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Un lieu dédié à l'éducation : l'aile Brissonnet du musée des Beaux-Arts de Troyes

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Academic year: 2021

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Texte intégral

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Un lieu dédié à l’éducation :

l’aile Brissonnet du musée des Beaux-Arts de Troyes

Par Jean-Luc Liez

En 1894, le quartier de la cathédrale subit une modification importante. Le musée des Beaux- Arts, installé dans l'ancienne abbaye Saint-Loup, créé par la Société Académique de l'Aube (SAA) et géré par elle, s'agrandit.

Un musée à l'étroit

Pour abriter ses collections, la Ville concède une partie du logis de l'ancienne abbaye Saint- Loup à la SAA, en 1831 ; la bibliothèque occupe notamment l'étage. Très vite devant l'abondance des objets collectés, les locaux deviennent exigus. Des solutions doivent être envisagées. Aux bâtiments initiaux érigés aux XVIIe et XVIIIe siècles, vient s'adjoindre une aile, en 1857, au Nord, ouverte trois ans plus tard. Pierre-Charles Simart (Troyes, 27/06/1806- Paris, 27/05/1857) fit don en effet de nombreuses œuvres à sa ville natale. Cette première extension, dessinée par Nicolas Fléchey, permet au musée de Troyes de s'étendre et de valoriser ainsi la troisième collection nationale consacrée à la sculpture, tandis que les collections de peinture sont installées à l'étage. Or, les espaces restent insuffisants et un projet de construction est envisagé en 1870, parallèlement à la rue de la Cité. La guerre franco- prussienne puis la chute du Second Empire interrompent l'initiative.

En 1882, la Ville accepte un legs de 200 000 F. du philanthrope Jean-Baptiste Brissonnet, ancien ouvrier bonnetier devenu fabricant de bas. Une partie de la somme est consacrée à l'extension du musée et de la bibliothèque. Baptisé du nom du bienfaiteur, le bâtiment est conçu comme le pendant de l'aile Simart. Deux maisons, l'une en pans de bois abritant des commerces au rez-de-chaussée et l'autre en pierre, sont rasées à cette occasion1. L'étage est réservé à la bibliothèque et le rez-de-chaussée au musée, or ce ne sont pas les collections de la SAA qui vont bénéficier de l'agrandissement, mais un nouveau projet. Les travaux débutent en 1889 et l'inauguration de l'édifice intervient le 22 juin 18902.

Une perspective nouvelle voit donc le jour lorsque Frédéric-Eugène Piat (Montfey (Aube), 02/06/1827-Paris, 29/07/1903) propose de faire don d'une partie de ses œuvres à la Ville de Troyes. L'artiste, tout à la fois sculpteur et ornemaniste, est l'un des principaux acteurs du renouveau du bronze d'art dans la seconde moitié du XIXe siècle. L'idée d'ouvrir un musée des arts décoratifs occupe dès lors tous les esprits !

1 Voir le cliché ancien in Société académique d'Agriculture, des Sciences, Arts et Belles-Lettres du Département de l'Aube, dir. Catherine Robinet, Troyes, 2012, p. 26.

2 Il s'agit d'une date emblématique puisque l'inauguration du pavillon Brissonnet et du monument des Enfants de l'Aube eurent lieu le même jour.

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En 1890, une nouvelle aile est bâtie dans le prolongement de l'aile Simart grâce aux libéralités de François-Joseph Audiffred3 (1807-1892) et de son épouse, Agathe Jouanique. Une somme de 80 000 francs- or est donnée par le bienfaiteur à cet effet4. Ce nouveau bâtiment abrite aussi le siège de la SAA, sa bibliothèque et sa salle des séances, vers l'Est. Ces deux constructions, occupant l'emplacement de l'église abbatiale détruite à la Révolution, confère alors à l'ensemble du musée un

plan dont la forme est semblable à un « h » minuscule. L'accès au musée et la bibliothèque se fait par le bâtiment situé rue Chrestien de Troyes servant aussi de logement au gardien.

Un architecte : Alexandre Vermot

Le pavillon Brissonnet et l'aile Audiffred sont l'œuvre du même homme, Xavier-Alexandre Étienne Vermot5, architecte de la Ville. Parisien d’origine, il fréquente l’École des beaux-arts en qualité d'élève architecte. Nommé à la Ville de Troyes, il réalise le kiosque à musique (1889) de la Vallée suisse, construit aussi grâce au legs Brissonnet, et de nombreux établissements scolaires6. Il devient architecte en chef de la Ville et assure des cours professionnels de découpe de pierre. Ses activités semblent prendre fin autour de 19057.

Alexandre Vermot se voit chargé de proposer les plans de l'extension du musée-bibliothèque.

Habitué à réaliser des projets fonctionnels où la recherche esthétique est secondaire, ce projet lui permet, paradoxalement, de laisser libre cours à sa création. L'aile Audiffred s'inscrit dans la continuité architecturale du bâtiment initial et de l'aile Simart. Une monumentalité sévère imprègne la façade et assure une continuité visuelle entre les différentes parties. Les baies sont rares, situées au rez-de-chaussée ou prenant l'aspect de vasistas. Le pavillon Brissonnet, construit entre 1889 et 1891 par l'entrepreneur Matagne-Fourot8, est radicalement différent au point que l'on peine à croire qu'il est l'œuvre du même architecte !

4 Une autre somme de 10 000 F. était réservée à l'octroi d'un prix.

5 Ses dates sont inconnues.

6 Citons les écoles : maternelle Arnaud (1887), de filles de la Vacherie (1892), des garçons Diderot (1892), de jeunes filles Louis Ulbach (1894), aux Tauxelles (1894), des Trévois (1895) ; le groupe scolaire des Jacobins (1900) ; les écoles de filles de la rue Kléber (1905) ou Jean-Jaurès (1906).

7 Paul Mathieu est qualifié d'architecte en chef de la Ville en 1902 lors de la restauration de la façade principale du musée-bibliothèque, mais Alexandre Vermot conserve ce titre jusqu'en 1906.

8 La bâche signalant l'entrée du musée cache malencontreusement, aujourd'hui, les noms de l'architecte et de l'entrepreneur à la vue du touriste.

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La position du pavillon, longeant la rue de la Cité perpendiculairement à la façade de la cathédrale, masquait le logis abbatial et l'aile Simart à la vue du fidèle ou du visiteur.

Alexandre Vermot propose une architecture néo-Renaissance qui s'observe ailleurs dans la ville9. Une impression ambiguë se dégage de la construction, tout à la fois élégante mais pouvant convenir aussi à une affectation industrielle qui fait songer aux manufactures10. L'élévation sur trois niveaux et deux étages de combles, à quatre travées doubles et une demi- travée accueillant une niche au deuxième niveau, surprend.

L'austérité qui se dégage du soubassement est tempérée par la présence de mufles de lion11 tenant entre leurs mâchoires un anneau d'où s'échappe une guirlande de fleurs, rappelant certaines productions manufacturières (bronze, céramique, menuiserie, …). Ces figures animales servent de support aux pilastres sur dosseret du niveau supérieur. Les grilles de protections des fenêtres sont particulièrement ouvragées.

Le deuxième niveau, prévu pour la bibliothèque et pourtant de même hauteur que le rez-de-chaussée, semble démesuré, impression donnée par les huisseries et grilles de protection en métal travaillé qui accentuent la verticalité. L'ordre ionique distingue cet étage, avec des pilastres sur dosseret alternant fûts lisses et cannelés. Un attique de faible hauteur assure la

liaison avec les combles formés de deux niveaux scandés sur chaque face de quatre lucarnes à frontons, chacune surmontée d'un œil-de-bœuf. Un vocabulaire décoratif se déploie sur les trois côtés du bâtiment, complétant les têtes de lions comme les accolades ou les tables muettes.

Le pignon Est tranchait avec le reste du bâtiment. Il n'était pas construit en belles pierres de taille mais en brique. Cela

9 Cf. Pupil (François), « Les architectes se penchent sur leur passé : la Renaissance revival en Champagne », Splendeurs de l'architecture de la Renaissance à Troyes et en Champagne méridionale, Maison du patrimoine de l'agglomération troyenne, 2009, p. 50-53.

10 Cf. par exemple le bâtiment de l'horloge de la manufacture d'Armes de Saint-Étienne, construit en 1864.

11 La tête de lion, très utilisée par les artistes du Second Empire et de la Troisième république, constitue un motif décoratif récurrent sur les façades de la seconde moitié du XIXe siècle et au début du siècle suivant, comme par exemple sur la façade de la gare de Troyes (1912).

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s'explique par le fait que le pavillon Brissonnet ne s'appuyait pas sur le logis abbatial, mais seulement par l'angle de chacun des deux édifices. La jonction ne sera réalisée qu'en 1967 ! La vue aérienne montre bien la jonction existant entre les deux bâtiments.

Alexandre Vermot, dans cet édifice, tempère le style fonctionnel pour apporter à cette commande une originalité alliant la fidélité à l'histoire architecturale de la cité tout en apportant un caractère industriel qui permettait de comprendre la destinée du bâtiment : accueillir une collection d'art décoratif révélatrice de l'esprit du moment, à savoir l'union de la tradition des formes à la modernité des matériaux. Il se souvient peut-être de cette expérience lorsqu'il construit l'école de garçons rue Diderot, en 1892, et conçoit un large médaillon où son nom surmonte un tau entouré d'une couronne de laurier12.

Un artiste, une démarche : Eugène Piat

Enfant, Eugène Piat montre des dispositions exceptionnelles pour le dessin, mais les faibles ressources familiales ne permettent pas de lui offrir un enseignement adapté. En 1843, il entre dans l'atelier d'Étienne Gossin, directeur d'une manufacture de terre-cuite, et se familiarise avec le modelage et la sculpture. Il se met à son compte, crée ses propres modèles et gagne la confiance de nombreux fabricants de bronze. Il fournit des modèles pour le fabricant Dépensier à l'occasion de l'Exposition universelle de 1855. Pour la maison Marchand, il propose des modèles qui seront présentés lors des Expositions universelles de 1867 et 1873. Il fournit un dernier carnet de dessins aux jeunes artistes qui participent à l'Exposition universelle de 1900. Malgré sa réputation et l'ampleur de sa production, Pierre Francastel, dans son Art et technique13, semble pourtant méconnaître l'artiste.

En février 1864, il devient l'un des co-fondateurs de l'Union Centrale des Beaux-arts appliqués à l'industrie14, créée sur le modèle du South Kensington Museum à Londres15. Le projet vise à réunir artistes et industriels et donne naissance à une association créée en 1882.

Elle est à l'origine du musée des Arts décoratifs inauguré en 1905.

Eugène Piat n'eut de son union avec Catherine Pollet (1838-1915), qu'un seul enfant, Auguste, mort en bas âge. Cette disparition tragique le décida sans doute à faire don d'une partie de ses

12 La présence du tau ne s'explique guère, sauf à y voir la réminiscence de l'ancien prieuré des Antonins qui existait non loin de là jusqu'à la Révolution.

13 Publié en 1956.

14 Située à l'origine place des Vosges.

15 Aujourd'hui Victoria and Albert Museum à Londres.

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œuvres à sa région natale. À l'occasion du Salon de 1893 et grâce à l'entremise du sculpteur Alfred Boucher (Bouy-sur-Orvin, 23/09/1850-Aix-les-Bains, 18/08/1934), Eugène Piat rencontre Albert Babeau, membre de l'Institut (Académie des sciences morales et politiques) et conservateur du département des sculptures du musée de Troyes16. Ces échanges contribuent à la décision de créer un musée d'art décoratif autour des œuvres du maître.

L'inauguration du musée et de l'aile Audiffred se déroule le 31 mai 1894.

Un projet dédié à l'éducation

La création de ce nouveau musée ne répondait-il qu'à la satisfaction d'un vieux monsieur soucieux de laisser une trace dans l'histoire ? Assurément, non !

L'appartenance d'Eugène Piat à l'Union centrale des Beaux-arts le décide à ne pas limiter sa démarche à un simple don. Il fallait que ce lieu fût un lieu d'échange, de formation. Dans son discours inaugural du 31 mai 1894, Edmond Delaunay, maire de Troyes, souligne bien qu'il s'agit d'un « musée destiné à l'enseignement de la jeunesse pour lui fournir des modèles qui trop souvent lui manquent. La fabrication d'objets requiert aujourd'hui vingt professions différentes de sorte qu'un élève n'apprend plus la totalité d'une pratique qui lui permettrait d'établir la relation entre toutes les parties et l'harmonie ». Il poursuit en soulignant que « Seule Troyes, après Paris, en France, offre un musée de ce genre au service de l'instruction industrielle et artistique.». Afin de compléter la destination du musée, la Ville y présente les dix tapisseries qu'elle possède.

On le voit, ce nouveau musée doit répondre à des missions nouvelles : montrer et éduquer. Ce choix permet au quartier de la cathédrale de renouer avec son passé éducatif17. Cette mission liée à l'enseignement et à la culture se poursuit aujourd'hui, malgré la disparition du « musée Piat », grâce à l'installation du Centre universitaire de Troyes et du campus étudiant à proximité de la cathédrale et des musées.

Conclusion

Le musée des Arts décoratifs de Troyes, fondé à l'extrême fin du XIXe siècle, constitue une expérience originale. Il fut conçu pour accueillir une collection de premier ordre illustrant l'alliance de l'art et de l'industrie, élan si fort au XIXe siècle. Pour cela, il fallait une architecture symbolisant l'industrie, les manufactures comme on disait à l'époque, servie par un vocabulaire décoratif évocateur. Dès lors, ce lieu emblématique pouvait devenir un centre permettant à la jeunesse de venir puiser ici une inspiration nouvelle.

16 Il devint également président de la Société Académique de l'Aube de 1900 à 1902.

17 Jusqu'à l'apparition des universités, celle de Paris est reconnue en 1215 par le pape Innocent III.

L'enseignement était alors assuré par des écoles abritées dans les cloîtres des cathédrales ou de grandes abbayes (Saint-Victor de Marseille ou de Paris, par exemple). Les écoles cathédrales de Laon ou de Reims bénéficient d'une grande renommée et tout laisse à penser que Troyes bénéficia aussi d'une telle école, bien qu'à ce jour aucun renseignement précis ne permette de corroborer cette hypothèse.

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