrance et jouissance n’est nullement déguisé, mais tout à fait de mise.

Dans ce contexte, souffrir et jouir sont de parfaits équi- valents. Ils deviennent complémentaires. La seule condi- tion incontournable est de renoncer à trop personnaliser la relation entre les deux partenaires, à ne pas y introduire des composantes émotionnelles inopportunes, à ne pas relativiser enfin un aspect rituel de ce type de rencontre et de comportement. C’est en particulier l’aspect rituel que tout acte sexuel assume dans ce contexte «pervers» qui ne doit jamais être perdu de vue, et ne doit pas du tout tenir compte d’exigences individuelles et circonstancielles, ces

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dernières ne pouvant alors que produire une situation am- biguë, inconsistante, parfois à la limite du ridicule.3

Un sadomasochisme «comme il faut» ne surgit en géné- ral pas spontanément ou par gène interposé : il se construit souvent sur des déceptions engendrées par la sexualité dite normale, mais dans le fond par un évitement systéma- tique dans la recherche d’un plaisir trop personnalisé et capable de jouer aussi un rôle évolutif du sujet, et non pas réduit à une activité entièrement dépersonnalisée.

Tout cela entraîne une question inquiétante : celle des rapports entre l’intensité et la durée d’une jouissance éro- tique et ce qu’on pourrait définir en tant que caractéris- tique d’une santé sexuelle. Puisqu’il est clair que dans le sadomasochisme comme dans d’autres comportements para philiques, nous nous trouvons en pleine pathologie sexuelle.

physiologieetpathologie

:

oùplacerlafrontière

?

Il est déjà «inconfortable», comme on le sait, de séparer une sexualité à but reproductif d’une sexualité à but pure- ment érotique. Toute méthode contraceptive, d’ailleurs, finit une fois ou l’autre par déranger l’érotisme, alors qu’éviter des grossesses non désirées devrait en principe sauvegar- der l’érotisme même. Par moments, la demande essentielle d’une femme, pour ne pas dire d’un couple, oscille en fa- veur d’un enfant à tout prix, et par moments elle penche par contre du côté de l’orgasme à tout prix. L’arrivée, dans un couple, de la présence d’un enfant, peut d’ailleurs tour à tour produire un renforcement des liens entre les deux partenaires, comme elle peut au contraire les affaiblir. Quand on parle de lien, on se réfère ici en particulier aux liens éro- tiques.

Si l’on essaie, entre autres, de remonter vers les moments déclencheurs d’une crise aiguë dans un couple donné, on retrouve très fréquemment deux «étapes» difficiles à con- sidérer plutôt comme affaiblissement d’une physiologie sexuelle ou plutôt comme apparition déjà d’une authen- tique pathologie.

La première de ces étapes négatives est la disparition des baisers dans la bouche. A cet égard, force est de recon- naître que les baisers buccaux impliquent un érotisme raf- finé, pas tellement fondé sur le besoin de performance comme peut l’être le coït, et où d’emblée la jouissance s’impose pour les deux comme une réciprocité sensitive et sensorielle inégalable. La deuxième est celle qu’on pour- rait qualifier de «sommeil séparé». Les deux partenaires, même s’ils continuent à partager le même lit, ne se cou- chent plus en même temps et surtout ne s’endorment pas en même temps. Il n’y a plus, pour ainsi dire, «coïncidence»

de leurs niveaux de conscience respectifs. De plus, il va y avoir, dans ce cheminement vers la crise, une progressive difficulté à superposer les sensations érotiques corporelles avec l’imaginaire érotique, c’est-à-dire les fantasmes indi- viduels. A un moment donné, ces fantasmes, s’ils sont parta- gés, pourraient même être une source d’excitation commune, alors que retirés du contexte dual, ils se transforment facile- ment en éléments inhibiteurs des perceptions corporelles affectives. Se parler l’un à l’autre de ses propres fantasmes

n’appartient pas toujours au domaine de la physiologie, puisque parfois il s’agit de fantasmes sadomasochis tes, mais d’autre part l’expression verbale de ce genre de fantaisies

«protège» le plus souvent du besoin de le traduire dans un comportement sadomasochiste proprement dit.

Se raconter ses rêves va encore plus loin, soit dans l’«étrangeté» de la chose, soit dans le fait que les rêves de chacun des partenaires peuvent à la fois mettre en relief les différences dans leur monde imaginaire et leur faire dé- couvrir des liens intimes insoupçonnés.

Plaisir et douleur, en outre, semblent difficilement dé- pendre des coordonnées existentielles que sont le temps et l’espace, pris presque dans un sens philosophique, mais surtout spécifiés d’une manière très concrète. La tempéra- ture de la chambre à coucher, son décor pas apprécié par un des deux partenaires ou trop monotone et inchangé, la conformation et la souplesse du lit, les caractéristiques plus générales de l’endroit où l’accouplement a lieu, tout cela représente au fond les contours d’un acte sexuel et peut l’influencer bien plus qu’on ne le pense.

En ce qui concerne le temps, rappelons-nous, par exem- ple, les préférences matinales masculines et au contraire les préférences du soir féminines ; puis la proximité ou non du cycle menstruel, la fréquence des rencontres intimes, la période de l’année, les particularités ritualisées qui ryth- ment peut-être des disponibilités érotiques tantôt conver- gentes, tantôt divergentes.

Ce qui est ressenti par chacun lors de la vie active diurne, y compris l’alimentation, l’éventuel entraînement sportif, les motivations pratiques quotidiennes, va-t-il influencer, et dans quel degré, l’approche du sommeil et la vie noc- turne ? Puisque l’on peut renverser la question en se de- mandant si, pour finir, ce qui va se passer pour chacun dans la soirée et la nuit, y compris donc le sommeil et les rêves, peut bel et bien être plus marquant et avoir une influence massive sur la vie du plein jour.4,5

Pour conclure cet aspect de la problématique prise dans son ensemble, on peut se poser des questions très perti- nentes sans toutefois s’attendre à des réponses exhaus- tives. Par exemple, l’érotisme trouve-t-il ses racines à l’inté- rieur de chaque individu singulier, ou ne se manifeste-t-il que lors de l’apparition d’un partenaire, que celui-ci soit réel ou virtuel ? Et puis, de nouveau, le développement de tout érotisme serait-il dû à un épanouissement progressif de la personne ou, à l’opposé, à des modifications sou- daines dans son équilibre sensitif ?

lebien

-

être

:

unechance

ouuneconquête

?

Ce qu’on appelle bien-être est un état de nature fonda- mentalement subjective, pouvant toutefois se révéler jus- tifié ou injustifié par des facteurs de nature objective. De toute manière, il est le plus souvent instable, par rapport tant à sa durée qu’à son intensité. Par moments, il s’im- pose comme une constatation indéniable, alors qu’il peut subsister en dessous du niveau de conscience habituel et ne pas être vraiment ressenti. Au fond, quand quelqu’un nous pose la question rituelle, quotidienne : «Comment allez-vous ?», il se peut qu’au-delà d’une réponse formelle

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et automatique, cela nous oblige à jeter un «coup d’œil», tout furtif soit-il, à l’intérieur de nous-même pour y distin- guer la prévalence ou non d’un bien-être effectif. En tout cas, le bien-être se nourrit à la source du plaisir en tant que tel et en subit d’inévitables conséquences, tandis qu’il est, relativement à la douleur, plus fragile et instable que cette dernière. Il peut se montrer par contre plus favorable pour induire un renforcement de la personnalisation, c’est-à-dire de son appartenance individuelle, au lieu de se réduire à une autoperception stéréotypée et anonyme. En fait, cons- tater que nous nous trouvons en l’occurrence dans un état de bien-être signifie que nous sommes disposés à recher- cher et gérer du plaisir dans ses différentes formes et à le faire nôtre.

Un bien-être relevant de l’érotisme est en outre déjà soumis d’avance à un statut particulier. Ainsi, il a en général une durée plus constante que d’autres formes de plaisir, puisqu’il se relie à un partenaire possible. Cependant, s’il avait tendance à trop se prolonger, il risquerait de s’isoler dans un contexte purement égocentrique qui, par exemple, est celui du sex-addict.

De plus, il n’est pas dit que l’autoperception d’un bien- être doive correspondre à un état d’équilibre et d’homéo- stase, susceptible qu’il serait alors peut-être d’une estima- tion de type objectif. Au contraire, un bien-être perceptible pourrait parfois aller de pair avec une forme ou une autre de déséquilibre, au moins dans le sens d’une sortie d’ha- bitudes, de compulsions répétitives et d’un besoin de lier sa propre identité personnelle à certains traits de carac- tère ressentis en tant que facteurs indispensables pour l’agissement.6,7 Tout cela pourrait occulter une éventuelle peur de la nouveauté, du changement, de la surprise.

A remarquer qu’un tel genre de déséquilibre pourrait être induit, plutôt que par nous-même, par notre parte- naire, ou bien par la naissance d’un enfant dans un couple, ou même par un simple déménagement ou un changement d’activité professionnelle.

Le bien-être, ne l’oublions pas, peut être ultérieurement conditionné par la perspective de posséder une représen- tation collective, donc historico-culturelle, jusqu’à se réduire à une entité tout à fait relative, qualifiée tout simplement par ce qu’on appelle le bien-être.

Toujours est-il que le bien-être reste sans autre plus sai- sissable que ce qu’on qualifie de bonheur, ce dernier étant encore plus dépendant de caractéristiques personnelles et indéterminées que le premier. Le bien-être, par exemple, ne peut pas se permettre d’aboutir dans un état franche- ment passionnel, alors que le bonheur, lui, le peut. Le bien- être peut utiliser, pour se maintenir en place, certaines ac- tivités de type sportif comme le jogging, ou des drogues mineures, autant que certaines habitudes alimentaires ou de prises de médicaments. Tandis que le bonheur doit sans cesse s’assurer de dépendre surtout de son propre monde intérieur. Alors que par exemple l’état de bien-être doit pouvoir disposer de cycles d’activité-repos assez bien pro- portionnés, le bonheur peut même à la rigueur se satisfaire tant d’une passivité excessive que d’une activité forcenée.

Toujours est-il que le bien-être ne peut pas trop compter sur la chance et doit forcément faire prendre des mesures capables de garantir son retour en cas de perte ou d’affai-

blissement trop évident. C’est en effet plutôt le bonheur qui doit compter sur la chance ou sur des circonstances fa- vorables que sur des motivations. Si, dans un couple, on vise le bonheur à deux, cela pourrait même se révéler com me une aspiration périlleuse, puisqu’il est difficile en définitive de faire coïncider deux visions personnelles du bonheur.

Par contre, un état de bien-être se révèle plus facilement par tageable et même peut renforcer un lien amoureux.

D’autant plus que l’érotisme est davantage prometteur, durable et surtout bien saisissable s’il est partagé dans toutes ses nuances, si l’on obtient une forme ou une autre de syntonie, et surtout de synchronie tant du côté du désir que du côté de la satisfaction.8

veilleetsommeil

:

seulementune

variationdeniveauxde conscience

?

Comme on le sait, il se pourrait que le cerveau se soit arrogé, le long des siècles, quelque peu abusivement, un rôle privilégié dans l’organisme humain. Et certes pas uni- quement le rôle de «chambre des boutons» surtout à pro- pos de la fonction motrice, mais bien plus à propos de la fonction sensitive et donc perceptive. En somme, nous avons peut-être fini par nous convaincre que dans cet or- gane haut placé, il y a tout : l’âme, donc la psyché, la cons- cience, la raison, mais aussi les émotions et la sensibilité.

Le reste de l’organisme serait réductible à une sorte de va- let, indispensable bien sûr, mais pas plus que ne l’est jus- tement un serviteur. La preuve en serait qu’en pratique, toutes les différentes «pièces» de l’organisme sont suscep- tibles d’être remplacées pour le moment surtout par des engins technologiques de substitution.9

D’une manière analogique, mais tout aussi valable et impressionnante, on peut déplacer ce dont nous venons de parler d’une perspective visant l’espace corporel dans une perspective d’ordre davantage temporel. Ici, il ne s’agit plus de la prise en considération d’un organe contre un autre, d’une évaluation fonctionnelle qui ferait abstraction du temps, mais au contraire d’une perspective profondé- ment enracinée dans le passage des heures, le long du rythme circadien.

En effet, à côté du privilège cérébral en tant que pièce maîtresse de l’organisme, il existe également un privilège accordé à l’état de veille par rapport à l’état d’inconscience, engendré par le sommeil. Pendant le sommeil, d’ailleurs, les principaux organes de notre corps, comme le cœur ou les poumons, continuent leur indispensable activité, tandis que le cerveau, lui, est, en partie du moins, en veilleuse.

La médecine persiste, quant à elle, à ne voir le sommeil que comme une fonction au service justement de l’état de veille : il faut tout simplement que l’organisme récupère les énergies dépensées pendant le jour, que ces énergies soient renouvelées afin de permettre à l’état de veille du jour suivant de fonctionner comme il faut. Il est plus que nécessaire de nous ressaisir à cet égard : il est même pos- sible qu’au contraire, ce qui se passe pour nous tous pen- dant le sommeil se révèle davantage indispensable que ce qui se passe dans la pleine conscience du jour.

Alors que, en d’autres termes, comme il n’y aurait pas dans l’ensemble de l’organisme humain un organe particu-

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lier plus nécessaire qu’un autre, l’état de sommeil, bien que minoritaire quant à sa durée, ne serait pas moins im- portant que l’état de veille. Il y aurait peut-être, dans la vie nocturne et hypnique de chaque organisme, le déroulement de phénomènes complexes et de haute importance vitale, que nous aurions négligés ou que nous craindrions de ne pas pouvoir comprendre suffisamment. Dans l’état de som- meil, il se pourrait que les rêves – ceux dont nous nous sou- venons, y compris les cauchemars, mais aussi ceux dont nous ne nous souvenons pas du tout – soient aptes à nous four- nir des données insoupçonnées. Comme, d’autre part, nous pourrions éviter la contradiction d’attribuer un rôle déter- minant à un autre organe de notre corps qui ne soit pas le cerveau, en supposant qu’il ne s’agirait pas en définitive d’une question d’organes en soi, mais plutôt de quelque chose d’ordre exclusivement fonctionnel, se situant même à des niveaux cellulaires ou subcellulaires.

D’une égale manière, il ne s’agirait pas maintenant de mettre en exergue la nuit à la place du jour, ou de penser que le sommeil serait en soi davantage valable que l’état de veille. Nous ne pourrions pas, en tout cas, dormir sans cesse ou préconiser l’établissement d’une hypersomnie à la place, par exemple, de l’insomnie. Non, il s’agirait avant tout de valoriser correctement l’imaginaire par rapport à ce qu’on considère comme la vraie réalité, équivalente de tout ce qui est concret, tangible, à l’instar de la notion de matière, de tout ce qui est d’une façon ou d’une autre ob- jectivable.

L’imaginaire, qu’on le veuille ou non, se manifeste et se déroule aussi pendant l’état de veille. Il y a des rêves noc- turnes proprement dits, mais il y a également des rêves

«les yeux ouverts». Toujours est-il que l’imaginaire diurne, et plus encore les rêves pris en tant que tels, sont aptes à nous personnaliser davantage, à renforcer notre identité propre.

De plus, les rêves, autant que l’imaginaire en général, mettent en relief des valeurs et des propensions indivi- duelles telles à établir un consistant degré d’indépendance de toute forme d’anonymat. Tandis que l’état de veille ne peut pas ne pas se conformer à des règles, à des habitudes culturelles, à des traditions, bref, à un conditionnement de dépendance inlassable.

Dans le domaine spécifique de l’érotisme, en outre, une baisse du niveau de conscience semble favoriser l’excita- tion aussi bien que des réactions orgasmiques satisfai- santes. En n’oubliant pas, à cet égard, que des rêves en apparence pas du tout érotiques, même parfois purement anxiogènes, semblent s’accorder sans problème avec l’exci- tation sexuelle perceptible objectivement tant chez l’hom me que chez la femme durant le sommeil.

1 Cyssau C. Quand le corps perd la mémoire. Evol Psychiatr 2005;70:535-43.

2 Joubert M. Un corps de rêve. Rev Franç Psychanal 2010;74:181-98.

3 Prescott AP. The concept of self in medicine and health care. New York : Nova Publ, 2006.

4 Gerard D. Sexual functioning after mastectomy : Life vs lab. J Sex Marital Ther 1982;8:305-15.

5 Casper RC, Michaels J, Simon K. Body perception

and emotional health in athletes : A study of female adolescents involved in aesthetic sports. World Rev Nutr Diet 1997;82:134-47.

6 Silver ALS, Cantor MB (Eds). Psychoanalysis and severe emotional illness. J Am Acad Psychoanal, Spe- cial Issue, 1990;18:1-184.

7 Sze JA, et al. Coherence between emotional expe- rience and physiology : Does body awareness training have an impact ? Emotion 2010;10:803-14.

8 Seal BN, Meston CM. The impact of body aware- ness on sexual arousal in women with sexual dysfunc- tion. J Sex Med 2007;4:990-1000.

9 Hibbard MR, et al. Sexual dysfunction after trauma- tic brain injury. Neurorehabilitation 2000;15:107-20.

* à lire

** à lire absolument

Bibliographie

Implications pratiques

Se pencher seulement sur les plaintes du patient par rapport à des symptômes d’ordre sexologique n’est pas suffisant, et est même fourvoyant

Il est nécessaire d’investiguer le vécu du patient en cause lors d’une activité sexuelle donnée, de savoir comment il sait valo riser la satisfaction érotique et quelle est la qualité de sa rela tion avec le partenaire

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