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Origines indo-européennes des deux romans médiévaux : Tristan et Iseut et Wîs et Râmîn

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Academic year: 2021

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Texte intégral

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Submitted on 26 Jul 2012

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Origines indo-européennes des deux romans médiévaux : Tristan et Iseut et Wîs et Râmîn

Shahla Nosrat

To cite this version:

Shahla Nosrat. Origines indo-européennes des deux romans médiévaux : Tristan et Iseut et Wîs et Râmîn. Littératures. Université de Strasbourg, 2012. Français. �NNT : 2012STRAC002�. �tel- 00720933�

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Université de Strasbourg École doctorale des Humanités

EA 1337 Configurations littéraires (CL) Littérature Comparée

Par Shahla NOSRAT

Thèse de doctorat en littérature comparée

Sous la direction de Thierry REVOL

Présentée et soutenue publiquement le 3 fevrier 2012 Devant un jury composé de :

Monsieur Hossein BEIKBAGHBAN, professeur émérite à l’Université de Strasbourg Monsieur Hossein ESMAILI, professeur à l’Université de Strasbourg Madame Clarisse HERRENSCHMIDT, chargée de recherche (HDR) au CNRS

Monsieur Thierry REVOL, professeur à l’Université de Strasbourg Monsieur Jean-René VALETTE, professeur à l’Université de Bordeaux

Monsieur Philippe WALTER, professeur à l’Université de Grenoble III (le Président du jury)

Origines indo-européennes des deux romans médiévaux :

Tristan et Iseut et Wîs et Râmîn

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Dédicace

À Monsieur Hossein Beikbaghban, Père fondateur d’Études Persanes et Professeur émérite de l’Université de Strasbourg.

À la mémoire de Monsieur le Professeur Michel Stanesco.

À Monsieur Alain Wolff.

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Remerciements

Que soient ici tout spécialement remerciés le directeur de cette thèse Monsieur le Professeur Thierry Revol dont les conseils vigilants et l’inlassable patience m’ont été d’un grand réconfort tout au long de mes errances. C’est lui en effet qui m’a initiée au monde agréable de la recherche.

Je remercie très vivement le co-directeur de thèse Monsieur le Professeur Hossein Esmaili qui m’a encouragé depuis mes études complémentaires (Master2) par son savoir et ses précieux conseils.

Je souhaiterais également exprimer ma reconnaissance à Monsieur le Professeur Hossein Beikbaghban qui n’a pas hésité un seul instant à m’aider et à me proposer des œuvres qui pouvaient m’être utiles pour la réalisation de ce travail. Je voudrais lui dire ma profonde reconnaissance d’avoir mis généreusement à ma disposition sa bibliothèque privé.

J’adresse toute ma gratitude au personnel de l’École doctorale de l’Université, de la BNU, surtout à Choubeila Abbassi, du service PEB et de la bibliothèque du Portique, surtout à Alexandre Cron et Catherine Bitsch qui m’ont procuré gentiment toutes les œuvres demandées.

Mes remerciements vont aussi à mes frères, Hossein et Manuchehr et mes sœurs, Minoo et Soheila, qui, de loin m’ont apporté leur aide dans la réalisation de cette thèse.

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1

Sommaire

Introduction ……… 4

Littérature, un domaine sans frontière ……… 13

Piste de recherches systématiques ………... 19

Méthodologie ……….. 24

Qu’est-ce qu’un mythe ? ……… 25

Mythocritique ……….. Référence et translittération ……… 29 31 I. Les œuvres ………. 33

Introduction ……….. 34

A. Tristan et Iseut ……… 37

a. Contenu narratif ………. 40

b. Panorama de la littérature française au XIIe siècle ……… 43

b-a. Naissance du genre roman ……….. 47

b-b. Genèse et construction du roman de Tristan ………. 49

c. Contexte historique et géographique du récit ………. 53

d. Diversité de versions du récit ……… 58

e. Les conteurs ………. 59

e-a. Béroul ……….. 60

e-b. Eilhart von Oberg ……… 66

e-c. Thomas d’Angleterre ……….. 67

e-d. Gottfried de Strasbourg ……… 69

e-e. Marie de France ………. 71

e-f. La Folie Tristan de Berne, La Folie Tristan d’Oxford ……… 72

e-g. Frère Robert ……… 73

f. Cadre idéologique du récit ………. 74

f-a. Conditions socio-économiques de la société ………. 76

f-b. Féodalité ……….. 79

f-c. Société chrétienne ……… 82

f-c-a. Justice ………. 85

B. Wîs et Râmîn ……… 87

a. L’origine du roman ……… 89

b. Contenu narratif ………. 90

c. Panorama de la littérature persane au XIe siècle ………... 94

d. Place du roman d’amour en Iran ……….... 97

e. Contexte historique et géographique du récit ………. . 99

f. Le roman et ses manuscrits ………... 100

g. Le poète : Fakhrodîn As’ad Gorgâni ………. 101

g-a. Style de Gorgâni ……… 104

h. Cadre idéologique du récit ……… 105

h-a. Conditions socio-économiques de la société……… 107

h-b. Féodalité ………. 110

h-c. Strates religieuses ……… 113

C. Similitudes et divergences ……… 120

a. Personnages parallèles………... 122

b. Personnages principaux ………. 123

b-a. Marc, Maubad ………. 123

b-b. Tristan, Râmîn ………. 126

b-c. Iseut, Wîs ………. 129

(6)

2

b-d. Brangien, La nourrice……….. 131

c. Personnages secondaires………. 133

c-a. Le Morholt, oncle d’Iseut, Qâren, Vîrou, père et frère de Wîs ………… 133

c-b. Gouvernal, le sénéchal Dinas, le vizir Zerd………. 134

c-c. Le nain astrologue, les Félons, Zerrîn-Guis……….. 136

c-d. L’ermite Ogrin, Beau-Parleur……….. 137

c-e. Iseut aux Mains Blanches, Gol………. 138

d. Roman d’amour sans frontière……… 139

d-a. Amour-passion………. 142

d-b. Fin amor……… 151

d-c. Folie d’amour……… 164

Conclusion partielle……….. 167

II. Les sources indo-européennes des deux romans………. 169

Introduction……… 170

A. Qui sont les Indo-européens ? ……….. 172

a. Les Iraniens………. 173

a-a. Leurs religions……….. 178

b. Les Celtes………. 191

b-a. Leurs religions ……….... 196

b-b. Druide et Druidisme………. 198

c. Tripartition de la société ……… 205

c-a. Tripartition de la société iranienne………. 205

c-b. Tripartition de la société celtique……… 209

B. Sources anciennes des œuvres………... 216

a. Prototypes de Wîs et Râmîn dans l’antiquité et la littérature persane………. 217

b. Prototypes celto-iraniens de Tristan et Iseut……… 220

b-a. Repère de la Matière antique……… 228

b-b. De la Matière antique à la Matière de Bretagne……….. 231

b-c. Origines celtiques de la légende de Tristan………... 237

b-c-a. Le prototype irlandais du roman de Tristan……….. 238

c. Le Râmâyana : de l’épopée au roman……….. 245

c-a. Contenu narratif du Râmâyana ……….... 247

C. Éléments folkloriques indo-européens……….. 248

a. Arrière-plan populaire du roman de Tristan ……….. 249

b. Arrière-plan populaire du roman de Gorgâni………. 259

c. Coutumes et rites sociaux ………... 263

c-a. Rites d’initiations………. 265

c-a-a. Séparation et retour……….... 274

c-a-b. Éducateurs nourriciers……… 279

c-b. L’adoubement……….. 291

c-b-a. La doctrine du culte de Mithra et mithraïsme……… 294

c-b-b. Chevalerie……….. 302

c-b-c. ‘Ayyâri……… 307

c-b-c-a. Survivance du rite de ‘Ayyâri en Iran………. 311

c-d. Mariage……… 312

c-d-a. Place de la femme dans la société médiévale ……….. 321

d. L’Autre Monde……….... 332

Conclusion partielle……….. 343

III. La magie : l’élément structurant des récits ………... 346

Introduction……… 347

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3

A. Caractère anhistorique de l’occultisme dans le monde indo-européen ……….... 350

a. Occultisme et religion ………. 359

a-a. Figure archaïque de la femme ……….. 362

a-b. Figure médiévale de la femme ………... 369

b. Sens et valeur du philtre d’amour ………... 382

c. Talisman et envoûtement ……… 412

B. Magie astrale et l’imaginaire médiéval ………... 415

a. Origine de l’astrolâtrie ……… 419

b. Ciel et méthodes de divination chez les Celtes ………... 429

c. Ciel et divination chez les Iraniens ………... 439

d. Repérage des éléments astrologiques des romans ……….. 445

d-a. Wîs et Râmîn ……… 446

d-b. Tristan et Iseut ………. 449

C. Mariage, un acte magico-religieux……… 455

a. Mariage sacré ou Khvêdôdas ……….. 458

b. Khvêdôdas ou adultère ? ………. 468

Conclusion partielle………... 471

IV. Traces mythiques et symboliques des romans ………... 475

Introduction……… 476

A. Prototype de la structure trifonctionnelle de la société médiévale ………... 478

a. Traits caractéristiques du roi-héros indo-européen ………... 495

b. Prototype du roi indo-européen ……….. 497

b-a. Le mythe du Khvarnah ……… 516

c. Prototype du chevalier-pahlavân indo-européen ……….... 525

c-a. Les trois péchés d’Indra et de Tristan ……….. 530

B. Origines indo-européennes des thèmes et des motifs récurrents ……….. 540

a. Enlèvement ………. 541

b. Déguisement ………... 552

c. Ordalie par le feu ……… 562

c-a. Mal Pas ………. 573

C. Univers spatio-temporel des romans ………. 576

a. Ville et château symboles de l’espace cosmique ……….... 579

b. Forêt et désert symboles de l’espace chaotique ……….. 583

c. Espace utopique ……….. 587

d. La structure du temps sacré actualisé par les fêtes ………. 596

d-a. Saint-Jean, Sadah ………. 603

Conclusion partielle ……….. 608

Conclusion générale ……… Images et figures ………... 613 628 Index des noms propres ……… 644

Bibliographie ……… 657

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4

Introduction

La littérature comparée est l’art méthodique, par la recherche de liens d’analogie, de parenté et d’influence, de rapprocher la littérature des autres domaines de l’expression ou de la connaissance, ou bien les faits et les textes littéraires entre eux, distants ou non dans le temps ou dans l’espace, pourvu qu’ils appartiennent à plusieurs langues ou plusieurs cultures, fissent- elles parties d’une même tradition, afin de mieux les décrire, les comprendre et les goûter1.

La genèse de la littérature d’une nation se trouve approximativement dans le sillage des images mythiques qui, celles-ci strictement liées à la religion, construisent la trame culturelle de sa société. Les croyances, la pensée et les sentiments de l’homme et ce qu’il exprime par écrit ou par l’art visuel, indissociables de sa mythologie, sont inextricablement entrelacés dans le tissu de sa vie publique et privée. De ce point de vue, la littérature du Moyen Âge, plus qu’une forme d’art est le conservateur des traditions d’une communauté.

Elle a pour charge de codifier et de transmettre les multiples relations de l’homme à son milieu naturel, social et technique. Et le rôle du mythe consiste à justifier l’organisation sociale ou politique d’une société, avec le rituel, avec la loi ou la coutume.

Vu que les récits archaïques, dans les sociétés occidentales ou orientales, sont enracinés dans l’histoire de l’homme et dans sa culture, il faut se demander quelles places particulières ils occupent dans son inconscient collectif. Quels sont les éléments qui changent en un mythe le roman de Tristan et Iseut dans le monde occidental ? Et pourquoi son pendant iranien, Wîs et Râmîn de Gorgâni, reste-t-il à jamais comme un simple récit légendaire dans le monde de l’Orient ? Quels sont les critères qui entraînent le héros d’un récit au cimetière, à la mort, et l’autre, comme souverain d’un pays utopique, au trône ?

Pour répondre à ces questions il faut certainement écouter les textes, car d’une part la littérature comparée c’est l’art d’écouter la voix de l’autre pour mieux saisir l’essence de sa culture et d’autre part, il y a dix mille ans de littérature, comme le dit Pierre Brunel, derrière chaque texte qui autorise « une enquête plus large sur la présence des mythes dans le texte littéraire, sur les modifications qu’ils subissent, sur la lumière éclatante ou diffuse qu’ils y émettent2. »

La France et l’Iran sont deux pays très éloignés l’un de l’autre, aussi bien dans l’espace géographique que dans le monde des idées. Toutefois l’analogie surprenante qui

1 Pierre Brunel, Claude Pichois, André-Michel Rousseau, Qu’est-ce que la littérature comparée ? Paris, Armand Colin, 1996, p. 150.

2 Pierre Brunel, Mythocritique. Théorie et parcours, Presse Universitaires de France, Paris, 1992, p. 72.

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5

existe entre certaines légendes celtiques, reprises dans les récits de la « Matière de Bretagne1 » et les récits mythico-légendaires des Iraniens figurés partiellement dans l’Avesta2, dans le Châh-Nâmeh3 de Ferdowsi et aussi dans Les Légendes sur les Nartes4, fait penser qu’il y aurait eu entre deux civilisations et, déjà dans les temps très reculés, certaines relations entre elles.

Les caractéristiques physiques et les traits dominants de Cuchulainn le grand héros du cycle de l’Ulster d’Irlande évoquent par exemple Rostam le grand héros de l’épopée persane.

La similitude entre la vie héroïque et la mort tragique des héros est frappante. Chacun des héros rencontrent une princesse ennemie (Aife, l’écossaise et Tahmineh, la touranienne) et de leur union naît un fils. Quelques années plus tard, les garçons, devenus de grands héros, découvrent la vérité et se lancent à leur tour à la recherche du père inconnu par la main duquel ils sont tués après un douloureux affrontement et sans qu’ils se doutent de leur lien de parenté.

1 Il s’agit de l’ensemble des textes écrits au Moyen Âge autours des légendes de la Grande et petite Bretagne.

Ces légendes, relatées par Geoffroy de Monmouth dans l’Historia regum Britanniae « Histoire des rois de Bretagne » sont rédigées entre 1136-1138. Cette œuvre est en effet la source d’inspiration des récits du cycle arthurien. Comme l’indique Michel Stanesco, « pour Geoffroy, Arthur avait été un roi prestigieux du VIe siècle, dont la renommée s’était répandu bien au-delà des limites de son royaume. », Lire le Moyen Âge, Paris, Dunod, 1998, pp. 67-68.

2 Le canon sacré des mazdéens (zoroastriens) est l’Avesta dont le mot signifie « fondement ». Il comprend des écrits dont la date de composition n’est pas connue exactement ; on admet, en gros, 1000 à 600 avant Jésus- Christ pour la partie la plus ancienne, les Gâthâ ; d’autres écrits sont sensiblement plus récents. À partir du troisième siècle de notre ère, sinon plus tôt, on écrit dans une langue appelée pehlevie ou moyen-perse. La plupart des écrits pehlevis ont été compilés après l’invasion des Arabes. L’Avesta actuel comprend le quart de la collection primitive dont les parties très importantes sont : Yasna (recueil des textes appartenant au rituel du culte zoroastrien et les 17 Gâthâ ou les chants composés par Zoroastre lui-même). Les Yašt (cantiques à la louange de diverses divinités), le Vendidad (la loi contre les démons) et le Vispered (signifiant tous les seigneurs, est un petit recueil de lois et de textes liturgiques). Voir Geo Widengren, Les Religions de l’Iran, Traduit de l’allemand par L. Jospin, Paris, Payot, 1968, pp. 17-18.

3 Châh-Nâmeh ou Le Livre des Rois est l’une des œuvres fondatrices de la culture iranienne. Basée sur des récits préislamiques, on y reconnaît les thèmes de l’Avesta et des Védas indiens. Ferdowsi a écrit cette épopée royale de guerre et de sagesse entre la fin du Xe et le début du XIe siècle. Cette épopée est divisée en trois parties : mythique, héroïque, historique. La première partie du Châh-Nâmeh raconte l’œuvre civilisatrice de quatre rois mythiques, qui instituent la royauté, organisent la société, donnent aux hommes des métiers, inventent des techniques. La partie héroïque raconte l’histoire des rois Keyanides et les hauts faits héroïques de Rostam. Cette partie raconte les conflits intermittents des Iraniens avec les Touraniens qui sont en effet les Turcs de l’Asie centrale. La mort de Rostam signe la fin de la partie héroïque. La partie historique commence par les conquêtes d’Alexandre le Grand, mais le poète passe sous silence les successeurs d’Alexandre qui sont les Séleucides et dit n’avoir rien trouvé sur les Parthes. Il consacre le reste de son épopée aux Sassanides, qui ont régné en Iran depuis le IIIe siècle de l’ère chrétienne jusqu’à l’invasion des Arabes au milieu du VIIe siècle. Voir Patrick Ringgenberg, Une Introduction au Livre des Rois (Shâhnâmeh) de Ferdowsi, la gloire des Rois et la Sagesse de l’Épopée, Paris, L’Harmattan, 2009, pp. 7-8. Ce travail de recherche pour les citations tirées du Châh-Nâmeh consultera la traduction française de l’ouvrage : Le Livre des Rois, traduit et commenté par Jules Mohl, 7 volumes, Paris, Maisonneuve, 1876-1878.

4 Le Livre des héros. Légendes sur les Nartes, traduit de l’ossète avec une introduction et des notes par Georges Dumézil, Gallimard-Unesco, 1965.

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6

C’est après leur mort que les pères reconnaissent leur fils. Cuchulainn reconnaît son fils Conla grâce à l’anneau paternel, et Rostam reconnaît Sohrâb grâce à son brassard1.

Il y a d’ailleurs un combat de Rostam contre le noble et invulnérable héros Esfandyâr qui rappelle également le combat de Cuchulainn avec Ferdiad. Chacun des héros estime beaucoup son adversaire qui est, en plus, un ancien compagnon d’armes pour lui. Dans les deux récits, la durée du combat est de trois jours et, si le père de Rostam, le vieux Zâl qui a pour père nourricier l’oiseau mythique Sîmorgh, aide Rostam dans son combat, le dieu Lug, le père nourricier de Cuchulainn l’aide également. Le résultat du combat est aussi identique. Les deux héros se lamentent et pleurent amèrement sur le sort des héros infortunés. Et finalement, les deux héros, selon la prophétie et les calculs des astrologues, auront une mort tragique pour l’acte commis2.

Agonisant, Esfandyâr confie l’éducation de son fils à Rostam et lui avoue qu’il est victime de la trahison de son propre père qui en le faisant disparaître voulait garder pour lui le trône et le diadème :

Ce n’est pas toi qui es la cause de mon malheur ; c’était mon destin, et ce qui devait être est arrivé. Écoute mes paroles : tu n’as été qu’un instrument ; c’est mon père qui a fait mon sort, et non pas le Sîmorq [Sîmorgh], ni Rostam, ni sa flèche, ni son arc3.

En effet, le roi Gôchtâsp lui avait promis son trône à condition qu’Esfandyâr lui apporte Rostam ligoté. Rostam n’accepte pas d’être déshonoré par un jeune prince et de se laisser enchaîner. Il accepte cependant de venir à la cour pour rendre hommage au roi mais à la condition de ne pas y paraître comme un prisonnier. Mais, Esfandyâr refuse l’hospitalité de Rostam, car il craint d’être réduit à le combattre pour exécuter les ordres du roi qui sont sacrés et « quiconque désobéit au roi trouvera place en enfer4 ». Ainsi, Esfandyâr, malgré les prédictions des astrologues qui ont prédit sa mort sous les coups de Rostam, se précipite à la fin de sa vie pour un combat singulier avec le héros.

1 Pour l’épopée irlandaise voir Christian-J. Guyonvarc’h, « La Mort violente du fils unique d’Aife », dans Ogam n° 9, Rennes, 1957, pp. 115-121. Voir aussi Christian-J. Guyonvarc’h, Françoise Le Roux, Les Druides, Rennes, Ouest-France, 1986, p. 354. Pour l’épopée persane voir Gilbert Lazard, Ferdowsi. Le Livre des Rois, (Jules Mohl, trad.), extraits choisis et revus, Paris, Sindbad, 1996, pp. 99-116.

2 Voir Christian-J. Guyonvarc’h, La Razzia des vaches de Cooley, Paris, Gallimard, 1994, pp. 163-201. Aussi Alain Deniel, La Rafle des vaches de Cooley, Paris, L’Harmattan, 1997, pp. 115-146. Pour le combat de Rostam et Esfandyâr voir Gilbert Lazard, op. cit., pp. 257-289. Dans le Châh-Nâmeh Sîmorgh avertit Rostam :

« Quiconque versera le sang d’Esfandyâr deviendra la proie du destin ; jamais, aussi longtemps qu’il vivra, il ne trouvera la délivrance de ses peines » Ferdowsi, Châh-Nâmeh, Jules Mohl (trad.), Le Livre des Rois, tome IV, p.

669.

3 Op. cit., p. 683.

4 Henri Massé, Firdousi et l’épopée nationale, Paris, Librairie Académique Perrin, 1935, p. 127.

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7

Et dans l’épopée irlandaise de La Razzia des vaches des Cooley, c’est la reine d’Irlande (Medb) qui pour faire disparaître Cuchulainn promet à Ferdiad « une grande récompense » : la liberté des descendants de Ferdiad depuis le jour de sa victoire sur Cuchulainn jusqu’au jour du Jugement. C’est ainsi qu’elle arrive à persuader Ferdiad et à l’encourager de lutter contre son frère de lait en lui rappellant :

N’es-tu pas le héros qui protège, à qui j’ai donné ma broche à anneau ? À partir d’aujourd’hui jusqu’à dimanche, le délai ne sera plus long.

O héros glorieux et puissant, tout doux trésor sur terre va t’être donné.

Tu auras tout1.

Dupé par la reine Medb qui l’a fait s’enivrer, Ferdiad accepte finalement d’aller au gué et de lutter contre le héros invincible, mais il perd sa vie. Cuchulainn devant le corps sans âme de Ferdiad se met à gémir et lui dit :

O Ferdiad, la trahison t’a vaincu, Triste est ta dernière rencontre.

Toi, tu es mort, et moi, je reste.

Une longue tristesse est notre séparation2.

Il convient de noter que l’infanticide et le fratricide sont les thèmes qui se trouvent également dans l’épopée narte. Le récit du Fils sans nom d’Uryzmaeg raconte que ce dernier était en expédition quand son fils unique est né et il n’en savait rien. Quelques années plus tard, le père et le fils se rencontrent sans se reconnaitre et l’enfant est accidentellement tué par l’épée de son père3. Et le récit de la Mort d’Aehsar et d’Aehsaertaeg raconte comment les deux frères jumeaux se tuent à cause d’une fille4.

La littérature reflète l’imaginaire de la conscience de l’homme au fil de l’histoire. Et tous les thèmes littéraires comme l’infanticide et le fratricide se retrouvent plus ou moins dans la littérature de toutes les nations. Cependant, l’infanticide semble être un thème favori à la littérature orientale, où la « loi du père », au-delà du mythe, est aussi l’un des éléments constitutifs de la trame traditionnelle de sa société. D’après Patrick Ringgenberg, Sohrâb symbolise « le désir de rompre toute loi et toute hiérarchie, par aveuglement pour sa force5. »

1 Christian-J. Guyonvarc’h, La Razzia des vaches de Cooley, p. 166.

2 Op. cit., p. 196.

3 Georges Dumézil, Le Livre des héros. Légendes sur les Nartes, pp. 44-54.

4 Op. cit., pp. 28-30.

5 Patrick Ringgenberg, Une Introduction au Livre des Rois (Shâhnâmeh) de Ferdowsi, la gloire des Rois et la Sagesse de l’Épopée, p. 125.

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On pourrait peut-être dire que si le mythe d’Œdipe fait connaître à la littérature occidentale le thème du parricide, ce thème, étant un tabou pour l’homme oriental, cède la place souvent à l’infanticide, ce qui affirme, dans un certain sens, la légitimité de son système patriarcal. L’histoire de l’Iran a gardé le souvenir des rois qui ont assassiné leurs fils par égoïsme, par peur ou par futilité1.

Or, l’apparition constante d’un certain nombre de thèmes et de motifs dans d’innombrables récits consacrés à un roi-héros modèle et à ses preux chevaliers-paladins, parcourt toute la littérature médiévale des deux pays. On y trouve les principaux éléments de la matrice romanesque comme la naissance légendaire, la présence d’une arme magique et d’un royaume sacré.

Traversant des siècles, cet édifice littéraire, dans chacun des pays, a constitué un fond commun d’idées, de sujets, d’intrigues dans lequel ont puisé tous les écrivains postérieurs. En effet, si les détails des textes diffèrent d’un pays à l’autre, l’arrière-plan en est toujours semblable. Un pareil ensemble de concordances ne seraient pas accidentel et ne viendrait effectivement pas du hasard. En revanche, cela pourrait être l’affirmation de l’idée d’une origine lointaine commune datant de l’époque où les Indo-européens vivaient probablement dans un territoire commun aussi.

On sait que, le thème principal des romans arthuriens est la quête du Graal2 et comme l’indiquent Christian-J. Guyonvarc’h et Françoise Le Roux, nombreux sont les chercheurs qui n’admettent pas l’origine celtique du Graal. En revanche, ils replacent le thème dans un réseau complexe, « d’influences et d’emprunts qui va de l’Inde à l’Islam et de l’Occitanie à l’Iran3. » Le Graal serait en effet l’équivalent de djâm-é Djam (la coupe du roi Djamchîd) de la mythologie iranienne. Remplie d’un élixir d’immortalité, djâm-é Djam dans laquelle reflétait le monde entier4. Pour Christian-J. Guyonvarc’h et Françoise Le Roux, le Graal est aussi le symbole de la « coupe de souveraineté » celtique qui, sublimé par le christianisme médiéval, a perdu toute sa signification religieuse préchrétienne5.

1 Hassan Pirniya, Abbas Eghbal Ashtiyani, Parviz Babai, Târikh-é Iran (L’Histoire de l’Iran), Téhéran, Negâh, 2010, p. 866 et 905, nous rapportent que Châh Abbâs (1587-1629), le grand roi safavide craignant d’être détrôner par ses fils, a tué son fils aîné Safi Mirza qui était en plus son successeur légitime et a aveuglé ses deux autres fils, et Nader Châh (1688-1747), le fondateur de la dynastie afchâr, après qu’une tentative d’assassinat sur lui a échoué, suspecte son fils et lui fait crever les yeux.

2 Jean Marx, La Légende arthurienne et le Graal, Paris, PUF, 1952.

3 Christian-J. Guyonvarc’h, Françoise Le Roux, La Civilisation celtique, Rennes, Éditions Ouest-France, 1990, p. 107.

4 Voir Arthur Christensen, Recherches sur l’histoire légendaire des Iraniens. Les Types du premier homme et du premier roi, Archive d’études orientales, vol. 14 : 2, Stockholm, Leide, 1917, pp. 128- 137.

5 Christian-J. Guyonvarc’h, Françoise Le Roux, op. cit., p. 107.

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Il y a presque deux siècles que l’analogie et les traits convergents qui existent entre les romans de Tristan et Iseut (XIIe siècle) et Wîs et Râmîn du poète persan Gorgâni (XIe siècle), portent des hypothèses fort discutées pour les spécialistes de la littérature comparée.

Concernant l’origine du roman de Tristan, les médiévistes, qui n’ont pas toujours retrouvé les sources de certains éléments étranges du roman dans la mythologie celtique, se sont souvent contentés d’y voir les emprunts hypothétiques des conteurs de la mythologie gréco-romaine.

Ce point de vue, comme l’indique Georges Dumézil, viendrait probablement du « fallacieux préjugé que la mythologie grecque, en raison de la richesse de ses témoignages, devait être le principal outil de la comparaison1 ». Cependant, l’étude comparative des légendes des Scythes, que Georges Dumézil nommait des « Iraniens excentriques, Iraniens d’Europe 2», avec Tristan et Iseut et Wîs et Râmîn, pourrait peut-être mieux résoudre le mystère de l’origine du roman de Tristan et Iseut.

Le nom de Scythes désigne les nomades de langue iranienne dont l’emprise sur les steppes eurasiennes a duré du VIIe au IIIe siècle avant Jésus-Christ, et qui étaient les contemporains de la Grèce classique, de la Perse achéménide et de la Chine des Zhou orientaux3. Henri Massé nous rapporte :

Iraniens étaient les Scythes qui, du VIIIe au IIIe siècle, occupèrent la Russie du Sud et l’occident du Turkestan— le pays de Touran dont ils furent partiellement dépossédés par d’autres Iraniens, les Sarmates. Quant au Turkestan de l’Est, il demeura sous l’influence des Iraniens jusqu’à ce qu’il fut occupé par les Chinois, au VIIIe siècle de notre ère ; au siècle suivant, les Turcs Ouigour le conquirent— d’où son nom de Turkestan— mais en se soumettant à l’action religieuse et artistique de l’Iran4.

L’épopée narte ou Les Légendes sur les Nartes relate l’ensemble des récits héroïques des Ossètes du Caucase qui sont d’ailleurs les descendants directs des Alains, peuple lui- même descendant des Scythes. D’après Georges Dumézil, dans les légendes épiques des peuples iranophones du Caucase qui sont généralement connus par Hérodote et les historiens ou géographes de l’Antiquité sous le nom des Scythes ou Sarmates, les Nartes sont une race de héros mythiques qui vivaient avant les hommes, à l’époque des géants et étaient leurs

1 Didier Eribon, Georges Dumézil (entretiens), Gallimard, Paris, 1987, p. 125.

2 Op. cit., p. 24.

3 Iaroslav Lebedynsky, Les Scythes. La Civilisation des steppes (VIIe-IIIe siècles av. J.- C), Paris, Éditions Errance, 2001, p. 7.

4 Henri Massé, Anthologie persane, Paris, Payot, 1997, p. 9.

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grands adversaires1. Dans l’épopée ossète, les Nartes sont un peuple de cavaliers et de guerriers qui défendent farouchement leur liberté et cultivent leur soif de bravoure, d’héroïsme et de gloire éternelle.

D’après Vladimir Kouznetsov et Iaroslav Lebedynsky, historiquement, une ethnie des Scythes, lors des grandes invasions (environ cinq siècles avant Jésus-Christ), a circulé à travers l’Europe et jusqu’en France sous le nom des Alains et des Roxolans. Et l’épopée narte est fondamentalement celle des Alains qui, fondus dans la population locale, ont disparu vers le XIIe siècle. Cet ensemble de récits, connu sous diverses formes dans une grande partie du Caucase, soutient la comparaison avec d’autres grands cycles épiques européen (les sagas2 scandinaves, les chansons de geste, le Nibelungenlied), et iranien ou indiens. Il ressuscite d’une certaine façon la « société héroïque » des Alains, sinon telle qu’ils l’ont réellement connue, du moins telle qu’ils l’ont rêvée3. D’après Georges Dumézil aussi, l’épopée narte, dans sa partie essentielle, est « l’épopée du peuple alain », et elle a été empruntée aux Alains par d’autres peuples du Caucase du Nord4. Or, parmi les Nartes, Soslan et Batraz étaient des héros indomptables au destin singulier. Certains traits caractéristiques de ces héros sont identiques à ceux de Cuchulainn et de Rostam. Par ailleurs, Rostam du Châh-Nâmeh est originaire de Sakastan (l’ancien nom de la province de Sistan de l’Iran actuel) ou le « pays des Saka, des Saces » qui définit en persan le pays des Scythes :

En effet, là où Hérodote parle de Scythes, Sauromotes (des ancêtres des futurs Sarmates, le nom est iranien et signifie les « fourrures noires »), Massagètes, Saces et autres peuples, les Perses ne connaissent que des Sakâ différenciés par de simple surnoms. Les inscriptions de Darius évoquent ainsi les Sakâ « d’au-delà de la mer », les Sakâ « au bonnet pointu » et les Sakâ « adorateurs du haoma (la boisson sacrée des Arya), ou encore « loup du haoma5 ».

Rostam, munie d’une massue, d’un arc avec des flèches empennées de quatre plumes d’aigle et d’un lacet roulé 60 fois, est inséparable, à l’instar du cavalier scythe, de son cheval

1 Georges Dumézil, Mythe et Épopée I. II. III, paris, Quarto Gallimard, 1986, préface de Joël H. Grisward, p.

471.

2 La saga est un type de narration développé dans l’Islande médiévale aux XIIe et XIIIe siècles. Elle est un récit en prose qui suit de la naissance à sa mort les faits et gestes d’un personnage intéressant à un titre ou un autre, sans négliger ce qui concerne ses antécédants ou descendants. Le personnage en question, pour être digne de donner matière à saga, ne doit pas nécessairement avoir accompli des hauts faits nonpareils, mais il doit s’être montré digne de son Destin, tel qu’il l’a découvert ou qu’on le lui a révélé, en triomphant de certaines épreuves.

La définition est tirée de Régis Boyer, Les Sagas légendaires, Paris, Les Belles Lettres, 1998, pp. 27-28.

3 Vladimir Kouznetsov, Iaroslav Lebedynsky, Les Alains, cavaliers des steppes, seigneurs du Caucase, Paris, Errance, 1997, p. 155.

4 Georges Dumézil, Mythe et Épopée I. II. III, p. 481.

5 Vladimir Kouznetsov, Iaroslav Lebedynsky, op. cit., pp. 15-16.

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nommé Rakhch qui est pour lui comme « son trône1 ». Cuchulainn possède lui aussi deux chevaux dont Gris de Macha comme Rakhch est doté d’une intelligence humaine. Les armes invincibles de Cuchulainn sont une épée et un javelot-foudre et celle de Soslan sont également une épée (il est né de la pierre et portait un sabre à la main droite) et un arc infaillible.

Quant aux personnages romanesques de Tristan et de Râmîn, eux-aussi, comme les héros épiques, possèdent chacun son propre cheval et ses armes spécifiques. Tristan est le possesseur d’une épée et l’« Arc infaillible » et Bel Joëor est son cheval sans pareil :

Tristran rot le Bel Joëor :

Ne puet on pas trover mellor. (Béroul, vv. 3997-3998) Tristan montait Beau Joueur. Il n’en existait pas de meilleur.

Et Râmîn, à l’instar de l’archer légendaire de l’Iran, Ârach, est un excellent archer dont l’unique destrier est Bahâr :

Puis on lui amena [Bahâr] son rapide coursier dont le corps paraissait un mont ; il l’enfourcha.

L’on eût dit qu’au cheval avaient poussé des ailes. (Henri Massé, p. 371).

Rostam, Cuchulainn, Soslan et même Tristan, dans un certain sens, meurent tous piégés par la machination. Les trois héros épiques se vengent cependant de leur meurtrier juste avant de périr. Le récit de la Mort de Cuchulainn raconte également que la reine Medb qui rêvait de se venger du héros, réunit une armée avec les trois filles du magicien Calatin dont la famille avait été massacrée par Cuchulainn lors de la razzia des vaches de Cooley. Les trois sorcières préparent un traquenard capable de lui faire violer ses interdits, ce qui causera la perte du héros. Grièvement blessé, Cuchulainn s’attache à une pierre dressée afin de ne mourir « ni assis, ni couché ». Lorsque Lugaid s’approche du cadavre pour trancher sa tête, l’épée du héros, en tombant de sa main, lui sectionne le bras droit qui roule à ses pieds. On coupe alors le bras droit de Cuchulainn pour le venger2.

Mais la mort de Rostam et de Soslan est identique. Les deux héros sont tués par la machination de leur demi-frère né sous de néfastes auspices. Et chacun des héros se venge de son demi-frère en lançant une flèche mortelle vers lui avant de mourir. Il convient de noter

1 Ferdowsi, Châh-Nâmeh, Jules Mohl, Le Livre des Rois, tome II, p. 451.

2 Christian-J. Guyonvarc’h, La Razzia des vaches de Cooley, p. 288.

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que la mort de ces héros est aussi comparable avec celle de Baldr, dieu de la mythologie nordique, causée par la machination de Loki et qui sera lui aussi mis en cause et puni.

À tout cela s’ajoute encore l’analogie de certains traits caractéristiques de Batraz le héros-chef des Nartes avec le roi Arthur de l’Historia regum Britanniae « Histoire des rois de Bretagne » de Jeoffroy de Monmouth. Cette analogie est plus surprenante lorsqu’il s’agit de la mort des héros. Chacun des rois possède une épée qui lui est inséparable. Parvenu au terme de sa vie, Batraz ordonne aux Nartes de jeter son épée dans la mer Noire afin qu’il puisse mourir.

Dès lors, cette épée sort parfois de la mer en bondissant et cause d’énormes éclairs. Le récit concernant la mort d’Arthur raconte également que le roi mortellement blessé sur le champ de bataille, ordonne à Girflet, seul survivant du carnage, de jeter sa chère épée au fond du lac.

Dès qu’il lance l’épée royale dans le lac, une main sort de l’eau, empoigne l’arme et l’entraîne au fond. Joël. H. Grisward dans son précieux article, « Le Motif de l’épée jetée au lac », écrit :

Le motif de l’épée nous apparaît soudain capital moins parce qu’il permet d’établir un lien de parenté entre un personnage et un autre, que parce que cette parenté s’inscrit tout à coup dans un ensemble cohérent où s’organisent d’autres rapports de parenté ; l’équation Arthur = Cuchulainn = Batraz se vérifie parce que les caractères et les fonctions qui définissent ces personnages sont homologues, mais aussi parce que cette équation se double d’un certain nombre d’autres, parce qu’elle appartient à des univers épiques homologables au sein desquels chacun des héros se situe d’une manière similaire1.

Or, le prototype d’un tel héros surhumain, emprunté sûrement à la tradition épique populaire, évoquerait dans un sens restreint les cavaliers nomades scythes. Ainsi, en partant de l’hypothèse d’une origine scythique pour les deux romans, le but premier de ce travail de recherche sera de vérifier les éléments constitutifs des romans afin de mieux élucider le mystère d’un avant-texte chez Gorgâni, et de l’« estoire » à laquelle les auteurs de Tristan se réfèrent.

Mais, la première question qui se pose est : par quelles voies la tradition populaire antique a-t-elle cheminé d’un territoire à l’autre pour se perpétuer à travers les siècles ?

Une des voies serait sans doute la poésie des ménestrels chanteurs ou des musiciens ambulants qui, bien avant l’apparition des premiers troubadours du Midi et trouvères du Nord, chantaient le vin, l’amour et les hauts faits héroïques. Ces ménestrels chanteurs, que la littérature persane connaît depuis le roman de Wîs et Râmîn sous nom des goussân et la

1 Joël. H. Grisward, « Le Motif de l’épée jetée au lac », dans La Mort le roi Artu, [édité par] Emmanuèle Baumgartner, Paris, Klincksieck, 1994, p. 70.

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littérature française sous nom des jongleurs ou des goliards existaient depuis longtemps dans le monde indo-européen. D’après les recherches de Mary Boyce, les goussân étaient en effet les ménestrels chanteurs parthes1. Les Parthes eux-mêmes faisaient partie du vaste ensemble de tribus scythiques qui nomadisaient dans les steppes entre la mer Caspienne et la mer d’Aral. La Bible dans les Actes des Apôtres (2, 9) fait allusion aux Parthes. On y lit qu’au jour de la Pentecôte il y avait des hommes pieux venus « du pays des Parthes, de Médie et d’Elam2, de Mésopotamie… ». Il convient de noter que la date de l’histoire de Wîs et Râmîn remonte à l’époque des Parthes-Arsacides3, une dynastie iranienne du type féodale qui régna en Iran vers 250 avant Jésus-Christ jusqu’à l’avènement des Sassanides. Le roman de Gorgâni est en effet la reconstitution d’une épopée romanesque parthe.

D’après Edmond Faral, c’est au IXe siècle que pour la première fois on entend parler des jongleurs et « l’abbé de la Rue prétendait que les jongleurs étaient en Gaule les successeurs des bardes, transformés par le christianisme et continués sous une autre dénomination4 ». Comme le mentionne André Akoun, les goliards étaient les bouffons d’église, les clercs de mauvaises mœurs « plus portés sur la bonne chère et la chair que respectueux de la discipline ecclésiastique. Ils chantaient en vieux latin la boisson et l’amour.

Mais aussi toute une philosophie simple, sur les aléas de la fortune et sur le temps qui passe5. »

Littérature, un domaine sans frontière

Perçu comme le grand réservoir du folklore, l’Orient serait la source de la plupart des thèmes et des motifs de la littérature médiévale européenne. À cet égard, l’influence

1 Mary Boyce, The Parthian Gôsân and Iranian Minstrel Tradition, Traduit en persan par Behzad Bashi, Téhéran, Âgâh, 1989.

2 Un ancien pays occupant la partie sud-ouest du Plateau Iranien, entre les actuelles provinces du Khouzestan et du Fars en Iran.

3 D’après Roman Ghirshman, le peu qu’on sait sur les origines des Parthes permet d’admettre qu’ils appartenaient à la tribu des Parni, qui faisait partie du peuple des Dahae, au vaste ensemble de tribus scythiques qui nomadisaient dans les steppes entre la mer Caspienne et la mer d’Aral. Vers 250 avant Jésus-Christ, Arsace le fondateur de la dynastie parthe-arsacide, avec ses guerriers occupe d’abord la région du haut de Tejen (Rivière Tedjen) et puis les Parthes, sous Arsace, s’emparent de toute la région qui forme aujourd’hui la frontière transcaspienne russo-iranienne. Ainsi, se constitue le noyau du futur royaume parthe qui coupe définitivement l’Empire séleucide du royaume grec de la Bactriane (région située entre les montagnes de l’Hindou-Kouch et la rivière Amou-Daria). En effet, le terme Parthe serait le synonyme de Parthava, qui est attesté déjà au temps de Cyrus et de Darius et signifiait « combattant, cavalier ». Le terme désignait tous les peuples nomades et cavaliers qui, périodiquement, envahissaient l’Est de l’Iran, et qui restait attaché à une des provinces des marches orientales de l’Empire achéménide. L’Iran des Origines à l’Islam, Paris, Albin Michel, 1976, pp. 236-237.

4 Edmond Faral, Les Jongleurs en France au Moyen Âge, paris, Librairie Honoré Champion, 1910, p. 4.

5 André Akoun, Mythes et croyances du monde entier, tome I, Le Monde indo-européen, Paris, Éditions Lidis- Brepols, 1985, p. 283.

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géographique et historique du vaste Plateau Iranien qui, comme un pont relie l’Orient à l’Occident, est remarquable. Comme l’indique Geo Widengren,

les Iraniens ont joué dans l’Antiquité un rôle qui, pour un peuple relativement si petit, est plus que remarquable. Les tribus les plus connues sont celles des Mèdes et des Perses, qui ont fondé sous Cyrus le premier grand empire du monde ancien, et se sont mesurés pendant deux siècles avec des Européens, les Grecs, avant d’être vaincus par Alexandre le Grand1.

Depuis plus de deux siècles, l’étude comparée de la mythologie et des légendes iraniennes, inaugurée par James Darmesteter (1849-1894) a fourni, au fur et à mesure, matière à des recherches méthodiques. En 1918, Arthur Christensen (1875-1945) a commencé une vaste étude comparée sur l’histoire légendaire des Iraniens. Le savant danois, en s’appuyant sur les recherches de son compatriote folkloriste Axel Olrik (1864-1917), a démontré que le mythe scandinave de l’enchaînement de Loki (Aji Dahâk iranien) est emprunté aux peuples du Caucase. Ainsi, il a fait remarquer une parenté indéniable entre les légendes cosmogoniques des Scandinaves avec celles des Iraniens. Il en a conclu qu’il existait un échange d’idées religieuses, mythiques et légendaires entre les peuples du Caucase et les Iraniens qu’il considérait « peuple d’une culture supérieure » dans les temps immémoriaux :

Beaucoup des légendes que les Ossètes, peuple iranien originaire du Kharezm, ont apporté dans leurs nouvelles demeures au Caucase, se sont propagées parmi les autres peuples caucasiens. Aussi, si l’on adopte l’hypothèse d’Olrik, on pourra supposer de même, que la légende iranienne du bœuf primordial, de l’homme primordial et du premier couple humain qui sortait d’une plante, a été adoptée par des peuples caucasiens et s’est propagée du Caucase aux peuples scandinaves par l’intermédiaire des Ostrogoths, comme la légende du géant enchaîné2.

Le vaste panorama des études comparatives trouvera son apogée, plus tard, grâce aux recherches complémentaires dues au grand érudit Georges Dumézil (1898-1986), qui durant cinquante ans a étudié la théologie, la religion et la littérature des divers peuples indo- européens3. En effet, Georges Dumézil est l’un des premiers qui met en lumière, à partir de

1 Geo Widengren, Les Religions de l’Iran, p. 15.

2 Arthur Christensen, Recherches sur l’histoire légendaire des Iraniens. Les Types du premier homme et du premier roi, vol. 14 : 1, p. 37.

3 L’adjectif indo-européen s’applique à trois champs différents : la linguistique, la mythologie et l’archéologie.

En effet, « un certain nombre de langues, parlées à l’origine en Europe, en Iran et en Inde, ont entre elles plus

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1938, que les Indo-européens ordonnaient leur univers par une idéologie fondée sur la tripartition fonctionnelle, idéologie qui semble bien leur être propre. Ce système des trois fonctions est d’abord un système idéologique, un système d’interprétation systématique qui n’a que d’éventuels prolongements dans la division réelle de la société en castes ou en classes sociales. Dans cette tripartition, la première fonction se rapporte à la souveraineté religieuse, politique et juridique, au sacré et aux rapports des hommes avec le sacré. La deuxième fonction a trait à la force physique avec tous ses usages, aux vertus guerrières, au courage et à l’héroïsme. Les deux premières fonctions étant plus strictement masculines, la troisième fonction concerne la fécondité animale et humaine, l’abondance des hommes et des biens, la santé, la paix et les activités économiques et marchandes. C’est donc le domaine de la production et de la reproduction, le domaine des femmes également.

L’impact des idées du savant forme les Mythe et Épopée I, II, III. La trilogie dumézilienne, comme l’indique Joël H. Grisward « peut se lire après tout comme un florilège de narrations fabuleuses, un recueil de Contes et légendes du monde indo-européen1. »

Or, dans cette trilogie, les légendes des Iraniens, telle qu’elles ont été conservées dans les textes avestiques ou racontées par Ferdowsi dans le Châh-Nâmeh, ont été souvent étudiées pour faire ressortir les sources aryennes les plus anciennes de ces légendes. Dans son œuvre Archéologie de l’épopée médiévale, Joël H. Grisward, en appliquant la méthode dumézilienne à l’épopée du Moyen Âge, montre que le Cycle des Narbonnais2 plonge ses racines « dans de vieux schémas d’explication du monde que l’on retrouve dans des épopées indiennes, iraniennes ou scandinaves3 ».

d’affinités et de ressemblances qu’elles n’en présentent avec d’autres comme les langues sémitiques (l’arabe et l’hébreu) ou sino-tibétaines. Cette distinction qui ne date que du début du XIXe siècle, est aux fondements de la discipline que l’on nomme aujourd’hui la linguistique. Dès lors, il était tenant de retracer l’histoire de ces langues et des peuples qui les parlent et de définir une ethnie, une civilisation, qui serait à leur origine.

« L’historien Georges Dumézil est allé plus loin encore, prétendant reconnaître des mythes fondateurs communs aux peuples de langue indo-européenne. » Jean-Paul Demoule, « La Génétique résoudra-t-elle l’énigme de l’origine des Indo-Européens ? », dans Sciences et Avenir, n° 163, juillet-août 2010, p. 27.

1 Georges Dumézil, Mythe et Épopée I. II. III, p. 10.

2 Le Cycle des Narbonnais raconte à travers une vingtaine de chansons de geste, les heurs et malheurs d’Aymeri de Narbonne et de ses sept fils. Le comte Aymeri envoie les six de ses fils au-delà des frontières en fixant à chacun sa destination : les trois aînés iront ensemble au nord, des trois cadets, l’un devra s’installer à l’ouest, un autre au sud et le troisième à l’est. Ainsi, Aymeri ne garde près de lui que le plus jeune comme héritier de ses terres et son titre après lui. Une légende analogue du partage du monde (Feridoun et ses trois fils) a été conservée dans la pseudo-histoire de l’Iran et Ferdowsi l’a racontée dans le Châh-Nâmeh. Voir Joël H. Grisward, Archéologie de l’épopée médiévale, structure trifonctionnelles et mythes indo-européens dans le Cycle des narbonnais, Paris, Payot, 1981, pp. 40-41.

3 Michel Stanesco, « La Littérature médiévale européenne : les défis du comparatisme », dans Perspectives médiévales. Trente ans de recherches en langue et en littérature médiévales, numéro jubilaire, Textes réunis par Jean-René Valette, Gémenos, Groupe Horizon, mars 2005, p. 402.

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Arthur Christensen trouve l’histoire légendaire des Iraniens plus utile à étudier parmi toutes les histoires légendaires du monde surtout du point de vue de la psychologie de la légende. Dans la préface de Recherches sur l’histoire légendaire des Iraniens où il a minutieusement examiné ces légendes et les a comparées avec celles d’autres peuples indo- européens, il écrit :

De toute l’histoire légendaire depuis le commencement du monde jusqu’à l’époque de Zoroastre, il existe toute une série de relations, tantôt brèves, tantôt plus amples, datant de diverses périodes durant plus de deux mille ans et représentant en partie diverses voies de tradition. Aussi l’étude de ces sources différentes nous permet-elle de jeter maint coup d’œil sur la façon dont travaille l’esprit populaire d’une part, et d’autre part l’esprit spéculatif des théologiens, des généalogistes et des chronologistes, en créant, en combinant et en transformant les mythes, les légendes et les motifs tirés de contes fabuleux1.

Les romans de Tristan et Iseut et Wîs et Râmîn exaltent, d’un point de vue plus général, l’amour fatal et inaugurent une nouvelle inscription sociale du couple, jusqu’alors considérée différemment. Ils surgissent à une époque stricte et posent en des termes déjà très modernes le problème de l’ambigüité des signes, problème qui renvoie à l’ambigüité des sentiments entre les êtres2. Les deux romans offrent l’image d’un monde où les valeurs différentes, sinon opposées, s’affrontent. La morale religieuse de l’obéissance et de la résignation entre en conflit avec la morale de l’amour incarnée par les amants.

De la littérature à l’illustration, en passant par la musique, la peinture et le cinéma, l’histoire d’amour de Tristan et d’Iseut fonde en partie la culture occidentale où la joie de l’amour ne se limite plus au mariage. C’est donc « une originalité au regard des positions de l’Église comme au regard des mœurs du temps3. » En effet, ce récit d’amour comme un

« phénomène historique » selon Denis de Rougemont devient un véritable mythe qui interroge sur des questions qui hantent l’homme depuis toujours : le bien et le mal, l’innocence et la culpabilité, l’amour passion et la raison, le libre arbitre et la fatalité.

Denis de Rougemont dans son remarquable ouvrage L’Amour et l’Occident4 défait le mythe de la passion amoureuse et montre les contradictions de ce qui est souvent présenté comme l’archétype des histoires d’amour. En traitant les origines religieuses et mystiques de

1 Arthur Christensen, Recherches sur l’histoire légendaire des Iraniens, vol. 14 : 1, p. 4.

2 Philippe Walter, Tristan et Yseut, Béroul, Paris, Hatier, 2000, p. 94.

3 Michel Zink, Introduction à la littérature française du Moyen Âge, Nancy, Librairie Générale Française, 1993, p. 47.

4 Denis de Rougemont, L’Amour et l’Occident, Paris, Plon 10/18, 1972.

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