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La responsabilité médicale

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LE JURISTE SECTION DIRIGÉE PAR JEAN CARBONNIER

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COLLECTION SUP

La responsabilité médicale

GEORGES BOYER CHAMMARD Docteur en droit Ancien Avocat et ancien membre du Conseil de l'Ordre des Avocats au Barreau de Lille

Magistrat PAUL MONZEIN Docteur en droit, Docteur en médecine Lauréat de l'Académie de médecine Président de Chambre à la Cour d'Appel de Paris

Préface de Paul Castaigne Doyen de la Faculté de Médecine Pitié-Salpêtrière de Paris

PRESSES UNIVERSITAIRES DE FRANCE 1974

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Dépôt légal. — 1 édition : I trimestre 1974

@ 1974, Presses Universitaires de France Tous droits de traduction, de reproduction et d'adaptation

réservés pour tous pays

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Préface

Rédiger, à l'usage des médecins, un livre destiné à leur expli- quer les lois, décrets, arrêtés, circulaires (avec la jurisprudence qui en découle ) qui sont susceptibles de s'appliquer à eux-mêmes, à leurs patients, à leurs collaborateurs, tout au long de l'exer- cice de leur profession constitue de la part des auteurs un acte de courage et un acte de foi.

C'est un acte de courage car on sait que les médecins, dans leur grande majorité, ont vis-à-vis du vocabulaire juridique une certaine répulsion. On sait que les exégèses des textes réglemen- taires les laissent souvent indifférents. On sait surtout que s'est fréquemment dressée une barrière d'incompréhension réciproque entre deux professions, qui pourtant sont beaucoup plus complé- mentaires qu'antinomiques, celle des juges et celle des médecins.

Que, dans ces conditions, un magistrat, ancien juge d'instruc- tion, actuellement président de Chambre à la cour d'appel de Paris, un ancien membre du Conseil de l'Ordre des Avocats, chargé de cours à la Faculté de Droit, aient le courage de s'adresser aux médecins pour leur expliquer le comment et le pourquoi de telle procédure, la signification, de telle demande d'enquête, la fin visée par telle demande d'expertise, représente pour les médecins une chance inestimable qu'ils ne devraient pas laisser passer. Car ces hommes ont eu à connaître des quantités d'affaires concernant la médecine et les médecins. Ils ont au- jourd'hui à juger ces mêmes affaires. Ils en connaissent le dérou- lement matériel, ce qui est important, mais surtout psycholo-

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gique, ce qui est capital. Ayant vu les problèmes tant du côté du juge que de celui de la défense, ils nous les expliquent de telle sorte que tous ceux qui veulent bien faire l'effort de lire l'ouvrage le comprendront.

Que M. Boyer Chammard, spécialisé depuis de nombreuses années dans le droit de la Santé, ait réussi à rendre compré- hensibles au profane les aspects administratif et civil de la respon- sabilité médicale résulte d'un acte de foi dont bénéficieront tous ceux dont les connaissances juridiques sont modestes.

Cette étude de la « Responsabilité médicale » est en même temps l'acte de foi d'un homme qui croit en son métier de méde- cin et qui pense pouvoir communiquer par ce livre le point de vue des médecins à ceux qui sont chargés d'instruire et de juger les affaires concernant la médecine.

Car l'on a deviné que l'un des auteurs de ce livre a deux métiers. Le Docteur Monzein consacre une partie de son temps à l'hôpital. Son cursus médical universitaire fut remarquable.

Son activité postuniversitaire ne l'est pas moins. Inséré dans une équipe où les soins aux malades, l'exploration fonction- nelle et la recherche sont étroitement intégrés, le Docteur Monzein a fourni un travail considérable et rend aux malades d'éminents services.

Au Palais de Justice M. Monzein préside une Chambre qui statue sur des affaires parmi les plus délicates.

Ayant le privilège de connaître ce double auteur en une seule personne depuis l'époque, lointaine pour nous deux, où nous étions écoliers ensemble, je peux ajouter que ce juge et médecin est aussi et peut-être surtout un homme de bien et que c'est un grand honneur pour moi que d'avoir été appelé à préfacer un tel livre.

P Paul CASTAIGNE, Doyen de la Faculté de Médecine Pitié-Salpêtrière de Paris.

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Introduction

Dans le domaine de la responsabilité l'un des premiers secteurs d'application a été celui de la responsabilité médi- cale. On en trouve la preuve sur les stèles du Code d'Ham- mourabi, dans un texte gravé il y a plus de quarante siècles.

Tous les éléments constitutifs de l'infraction s'y trouvent précisés, la sanction y est fixée : « Si le médecin traite un homme libre, d'une plaie grave, avec le poinçon de bronze et le tue, ou si, avec le poinçon de bronze, il lui crève un œil, on lui coupera la main. »

Au cours des siècles qui ont suivi, la notion d'une faute commise par le médecin et, par suite, l'existence d'une responsabilité médicale, susceptible de donner lieu à sanc- tions pénales et à dommages-intérêts, ont été abandonnées.

Sans doute faut-il y voir la conséquence du fait que, pen- dant une longue période et dans de nombreuses sociétés, la fonction médicale, exercée par les prêtres ou par les sor- ciers, a revêtu un caractère religieux ou magique. Les traite- ments appliqués au cours des temps anciens présentaient alors un caractère empirique. Les résultats ne pouvaient qu'être aléatoires... Pendant des siècles, malades, blessés et même médecins se devaient de considérer l'évolution du mal sous l'aspect inéluctable d'une manifestation de la volonté divine. Qui n'a présent à l'esprit l'aphorisme célèbre :

« Je le soignais, Dieu le guérit... »

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Face à une telle conception, la mise en accusation du médecin, la contestation de sa science, constituaient une absurdité : la guérison ou la mort relevaient de Dieu seul.

L'empreinte religieuse était telle que la seule attitude possible, face à l'événement, était l'acceptation. Se révolter contre l'échec d'un traitement aurait été puéril et malséant, c'eût été mettre en doute la puissance de Dieu ou refuser d'admettre la décision du Tout-Puissant. Au surplus, jus- qu'aux Temps modernes, la mort était partout présente, dans toutes les familles ; elle frappait à tout âge et tout parti- culièrement les très jeunes. Pour comprendre ce qu'a pu être l'évolution des esprits dans ce domaine il faut se reporter aux statistiques de la mortalité en fonction des âges au cours des siècles et voir l'âge moyen des décès. Il est certain que la mort d'un individu jeune frappe beaucoup plus au XX siècle qu'elle le faisait il y a quelques centaines, voire quelques dizaines d'années, où elle était fréquente.

L'existence d'une responsabilité du médecin ne pouvait d'autre part se concevoir tant que la science n'avait pas atteint un certain niveau, tant que l'art de soigner restait à l'état embryonnaire. Elle ne pouvait se comprendre, alors que, face à une affection déterminée, l'intervention du méde- cin constituait essentiellement l'accomplissement d'un rite, peut-être utile, mais qui, en aucun cas, ne pouvait apporter la quasi-certitude d'une guérison. La notion de responsabilité médicale ne pouvait être dégagée tant que la médecine n'était pas sortie de l'empirisme. Il est parfaitement normal de constater que le nombre des procès en responsabilité suit une courbe de croissance parallèle à celle du progrès scientifique et à celle de l'accroissement du nombre des guérisons qu'il entraîne.

Aussi est-ce seulement depuis une vingtaine d'années que se multiplient les mises en cause du médecin. En dix ans le nombre des procédures engagées dans ce domaine a prati- quement doublé. Actuellement le nombre des affaires pour- suivies contre les médecins augmente de 15 % chaque

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année et la Cour de Cassation, en 1971, pouvait noter dans son rapport annuel, au début du chapitre V, en exorde à l'étude du problème de la « Responsabilité des médecins et chirurgiens » [I] : « Le développement des activités humaines dans tous les domaines entraîne un accroissement parallèle des cas de responsabilité. » On peut s'interroger sur les raisons d'une telle augmentation du nombre des poursuites et sur les faits qui expliquent la multiplication des procédures.

Pendant des siècles, ainsi que nous l'avons noté, le médecin était, avant tout, un thaumaturge. Intervenant en général uniquement lorsque la vie du patient était en danger, son pouvoir rejoignait l'action divine. Il soignait, Dieu guérissait... s'il le jugeait opportun. Le titre de Docteur en médecine, décerné avec parcimonie, par quelques facultés, classait son titulaire dans une catégorie privilégiée d'indi- vidus dont les connaissances étaient consacrées par des titres recherchés. L'autorité de ceux qui décernaient les diplômes était telle qu'il ne serait venu à l'idée de personne d'en contester la valeur. La science et la probité intellectuelle du médecin étaient alors attestées par des personnalités jugées comme étant les plus qualifiées ; elles ne pouvaient et ne devaient pas être mises en question.

Peu de personnes au surplus avaient la possibilité de consulter le médecin. Les médecins étaient rares, leurs honoraires élevés. Ceux qui avaient la chance de pouvoir recourir à leur office devaient s'en réjouir... Le public, particulièrement ignorant dans le domaine médical où les initiés cultivaient le secret, n'avait aucune compétence pour formuler des critiques sur des traitements qui ressortaient I. Le nombre des affaires poursuivies en justice représente approxi- mativement 10 % des réclamations soumises aux compagnies qui assurent les médecins. Le total de celles qui sont soumises annuellement tant aux juridictions civiles qu'aux juridictions pénales n'excède pas la trentaine. suivantes. 2. Les chiffres entre crochets renvoient à la Bibliographie, p. 263 et

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souvent de la plus haute fantaisie. L'eût-il voulu qu'il eût manqué des éléments nécessaires pour juger de l'efficacité comparée des thérapeutiques prônées par telle ou telle école. Ces circonstances n'étaient guère favorables à la mise en cause du savoir du médecin. Pendant longtemps le chirurgien s'est entouré d'une auréole de mystère. Paul Valéry, il y a quelques décades, dans son Discours aux chirurgiens pouvait encore noter « l'apparence de liturgie, opération mystique et symbolique » qui entourait alors l'acte chirurgical.

Le temps n'est pas très éloigné où le malade se confiait sans réserve à son « médecin de famille » Il n'en connaissait souvent qu'un seul et le gardait sa vie durant. Il en résultait un lien d'amitié confiante qui rendait difficile la suspicion et la mise en accusation. Actuellement, surtout dans les grandes villes, le médecin est souvent un inconnu auquel le malade s'adresse dans des conditions qui s'apparentent à la banale recherche d'un fournisseur. Le médecin n'est plus l'ami de toujours auquel on a recours chaque fois que se pose un problème de santé quelque peu sérieux, il est celui auquel on a de plus en plus souvent recours, non seulement en raison de sa science et dans les cas graves, mais encore lorsque l'on a besoin de faire établir certains

« papiers » requis par « l'administration » ou « le patron ».

On le paye parfois uniquement pour signer le certificat qui permettra de justifier une absence. La qualité de son rôle ne cesse de se dégrader. Ainsi le rapport entre le malade et le médecin se modifie-t-il de façon foncière au point de faire du médecin un banal fournisseur de service.

Cette évolution s'est amorcée à une époque où la science médicale a progressé à pas de géant. Après une longue période de stagnation et d'empirisme, la médecine a pris un nouvel essor à la fin du siècle dernier. La chirurgie, généralement vouée à l'échec avant la découverte de l'anes- thésie et dans l'ignorance des règles de l'aseptie, est née à la fin du siècle dernier. Avec l'avènement des antibiotiques,

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ce qui était impensable il y a quelque vingt ans est devenu de pratique courante. Il n'était pas anormal il y a un demi- siècle que le taux de mortalité des opérés atteigne ou même dépasse 50 %. Les statistiques de Malgaine, établies entre 1836 et 1841, font état de 75 010 de morts chez les hernieux opérés, de 100 % chez les trépanés. Actuellement, grâce aux techniques de réanimation que l'on peut mettre en œuvre, chaque décès paraît anormal ou du moins pose une question.

Comme le notait le P Jean Bernard au cours d'une réunion sur l'expérimentation médicale tenue à Paris le 11 décembre 1972 à l'initiative du Club européen de la Santé : « En trente ans, la médecine a fait plus de progrès qu'elle en avait fait en trente siècles. » Dans le domaine médical les résultats obtenus par les chercheurs poussent les cliniciens à entreprendre des traitements que personne n'aurait osé il y a seulement quelques années. Alors que le médecin du siècle dernier reconnaissait son impuissance et se bornait à soulager le patient, quitte parfois à abréger sa vie de quelques heures ou de quelques jours en se limitant à donner des analgésiques dont il n'ignorait pas le danger, le médecin moderne se refuse généralement à ne pas engager de combat avec la mort. Même s'il n'a que très peu de chances de sauver son malade, il renonce rarement et tente parfois l'impossible. Ce faisant, il réduit les marges de sécurité que se créaient ses prédécesseurs en laissant le patient seul avec son mal. Pour réussir, le médecin accepte délibérément de voir augmenter ses possibilités d'échec, par suite, il s'expose à la multiplication des poursuites contre lui.

Actuellement, l'acceptation du « risque thérapeutique » est couramment admise par le corps médical. Ce risque, soigneusement déterminé, est mis en balance avec la gravité de l'affection à soigner et les chances de guérison. Le méde- cin doit en effet se décider en fonction d'un équilibre à trouver entre les différents dangers auxquels le malade doit faire face (aussi bien du côté de la maladie que du côté

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du traitement envisagé) et l'avantage escompté de la théra- peutique à mettre en œuvre. En effet, si l'on peut prendre d'autant plus de risques que l'on a moins à perdre, encore faut-il que l'on puisse raisonnablement espérer gagner.

D'autres facteurs entrent également en ligne de compte pour expliquer l'augmentation du nombre des poursuites.

L'apparition de la Sécurité sociale et son extension progres- sive ont profondément modifié la mentalité des malades.

Au cours d'une table ronde sur la responsabilité médicale [2]

tenue en 1970, le P Marcoux faisait remarquer que : « Le malade a — comme on le lui affirme — un « droit à la santé ».

Le malade n'est plus seulement un malade, il est également un « assuré », il envisage ainsi ce fameux « droit à la santé »

— que nul n'a défini — comme étant un droit à la guérison. » Le malade confond volontiers le droit aux soins avec une obligation qu'il met à la charge du médecin : celle de le guérir. Si le médecin échoue, le malade ou sa famille n'hésite pas à suspecter une erreur, à accuser celui qui a donné les soins de négligence, à voir une faute caractérisée dans le fait même de l'échec, à taxer d'incompétence celui qui a lutté contre la maladie... Ses exigences se multiplient : à l'affirmation qu'il ne fallait pas intervenir, que la technique choisie n'était pas la meilleure, répondent en écho les cri- tiques : « on aurait dû opérer » ou encore « on a trop attendu avant de se décider à intervenir ». Comme le signalait le D Jean-François Lemaire lors du XVI Colloque de Médecine de France, le 6 janvier 1972 [3], « le désir d'avan- tages matériels, qu'il relève de mobiles inavouables, comme le suscitent certains spécialistes de contentieux rôdant autour des hôpitaux ou, plus naïvement, celui de compenser d'une manière ou d'une autre la perte économique que représente pour la famille la mort du malade entrent en ligne de compte. Il faut un responsable et celui-ci « peut » être l'hôpital. Dans tous les cas, il n'y a pas lieu de se priver d'intenter une action, puisque ce n'est pas l'intéressé qui paiera de ses deniers, mais son assurance ».

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Pour pouvoir engager une poursuite avec quelque chance de succès, il est nécessaire d'être renseigné sur ses droits et sur ce qu'il convenait de faire sur le plan médical. Vues sous cet angle, les choses ne sont également plus ce qu'elles étaient naguère. Autrefois, le malade ignorait tout des possibilités de la médecine. Sa seule source de renseigne- ments était son médecin, qu'il croyait sur parole. La confra- ternité, appréciée de façon très stricte, rendait très difficile la critique. Il n'existait aucune publication ayant la préten- tion de donner une information médicale au grand public.

Aucune revue ne publiait alors de ces articles trop som- maires, peu nuancés, qui, mal compris par le lecteur, n'en donnent pas moins à celui-ci l'impression à la fois trom- peuse et dangereuse qu'il possède une science dont il reste très éloigné dans la réalité...

Actuellement, la situation s'aggrave du fait qu'une cer- taine presse à scandales multiplie ses « informations » relatives à des affaires de responsabilité médicale à sensation.

Les comptes rendus d'audience et les commentaires qui les accompagnent marquent d'autant plus dans les esprits qu'ils concernent parfois des personnalités connues et donnent, à tort, le sentiment d'une incurie généralisée.

De tels articles peuvent faire un mal considérable car, par suite de leur diffusion, la faute de quelques individus rejaillit inévitablement sur toute la profession médicale.

La fonction médicale étant désormais désacralisée, tous ces facteurs s'associent pour entraîner une multitude de plaintes, à un rythme tel que le nombre des poursuites pénales s'accroît d'année en année beaucoup plus rapidement que pour les affaires civiles. Une telle situation ne va pas sans entraîner de graves répercussions. Sous l'angle du patient la confiance nécessaire, que tout malade doit porter à son médecin et à son chirurgien, disparaît. Il peut en résulter de sérieuses conséquences dans la conduite et même dans l'efficacité des traitements prescrits, tant il est vrai que le psychisme joue un rôle important au cours de

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l'évolution d'une maladie. Du côté du médecin l'augmenta- tion du nombre des poursuites n'est également pas dépour- vue d'inconvénients graves. Le médecin qui prescrit, le chirurgien qui intervient ne doivent pas le faire sous la menace d'une poursuite, ils doivent pouvoir agir en toute liberté et non en fonction des ennuis que peut leur attirer tel ou tel choix de la thérapeutique.

Il ne faut pas contraindre le chirurgien à mettre en balance, avant toutes interventions, le bien que le malade peut en attendre et les risques que l'opération projetée fera courir personnellement à celui qui aura le courage de l'entre- prendre. Il n'est pas douteux que, si le médecin et le chirur- gien devaient avoir fréquemment à discuter en justice d'un diagnostic, d'un traitement médical ou d'une opération, leur activité deviendrait rapidement impossible. L'obsession de la responsabilité confinerait rapidement à l'inhibition.

Le nombre des colloques, congrès, tables rondes au cours desquels sont évoqués les problèmes de la responsabilité médicale atteste de l'actualité de la question, de sa gravité et de la part qu'elle occupe dans l'esprit des intéressés Face aux articles 319 et 320 du Code pénal, qui répriment les homicides et les blessures involontaires résultant de la maladresse, l'imprudence, la négligence, l'inattention ou l'inobservation des règlements, en présence des dispositions de l'article 63 du même Code, qui sanctionne le fait de ne pas porter secours à une personne en danger, bien des mé- decins et surtout les assureurs s'inquiètent de l'application de ces textes. Tous ceux que leur profession appelle à donner des soins médicaux s'interrogent sur ce que deviendra leur activité professionnelle si la tendance actuelle à la mul- tiplication des actions judiciaires s'aggrave. Les appréhen- I. En 1972, un colloque organisé sur le plan régional à Bourg-en- Bresse a réuni 74 participants. Les trois premiers mois de 1973 ont vu se réunir trois colloques dont un, en février, à la Faculté de Médecine de Paris avec la participation du P Lortat-Jacob, président du Conseil national de l'Ordre des Médecins.

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sions du corps médical sont telles qu'à la limite il va même jusqu'à demander que des dispositions particulières, déro- gatoires au droit commun, interviennent en sa faveur pour couvrir certains risques courus par les malades [4].

De leur côté les juristes s'interrogent sur la portée des textes actuellement applicables et s'efforcent de préciser les règles à faire respecter. Dans un domaine où il apparaît que la technicité prend une place chaque jour un peu plus importante, ils tentent de déterminer les cas d'application de la loi et d'en fixer les limites. Pour reprendre les termes du rapport français présenté aux VII Journées juridiques franco-italiennes [5], médecins et juristes « prennent cons- cience du dilemme du médecin placé devant un malade gravement atteint, qui demande des soins urgents. Peut-il refuser son assistance au motif d'un mal qui le dépasse, au risque d'être poursuivi, ou doit-il donner des soins insuffisants, inférieurs au niveau qu'il aurait pu (ou dû ?) atteindre... Dans les deux cas la poursuite devant une juri- diction répressive le guette ».

En fait, pourtant, le nombre des condamnations pronon- cées annuellement par les tribunaux pour des faits concer- nant la responsabilité médicale n'excède pas la trentaine.

Encore convient-il de noter que, dans plus de 50 % de ces cas, il s'agit d'accidents matériels (brûlures, chutes...) et non de fautes purement médicales. Ces nombres témoi- gnent de la qualité de la fonction médicale en France.

Aussi, comme le note le doyen Savatier, « le bon médecin ne pense pas trop à sa responsabilité juridique ». Il n'en reste pas moins que les questions de la responsabilité médi- cale se trouvent aujourd'hui sous le feu des projecteurs de l'actualité. Il est bon de s'efforcer d'en saisir les aspects, de comprendre des décisions, apparemment contradic- toires aux yeux du profane...

Si les victimes de fautes professionnelles médicales ont longtemps hésité à engager des poursuites, les tribunaux ont souvent répugné à faire preuve de sévérité, voire même

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de fermeté. La raison de cet état de fait, qu'il ne faudrait pas interpréter comme la marque d'une indulgence cou- pable, est simple. Les magistrats n'ignorent pas à quel point peut être traumatisante une poursuite engagée contre un médecin ou un chirurgien pour une erreur de diagnostic ou de traitement. Ils savent quelles seraient les conséquences d'une excessive rigueur dans ce domaine et l'avocat général Brouchot, commentant un arrêt rendu par la Cour de Cassa- tion le 21 février 1946 [6] a pu écrire, sans être désavoué par ses collègues ou par d'autres commentateurs, qu'une application trop stricte de la loi, si elle devenait la règle, conduirait à placer l'exercice de la médecine « sous la menace d'une éventuelle condamnation pénale ».

Il ne faut pas perdre de vue que, s'il est nécessaire de prendre en compte les légitimes intérêts des malades, la fonction médicale doit également être défendue contre tout excès. De toutes les professions la fonction médicale est une de celles qui exposent le plus celui qui l'exerce à des actions en dommages-intérêts et même à des actions pénales.

Elle est de celles pour lesquelles les résultats espérés ne peuvent jamais être assurés avec une garantie absolue.

Quelle que soit la science du médecin, quelle que soit son attention, le diagnostic présentera un certain degré d'incer- titude, qui, pour être souvent minime, n'en sera pas moins présent. Quelle que soit la capacité du chirurgien, la théra- peutique qu'il mettra en œuvre présentera toujours un certain risque et une possibilité d'échec qui se traduiront nécessairement sur le plan physique. La maladresse, l'im- prudence, la négligence, l'inattention ou l'inobservation des règlements, lorsqu'elles se produiront dans le domaine pro- fessionnel, pourront conduire le médecin ou le chirurgien non seulement devant le tribunal civil, mais encore devant le juge pénal. La critique étant particulièrement aisée en l'espèce, on voit avec quelle prudence il convient d'analyser tout ce qui peut être imputé, reproché comme faute au médecin.

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Si la notion de « responsabilité médicale » tend à s'étendre

— à tel point que les médecins n'hésitent pas à discuter de la responsabilité collective du corps médical — nous n'aborderons dans cet ouvrage que la responsabilité juridique du médecin.

A ne considérer que cet aspect traditionnel de la respon- sabilité médicale, le juriste se trouve cependant embarrassé pour en entreprendre l'étude. L'obligation du médecin est une obligation de moyens et non de résultat. Le médecin est tenu d'apporter au malade des soins d'une certaine qua- lité, il ne peut être tenu pour obligé de guérir. Que l'on se trouve devant la juridiction administrative, civile, ou pénale, la notion de faute dominera toujours le débat. Il en sera ainsi, même si la faute présente souvent, en fait, une gravité plus grande dans les affaires soumises aux juridictions pénales. Toute division s'efforçant de trouver des règles spécifiques à telle ou telle branche du droit, dans le domaine de la responsabilité médicale, présenterait une part d'arti- ficiel. C'est pourquoi, plutôt que de s'efforcer de construire un système juridique complexe, préférerons-nous examiner successivement comment se présentent, en fait, les différents aspects de la responsabilité médicale. Ainsi les praticiens

— qu'ils soient juristes ou médecins —, les particuliers désireux de savoir comment est appréciée la responsabilité médicale, devant le tribunal administratif, le tribunal civil, ou le tribunal répressif se retrouveront-ils plus facilement dans le dédale d'une matière exceptionnellement étendue.

Cette classification, pour simpliste qu'elle paraisse, pré- sentera l'avantage de permettre de trouver plus rapidement la réponse à telle ou telle question qui, dans la pratique, ne se pose habituellement que devant un type de juridiction déterminée.

Le lecteur ne devra toutefois jamais oublier que les prin- cipes dégagés par une juridiction donnée présentent souvent un caractère de généralité et qu'ils conservent toute leur valeur quelle que soit la nature de la juridiction qui a connu

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de l'affaire. Il devra se souvenir que, du fait même de l'uni- cité de la faute, toute solution adoptée par une juridiction peut trouver sa transposition devant une autre juridiction.

Que les questions de responsabilité médicale soient à l'heure actuelle, dans le monde entier, d'une particulière actualité n'est pas douteux. D'ailleurs récemment en ouvrant à Gand (Belgique), le 19 août 1973, le III Congrès mondial de Droit médical, le P Van Agt, ministre de la Justice des Pays-Bas, confirmait sans réserve notre propos en affirmant que les profondes mutations survenues dans l'exercice de la médecine soulèvent un problème de plus en plus déli- cat [6 bis]. Il est de fait, a-t-il dit en substance, que la médecine ne peut plus être exercée comme autrefois. Jus- qu'à ces dernières années, le médecin exerçait sous sa propre autonomie et sous sa seule autorité. Actuellement le méde- cin travaille souvent dans un hôpital ou, en tout cas, il collabore souvent avec un hôpital vers lequel il dirige ses patients. Il dépend donc de plus en plus de ses collègues, de ses collaborateurs et de ses instruments. Le médecin est ainsi confronté avec des problèmes qui ne sont pas de sa compétence et, d'autre part, des professions non médicales sont conduites à s'intéresser à des domaines jusque-là réservés aux seuls médecins Ne prenons qu'un exemple : tout le monde est d'accord pour dire qu'il faut protéger la vie. C'est du droit pénal. Mais quelle « vie » faut-il protéger ? L'homme n'a-t-il pas un droit ? Celui de pouvoir mourir d'une façon digne.

Telles sont, schématiquement brossées, les raisons pour lesquelles les problèmes relatifs aux diverses sortes de responsabilités médicales sont actuellement d'un intérêt essentiel.

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PREMIÈRE PARTIE

La responsabilité médicale sur le plan administratif

Comme l'a fort bien noté récemment Mme Questiaux [7], il est indéniable que dans tous les domaines de la médecine

« des responsabilités nouvelles naissent pour le médecin d'une profonde transformation de la société ». Et un fait objectif marque cette transformation! Nous constatons, en effet, depuis une dizaine d'années que les médecins et chirurgiens semblent de plus en plus disposés à exercer leur activité professionnelle dans le cadre du service public.

Certes, l'hospitalisation privée reste forte et vivante, et les médecins exerçant à titre libéral sont les plus nombreux.

Mais les hôpitaux, lieux privilégiés à notre avis de certaines grandes interventions comme les greffes, possèdent à côté d'un manque d'équipement, régulièrement dénoncé ici ou là, des installations à la pointe du progrès. Ils accueillent les plus grands maîtres de la science médicale actuelle et atti- rent de plus en plus de jeunes médecins qui semblent se plier volontiers aux disciplines du service public, car pour tout ou partie de leur activité à l'hôpital « ils deviennent sinon des fonctionnaires du moins des agents publics ».

Certes, même à l'hôpital, l'activité des médecins et chirur- giens conserve ce qui fait le caractère particulier de la fonction médicale. Mais, comme dans tous services publics,

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elle obéit aux règles bien définies de la responsabilité de la puissance publique.

Equilibre donc à trouver et à conserver entre les obliga- tions du praticien envers le malade et les règles adminis- tratives, établies en dehors de l'activité médicale : règles qui, dans la contrepartie d'une indemnisation toujours plus large, mettront le malade face à une administration et non à son médecin. Dans quelles conditions et selon quelles modalités, cet équilibre s'organise-t-il actuellement dans notre droit ?

I. L'ABSENCE DE CONTRAT MÉDICAL EN MÉDECINE HOSPITALIÈRE

Médecins et chirurgiens peuvent exercer leur activité, soit de façon privée, soit dans le cadre des services publics hospitaliers. Dans un cas comme dans l'autre, les textes répressifs du Code pénal peuvent être invoqués en cas de faute très grave depuis les textes généraux des articles visant l'homicide et les blessures involontaires jusqu'aux textes plus particuliers comme celui qui sanctionne l'omis- sion de porter secours. Si, par principe, c'est la juridiction administrative qui est compétente pour apprécier la respon- sabilité des médecins et chirurgiens exerçant leur activité dans le cadre du service public, il n'en reste pas moins qu'en cas de faute très grave la victime peut déposer une plainte selon les règles de la procédure pénale. Un juge d'instruction ouvrira un dossier, sa décision finale pouvant consister, soit en une ordonnance de non-lieu, soit en un renvoi devant les tribunaux répressifs. De tels cas restent heureusement très exceptionnels.

Mais, ce qui différencie essentiellement le médecin exer- çant à l'hôpital de celui qui pratique la médecine privée, c'est, dans le premier cas, l'absence de relations juridiques particulières entre le médecin et le malade.

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On verra que, depuis 1936, la jurisprudence civile décide que les relations juridiques entre malade et médecin s'ana- lysent en un contrat d'où découle pour le médecin un certain nombre de conséquences. Au contraire, au sein des services publics, il n'existe pas de lien contractuel entre le malade et le médecin. C'est qu'en effet on ne peut pas parler d'un contrat médical hospitalier comme on parle d'un contrat médical en médecine privée. Les experts les plus éminents, tel le doyen Savatier [8], ont employé l'expression de « contrat hospitalier ». Il pourrait être satisfaisant pour le juriste de considérer selon les cas, soit un contrat hospitalier, régi par les règles de la responsabilité administrative, soit un contrat médical de droit privé obéissant aux textes du Code civil.

Mais la thèse contractuelle en médecine hospitalière ne semble résister avec succès ni à la critique des auteurs ni au droit positif. L'un de ceux-là [9] écrit non sans raison :

« Il ne saurait s'agir d'un contrat pour Duguit et pour Jèze mais d'une rencontre de deux volontés qui se meuvent sur des plans différents ; l'usager s'engage individuellement par un acte d'adhésion tandis que le service public dispensateur se borne à fixer, par voie générale, les règles de fonctionne- ment qui comportent notamment les conditions auxquelles les adhérents éventuels pourront recevoir les prestations, sans s'engager spécialement. Il n'y a pas un contrat mais simplement deux actes unilatéraux : un acte-règle qui est la loi du service et un acte-condition qui est la marque de la volonté de l'usager. » Quant au droit positif, il est, dit M. Jacques Moreau, « indéniable qu'il condamne la thèse contractuelle » [10]. Il en voit la preuve dans un arrêt du Conseil d'Etat de 1967 [II]. L'affaire trouvait son origine dans une opération subie au service O.R.L. du C.H.U.

de Montpellier par une enfant restée paralysée du visage.

Le père de l'opérée faisait état d'une faute de service résultant du fait que, lors d'une intervention privée, le chef de service lui avait promis de pratiquer personnellement

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l'intervention. En fait, elle avait été pratiquée par le chef de clinique de service. Contrairement aux premiers juges, le Conseil d'Etat considéra « qu'il n'y avait pas faute dans le fonctionnement du service au motif que les collaborateurs qualifiés d'un chef de service hospitalier, pourvus du diplôme de docteur en médecine, sont habilités, concurremment avec ce dernier, à accomplir les actes médicaux requis par l'état des malades admis dans le service et relevant des attri- butions qui leur ont été confiées ». Pour M. Moreau, c'est bien « la preuve que les décisions contractuelles passées entre un malade et un médecin hospitalier ne peuvent déroger au règlement du service ou, si l'on préfère, que les garanties du droit public dérivent d'un statut et non d'un contrat médical comme en droit privé ». Donc pas de contrat de quelque forme que ce soit entre le médecin hospi- talier et le malade. Et pas de contrat non plus entre celui-ci et l'hôpital ; le Conseil d'Etat estime en effet que la puis- sance publique se trouverait diminuée ou amoindrie si elle était rabaissée au rang des volontés individuelles. Bien entendu comme en médecine libérale le but de la médecine hospitalière est toujours de soigner ; les obli- gations du médecin à l'égard du malade restent pour l'essentiel les mêmes tant en ce qui concerne la pose du diagnostic que le choix d'une thérapeutique appropriée et convenable, la nécessité d'éclairer le malade et enfin de conduire un traitement ou d'exécuter une intervention avec tout le soin désirable. Mais la caractéristique essentielle des médecins hospitaliers qui ne sont pas liés à leurs clients par un contrat est d'avoir la qualité d'agents publics. Il suffira de rappeler immédiatement que, si cette qualification d'agent public des médecins hospitaliers a été parfois discutée, elle ne l'est plus jamais dans la jurisprudence actuelle ; en effet, les médecins hospitaliers restent parfaitement indépendants sur le plan purement médical ; ils ont à l'égard de leurs malades des devoirs humains et techniques semblables à ceux des médecins privés. La seule dépendance qui pèse sur eux

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en tant qu'agents publics ne concerne que l'aspect adminis- tratif de leur fonction.

Les limites de cet ouvrage ne nous permettront pas d'énu- mérer et de décrire l'ensemble des services publics concer- nant l'activité médicale. Certains de ces services sont pure- ment administratifs, comme le ministère de la Santé qui contrôle l'activité médicale. Mais ce n'est pratiquement pas dans ces services administratifs que des problèmes de res- ponsabilité médicale peuvent se poser ; c'est au sein de services publics qui ont pour fonction l'administration des soins ou des tâches de contrôle, et de prévention. Il s'agit de façon générale des hôpitaux pour les soins et des différents médecins contrôleurs (en matière scolaire ou profession- nelle notamment) pour le contrôle et la prévention. Dans le cadre hospitalier, le lien entre le médecin et le malade est le service public ; c'est dans leur rapport avec celui-ci que s'établissent les relations des malades, usagers du service public, ou des médecins, collaborateurs du même service public. A défaut de relations contractuelles marquées par l'absence de choix libre du praticien et par l'absence d'accord sur les honoraires, il n'existe entre les malades et les méde- cins que des relations objectives. Cet état de choses entraîne un certain nombre de conséquences. Sauf le cas, au demeu- rant très rare, de la faute personnelle d'un médecin sans lien avec le service public, la responsabilité des établisse- ment hospitaliers est substituée à celle des médecins et chirurgiens et ce sont les juridictions administratives qui sont compétentes. Comme dans la médecine libérale, c'est la faute qui fonde la responsabilité, encore que dans quelques cas expressément prévus par le législateur il existe une responsabilité pour risque. Compte tenu de ce que les méde- cins et chirurgiens du secteur public exercent leur activité dans un hôpital, on peut distinguer les actes médicaux, les actes de soins et les actes d'organisation du service, la définition de la faute obéissant dans chaque hypothèse à des critères différents, faute lourde en matière médicale et faute

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simple lorsqu'il s'agit de l'organisation des soins ou du service. Hors le cas de faute personnelle détachable du ser- vice, la règle est donc celle de l'irresponsabilité personnelle des médecins et des chirurgiens exerçant dans les établisse- ments hospitaliers publics. Nous examinerons aussi la situa- tion des internes ou externes et des élèves infirmières sta- giaires, ainsi que les problèmes soulevés par la responsabilité susceptible d'incomber aux hôpitaux psychiatriques. Enfin le chapitre VII sera consacré à ce que le doyen Savatier a appelé, dans une formule célèbre et frappante, les « îlots de droit privé », c'est-à-dire, à l'intérieur des hôpitaux publics, les secteurs privés et les cliniques ouvertes.

2. SUBSTITUTION DE LA RESPONSABILITÉ DES ÉTABLISSEMENTS HOSPITALIERS A LA RESPONSABILITÉ DES MÉDECINS OU CHIRURGIENS ET COMPÉTENCE DES JURIDICTIONS ADMINISTRATIVES Ce n'est que récemment, par un arrêt de 1957, que le Tribunal des Conflits a tranché la controverse qui opposait les juridictions judiciaires à la juridiction administrative.

Jusqu'à cette décision, les jurisprudences respectives du Conseil d'Etat et de la Cour de Cassation étaient opposées et inconciliables et un arrêt de principe était nécessaire pour mettre fin à une situation regrettable tant pour les médecins que pour les justiciables.

A) Jusqu'aux arrêts du Tribunal des Conflits du 25 mars 1957

La question qui s'est posée jusqu'en 1957 était une ques- tion de compétence. Actuellement, on admet la compétence administrative pour la réparation des dommages causés par l'activité des médecins hospitaliers. Mais les juridictions judiciaires dont la compétence entraînait des conséquences

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différentes ont tenté avec force de faire reconnaître leur propre compétence ; ce sont certains tribunaux et cours d'appel qui ont soutenu ce point de vue [12].

La thèse des magistrats civils était que le médecin hospi- talier exerce son art en toute indépendance, qu'il est affranchi à ce sujet de toute directive et contrôle des autorités hospi- talières et qu'ainsi il ne peut être considéré comme le pré- posé de l'administration au sens de l'article 1384 du Code civil. Pour eux, la responsabilité de ce médecin indépen- dante de celle de l'établissement hospitalier était non la responsabilité d'un agent public mais celle d'un simple particulier, relevant comme tel de la juridiction judiciaire.

Ce raisonnement conduisait cette juridiction judiciaire, après s'être déclarée compétente, à appliquer au médecin hospi- talier le même régime de responsabilité qu'au médecin privé.

La Cour de Cassation, pour sa part, avait pris dès 1935 [13]

une position contraire en affirmant qu'il n'appartenait qu'à l'autorité administrative de déclarer la responsabilité civile d'un établissement public, tel qu'un hospice, à défaut d'un défaut d'organisation ou d'une faute d'un agent.

Quoique la Cour suprême restât réticente, on put noter un arrêt de la Chambre des requêtes du 30 novembre 1938 [14]

posant le principe que lorsque la faute à imputer à un méde- cin des hôpitaux ne se rattache pas au fonctionnement du service public d'assistance médicale, mais uniquement à l'exercice technique de son art, c'est aux tribunaux judi- ciaires qu'il appartient de connaître la demande d'indemnité formée contre le médecin. Mais c'est essentiellement la résistance des juges du fait qui amena la Cour de Cassation à rendre, à partir de 1956, une série d'arrêts de la Chambre civile revendiquant la compétence judiciaire, au prétexte que le fonctionnement défectueux du service public per- mettait de déceler la faute personnelle du médecin hos- pitalier.

Par ses trois arrêts d'octobre 1956 et janvier 1957 [15], la Cour de Cassation a estimé de façon très nette que les

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faits qui étaient reprochés aux trois médecins mis en cause constitueraient le cas échéant un « manquement à leurs devoirs proprement médicaux » ayant le caractère « d'une faute personnelle détachable de leurs fonctions adminis- tratives ». Dans l'affaire jugée le 9 octobre 1956, il était reproché au médecin-chef de l'hôpital de Marseille de ne pas avoir donné à une malade soignée pour troubles cardiaques les soins que nécessitait la gravité de son état et d'avoir ordonné son évacuation de l'hôpital. Dans la seconde affaire jugée le 15 janvier 1957, on faisait à un médecin chargé par le préfet d'assurer à la mairie des vaccinations antivario- liques, le reproche d'avoir brûlé le bras d'un enfant avec de l'acide que par erreur des infirmières lui avaient passé à la place d'éther. Il s'agissait enfin, dans la troisième espèce également jugée le 15 janvier 1957, du chirurgien d'un hôpi- tal assigné en responsabilité pour une maladresse dans la réduction d'une fracture ayant entraîné une infirmité.

Ainsi que l'a noté le commissaire du gouvernement Jacques Chardeau [16], « on peut trouver dans les arrêts plus détaillés des cours d'appel les deux motifs » qui ont inspiré la Cour suprême dans ses arrêts. C'est essentielle- ment « l'indépendance des médecins dans l'exercice de leur art ». On considère qu'un médecin doit être entièrement libre et ne dépendre d'aucun pouvoir hiérarchique supérieur lorsqu'il pose un diagnostic ou prescrit une thérapeutique, le médecin devant relever alors de sa seule conscience.

Les juridictions judiciaires étaient également sensibles à la conception selon laquelle la protection de la personne hu- maine et la sauvegarde de son intégrité corporelle relevaient uniquement de leur compétence. En conséquence, pour les juridictions judiciaires, la responsabilité du médecin hospi- talier était indépendante de celle de l'établissement public ; médecins hospitaliers et médecins privés devaient connaître le même régime de responsabilité et relever de la juridiction judiciaire.

Entre la solution judiciaire et celle de la juridiction admi-

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nistrative qui se déclarait, de façon unanime et constante, compétente pour connaître de la responsabilité de l'adminis- tration du fait des activités médicales, il y avait un contraste frappant. La jurisprudence administrative avait une concep- tion restrictive de la faute personnelle, acte détachable de la fonction révélant selon la formule classique, « l'homme avec ses défaillances, ses passions et ses vices ». La distinc- tion propre au droit administratif que l'on ne retrouvait pas dans la jurisprudence judiciaire tenant à la distinction, à l'intérieur de la faute de service, entre la faute d'ordre médical et la faute d'ordre administratif. Les fautes de service d'ordre administratif n'exigeaient pas un caractère de gravité particulier ; par contre, pour les fautes de service d'ordre médical, les juridictions administratives considé- raient que seules les fautes lourdes engageaient la respon- sabilité du service qu'il s'agisse de diagnostics, de décisions thérapeutiques ou de l'exécution des traitements et des interventions.

En résumé, on peut dire que, pendant un certain temps, la Cour de Cassation n'a pas recherché si la faute était ou non lourde ; il lui suffisait qu'elle concernât l'exercice de l'art médical pour se détacher de la fonction. A l'évidence, cette jurisprudence était contraire au principe définissant la responsabilité des collectivités publiques et de leurs agents.

Pour sa part, le Tribunal des Conflits persistait à appliquer la distinction générale des fautes de service et des fautes personnelles fondée sur des critères traditionnels. Dans sa grande majorité, la doctrine considérait que la thèse judi- ciaire était contestable, voire indéfendable. Pour l'ensemble des auteurs, il n'y avait aucune raison de ne pas suivre, à propos des médecins hospitaliers, les règles générales appliquées, en droit français, aux problèmes de respon- sabilité de l'administration du fait de ses collaborateurs.

Au demeurant, la doctrine de la Cour de Cassation appor- tait une complication certaine dans la répartition des compé- tences entre les deux ordres de juridiction.

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B) Depuis les arrêts du Tribunal des Conflits du 25 mars 1957 A l'occasion de deux affaires, l'affaire Chilloux et l'affaire Isaad Slimane, le Tribunal des Conflits a mis fin aux divergences entre les jurisprudences judiciaires et administratives. Etant donné l'inté- rêt qui s'attache à ces deux décisions, il n'est pas inutile de rappeler brièvement quels étaient les faits [17]. Ceux de l'affaire Slimane sont assez simples. Le 3 juin 1953, Slimane tombe d'un arbre au cours de son travail ; à l'hôpital de X... où il est transporté, le chef du service de chirurgie, le D M..., diagnostique une contusion lombaire sans lésion osseuse ; après quinze jours d'observations, Slimane quitte l'hôpital. Mais plus tard, admis dans un hôpital d'Avignon, il est reconnu atteint d'une fracture vertébrale. Le 4 août 1955 il assigne le D M... et l'hôpital de X... en dommages et intérêts devant le tribunal civil d'Apt, au motif que l'absence de soins que nécessitait son état a aggravé les conséquences de sa fracture.

Le préfet du Vaucluse décline la compétence du tribunal civil pour apprécier la responsabilité encourue tant par l'hôpital, établissement public communal, que par le médecin, agent du service public. Le 11 juillet 1956, le tribunal d'Apt se reconnaît incompétent pour apprécier l'action dirigée contre l'hôpital mais se déclare compétent en ce qui concerne le cas du D M..., pour le tribunal, « si le médecin d'un hôpital peut être consi- déré comme le préposé de l'administration qui l'emploie pour tous les actes qui intéressent l'organisation et l'administration de son service, il ne saurait en être de même en ce qui concerne l'exercice de l'art médical et la pratique technique de celui-ci ; son indépendance dans ce domaine résulte de cette évi- dence qu'il n'a, à cette occasion, ni ordres, ni instructions, ni même d'avis à recevoir de l'administration hospitalière, dont la responsa- bilité civile ne saurait en conséquence être retenue à l'occasion de fautes personnelles dont le médecin peut s'être rendu coupable ».

Estimant cette thèse insoutenable, le préfet, appliquant la procédure prévue en pareil cas, élève le conflit par arrêté du II octobre 1956. Non moins intéressante est l'affaire Chilloux dans laquelle le tribunal civil s'est déclaré incompétent. L'espèce est la suivante : la dame Chilloux, âgée de 27 ans, mère sans accident de deux enfants, se trouve à nouveau enceinte ; un mois environ avant la date prévue pour l'accouchement, le médecin traitant constate des pertes

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En dix ans, le nombre des procédures engagées dans le domaine de la responsabilité médicale a pratiquement doublé. Actuellement, les affaires poursuivies contre les médecins augmentent de 1 5 % chaque année. La situation est encore aggravée par une certaine presse à scandales qui multiplie ses « informations » relatives à des affaires à sensation. Les comptes rendus d'audience et les commen- taires qui les accompagnent frappent d'autant plus les esprits qu'ils concernent parfois des personnalités connues et donnent, à tort, le sentiment d'une incurie généralisée.

Il convenait donc d'apporter à chacun, sur des problèmes essentiels, nouveaux et complexes une information sérieuse, accessible et objective, en confrontant les points de vue du magistrat et du médecin, du professeur de droit et de l'avocat, à travers une documentation juridique particuliè- rement complète et actuelle.

Georges Boyer Chammard est Docteur en droit, ancien Avocat et ancien membre du Conseil de l'Ordre des Avocats au Barreau de Lille, actuellement Juge au Tribunal de Grande Instance de Saint-Omer.

Paul Monzein est Docteur en droit et Docteur en méde- cine, Lauréat de l'Académie de médecine, Président de Chambre à la Cour d'Appel de Paris.

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