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SUBSTITUTION DE LA RESPONSABILITÉ DES ÉTABLISSEMENTS HOSPITALIERS

Dans le document La responsabilité médicale (Page 25-31)

I. L'ABSENCE DE CONTRAT MÉDICAL EN MÉDECINE HOSPITALIÈRE

2. SUBSTITUTION DE LA RESPONSABILITÉ DES ÉTABLISSEMENTS HOSPITALIERS

A LA RESPONSABILITÉ DES MÉDECINS OU CHIRURGIENS ET COMPÉTENCE DES JURIDICTIONS ADMINISTRATIVES Ce n'est que récemment, par un arrêt de 1957, que le Tribunal des Conflits a tranché la controverse qui opposait les juridictions judiciaires à la juridiction administrative.

Jusqu'à cette décision, les jurisprudences respectives du Conseil d'Etat et de la Cour de Cassation étaient opposées et inconciliables et un arrêt de principe était nécessaire pour mettre fin à une situation regrettable tant pour les médecins que pour les justiciables.

A) Jusqu'aux arrêts du Tribunal des Conflits du 25 mars 1957

La question qui s'est posée jusqu'en 1957 était une ques- tion de compétence. Actuellement, on admet la compétence administrative pour la réparation des dommages causés par l'activité des médecins hospitaliers. Mais les juridictions judiciaires dont la compétence entraînait des conséquences

différentes ont tenté avec force de faire reconnaître leur propre compétence ; ce sont certains tribunaux et cours d'appel qui ont soutenu ce point de vue [12].

La thèse des magistrats civils était que le médecin hospi- talier exerce son art en toute indépendance, qu'il est affranchi à ce sujet de toute directive et contrôle des autorités hospi- talières et qu'ainsi il ne peut être considéré comme le pré- posé de l'administration au sens de l'article 1384 du Code civil. Pour eux, la responsabilité de ce médecin indépen- dante de celle de l'établissement hospitalier était non la responsabilité d'un agent public mais celle d'un simple particulier, relevant comme tel de la juridiction judiciaire.

Ce raisonnement conduisait cette juridiction judiciaire, après s'être déclarée compétente, à appliquer au médecin hospi- talier le même régime de responsabilité qu'au médecin privé.

La Cour de Cassation, pour sa part, avait pris dès 1935 [13]

une position contraire en affirmant qu'il n'appartenait qu'à l'autorité administrative de déclarer la responsabilité civile d'un établissement public, tel qu'un hospice, à défaut d'un défaut d'organisation ou d'une faute d'un agent.

Quoique la Cour suprême restât réticente, on put noter un arrêt de la Chambre des requêtes du 30 novembre 1938 [14]

posant le principe que lorsque la faute à imputer à un méde- cin des hôpitaux ne se rattache pas au fonctionnement du service public d'assistance médicale, mais uniquement à l'exercice technique de son art, c'est aux tribunaux judi- ciaires qu'il appartient de connaître la demande d'indemnité formée contre le médecin. Mais c'est essentiellement la résistance des juges du fait qui amena la Cour de Cassation à rendre, à partir de 1956, une série d'arrêts de la Chambre civile revendiquant la compétence judiciaire, au prétexte que le fonctionnement défectueux du service public per- mettait de déceler la faute personnelle du médecin hos- pitalier.

Par ses trois arrêts d'octobre 1956 et janvier 1957 [15], la Cour de Cassation a estimé de façon très nette que les

faits qui étaient reprochés aux trois médecins mis en cause constitueraient le cas échéant un « manquement à leurs devoirs proprement médicaux » ayant le caractère « d'une faute personnelle détachable de leurs fonctions adminis- tratives ». Dans l'affaire jugée le 9 octobre 1956, il était reproché au médecin-chef de l'hôpital de Marseille de ne pas avoir donné à une malade soignée pour troubles cardiaques les soins que nécessitait la gravité de son état et d'avoir ordonné son évacuation de l'hôpital. Dans la seconde affaire jugée le 15 janvier 1957, on faisait à un médecin chargé par le préfet d'assurer à la mairie des vaccinations antivario- liques, le reproche d'avoir brûlé le bras d'un enfant avec de l'acide que par erreur des infirmières lui avaient passé à la place d'éther. Il s'agissait enfin, dans la troisième espèce également jugée le 15 janvier 1957, du chirurgien d'un hôpi- tal assigné en responsabilité pour une maladresse dans la réduction d'une fracture ayant entraîné une infirmité.

Ainsi que l'a noté le commissaire du gouvernement Jacques Chardeau [16], « on peut trouver dans les arrêts plus détaillés des cours d'appel les deux motifs » qui ont inspiré la Cour suprême dans ses arrêts. C'est essentielle- ment « l'indépendance des médecins dans l'exercice de leur art ». On considère qu'un médecin doit être entièrement libre et ne dépendre d'aucun pouvoir hiérarchique supérieur lorsqu'il pose un diagnostic ou prescrit une thérapeutique, le médecin devant relever alors de sa seule conscience.

Les juridictions judiciaires étaient également sensibles à la conception selon laquelle la protection de la personne hu- maine et la sauvegarde de son intégrité corporelle relevaient uniquement de leur compétence. En conséquence, pour les juridictions judiciaires, la responsabilité du médecin hospi- talier était indépendante de celle de l'établissement public ; médecins hospitaliers et médecins privés devaient connaître le même régime de responsabilité et relever de la juridiction judiciaire.

Entre la solution judiciaire et celle de la juridiction admi-

nistrative qui se déclarait, de façon unanime et constante, compétente pour connaître de la responsabilité de l'adminis- tration du fait des activités médicales, il y avait un contraste frappant. La jurisprudence administrative avait une concep- tion restrictive de la faute personnelle, acte détachable de la fonction révélant selon la formule classique, « l'homme avec ses défaillances, ses passions et ses vices ». La distinc- tion propre au droit administratif que l'on ne retrouvait pas dans la jurisprudence judiciaire tenant à la distinction, à l'intérieur de la faute de service, entre la faute d'ordre médical et la faute d'ordre administratif. Les fautes de service d'ordre administratif n'exigeaient pas un caractère de gravité particulier ; par contre, pour les fautes de service d'ordre médical, les juridictions administratives considé- raient que seules les fautes lourdes engageaient la respon- sabilité du service qu'il s'agisse de diagnostics, de décisions thérapeutiques ou de l'exécution des traitements et des interventions.

En résumé, on peut dire que, pendant un certain temps, la Cour de Cassation n'a pas recherché si la faute était ou non lourde ; il lui suffisait qu'elle concernât l'exercice de l'art médical pour se détacher de la fonction. A l'évidence, cette jurisprudence était contraire au principe définissant la responsabilité des collectivités publiques et de leurs agents.

Pour sa part, le Tribunal des Conflits persistait à appliquer la distinction générale des fautes de service et des fautes personnelles fondée sur des critères traditionnels. Dans sa grande majorité, la doctrine considérait que la thèse judi- ciaire était contestable, voire indéfendable. Pour l'ensemble des auteurs, il n'y avait aucune raison de ne pas suivre, à propos des médecins hospitaliers, les règles générales appliquées, en droit français, aux problèmes de respon- sabilité de l'administration du fait de ses collaborateurs.

Au demeurant, la doctrine de la Cour de Cassation appor- tait une complication certaine dans la répartition des compé- tences entre les deux ordres de juridiction.

B) Depuis les arrêts du Tribunal des Conflits du 25 mars 1957 A l'occasion de deux affaires, l'affaire Chilloux et l'affaire Isaad Slimane, le Tribunal des Conflits a mis fin aux divergences entre les jurisprudences judiciaires et administratives. Etant donné l'inté- rêt qui s'attache à ces deux décisions, il n'est pas inutile de rappeler brièvement quels étaient les faits [17]. Ceux de l'affaire Slimane sont assez simples. Le 3 juin 1953, Slimane tombe d'un arbre au cours de son travail ; à l'hôpital de X... où il est transporté, le chef du service de chirurgie, le D M..., diagnostique une contusion lombaire sans lésion osseuse ; après quinze jours d'observations, Slimane quitte l'hôpital. Mais plus tard, admis dans un hôpital d'Avignon, il est reconnu atteint d'une fracture vertébrale. Le 4 août 1955 il assigne le D M... et l'hôpital de X... en dommages et intérêts devant le tribunal civil d'Apt, au motif que l'absence de soins que nécessitait son état a aggravé les conséquences de sa fracture.

Le préfet du Vaucluse décline la compétence du tribunal civil pour apprécier la responsabilité encourue tant par l'hôpital, établissement public communal, que par le médecin, agent du service public. Le 11 juillet 1956, le tribunal d'Apt se reconnaît incompétent pour apprécier l'action dirigée contre l'hôpital mais se déclare compétent en ce qui concerne le cas du D M..., pour le tribunal, « si le médecin d'un hôpital peut être consi- déré comme le préposé de l'administration qui l'emploie pour tous les actes qui intéressent l'organisation et l'administration de son service, il ne saurait en être de même en ce qui concerne l'exercice de l'art médical et la pratique technique de celui-ci ; son indépendance dans ce domaine résulte de cette évi- dence qu'il n'a, à cette occasion, ni ordres, ni instructions, ni même d'avis à recevoir de l'administration hospitalière, dont la responsa- bilité civile ne saurait en conséquence être retenue à l'occasion de fautes personnelles dont le médecin peut s'être rendu coupable ».

Estimant cette thèse insoutenable, le préfet, appliquant la procédure prévue en pareil cas, élève le conflit par arrêté du II octobre 1956. Non moins intéressante est l'affaire Chilloux dans laquelle le tribunal civil s'est déclaré incompétent. L'espèce est la suivante : la dame Chilloux, âgée de 27 ans, mère sans accident de deux enfants, se trouve à nouveau enceinte ; un mois environ avant la date prévue pour l'accouchement, le médecin traitant constate des pertes

En dix ans, le nombre des procédures engagées dans le domaine de la responsabilité médicale a pratiquement doublé. Actuellement, les affaires poursuivies contre les médecins augmentent de 1 5 % chaque année. La situation est encore aggravée par une certaine presse à scandales qui multiplie ses « informations » relatives à des affaires à sensation. Les comptes rendus d'audience et les commen- taires qui les accompagnent frappent d'autant plus les esprits qu'ils concernent parfois des personnalités connues et donnent, à tort, le sentiment d'une incurie généralisée.

Il convenait donc d'apporter à chacun, sur des problèmes essentiels, nouveaux et complexes une information sérieuse, accessible et objective, en confrontant les points de vue du magistrat et du médecin, du professeur de droit et de l'avocat, à travers une documentation juridique particuliè- rement complète et actuelle.

Georges Boyer Chammard est Docteur en droit, ancien Avocat et ancien membre du Conseil de l'Ordre des Avocats au Barreau de Lille, actuellement Juge au Tribunal de Grande Instance de Saint-Omer.

Paul Monzein est Docteur en droit et Docteur en méde- cine, Lauréat de l'Académie de médecine, Président de Chambre à la Cour d'Appel de Paris.

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