NOTE
OBSERVATIONS PRÉLIMINAIRES
SUR LES VARIATIONS SAISONNIÈRES
DE LA QUANTITÉ D’ALIMENT INGÉRÉE
PAR LES CAPRINS EN MILIEU TROPICAL HUMIDE
M. CHENOST
P. DESPOIS A. GRUDE Station de Recherches
zootechniques,
Centre de Recherches
agronomiques
des Antilles et de laGuyane,
I. N. R.A., Petit-Bourg, Guadeloupe
Dans le cadre de l’intensification
fourragère
en zonetropicale humide,
leproblème
de laconnaissance de la valeur alimentaire
(digestibilité
etquantité ingérée)
desgraminées
à hautpotentiel
deproduction
et celui de leur utilisation par des animaux de raceaméliorée, importée
de zones
tempérées,
devient extrêmementimportant.
De nombreuses études ont été réalisées dans ce sens en zone Caraïbe(O SBOURN ,
I969 ;B UTTERWORTH , 19 6 5 ;
GRIEVEetOSBOURN, Ig6g ;
J RIVERA -B
RENES et
al., 19 6 1 ;
VINCENTE-CHANDLER etal., I9 64 ; C REEK ,
1970,etc.).
La Stationde Recherches
zootechniques
du C. R. A. A. G. enGuadeloupe
a,quant
àelle,
abordé cette étude avec unpetit ruminant,
la chèvrelaitière, qui
a été peu utiliséejusqu’ici
en zonetropicale
humide.
Nous avons
poursuivi depuis 19 68
l’étudesystématique
de ladigestibilité
desfourrages tropicaux
et de laquantité qui
en estingérée
par lescaprins qui
lesreçoivent
à volonté soitseuls,
soit avec uncomplément
d’aliment concentré. Nous nerapportons
ici que les résultats des mesures dedigestibilité
et dequantités ingérées
effectuéespendant
deux ans sur des boucsqui
recevaient àl’auge
des repousses dePangola (Digitaria decumbens) présentées
seules. Nousnous sommes attachés à mettre en évidence l’influence de la saison sur les
quantités ingérées ;
celle-ci
peut être,
eneffet,
trèsimportante d’après
les travaux de WORSTELL et BRODY( I g 53 ), (FI
NDLAY
, 1954 ).
PAYNE et HANCOCK( 1957 ), J OH NSON
et RAGSDALE( 19 6 0 ), S HARMA , 19 68).
MATERIEL ET METHODES Principe
Sous le climat
tropical
humide deGuadeloupe ( 2 , 9
m d’eau par anrépartis
à peuprès
uni-formément sur l’année sauf
pendant
les mois dejanvier
àmars),
lePangola présente
unepériode
de croissance très
marquée
allant de mai à octobrependant laquelle
ilréépie
àchaque
repousse.De novembre à avril sa croissance est ralentie et il se
présente
sous forme de repousses feuillues.Nous avons mesuré l’évolution tout au
long
de l’année de ladigestibilité
et desquantités ingérées
de repousses dePangola :
- d’une
part
«d’âge
constant» provenant
de deuxprairies exploitées
encontinu,
subdi-visées l’une en 30
parcelles ( 30 jours), l’autre
en 50parcelles ( 50 jours),
uneparcelle correspondant
à la surface fauchéechaque jour ;
- d’autre
part
«d’âge
variable » allant de 28 à 77jours provenant
d’uneprairie exploitée
à
partir
de 28 etjusqu’à
77jours après
la fauched’égalisation précédente.
La
prairie exploitée
à 30jours d’âge
recevait8 40 kg
d’azote et8 4 o kg
depotasse
par hectare et par an, celleexploitée
à 50jours d’âge
recevait 350kg
d’azote et 350kg
depotasse
par hectare et par an ; la fumurephosphorique
étaitrespectivement égale
à 250 et 130kg.
La
prairie exploitée
parcycles
successifsd’âge
variable recevait une fumure de 80kg
d’azoteet de 80
kg
depotasse
àchaque
fauched’égalisation,
l’acidephosphorique
étantapporté
unefois par an
( 250 kg).
Ce moded’exploitation
avait été choisi dans le but de récolter desfourrages
de
caractéristiques
et de valeur nutritive différentes.Les
fourrages
ont été distribués à 3lots de 6 boucs( 4
en cage àdigestibilité,
2 en case ausol).
Un lot a reçu les repoussesd’âge
variable( 13 cycles d’exploitation
successifspendant
deuxans) ;
les deux autres lots ont reçu en permanencependant
un an et demi les repoussesd’âge
constant.
Le
fourrage frais,
fauché le matinentre et
9h,
était distribué à volonté( 10
p. 100derefus)
à
l’auge
en deux repas, l’un au début de lamatinée,
l’autre dans le milieu del’après-midi.
Animaux
Les boucs utilisés étaient de race
alpine (Chamoisée
etSaanevc).
Ils avaient étéimportés
de France en 1966 ou étaient nés en
Guadeloupe.
Entiers pour laplupart,
ils étaientâgés
de2 à 4 ans et
pesaient
entre 37 et6 5 kg ( 49 , 5 kg
enmoyenne).
Mesures
Les
quantités
de matière sècheingérées
ont été mesuréeschaque jour,
sauf ledimanche,
par
pesée
desquantités
offertes et refusées et détermination de la teneur en matière sèche dufourrage
distribué et des refus.Chaque
résultatcorrespond
à la moyenne des consommationsjournalières
individuelles de 6 boucspendant
lapériode
du lundi au samedi.. La
digestibilité
dechaque catégorie
defourrage
vert a été mesurée avec lesquatre
boucsen cage ;
chaque
résultatcorrespond
à ladigestibilité
moyenne dufourrage
offertpendant
lapériode
du lundi au samedi.Un échantillon
représentatif
dufourrage
offert et refusé a été constitué pourchaque période
de mesure ; nous en avons fait
l’analyse morphologique
etl’analyse chimique (teneur
encendres,
en azote et cellulose brute
Weende).
Les
températures
moyennesmensuelles, minimales,
maximales et moyennes, ont été relevées par la Station debioclimatologie
du C. R. A. A. G.RESULTATS
,
Repousses d’âge
constarttNous avons
rapporté,
sur lafigure l , les
variations saisonnières de la teneur en matièresèche,
en matières azotées et en feuilles des deux repousses
d’âge
constant.- Les teneurs en matière sèche des repousses de 50
jours
onttoujours
été d’environ 6points plus
élevées que celles des repousses de 30jours ;
elles n’ont pas varié defaçon marquée
etrégu-
lière suivant la saison.
- La teneur en matières azotées
digestibles
des repousses de 30jours,
d’une valeur moyenne de10 ,8
p. 100, a varié entre 5,1 et 15,2 p. ioo ; celle des repousses de 50jours,
d’une valeur moyenne de 5,9 p. 100, a varié entre 3,2 et 10,2 p. 100. Dans les deux cas, elleprésente
des varia-tions saisonnières
marquées ;
elle est minimum entre mai etseptembre, période
de forte crois-sance
pendant laquelle
lePangola réépie
et a lepourcentage
de feuilles leplus
faible(fig. i) ;
elle est d’ailleurs en liaison avec ce dernier
(r
=0 , 74 6,
n =41 ).
Nous avons
rapporté,
sur lafigure
2, les variations saisonnières de ladigestibilité
et desquantités ingérées.
- La
digestibilité
de la matièreorganique
des repousses de 30jours
a étécomprise
entre6
2 et !q p. 100
(68, 5
p. 100 enmoyenne),
celle des repousses de 50jours
entre 55 et6 5
p. 100(6o,
5
p. 100 enmoyenne).
Différentes en moyenne de 8points
elles ont toutes deux eu tendance à diminuerlégèrement pendant
les mois dejuillet
àseptembre.
- Les
quantités
de matière sècheingérées
ont varié dans des limites trèslarges (i,oo
à2
,6
0 kg/ioo kg
depoids vif) ;
elles ontparfois
étéplus
élevées avec les repousses de 50jours qu’avec
les repousses de 30jours (février
àmars). L’ingestion
maximale a eu lieupendant
lesmois de
février,
mars et avril où elle adépassé
2,ookg
et atteintplus
de 2,50kgyoo kg
depoids vif ;
elle a ensuite diminué àpartir
du mois de mai pour atteindre le minimumpendant
les mois dejuillet
àdécembre, pendant lesquels
elle a,d’ailleurs,
été relativement variable( 1 , 00
à 2,ookg/
100
kg
depoids vif) (fig. 2 ).
- Les
quantités
de matièreorganique digestible ingérées
ont varié de 18 à 40 g parkg
depoids métabolique,
elles n’ont pas étésignificativement
différentes suivantl’âge
des repousses et ontprésenté
les mêmes variations saisonnières que lesquantités
de matière sècheingérées (fig, 2 ).
Nous n’avons pas
observé,
pour l’ensemble des deuxcatégories
de repousses, de liaisonsignificative
entre lesquantités
de matière sècheingérées et,
soit la teneur en matièresèche,
soit la
digestibilité.
Lepourcentage
de feuilles aprésenté
une liaison d’ailleurs assez lâche(r
= 0,430, n =6 9 )
avec laquantité ingérée,
cette liaison devenantplus
étroitelorsqu’on
neconsidère que les repousses d’avril à octobre
(r
= 0,521, n =33 ) ;
il en a été de même de la teneur en matières azotéesdigestibles qui
est,d’ailleurs,
étroitement liée aupourcentage
de feuilles(r
=0,756).
Repousses d’âge
variableNous n’avons
rapporté
ici(fig. 3 )
que les variations saisonnières desquantités
de matièresèche
ingérées.
Ladigestibilité
de la matièreorganique
diminue en effet relativement peu avecl’âge (de
!0,5 p. 100 à 28jours
à6 0 , 0
p. 100 à 77jours)
et neprésente
pas, à unâge donné,
devariations saisonnières
importantes.
Les
quantités
de matière sècheingérées
ont varié deo, 9 8
à 2,29kg
par 100kg
depoids
vifsuivant
l’âge
de laplante
et la saison(fig. 3 ).
Elles ont été en liaison très lâche avec ladigesti-
bilité
(r
= 0,310, P <0 , 05 )
et avec la teneur en matières azotéesdigestibles ( y
= 0,333, P <0,05).
Les variations suivant la saison ont été
reproductibles.
Elles ontprésenté
un maximumpendant
les mois defévrier,
mars et avril et un minimumpendant
les mois dejuillet
à décembre(fig. 3 ). L’amplitude
de ces variations a étéplus importante
en19 68 qu’en 19 6o,
et a été voisine de ikg
par 100kg
depoids
vif. C’est au moment où lestempératures
ontprésenté
leur minimum que lesquantités
ont commencé àaugmenter (fig. 3 ).
L’amplitude
des variations desquantités ingérées
due àl’âge
des repousses atoujours
étéinférieure à celle due à la saison. Elle a été maximum
( 0 , 5 kg
par 100kg
depoids vif)
en mars ig6g et en avril 1970, lesfourrages ayant
alors unâge
variantrespectivement
de 35 à5 6 jours
et de2
8 à
5 6 jours ;
elle a été minimum( 0 , 2 kg
par 100kg
depoids vif) pendant
les mois dejuillet
àdécembre.
DISCUSSION
Nous constatons que les
quantités ingérées présentent
des variations saisonnièresimportantes
et
reproductibles. Quelles
sont les causes de ces variations saisonnières ? La saisonagit-elle
direc-tement sur
l’appétit
des animaux ou sur lescaractéristiques
del’acceptabilité
desfourrages ?
En
effet, la température
etl’hygrométrie pourraient,
en modifiant larégulation thermique
de
l’animal, agir
surl’appétit (W ORSTELL
etB RODY ,
r953 ;F INDLAY ,
1954, cités par PAYNE enz 9
66;
PAYNE etH ANCOCK ,
i95!;SxaxMn, z 9 68).
Ilsemble, d’ailleurs, d’après
nosrésultats,
que les variations detempérature
ambiante aientjoué
un rôle sur lesquantités ingérées (fig. 3 ).
Ilne nous a malheureusement pas été
possible
de mettre enparallèle
avec lesquantités ingérées, l’hygrométrie qui
doitcependant
être un élément nonnégligeable
de larégulation thermique
de l’animal et de son bien-être
(Joxrrso N
etRncsDnr.E, 19 6 0 ,
cité parP AY NE, 19 66).
Il est cepen- dantpossible
que l’influence de la saison surl’appétit
ait étéamplifiée
chez les boucs par leregain
d’activité sexuelle que les animaux non castrés ont manifesté de
juillet
àoctobre,
c’est-à-dire durant lapériode
laplus
chaude et humide.La saison
pourrait
aussiagir
sur lesquantités ingérées
en modifiantl’ingestibilité
des four-rages : teneur en matière
sèche, composition chimique
etmorphologique (notamment
teneur enazote,
enmembranes,
en feuilles et enparties mortes)
etaptitude
dufourrage
à êtredégradé plus
ou moinsrapidement
dans le rumen. C’estainsi, d’ailleurs,
que DEINUMetal., ( 19 68)
et MiN-SON et
al., ( 1970 ), pensent
que latempérature pourrait
avoir une action directe sur ladigestibilité
des
fourrages.
D’après
nos résultats obtenus sur les repoussesd’âge
constant il ne semble pas que les modi- fications des teneurs en matièresèche,
en azote et enfeuilles,
suivant lasaison,
aient été respon- sables de variations aussiimportantes
desquantités ingérées.
Eneffet, malgré
des teneurs enmatières azotées et en
feuilles,
et desdigestibilités
aussi élevées enoctobre,
novembre et décembrequ’en février,
mars etavril,
lesquantités
de matière sèche et de matièreorganique digestible ingérées
ont été bienplus importantes pendant
les mois de février à avril quependant
ceux d’oc-tobre à décembre.
Il nous reste,
toutefois,
àpréciser quelle
est lapart
revenant à chacun de ces deux modes d’action.Dans
l’immédiat,
ces résultats ont deux intérêts. Lepremier
est d’ordreméthodologique.
Nous ne pouvons comparer la valeur alimentaire
(digestibilité
etquantités ingérées)
des diffé- rentesespèces
ou variétés defourrages tropicaux
que si les mesures ont lieusimultanément,
ou, tout au
moins,
si elles sont trèsrapprochées
dans letemps.
Si lespériodes
de croissance desfourrages
à comparer sontdifférentes,
il sera nécessaire d’étudier cesfourrages après congélation
ou
déshydratation,
ces deuxtechniques
de conservation modifiant peu la valeur alimentaire desfourrages
et notamment desquantités ingérées (RaYMOrrD
etal.,
i953 ;D E nanRQmLLY
etJ
ARRIGE
, 1970 ).
Le deuxième intérêt est d’ordrezootechnique.
Ilpeut
êtreavantageux
de faire coïncider les débuts de lactation des chèvres avec desépoques
oùl’ingestion
desfourrages
estmaximum et cela d’autant
plus
que les chèvres seront en fin delactation,
donc auront des besoins minimaux, àl’époque
où lesquantités
defourrages ingérées
sont lesplus
faibles.Reçu pour publication
en août 1971.SUMMARY
SEASONAL VARIATIONS OF THE VOLUNTARY FOOD INTAKE BY GOATS IN HUMID TROPICAL CLIMATE. PRELIMINARY STUDY.
The variations in
dry
matter intake anddigestibility
ofPangola
grass(Digitavia decumbens) regrowths
of constant age( 30
and 50days)
were studiedduring
one and a half years and those ofPangola regrowths
of variable age( 2 8- 77 days), during
two years.The measurements were made on male
goats
of theAlpine
breed offered greenforage,
adlibitum,
twice aday (morning
andafternoon).
The contents ofdry
matter and crudeprotein
and the
proportion
of leaves in theregrowths
of constant age were determined.i. The crude
protein
content(mean
values : io.8 and 5.9 per cent forregrowths
of 30 and 50days respectively)
was at a maximum fromMay
toSeptember (fig. I )
i. e.period
of maximumgrowth
ofPangola
grass with formation of ears at each harvest. Thedry
matter content of theforage
showed small seasonal variations(fig. i).
The
proportion
of leaves showed the same seasonal variations as the crudeprotein
content.The mean
digestibility
of theorganic
matter was68. 5
and6 0 . 5
per cent forregrowths
of30
and 50
days respectively
and showedonly slight
seasonal variations(fig. 2 ).
The
dry
matter intake varied within very wide limites( 1 . 00
to 2.60kg
DM per 100kg
liveweight),
but was notsignificantly
differentaccording
to the age of theregrowths
and was at amaximum from
February
toApril (fig. 2 ).
Thedry
matter intake was not related to thedry
matter content and
digestibility,
andonly slightly
related to theproportion
of leavesThe
digestible organic
matter intake varied in the same manner as thedry
matter intake(fig. 2).
2
. The
dry
matter intake from theregrowths
of different ages also showedimportant
sea-sonal variations
(fig. 3 )
which wererepeatable.
Themagnitude
of the variations in intake due to season was twice that due to age of theforage
offered(i.o
and 0.5kg dry matter/kg
liveweight
for season and age
respectively).
The seasonal variations of the
voluntary
food intake appear todepend
more on variationsof the climatic conditions
(temperature-humidity)
than on variations of thespecific
characte-ristics of the
forage
since the food intake between the seasons,February-April
and October- December, was very different whereas thedigestibility,
crudeprotein
content andproportion
of leaves were similar.
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