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Croire, soigner

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Academic year: 2022

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Texte intégral

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CROIRE, SOIGNER, 2019.3 ARGUMENT

Celles et ceux qui s'attèlent à vouloir comprendre la vie, appellation vaste afin de ne pas la réduire à des considérations catégorielles égocentriques, se retrouvent devant plusieurs difficultés.

À commencer par les limites du champ d'étude : ce que l'on perçoit et pense savoir, est-il réductible à une vérité universelle ou n'est ce qu'une vision partielle de ce qui nous entoure ? À partir de là, deux grandes lignes actuelles s’entremêlent, l'une se recentrant sur le sujet, l'autre sur l'intrication entre le sujet et l'environnement. La première s'intéresse particulièrement à la personne, à son passé, son présent, son futur, ses émotions, ses souffrances, ses deuils, ses joies, ses insomnies, son travail, etc. L'autre porte une attention particulière sur ce qui fait lien avec le sujet dans son rapport au monde : le battement d'aile d'un papillon, la pluie, les fourmis, les rats, les chênes, la pleine lune, les lucioles, les fourmis, les vagues. D'emblée se perçoit des modèles de conception du monde différents, complémentaires, opposés, coordonnés. Le film de El abrazio del serpiente de Ciro Guerra montre comment deux explorateurs (un chef amérindien et un anthropologue allemand), de deux mondes différents explorent des contrées in-connues. L'un observe et utilise ce qui l'entoure pour se déplacer, garder en mémoire, là ou l'autre a besoin d'objets personnels (boussole, carte, photo, carnet).

Comment la croyance en un modèle plus qu'un autre influe sur le « soin » ? Comment s'entend et se comprend le concept de souffrance ? En quoi celle-ci peut-elle être une croyance si le sujet est placé au centre du monde ? En quoi peut-elle être une manifestation d'une

« désorganisation » d'un monde si le sujet n'est qu'un maillon du rouage de ce monde ? Le modèle énoncé premièrement repose principalement sur une pensée occidentale dans laquelle une personne malade est dénommée « patiente » ; dans le sens où elle doit patienter – patere, souffrir – pour guérir, étant en partie responsable de son bonheur. Dans le modèle religieux yoruba : le candomblé (dans lequel les catégories du bien et du mal ne sont pas traduits de manière manichéenne en ange et diable), le sujet en souffrance est un défaut de communication entre l'adepte en devenir et le divin.

Il s'agirait alors, d'une « initiation », d'une « conversion » qui permettrait à l'adepte l'entrée dans un monde autre. Dans cette manière d'entrevoir le monde, le concept de souffrance n'a plus sa place, puisque les catégories de normal et pathologique perdent leur valeur. Ainsi, le dialogue produit entre l'adepte et « son divin » apporte des bienfaits à l'ensemble du groupe et non à un niveau individuel. Le divin « possède » l'adepte qui, porté par le groupe, lui redistribue les « savoirs » acquis durant cette possession.

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C'est en cela que la fameuse Efficacité symbolique de Claude Levi-Strauss prend son sens.

Est-ce le fait que le chaman raconte « le mythe » de l'enfant à venir de cette femme en train d'accoucher ? Est-ce aussi, et paradoxalement non pas un mythe mais une réalité, qui permet de conditionner cette femme pour qu'elle se trouve dans un « autre » environnement, lui permettant d'activer d'autres potentialités en elle ? Est-ce qu'il est important de savoir si le récit du chaman soigne ? L'histoire « mythique » racontée ne viendrait-elle pas activer la capacité de rêverie de cette femme et une forme de lâcher prise sur la situation douloureuse qu'elle est en train de vivre ?

Le récit de Lévi-Strauss sur ce chaman envers cette femme enceinte, ne vient-il pas, lui non plus, activer notre capacité de rêverie ? Celle-ci ne se construirait-elle pas lorsque, enfants, nous croyions aux récits du grand méchant loup pour de vrai ? Dans cette croyance, les frontières géographiques se lèvent, car le loup, bien que vivant en forêt, peut surgir de dessous le lit, se cacher derrière un meuble, etc. Est-ce que le loup existe toujours dans le monde adulte en se travestissant, venant réactiver les empreintes sensorielles de l'enfance ? Quelles nécessités avons-nous à masquer nos peurs, à en venir à croire qu'elles n'existent plus ? Ou au contraire, à les maintenir présentes malgré une réalité non menaçante ?

Croire, soigner ouvre des perspectives de réflexion sur de possibles nécessités de croyances pour soigner, venant ainsi rebattre les cartes conceptuelles du sujet et de son intrication dans l'environnement. Quelle nécessité le « mythe », la croyance exercent-ils sur notre manière d'aborder le réel ? Comment la croyance peut lever les barrières géographiques et temporelles ? Qui de nous, naviguant sur un bateau en Grèce, proche d'Ithaque, n'a pas cherché Ulysse ? La science n'est-elle pas un travestissement du mythe ? Là où le croyant se réfugie-t-il en Dieu(x), l’athée trouve-t-il ses réponses dans Science(s) ? Comment, en termes de croyance, le récit d'un chaman peut-il alléger les douleurs d'une femme enceinte ? Comment la péridurale, mais aussi l'hypnose, peuvent-elles adoucir les effets de l'accouchement ? Quels impacts ont ces techniques sur le corps et la psyché du sujet ? Quelles traces, ces différentes techniques, laissent-elle au sujet ? Les nombreuses études réalisées sur l'effet placebo laissent entendre que si le patient comme le médecin ne sont pas au courant que le médicament utilisé en est un, le pouvoir attribué au médicament n'en est qu'augmenté. Nous savons également que lorsque le patient sait qu’il est traité par un placebo le traitement conserve toute son efficacité. Comment le corps, le biologique et les neurones activent- ils la guérison ? Comment la méditation permet-elle de renforcer le système immunitaire ? Les zones empruntées par les neurones utilisent-elles les mêmes réseaux, lorsqu'un croyant réalise une prière avec conviction ? Quelle part de croyance y a-t-il dans la raison ? Comment cela vient requestionner les cartes territoriales du fantasmes et de la réalité ? Peut-on déplacer

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« géographiquement » ou « culturellement » une personne souffrante pour tenter de la guérir ? La

« conversion » permet-elle l'apprentissage d'un nouveau monde dans lequel le sujet souffrirait moins ? Quels sont les dangers de ces croyances ? Comment celles-ci peuvent-elles catégoriser le sujet, l'enfermant dans des croyances – scientifiques ou religieuses – désubjectivantes ?

Bibliographie :

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Références

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