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Finir sa vie en établissement médico-social : mourir dans un "lieu de vie"

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Finir sa vie en établissement médico-social : mourir dans un "lieu de vie"

ANCHISI, Annick, HUMMEL, Cornelia, DALLERA, Corinne

Abstract

La mort est affaire d'âge et d'institution. Aujourd'hui, elle s'est déplacée en direction des catégories de la vieillesse. Les atteintes à la santé fonctionnelle et mentale – corol- laires de la vieillesse dépendante – ont contribué à situer la dernière période de la vie en institution de soins de longue durée, faisant se conjuguer vie et mort au cœur même de l'établissement médico-social

ANCHISI, Annick, HUMMEL, Cornelia, DALLERA, Corinne. Finir sa vie en établissement médico-social : mourir dans un "lieu de vie". Krankenpflege , 2014, vol. 8, no. 8, p. 67-69

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:42035

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Culture des soins

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Bien qu’il existe des disparités sociales et médicales, mourir à un âge avancé en établissement médico-social (EMS) est une réalité pour une grande partie de la population résidant en Suisse et notam- ment pour les femmes. Concernant la mort contemporaine, trois traits essen- tiels ont été mis en évidence par les so- ciologues et les anthropologues. Premiè- rement, sous l’effet de l’augmentation de l’espérance de vie, la mort a largement convergé vers une étape de vie spéci- fique, la vieillesse. Deuxièmement, de- puis les années 50, la mort s’est déplacée

du domicile vers l’institution. Troisième- ment, mourir «prend du temps»: d’une part, l’allongement de la période pre mor- tem a contribué à créer une proximité entre certaines catégories de personnels et le «mourir»; et, d’autre part, l’émergen- ce d’une discipline médicale spécialisée et des soins palliatifs a concouru à faire de la «fin de vie» une période en soi, étu- diée et documentée. Parallèlement, des études sur les établissements d’héberge- ment pour personnes âgées (Anchisi, 2011; Rimbert, 2011) mettent en évidence que le modèle des «lieux de vie» revendi-

La mort est affaire d’âge et d’institution. Aujourd’hui, elle s’est déplacée en direction des catégories de la vieillesse. Les atteintes à la santé fonctionnelle et mentale – corol- laires de la vieillesse dépendante – ont contribué à situer la dernière période de la vie en institution de soins de longue durée, faisant se conjuguer vie et mort au cœur même de l’établissement médico-social.

Texte:Annick Anchisi, Cornelia Hummel, Corinne Dallera / Photos:Fotolia

Annick Anchisi,Haute Ecole de santé Vaud (HESAV), HES-SO

Cornelia Hummel,Université de Genève (UNIGE), département de sociologie

Corinne Dallera,Ecole d’études sociales et pédagogiques, Lausanne.

Haute Ecole de travail social et de la santé, Vaud.

Contacts: annick.anchisi@hesav.ch;

cornelia.hummel@unige.ch;

corinne.dallera@eesp.ch Les auteurs

Mourir dans un «lieu de vie»

Finir sa vie en établissement médico-social

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propre à la modernité, la mort à l’hôpital a suscité l’attention de chercheurs de dif- férentes disciplines. Ces travaux, qui ont contribué à déplacer l’attention de la mort au mourir, témoignent de l’émergence d’une nouvelle sensibilité concernant la condition du mourant dans le monde mé- dical, la recherche scientifique, ainsi que dans l’opinion publique. C’est dans ce contexte que l’on a assisté également à l’émergence de théories et pratiques con- testataires dont le mouvement pour les soins palliatifs – tout comme son concur- rent, celui pour l’euthanasie active et/ou le suicide assisté – sont les figures les plus visibles.

L’approche bio-psycho-sociale défendue par les soins palliatifs correspond aujour- d’hui à un nouveau modèle accordant une place centrale au patient – l’accom- pagnement du mourant – qui coexiste avec l’approche biomédicale spécialisée.

Les experts relèvent néanmoins que le de- gré de développement des soins palliatifs et leur intégration au sein du système so- cio-sanitaire varient grandement selon les configurations locales. Ainsi, les per- sonnes âgées en fin de vie qui ne souf- frent pas d’une maladie aigüe telle que le cancer ne bénéficient pas nécessairement de soins spécialisés. Certains l’interprè- tent comme l’expression d’une posture âgiste (Österlind et al., 2010) qui consi-

dère la mort des personnes âgées comme naturelle et ne nécessitant pas d’accom- pagnement et de soins particuliers. On peut également souligner avec Castra (2003) que les soins palliatifs ont contri- bué à forger l’image d’une «bonne mort»

que le mourant réalise en franchissant des étapes codifiées. Or, les pathologies liées à l’âge (comme la démence) ne permet- tent pas aux personnes concernées de remplir les critères du «candidat idéal» au bien mourir, tel qu’il est revendiqué par le mouvement des soins palliatifs. C’est donc avec cette donne sociale – une po- pulation moins caractérisée qu’en unité de soins palliatifs, très âgée et atteinte dans les multiples dimensions de la santé – que les EMS composent au quotidien.

Répartition modifiée

Décès en Suisse

Si en raison de l’allongement de l’espé- rance de vie, le nombre annuel des décès en Suisse n’a que peu varié au cours des 30 dernières années (entre 60 000 et 64 000 par an) et cela malgré la croissance démographique, la répar- tition des âges au moment de la mort, quant à elle, s’est largement modifiée.

Le pourcentage des décès des per- sonnes âgées de moins de 65 ans a di- minué, passant de 28,4% en 1980 à 14,5% en 2012, alors que celui des per- sonnes de 65 ans et plus a augmenté pour atteindre le 85% de la totalité des décès. Pour la classe d’âge des 85 ans et plus, la proportion a fortement aug- menté, passant de 25% dans les années 80 pour atteindre 44,5% de l’ensemble des décès en 2012 (OFS, 2012).

75% pour les 90 ans et plus. Il convient de relever que la dernière période de la vie est marquée – comme les autres périodes – par le genre: les hommes, dont l’espé- rance de vie est moins élevée et dont les dernières années de vie peuvent se dérou- ler à domicile grâce à la présence d’une conjointe (souvent plus jeune de quel- ques années), meurent à l’hôpital; les femmes, elles, meurent en EMS à un âge plus avancé. On notera aussi qu’aujour- d’hui, les personnes âgées entrent plus tardivement dans un EMS, en étant très atteintes dans leur santé fonctionnelle et mentale. De ce fait, la durée moyenne d’années de vie en institution diminue ré- gulièrement (moins de trois ans en Suisse romande actuellement) et une surmorta- lité marque la première année.

Causes de décès

L’allongement de l’espérance de vie a éga- lement modifié les causes du décès. On ne meurt plus aujourd’hui pour les mêmes raisons qu’autrefois. Les maladies de la vieillesse comme les maladies cardio-vas- culaires, le cancer et la démence ont sup- planté les maladies infantiles et les infec- tions dans les principales causes de décès.

Avec l’avancée en âge, les syndromes dé- mentiels augmentent. En Suisse, ils appa- raissent – sous le terme générique de dé- mence – au 3ème rang des causes de décès

après 85 ans pour les hommes, au 2ème rang pour les femmes (OFS, 2009). Les maladies incurables et évolutives allon- gent la période précédant le décès et la po- lymorbidité est de plus en plus fréquente, ce qui rend les trajectoires imprécises et les prises en charge davantage médicali- sées.

Une nouvelle sensibilité face au mourir

Perçue dès les années 1960 tant comme le symbole de la toute puissance d’une mé- decine curative, techniciste et inhumaine, considérée comme incapable d’accompa- gner les mourants et leur famille que com- me l’une des manifestations du refoule- ment et de la désocialisation de la mort qué par ces institutions tend à faire pas-

ser la question de la mort au second plan, bien que les décès y soit très fréquents.

Cet article se propose de revenir sur ces paradoxes et notamment de poser quel- ques jalons en vue de comprendre com- ment la définition des EMS en tant que

«lieux de vie» est mise à l’épreuve par la mort, notamment lorsqu’elle concerne des personnes âgées qui sont considérées comme incapables de discernement.

Une géographie de la mort transformée

Au milieu du siècle passé, la majorité des décès se déroulaient à domicile, mais la mort s’est peu à peu déplacée vers les ins- titutions – les hôpitaux et les établisse- ments médico-sociaux (EMS) –, et ceci malgré le souhait de la majorité de la po- pulation de mourir chez soi. Depuis quel- ques décennies, ce sont essentiellement les structures d’hébergement pour per- sonnes âgées qui font varier la statistique des lieux de décès. En effet, si les parcours de fin de vie des âgés sont souvent mar- qués par des allers-retours entre l’EMS et l’hôpital, le décès se produit finalement souvent en EMS. Par ailleurs, plus on vieillit, plus la probabilité de mourir en EMS augmente: plus de la moitié des dé- cès de personnes de 85 ans et plus se sont déroulés dans les EMS, ce taux passant à

«L’approche bio-psycho-sociale accorde

une place centrale au patient et coexiste

avec l’approche biomédicale spécialisée.»

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www.sbk-asi.ch >Fin de vie >Soins palliatifs >EMS

Miser sur la vie

La mort fait partie du quotidien des EMS: par année et selon les établisse- ments, un quart à un tiers des résidants vont décéder et seront remplacés par des entrants (le taux d’occupation annuel des EMS avoisine le 100%). Des études sur les EMS mettent en évidence la pré- sence de la mort au cœur de ces établis- sements, mais également les pratiques permettant habilement d’y faire face (Anchisi, 2011).

Depuis quelques années, les institutions socio-sanitaires hébergeant des per- sonnes âgées ont pour principale carac- téristique de se définir comme des «lieux de vie». Résultant de la culture géronto- logique des années 80, cette évolution est présentée comme l’avènement d’une nouvelle modalité de prise en charge qui laisse davantage de place aux choix per- sonnels et aux parcours singuliers. Le modèle des «lieux de vie» peut être vu comme un cadre global normatif qui structure l’action collective des profes- sionnels sur le terrain autour des «pro- jets de vie» des résidants bien que ceux- ci soient de moins en moins aptes à se projeter dans le temps. Il est aussi à lire comme une sorte de «ciment symbo- lique» (Strauss, 1992) renvoyant à une stratégie collective pour faire face aux décès des résidants. Confrontés plu- sieurs fois par année, parfois par semai- ne, à la mort des pensionnaires, les pro- fessionnels sont amenés à se protéger de la dangerosité et de la contagiosité que

représente la mort d’un point de vue anthropologique. Des notions comme le lieu de vie, projet de vie ou encore his- toire de vie, ainsi que divers rites créés par les soignants, (Anchisi, 2011) ser- vent aussi à cela: réassigner une place à la mort, proche mais imprévisible et mi- ser sur la vie.

Face à cette tension entre lieu de vie et lieu de mort, la forme que prend la fin de vie en EMS dépend aussi en grande partie des compétences du personnel soignant, du statut de santé cognitif des résidants, ainsi que du nombre de per- sonnes impliquées dans les soins et de la communication effective avec les fa- milles. Salis Gross (2001) rejoint ce constat en montrant que la trajectoire du mourir – agressive ou sereine – dans les établissements pour personnes âgées est un processus dont l’histoire se co-cons- truit au travers des interactions quoti- diennes entre le personnel et le ou la résidante jusqu’à la phase finale jugée irréversible.

Conclusion

Si les critères de la fin de vie sont défi- nis par les unités de soins palliatifs, la clientèle des EMS ne s’y réduit pas. En- trer en EMS sous-entend d’y finir sa vie, certes, mais la durée de la trajectoire reste cependant incertaine. Les aménage- ments sont nécessaires tant au niveau des professionnels qu’à celui de l’éta- blissement de soins amenés à se situer hors du champ de la mort. Les premiers

«reconstruiront» un résidant, une rési- dante – notamment à l’aide de son his- toire de vie – lui permettant de le repla- cer sur l’axe du temps et lui rendant une épaisseur biographique comme indivi- du, alors même que celui-ci est le plus souvent incapable, de par ses atteintes, de se définir lui-même. L’institution, se distançant du mouroir, se positionne comme lieu de vie, notion fédératrice qui recouvre une réalité effective et, simultanément, masque une évidence difficile à admettre.

Bibliographie citée

Anchisi A.(2011). Passer à table le jour de l’entrée d’un parent en établissement médico- social, entre repas d’accueil et repas de deuil.

Tsantsa, revue de la société suisse d’ethnolo- gie, 16, 29–37.

Castra M.(2003). Bien mourir: sociologie des soins palliatifs. Paris: Presses Universitaires de France.

Österlind J., Hansebo G., Andersson J., Ternestedt B.-M. & Hellström I.(2011). A dis- course of silence: professional carers reaso- ning about death and dying in nursing homes.

Ageing and Society, 1–16.

Rimbert G.(2011). Vieillards sous bonne garde, réparer l’irréparable en maison de retraite, Bellecombe-en-Bauges: Le Croquant.

Salis Gross C.(2001). Der ansteckende Tod.

Eine ethnologische Studie zum Sterben im Altersheim. Frankfurt/New-York: Campus.

Strauss A.(1992). La trame de la négociation.

Sociologie qualitative et interactionniste.

Textes réunis et présentés par Isabelle Baszan- ger. Paris: L’Harmattan.

Une bibliographie complète peut être obte- nue auprès des auteures.

«On peut souligner que les soins pallia- tifs ont contribué à forger l’image d’une

‹bonne mort› que

le mourant réalise

en franchissant des

étapes codifiées.»

Références

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