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Le ciment de mes ancêtres: construction sociale et transmission d'un conflit: événements et destin commun en Kanaky-Nouvelle-Calédonie

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Academic year: 2022

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Thesis

Reference

Le ciment de mes ancêtres: construction sociale et transmission d'un conflit: événements et destin commun en Kanaky-Nouvelle-Calédonie

ROUGEMONT, Heloise

Abstract

Quels types de connaissance (re)produisent et défont les conflits dits « ethniques »? Pour explorer cette question, cette thèse investit trois champs de recherche : celui des processus identitaires ; celui du conflit ; celui de l'éducation/formation, en particulier la construction sociale et la transmission informelle de récits d'histoire. Elle s'intéresse à la période dite « des Événements » en Kanaky-Nouvelle-Calédonie. L'analyse se base sur plusieurs mois de terrain (principalement Nouméa, nord-est et Lifou) et sur une vingtaine d'entretiens semi-directifs, réalisés avec des personnes vivant pour la plupart en tribu, nées entre 1939 et 2005 et ayant expérimenté cette période de diverses façons. Elle s'attache à mettre en lien le vécu des Événements, leur transmission et les représentations construites autour de la notion de destin commun. D'un point de vue théorique, elle tend à s'éloigner progressivement d'une lecture du conflit en termes culturels, pour en privilégier une analyse pragmatique.

ROUGEMONT, Heloise. Le ciment de mes ancêtres: construction sociale et transmission d'un conflit: événements et destin commun en

Kanaky-Nouvelle-Calédonie. Thèse de doctorat : Univ. Genève, 2014, no. FPSE 579

URN : urn:nbn:ch:unige-408701

DOI : 10.13097/archive-ouverte/unige:40870

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:40870

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UNIVERSITÉ DE GENÈVE

FACULTÉ DE PSYCHOLOGIE ET DES SCIENCES DE L’ÉDUCATION SECTION SCIENCES DE L’ÉDUCATION

UNIVERSITÉ DE LA NOUVELLE-CALÉDONIE, DÉPARTEMENT DE LETTRES, LANGUES ET SCIENCES HUMAINES

THÈSE DE DOCTORAT

LE CIMENT DE MES ANCÊTRES

Construction sociale et transmission informelle d’un conflit

Événements et destin commun en Kanaky-Nouvelle-Calédonie

ANNEXES ENTRETIENS I

Commission de Thèse

Codirectrice : Marie-Noëlle Schurmans (Université de Genève) Codirecteur : Bernard Rigo (Université de la Nouvelle Calédonie) Membres : Maryvonne Charmillot (Université de Genève)

Nadine Fink (Haute École Pédagogique du canton de Vaud)

Michel Naepels (École des Hautes Études en Sciences Sociales, Paris)

Jean-Paul Payet (Université de Genève)

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3 Contenu

TIRER LEÇON DU PASSÉ :ENTRETIEN AVEC PRIMO ... 5

UN PARCOURS DE COMBATTANT :ENTRETIEN AVEC HENRI MORINI ... 39

PARMI LES KAMADRA :ENTRETIEN AVEC GUEVARA ... 85

LE SAPIN ET LE COCOTIER :ENTRETIEN DAYNON ... 113

P.T.DÉFENDRE SON COCOTIER ET SON SAPIN :ENTRETIEN AVEC MALCOLM ... 161

LE MOINDRE DES MAUX : ENTRETIEN AVEC AL ... 173

SECOUER LE COCOTIER :ENTRETIEN AVEC PAPA À JÉSUS ... 211

ASSUMER SES OPINIONS :ENTRETIEN AVEC REBELLE ... 259

LES VALEURS DU PASSÉ :ENTRETIEN AVEC ANAM ... 289

A CONTRE-COURANT :ENTRETIEN AVEC SAO ... 319

ALLER DE LAVANT :ENTRETIEN AVEC LOUIS ... 339

SI Y PAS TOI, Y A PAS MOI :ENTRETIEN AVEC I ... 389

LEXIQUE SPÉCIFIQUE ... 417

TABLE DES ACRONYMES ... 419

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5 Tirer leçon du passé : Entretien avec Primo

Genre: Masculin

Année de naissance: 1939 Lieu de naissance: Nouméa Lieu de résidence: Nouméa Environnement

Familial : Parents nés en Calédonie, « tous sauf arrière-grand-père » Scolarité : Thèse en géologie

Activité

professionnelle : Retraité (a probablement travaillé en qualité de géologue) Affiliation politique : Indépendantiste

Position 2014 : Pas de référendum en 2014

1. P : Mais en fait, qu'est-ce que vous voulez démontrer dans votre thèse? Qu'est-ce que vous voulez montrer? Parce que quand on fait une thèse, on doit montrer quelque chose.

2. H (hésitante) : Et bien… ce que je voudrais montrer dans ma thèse c'est… je m'intéresse beaucoup aux processus de construction des identités… individuelles et puis aussi de groupes. Et puis… mon but c'est de mettre en évidence les représentations que les gens se font de ce qu'ils sont, de ce que les autres sont.

Ces représentations influencent les relations générales, c'est pour ça que j'ai choisi la Nouvelle-Calédonie parce que j'ai l'impression que c'est super intéressant.

3. P : Oui mais en fait, la Nouvelle-Calédonie si vous voulez ce n’est pas une situation nouvelle parce que c'est une situation de décolonisation. Enfin, c'est la même chose qu'en Algérie. Le caldoche, senso stricto, il ne veut pas que ça change : c'est le pied noir, si vous voulez ! Parce qu'il a une situation, il a des prérogatives, il veut faire son coup de pêche, son coup de chasse, boire son Whisky etc.

4. H : Coup de gueule! (rire).

5. P : Il ne veut pas que… oui! Donc au moment où il y a eu les Événements/

d'ailleurs moi je me rappelle quand j'étais au collège il y avait… la guerre d'Indochine. On entendait, à la radio: « on a tué tant de vietminh » c'était pratiquement comme un tableau de chasse. Moi je trouvais ça ridicule. « On a tué tant de vietminh etc. ». Sans la décolonisation, il n'y aurait pas eu de guerre, mais en même temps, ça a été terminé. Et il s'est passé la même chose en Algérie.

6. H : Mmh.

7. P : Les Algériens du pays, ils voulaient devenir indépendants. Mais seulement il y avait littéralement des millions de pieds-noirs et eux ils ne voulaient pas que ça change.

(On parle en même temps).

8. P: Ok: pendant des années, les caldoches ont vu ça. On en a parlé à la radio. Mais pour lui c'était quelque chose… c'était comme au théâtre, ça se passait à l'extérieur. Il avait l'impression que ça ne le concernait pas, lui, il écoutait les nouvelles « ça se passe en Indochine, ça se passe en Algérie mais ça peut pas se

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6 passer en Nouvelle-Calédonie ». Et puis après il y a eu des histoires de foulards rouges, etc. Il y a eu une évolution dans l'esprit des indigènes.

9. H : Parce que lorsque vous parlez de cette situation, par exemple, ces gens-là ils étaient quand même conscients qu'ils vivaient avec des groupes… des gens différents.

10. P : Oui mais…

11. H : Ils pensaient que ça n’allait jamais leur arriver…

12. P : Ils pensaient que jamais ça allait changer. Et puis il y a eu les Événements. Et quand il y a eu les Événements, le seul gars qui leur avait dit que ça n’allait pas changer c'est Lafleur. Donc tous les caldoches se sont précipités à la suite pour pas que ça change. Ok, le caldoche il n’a pas de vision politique. Il était dans son île, tout se passait très bien et quand il y a eu les Événements, qui sont arrivés:

« bon et bien ça sent mauvais. Ça c'est des trucs qui se sont passés en Algérie et maintenant ça nous tombe dessus. Il faut pas que ça change ». Et tout de suite, Jacques Lafleur leur a assuré que ça n’allait pas changer. Et malheureusement… je ne sais pas, il ne faut pas laisser les situations comme ça parce que c'est obligé, c'est une évolution qui est légitime, de la part des… des Mélanésien.

13. H : Et puis des anciennes colonies en général.

14. P : Oui ! Oui ! Oui ! C'est une évolution qui est légitime et inévitable. Donc moi depuis des années… d'ailleurs j'ai travaillé en brousse pendant longtemps. J'étais avec les indigènes.

15. H : Ah oui…

16. P : Et bien oui! C'est déjà assez vieux. Mais même à cette époque j'entendais les réflexions des indigènes. Au sujet de ce qui se passait et puis (rire) un jour… A cette époque, il y avait des quantités de ministres, de délégués qui arrivaient de la métropole en Nouvelle-Calédonie: ils allaient faire une séance de travail à l'île des Pins. Je ne sais pas si vous voyez?!

17. H : Oui.

18. P : Ils travaillaient sur je ne sais plus quel projet et après, ils passaient à la télévision en disant: « on a fait un "large" tour d'horizon » ils avaient fait des repas pantagruéliques à l'île des Pins.

19. H : C'était qui ?

20. P : Je n'ai pas les noms, c'est trop vieux dans ma mémoire, mais c'était des délégués, des attachés de ceci, cela… français. Ils passaient en Calédonie, etcetera.

21. H : Mais pendant les Événements ou…

22. P : Non, bien avant.

23. H : Par rapport au nickel?

24. P : Non, c'était des gens qui s'intéressaient à la politique locale. C'était des délégués du gouvernement, tout ça. Donc c'était des hauts fonctionnaires et… ça venait en avion et ça allait faire des séances de travail.

25. H : Au Méridien (rire) ils allaient à l'île des Pins manger des langoustes.

26. P : Oui, ils allaient à l'île des Pins (rires) et puis un jour, j'étais avec les gars sur mine quand un avion nous a survolé et puis… je leur dis aux gars: « tiens, voilà l'avion des ministres qui passe ». Et il l’un d’eux me répond: « c'est bon s'il tombe » (rire). Cri du cœur: « c'est bon s'il tombe » hein? Pendant toutes ces années-là, j'ai vu l'évolution… des esprits changer. Moi je me rendais compte que ça allait un jour nous… claquer à la figure. Mais quand je disais à des copains, à Nouméa « les mentalités changent, il y a ces genres de tendances séparatistes » ils me disaient « non, non mais tu racontes des conneries ». Et puis un jour, les

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7 Événements ont éclaté. Il y a eu des signes précurseurs bien avant: les foulards rouges avec Nidoïsh Naisseline, quand il était jeune. Mais les Calédoniens ils ne voulaient pas voir. Il y avait des tas de signes précurseurs, mais ils ne voulaient pas voir. Et quand c'est devenu trop fort, ces gars-là se sont tournés vers Lafleur.

Voilà. De façon à garder le statu quo. Mais on ne peut pas garder le statu quo, la façon de vivre d'il y a trente ans. Parce que les choses évoluent, la mentalité évolue, les aspirations politiques évoluent. Les gens maintenant… les mélanésiens ont fait leur unité derrière l'indépendance. Mais l'idée d'indépendance, c'est quelque chose de légitime, pour un peuple qui a été colonisé. Alors le problème, c'est de la faire de façon graduelle. De faire accepter aux gens qu'après tout, l'indépendance, ça ne doit pas nécessairement se passer comme ça s’est passé en Algérie, que lorsqu'on se bute sur un truc « vous l'aurez pas votre indépendance, on fera venir des troupes, on fera venir des gendarmes, vous l'aurez pas ». C'est ce qui s'est passé en Algérie. Les pieds-noirs ont toujours refusé cette idée-là. Hein?

27. H : Il y a quand même différentes manières de vivre ici. Vraiment très très différentes, je trouve, suivant où on se trouve, déjà par rapport au groupe auquel on appartient. Il y a des organisations sociales très différentes, suivant l'endroit.

Par exemple à Nouméa, en brousse, au nord, au sud, dans les Loyautés. Et les gens qui ont peur de ça, c'est parce qu'ils ont peur qu'il y ait une certaine façon de vivre qui se généralise…

28. P : Ah vous croyez?

29. H : Je ne sais pas enfin… je pose la question plutôt.

30. P : Mais le Calédonien moyen, il a peur de l'indépendance (inaudible) parce qu’il se voit entre guillemets gouvernés par des mélanésiens. Donc ça ne lui plait pas.

Voilà.

31. H : Pourquoi ?

32. P : Ça ne lui plait pas parce qu’il pense que les mélanésiens, ils ne sont pas aptes à gouverner. Bon, dans l'ensemble ils ont un peu raison, parce qu'on n’a pas…

33. H : Pas de formation?

34. P : Pas de formation. Le seul gars qui avait une stature d'homme politique, qui avait une idée claire de ce qu'il fallait faire, qui avait une pondération dans ses discours c'était Tjibaou. Et (?) aussi donc c'était des gars qui avaient une certaine façon de penser. Il a été remplacé par des représentants qui n’avaient souvent pas les compétences ou l’intégrité nécessaire. Donc beaucoup de Calédoniens disent: « on va être sous la coupe de ces gars-là, ils vont faire n'importe quoi ». Ils ont un peu une appréhension. C'est pour ça que Tjibaou voulait le destin commun à moyen terme… c'est pas mal! Même quand ils parlaient du destin commun.

Regardez cette histoire de drapeaux : c'est une bonne chose que l'on mette les deux emblèmes, parce qu'il y a deux légitimités. Il y a la légitimité kanak et il y a la légitimité des gens qui sont venus sur le territoire…

35. H : Oui j'ai vu le site…

36. P : Et bien même avec ça, vous avez des clowns qui vont venir arracher le drapeau kanak. Parce que c'est le drapeau FLNKS. Vous avez des réactionnaires avec un grand R, dans le pays… parce qu'ils ne veulent pas que ça change.

37. H : Par rapport à ce drapeau, j'ai fait une conférence à l'université la semaine dernière et j'ai parlé du drapeau. Il y a un site vraiment intéressant sur internet.

Qui s'appelle « drapeaunc ».

38. P : Je n’ai pas… je n’ai pas vu.

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8 39. H : Où ils proposent d'envoyer des propositions de drapeau de tout un chacun. Et

après il y a des votes.

40. P : Oui, mais d'une certaine façon, qu'il y ait deux drapeaux c'est une certaine reconnaissance de la dignité du peuple d'origine, de ce pays. Mais je ne me fais pas d'illusion au sujet de ces gars-là, la mentalité, la perception de l'avenir politique du territoire va changer. Pas parce que les réactionnaires vont changer leurs idées. Ça va changer parce que leur génération va mourir au fur et à mesure.

Eux, ils vont rester avec leurs idées pendant toute leur vie et…

41. H : Ah, en fait la nouvelle génération elle va…

42. P : Mais bien sûr, ça c'est parce que la nouvelle génération va s'imprégner des nouvelles idées, etcetera, on sera mis devant le fait accompli et il faudra composer.

43. H : Mais vous croyez que le fait d'avoir pas vécu les Événements, ça influence sur la manière de voir les relations entre les groupes?

44. P : Il y a des gens qui n'apprennent rien des Événements, il ne faut pas croire que ça a été une leçon pour tout le monde. (Rire), si vous prenez par exemple une histoire comme l'affaire Dreyfus. Et bien les antidreyfusards, quand ils ont lu

« J'accuse », quand ils ont eu les preuves de l’innocence de Dreyfus, il ne faut pas croire que ça les a calmés. Ils sont devenus encore plus virulents qu'avant.

45. H : Oui?

46. P : Donc les gars qui ont vu les événements passés (inaudible) ils ne veulent rien changer, ces gars-là. Il ne faut pas croire qu'ils vont apprendre quelque chose des Événements. Ils vont devenir encore plus… plus réactionnaires qu'avant.

47. H : Mais est-ce que le fait de ne pas les avoir vécus, est-ce que justement ça permet de… il y a moins de…

48. P : Et bien dans un sens oui…

49. H : Il y aura moins de…

50. P : Oui…

51. H : Parce que j'entends souvent dire « les Événements ceci, les Événements cela », mais c'est extrêmement difficile d'en parler. Justement, j'aurais eu l'espoir que les gens m'en disent un peu plus sur cette période…

52. P : Mais d’abord, les Événements étaient fort prévisibles. Je trouve que c'est une carence de l'Etat, de ne pas avoir libéralisé les choses bien avant. Il faut vous dire qu'en 1958 on a eu la loi cadre, ici, en Nouvelle-Calédonie, avec la nomination de ministres. C'était une tentative de la métropole pour faire avancer les choses vers une indépendance programmée à très long terme. Mais ça a été interrompu deux ans après.

53. H : Avec le Statut Lemoine, c'est ça?

54. P : Non, bien avant. C'était bien avant, hein? C'était en 1957-58. Mais ça a été arrêté unilatéralement par la métropole. La métropole, en histoire de décolonisation, elle fait un pas en avant, deux pas en arrière.

55. H : Ça vous croyez que c'est une stratégie consciente?

56. P : Bien sûr!

(Interruption: le vent éparpille tous les papiers posés sur la table).

57. P : Donc à la fin de la guerre, il y avait d’un côté les « colonies africaines ». Mais c'était plutôt des comptoirs commerciaux que des colonies de peuplement. Il y avait quand même assez peu de ressortissants métropolitains, contrairement à la Nouvelle-Calédonie qui était une colonie de peuplement: les gens sont venus ici pour s'installer. En Afrique, au Gabon, en Côte d’Ivoire, au Cameroun, etcetera, il y

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9 avait surtout des commerçants. Il n’y avait pas beaucoup de ressortissants français. Pourquoi ? Parce que c'était des colonies avant la guerre. D'ailleurs, les Africains étaient sujets français, ils n'étaient pas citoyens français. Donc ils n'avaient pas les mêmes droits que les citoyens. Mais quand l'idée d'indépendance s'est faite partout, après la guerre en Indochine et dans tous les pays qui ont été colonisés par la France ou par d'autres pays, il s'est posé la question « est-ce qu'on doit les intégrer à la société française ? ». Et en plein débat, à l'Assemblée nationale, et bien la France elle-même a refusé parce que…

une des phrases qui étaient sorties c'est que la France deviendrait alors la colonie des anciennes colonies, parce que la majorité des députés seraient des ressortissants d’Outre-mer. Autrement dit : les députés français seraient minoritaires dans leur propre pays. Donc ils ont fait marche arrière, « on ne va pas les intégrer ».

58. H : (lit un livre que Primo lui tend) « Ainsi les citoyens des territoires d'Outre-mer seraient plus nombreux que les citoyens de la métropole… ».

59. P : Oui donc on ne va pas les intégrer!

60. H : « Comme le disais de façon plaisante et profonde à la fois Edouard Herriot, la France deviendrait ainsi la colonie de ses colonies »1. Oui, ça fait penser à une chose que j’avais vue sur Internet : à chaque fois, ils présentent un article et l’article donne lieu à un forum de discussions où les gens peuvent donner leur avis. Et j'ai lu un propos disant « de toute façon, moi ça ne m'intéresse pas de revenir en France, parce que… parce que maintenant c'est un pays d'Arabes ».

61. P : Ah oui, j'ai vu ça…

62. H : Et de tsiganes.

63. P : Ah oui mais ça c'est… ça montre les valeurs, c'est des réflexions individuelles…

mais le problème ici, c'est que la France a fait miroiter pendant des années aux anciennes colonies qu'un jour elle les intégrerait. Et après ils se sont rendus compte que s'ils les intégraient, les députés de ses colonies seraient plus nombreux à l'Assemblée nationale que les députés métropolitains. C'est pour ça qu'ils disent « à ce moment-là, la France deviendrait la colonie de ses colonies ».

Donc on fait marche arrière. Bon après… d'abord après il y a eu l'indépendance de ces colonies africaines. Mais là ce n'était pas encore une indépendance très mal ressentie par la France, parce qu'en fait, ces colonies n'étaient pas des colonies de peuplement. Ce n'était pas le même problème en Algérie et en Indochine où il y avait beaucoup de ressortissants français qui étaient installés.

En Algérie, il y avait énormément de pieds-noirs qui étaient installés. Et puis maintenant en Nouvelle-Calédonie, c'est une colonie de peuplement, c'était une colonie de peuplement. D'ailleurs, si vous écoutez le chant qui a été composé par Gabriel Simonin (il chante) « Oh Nouvelle-Calédonie, na na ni… » à un moment il y avait « la plus belle de nos colonies », ils ont changé ça en « belle comme une symphonie »…

64. H : (Rire).

65. P : (Rire). Parce que ça n’allait plus du tout. C'est quand même plus politiquement correct de dire « belle comme une symphonie ». Et puis à un moment, il y a aussi

« colonie de peuplement » dans les paroles. Je ne sais pas s’ils n’ont pas changé, ça aussi… Ça fait un drôle d'effet…

66. H : De toute façon, les mots changent…

1 Discours à l’Assemblée nationale, 27 août 1946.

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10 67. P : Non, mais c'est beaucoup plus difficile d'accorder l'indépendance à une colonie de peuplement qu'à une colonie de comptoirs. Et comme les colonies africaines étaient plutôt des comptoirs commerciaux…

68. H : Mais pourquoi?

69. P : Parce que les gens qui sont dans ce pays-là, qui ont peuplé ce pays, qui viennent de métropole, ils ne veulent pas. Parce qu'ils veulent garder leur façon de vivre, leur position sociale vis-à-vis des indigènes. Ils ne veulent pas que ça change, c'est toujours pareil. Ils ne veulent pas que ça change.

70. H : Donc pour vous, c'est plus un problème de classe qu'un problème culturel.

71. P : Tout ça c'est mêlé, il y a les problèmes culturels, il y a les problèmes de classe et puis pas mal d'autres choses. Et c'est pour ça que je trouve que c'est une bonne chose, qu'il y ait maintenant cette idée de destin commun. Et il faut l'accepter, il y a des quantités de gens qui ne l'acceptent pas encore. Par exemple aujourd'hui, le cas de drapeaux, c'est une bonne chose parce que (inaudible) si vous mettez des imbéciles au pouvoir, ils vont croire tout de suite que « ça y est, c'est arrivé ». On se retrouve facilement dans une dictature, dès qu'on met des gars… des gars qui n'ont pas la stature politique… Comme dit le vieil adage : « le pouvoir corrompt et le pouvoir absolu corrompt absolument ».

72. H : (Rire).

73. P : Donc il faut quand même qu'il y ait des gens qui soient à la hauteur pour gouverner le pays. C'est… l'application des fonctions régaliennes. Qu'est-ce que les fonctions régaliennes? Et bien c'est…

74. H : La monnaie…

75. P : La défense, la monnaie, la justice, l’état civil, la représentation diplomatique euh… qu'est-ce qu'il peut y avoir? Il y a toutes ces fonctions-là. Quand un état est indépendant, il peut se gérer lui-même. L'immigration étant l’une des fonctions régaliennes, il y a plusieurs possibilités pour la Nouvelle-Calédonie. Mais le contrôle de l'immigration, même dans les petites manifestations comme… par exemple il y a quelques années, il y avait les boat people qui sont arrivés sur le territoire. Ce n'était pourtant pas le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie qui était chargé de les accepter ou de les refuser. C'était la France qui nous dit: « vous les accepterez » ou « vous ne les accepterez pas ». Hmm? Même dans ces histoires d'immigration qui sont… c'est quand même assez amusant en définitive.

76. H : Mais les boat people c'était qui exactement?

77. P : C'était des…

78. H : Des Vietnamiens…

79. P : Des asiatiques qui sont arrivés sur le territoire. On n’a pas eu notre mot à dire, là-dedans. Ce n’est pas nous qui décidons. Et l'immigration est importante, c'est une des raisons pour lesquelles Machoro a donné le coup de hache sur les urnes.

Vous vous rappelez? Au début des Événements… pourquoi il a donné un coup de hache sur les urnes? Parce qu’à partir du moment où la métropole contrôle l'immigration, elle peut faire venir qui elle veut dans le territoire. Et de façon à garder toujours…

80. H : Le corps électoral…

81. P : Mmh le corps électoral, de façon à ce qu'il y ait toujours plus… de façon à mettre les mélanésiens en minorité. Ça s'est fait partout dans le monde : en Russie quand (inaudible) ça s'est fait quand Staline à fait venir de force les populations russes dans les états baltes. Après on a beau jeu de dire « vous voyez, les baltes ne veulent pas devenir indépendants… ils veulent rester russes ». Ça

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11 veut dire: on ne pourra pas avoir notre mot à dire, parce qu'on sera toujours minoritaires. Je vais vous raconter : Pierre Messmer, un ancien ministre de De Gaulle, avait écrit une lettre qui avait été interceptée par (inaudible) où il disait qu'il fallait faire du blanc dans le pays. « Faire du blanc ». Textuellement. Ça veut dire faire de l'immigration blanche de façon à garder les mélanésiens toujours minoritaires. Ils ne peuvent pas avoir de représentation majoritaire par les urnes.

« (Quand on passe?) par les urnes, et bien on est toujours minoritaires. Alors on va donner un coup de hache dedans! ».

82. H : Oui, Machoro a organisé un boycott actif et les gens disent souvent que c'est ça, que c'est ce geste-là qui a ouvert les Événements.

83. P : Bien sûr, bien sûr, après on dit « voyez, ils sont contre la démocratie ». On est obligés d'être contre la démocratie quand on est une colonie minoritaire et que la métropole fait tout pour qu’on le reste…

84. H : Mmh. Oui.

85. P : On ne peut pas. On ne peut pas s'en sortir… démocratiquement. On ne peut pas s'en sortir. C'est une espèce d'injustice comme ça.

86. H : Et puis… par rapport à cette période des Événements vous viviez ici, à Nouméa?

87. P : Oui, pendant les Événements pareil, je trouvais ça vraiment lamentable, je voyais les gens, dans la rue… les copains qui disaient « il faut pendre tous les kanak aux fils… aux fils télégraphiques ! Il faut sortir le fusil du grand-père ». Des raisonnements complètement ridicules !

88. H : De l'autre côté, ça y allait aussi je crois non?

89. P : De l'autre côté aussi ça y allait. Mais tout cela était prévisible, je ne sais pas moi, mais je trouve que c'est une carence de la métropole, de ne pas avoir anticipé ces trucs-là. Parce que les signes précurseurs étaient visibles de longue date, depuis les foulards rouges de Naisseline, en 1960. Je ne sais plus 61-62. Mais il y avait une quantité de signes précurseurs, qui montraient que les gens commençaient à… au niveau de l'indépendance, ça faisait son chemin.

90. H : Et puis pour vous, ils ont commencé quand les Événements? Parce qu'on parlait de l'urne enfin… parce que vous vous aviez…

91. P : Ça fait longtemps.

92. H : Par exemple vous à l'époque c'est quand que vous vous êtes rendu compte qu'il y avait quelque chose qui…

93. P : Moi j’avais commencé à travailler sur mine en 1965 hein, jusqu'en 1975. Bon et bien… à partir de 1967, disons, quand j'étais tout seul dans les montagnes avec les indigènes. A cette époque on ne disait pas « les Kanak », parce que « les Kanak » c'était un mot péjoratif. On disait « les indigènes » ou bien « les autochtones ». C'était mal vu de dire « Kanak ». Maintenant c'est devenu un terme couramment employé.

94. H : Fédérateur…

95. P : Oui mais donc… vous vous rendez compte quand ils arrivent… quand de la mine on allait faire des provisions au General store du coin… Une fois qu'on avait fait les provisions, on avait de la bière et les gars ils commençaient à discuter et à boire… Dès qu'ils avaient deux ou trois bières, ils commençaient à discuter politique. Ils disaient « oui les mines, non mais c'est à nous les mines, là ». Vous voyez, il y avait un sentiment de rébellion. Contre la société, contre l’ordre établi.

96. H : Mais ça restait juste verbal… ou bien… parce qu’il n’y a pas eu de rupture avant ces Événements, c'était une continuité.

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12 97. P : Non, mais vous vous rendez compte que les mentalités évoluent. Vous vous rendez compte qu'il y a quelque chose qui cloche. Donc c'est verbal, jusqu'au moment où il y a un gars qui décide de mettre un coup de tamioc2 dans les urnes hein? Oui « un coup de tamioc » c'est…

98. H : Oui, j'en ai vu un hier! C'est pour ça que ça me fait sourire. Parce que j'ai un copain (rire) qui m'en a montré, parce que je me demandais ce que c'était un tamioc et puis il m'a montré. C'est une petite hache, une petite hache bien pratique pour couper du bois (rire). Et puis… après vous êtes revenu ici ou…

après qu'est-ce qui s'est passé? Parce que ça m'intéresse aussi d'avoir un peu de récit de choses vécues…

99. P : Mais moi je n'ai pas vécu les Événements en tant que participant. J'ai vu, à Nouméa, qu'il y avait des manifestations… je n'ai pas vécu aux première loges. Je n’ai pas vécu, comment dirais-je… une histoire… quand le gars il s'est fait tuer là, comment il s'appelle déjà…

100. H : Le neveu du gars du FN, là… Tual, Yves Tual.

101. P : Tual! Et puis il y a Sébastien Zongo, je crois aussi, il s'est fait tuer par un gendarme. Enfin, je n'étais pas aux premières loges.

102. H : C'était un jeune?

103. P : Oui.

104. H : C'était un jeune indépendantiste?

105. P : Oui, à Saint-Louis.

106. H : Il y a un truc que je ne comprends pas, c'est qu’il n'y a pas moyen de trouver nulle part le nombre des victimes. Et… leurs noms. Ça j'ai cherché sur Internet partout partout.

107. P : Non?

108. H : Et… ça a l'air d'être un tel tabou… qu’il n'y a pas moyen de recenser…

alors que ça pourrait être intéressant de faire une petite plaque commémorative, ou quelque chose…

109. P : Mais on a fait un square… à la Baie de la Moselle (inaudible).

110. H : Le ma… makwa… (il s'agit du Mwâ Kâ). (P : Le square, le square… la place Yves Tual. Donc je ne crois pas qu'on ait créé un…).

111. H : La place quoi? Excusez-moi…

112. P : Yves Tual. Bon et bien il y en avait un autre, jeune indigène, il s'est fait avoir par un gendarme, il s'appelait Sébastien Zongo, je crois. Mais je ne me rappelle plus dans quelles circonstances il s'est fait tuer déjà. (inaudible) je n’étais pas sur place mais… Bon, pour revenir au destin commun, je trouve que c'est une bonne chose. Je trouve qu’il faut aller vers l'indépendance, mais il faut que ce soit préparé. Il faut d'ailleurs que les gens cessent d'avoir peur. Seulement c'est trop facile de faire peur aux gens, hein. Il suffit d'avoir un bon slogan… un gars qui arrive cool et qui dit « oui mais vous allez avoir l'indépendance et puis ils vont vous foutre dehors »… donc il faut arrêter de jouer sur ce registre-là de dire « ok, on va faire l'indépendance, mais il faut que ce soit programmé, il faut qu'il y ait d'abord une période dans laquelle on va faire un transfert de compétence » comme on avait prévu.

113. H : Mais c'est ce qui est en train de se faire non?

114. P : Le problème une fois qu'on est indépendant, c’est de tomber sur des gars auxquels le pouvoir monte à la tête. Donc il faut prendre des précautions.

2 « Déformation (par les Mélanésiens) du mot (algonquin) "tomahawk" (importé par les anglo-saxons » (Site officiel de la bande dessinée « La brousse en folie »).

(14)

13 115. H : Donc peut-être garnir le paysage politique un peu plus, fournir…

116. P : Oui. Actuellement, je ne vois pas de mélanésien qui a une stature comparable à celle de Tjibaou. Je ne vois pas. Quand on les écoute à la télévision, et bien…

117. H : Bon, Tjibaou c'était aussi… voilà c'est peut-être pas pour rien qu'il est aussi… que c'est un symbole…

118. P : Oui voilà, seulement maintenant je reproche… enfin, ce n'est pas un reproche mais si vous regardez bien, on a fait le Centre Tjibaou. Donc c'est un centre culturel. Tjibaou était un homme politique en premier… pour certains, s'il avait été transformé en poète, ça aurait été mieux ! Donc c'est devenu un symbole culturel pour la culture kanak. Mais c'était un homme politique. C'est lui qui s'est intéressé à la culture kanak!

119. H : En disant « il faut valoriser ça dans une perspective… de s'affranchir ».

120. P : Oui mais c'est un homme politique… donc si ça continue, les gens se rappelleront de Tjibaou en tant qu'emblème culturel pour la culture kanak, mais son rôle politique… pour certains… c'est important de voir qu'on passe sous silence le rôle politique de Tjibaou… mais je vous dis, si on avait pu le faire passer pour un poète, ils seraient encore plus contents. Non mais c'est une bonne chose qu’on ait fait rentrer le destin commun dans les esprits.

121. H : Et comment vous expliquez qu'à chaque fois que je demande qu'on me parle des Événements, et bien on me parle du destin commun? C'est quoi le lien?

Les gens ont l'air de faire ce lien très très rapidement…

122. P : …

123. H : Mais moi je ne comprends pas… de quoi il est fait.

124. P : …

125. H : A votre avis, qu'est-ce qui explique ça?

126. P : Les Événements, c'était une réaction contre l'indépendance, contre l'idée d'indépendance. Les Événements… ce qui s'est passé c'était contre… après le coup de hache de Machoro.

127. H : Eloi.

128. P : C'est là que les choses ont dégénéré et qu'on est entrés dans la violence.

Mais les Événements c'est aussi l'assassinat de Tjibaou, parce qu'il y avait des gens qui étaient très extrémistes d'un côté comme de l'autre, à cette époque-là.

129. H : Mais ça c'était des minorités ou bien c'était… la majorité des gens que…

130. P : Pas vraiment des minorités parce que dans des mouvements comme ça, il y a toujours des gens qui sont des extrémistes et qui veulent que les choses se fassent tout de suite. Très vite. Mais c'est impossible. Le gars qui a tué le…

comment dirais-je…

131. H : Tjibaou.

132. P : Tjibaou, c'est Djubelly…

133. H : Djubelly Wéa.

134. P : Bon, il avait trouvé que ça n’allait pas assez vite que…

135. H : Les accords étaient un pas en arrière…

136. P : Lui c'était un indépendantiste encore plus virulent que… mais Tjibaou se rendait compte qu’on ne fait pas l'indépendance comme ça du jour au lendemain. Il faut des cadres, comment dirais-je, une certaine habitude de gouverner un pays. On ne prend pas un gars, qu'il soit ou noir ou blanc, pour lui dire « ah, tu vas être le chef de l'Etat, il faut diriger le pays ». (inaudible) Lui il avait une vision politique et puis il avait une pondération dans ses aspirations.

(15)

14 Mais les gars comme Djubelly Wéa (inaudible) lui il était plus virulent dans ses aspirations. On a la même chose de l'autre côté! Hein? Parmi les réactionnaires on a la même chose, « que ça va trop vite ». Eux ils disent que ça va trop vite, qu'il faut pas du tout d'indépendance ou… voilà.

137. H : Vous pourriez me raconter une anecdote qui me permettre vraiment de… quelque chose qui soit emblématique de cette période des Événements, des difficultés de vivre ensemble.

138. P : …

139. H : Quelque chose qui vous est arrivé, une anecdote qui soit vraiment… la première chose à laquelle vous penseriez quoi!

140. P : …

141. H : Parce que l'histoire de Machoro, l'attentat contre Tjibaou et Yeiwéné, ce sont tous de petits événements ponctuels… la grotte d'Ouvéa… quand on m’en parle, ça me donne l'impression d’un livre d'histoire. Ce sont des épisodes très concrets mais… ressassés… je ne sais pas, ça me donne l'impression bizarre d’un cours appris par cœur. Vous voyez ce que je veux dire?

142. P : Oui mais moi je n'ai pas de… je n'ai pas de première loge, je n'ai pas vécu ces Événements moi. Je n'ai pas vécu ces Événements en tant que spectateur, je n'étais pas en première loge pour les voir.

143. H : Mais alors parlez-moi de l'ambiance…

144. P : L'ambiance… moi j'ai trouvé ça complètement (longue pause) un terme… comment dire… non seulement regrettable mais lamentable. Mais de façon générale, j'ai trouvé que ça nous pendait au nez depuis très longtemps et qu'on a loupé le coche quand on n’a pas/ parce que gouverner c'est prévoir.

145. H : Mmh.

146. P : Donc en définitive, je trouvais que c'était de la faute de la métropole, de pas avoir su diriger depuis très longtemps le pays vers une espèce d'autonomie qui, à plus grande échéance, conduirait vers l'indépendance.

147. H : Mmh.

148. P : Donc pour moi la métropole est fautive, dans le sens qu’elle n’a jamais préparé le pays vers son émancipation. Elle a toujours fait un pas en avant et deux pas en arrière. En 1958, comme je vous ai dit, ils ont fait la loi cadre et il y avait des ministres qui commençaient à faire la gestion du pays et ils l'ont supprimée (on parle en même temps) comme je l'ai dit : ils font un pas en avant, deux pas en arrière. De Gaulle a toujours traîné les pieds pour donner l'indépendance aux pays. (inaudible). Je ne sais pas quoi d'ailleurs, je crois que dans ce livre, il parle de (il cherche dans un livre) il parle de… des indépendances… oh, je ne sais pas où c'est exactement! Pour ma part je trouve qu'on a… on a loupé le coche. On aurait pu faire les choses beaucoup plus facilement. Mais c'est d'une part le manque de vision du Gouvernement français qui veut à tout prix garder ses colonies hein… (inaudible) il ne peut pas imaginer que la France, d'une part, c'est d'abord l’hexagone… Ils s'imaginent que si la France perd ses colonies, c'est foutu. Pour eux c'est un drame, de perdre les colonies, de laisser les colonies s'émanciper. Donc pour moi: la faute de la métropole qui n'a pas su prévoir les Événements, et d'autre part la bêtise des Caldoches qui étaient en première loge pour savoir que les choses évoluaient, qui étaient les principaux intéressés et qui n’ont pas accepté ça. Pas accepté cette évolution parce que…

(16)

15 149. H : Ah, cette anticipation alors vous pensez qu'elle aurait dû venir aussi

des groupes qui étaient ici parce que…

150. P : Bien sûr! Bien sûr. Les Caldoches eux-mêmes auraient dû apprendre des leçons de ce qui s'est passé en Indochine et en Algérie. Ils auraient dû prendre des leçons de ça.

151. H : De dire que c'était un phénomène mondial…

152. P : Mais oui!

153. H : Plus que vraiment Calédonien et puis que les choses avançaient comme ça.

154. P : Bien sûr, moi j'ai toujours été… frappé par le fait que les pieds noirs, par exemple/ j'ai discuté plusieurs fois avec des pieds noirs : au début, quand il y a eu les premiers morts, au début il y avait quand même quelques assassinats, quelque troubles… enfin comme ça tu vois. Bon et bien… c'était les premiers symptômes qui apparaissaient. Quand les gars se sont rendu compte que se posait le problème de l'indépendance en Algérie, l'Algérie c'était leur pays.

Depuis trois générations. Pourquoi ils n'ont pas demandé l'indépendance avec les Algériens ? A mon avis ils y seraient encore, en Algérie, si au lieu de crier

« Algérie française » ils avaient crié « Algérie algérienne ». Vous voyez ils auraient été…

155. H : Intégrés…

156. P : Intégrés avec eux! Mais non, ils sont restés butés sur leur Algérie française donc finalement ils se sont retrouvés sur le quai du port avec leurs valises. Et à ce moment-là, il y avait trop d’exactions commises des deux côtés. Il y avait un contentieux de morts tellement… tellement grand et de part et d'autre que cette intégration n’était plus possible.

157. H : Ils sont partis par eux-mêmes en fait.

158. P : Et bien oui et il y a pas très longtemps on a vu une rétrospective à la télé, sur ces événements en Algérie. Et on montrait un gars qui disait justement

« mais pourquoi vous ne demandez pas Algérie algérienne avec les algériens? ».

Et bien ce gars-là, il s'est fait assassiner. Mais il ne s'est pas fait assassiner par les algériens. Il s'est fait assassiner par les pieds noirs. Parce qu’il y a des gars qui ne veulent jamais que ça change! Ils veulent garder leur position sociale, ils veulent garder leurs privilèges, tous les acquis qu'ils ont, commerciaux, financiers…

159. H : Mais en quoi leur position pourrait-elle être menacée?

160. P : Parce que tu es obligé de donner une participation au gouvernement…

Si l'Algérie devient indépendante, les Algériens vont participer au gouvernement.

Donc il faudrait faire un certain partage des responsabilités, des décisions, etcetera. Ils ne veulent pas de ça. Ils ne veulent pas que les décisions soient partagées avec les locaux. Ils veulent que les décisions viennent de la métropole, ils ne veulent pas que l'Algérien ait une participation dans le gouvernement.

161. H : Mmh. Ici c'est la même chose.

162. P : Ici c'est pareil! Ici c'est pareil, le Caldoche il ne voulait pas que le Kanak ait une participation dans le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie. (inaudible).

Et puis ça concerne leur position sociale. Ça ne doit pas changer. Mais c'est complètement ridicule, c'est obligé que ça change. C'est obligé que ça change.

163. H : Oui.

164. P : … 165. H : Et…

(17)

16 166. P : Mais moi je n'ai pas d'anecdote personnelle à vous raconter… à part ce

que j'ai vécu sur le terrain.

167. H : Ou alors des choses que les gens vous ont racontées, vous en parlez un peu, des fois, entre copains?

168. P : Oui, mais le problème c'est que si vous en parlez entre Caldoches, ça va dégénérer assez rapidement. Moi j'en avais parlé, au début des Événements, mais c'est devenu certain que…

169. H : Ah mais surtout vous, à cause de votre position non?

170. P : Non et bien… parce que moi j'étais partisan de l'indépendance. Mais encore une fois, pas une indépendance brutale. Une indépendance programmée.

171. H : Mmh.

172. P : Mais ça, c'est quand même le rôle de la métropole! De prévoir ces trucs- là, parce que d'un côté, c'est elle la puissance colonisatrice. C'est elle qui nous raconte… à chaque occasion : « la métropole, elle apporte du progrès, elle apporte… » c'est elle qui doit amener le pays vers l'indépendance. Après tout, si vous prenez un exemple très simple, comme un père de famille. Un père de famille qui élève ses enfants : quand le gosse à cinq ans, vous lui dites « bon, tu manges ta soupe, tu bois ton biberon et puis après tu vas te coucher ». Quand il devient un peu plus âgé, on commence à prendre des précautions, on lui permet de parler, d'exprimer ses idées. Quand il a 20 ans, on peut plus lui dire « bon, maintenant tu manges ta soupe et puis tu vas te coucher ». Le gars il veut sortir, il veut avoir son petit budget, il veut... il veut prendre des décisions. Mais maintenant si vous lui dites à partir de 20 ans « c'est moi qui décide, tu n’iras pas sortir ce soir, tu n’iras pas t'amuser »: si vous traitez le gars de 20 ans comme un gars de 12 ans, et bien ça va éclater dans la famille. Un jour ou l'autre ça va éclater. (Inaudible) le gars va casser la porte, il va se tirer.

173. H : Il va demander son indépendance (rire).

174. P : Et bien voilà, il va demander son indépendance! Mais si vous êtes assez intelligent pour lui dire « bon, maintenant tu as 20 ans, tu commences à prendre tes responsabilités, tu gères ton budget bon… tu sors en boîte mais ne rentre pas trop tard, parce qu'on s'inquiète »… c’est pareil, entre les colonies et la puissance colonisatrice. C'est pareil. Au fur et à mesure que la colonie évolue, il faut lui laisser de plus en plus de liberté de gestion. Si vous lui dites « c'est moi qui commande tout, tout ce que vous avez à faire, c'est de la fermer et c'est moi (inaudible) ».

175. H : Vous dites les Kanak ou les Caldoches?

176. P : Non, là je parle des Kanak.

177. H : Oui.

178. P : Ce sont les Kanak qui demandent l'indépendance, pas les Caldoches. Les Caldoches, ils sont assis entre deux chaises. Moi qui suis Caldoche je le sais, je suis assis entre deux chaises. Le Caldoche qui est bien réactionnaire, lui, il n’en veut pas de l'indépendance. Pour les raisons que je vous ai expliquées.

179. « Assis entre deux chaises » entre deux mondes, c'est ça?

180. P : Et bien il est assis entre les deux, c'est-à-dire qu’il ne veut pas être gouverné par les Kanak, mais d'un autre côté, il n'aime pas trop les Zors. C'est les…

181. H : Les Zoreilles.

182. P : Les métropolitains. Donc il est toujours entre deux… deux trucs. Dès qu'il voit un groupe de Zors, des Zoreilles qui arrivent etcetera.

(18)

17 183. H : C'est le débarquement.

184. P : Donc il n’est pas pareil. Il veut qu'on reconnaisse qu’il n’est pas pareil que les Zors qui viennent de métropole.

185. H : En fait c'est le fait qu'il soit…

186. P : Mais il ne veut pas être kanak non plus. Donc il est toujours entre deux chaises. Mais cet esprit-là disparaîtra. Et ce n’est pas parce que les réactionnaires vont changer leur mentalité. C'est parce qu'ils vont mourir, au fur et à mesure. Et que les nouvelles générations vont adopter d'autres points de vue.

187. H : Et là, par exemple, par rapport à ces jeunes générations ? C'est vrai qu'on entend pas mal parler… il y a 50% de jeunes sur le territoire, je crois et y a parfois des troubles… souvent, je me demande : est-ce qu'il n'y aurait pas un manque d'information ? Parce qu’ils utilisent souvent la période des Événements pour revendiquer les trucs. Mais ils ne connaissent pas tellement les tenants et les aboutissants…

188. P : Et bien oui, il y a un manque d'information… vous savez le Calédonien moyen ce n’est pas un grand lecteur hein ? C'est le gars qui fait son coup de pêche, son coup de chasse et le dimanche, il va sortir avec son bateau etcetera. Non ce n’est pas le gars qui va dans la bibliothèque et qui lit « Le Monde » et puis qui…

non, non, non.

189. H : Mmh.

190. P : Oui, il y a certainement un manque d'information oui.

191. H : Mais c'est un manque d'information qui est surtout dû à… une espèce d'ignorance ou à…

192. P : Oui à l'ignorance, bon…

193. H : Parce qu'il y a quand même des choses qui se diffusent …

194. P : Il y a des gens qui ne veulent pas. Qui ne veulent pas voir la réalité. Des gens qui préfèrent des raisonnements simples, pas trop compliqués. Par exemple à partir du moment où on leur donne un slogan, et bien ça les satisfait ça. Hein?

195. H : Ils veulent taper dans les extrêmes… pas dans la nuance.

196. P : Ce n’est pas des gars qui vont aller dans les nuances, qui vont composer. Donc s'ils ont un slogan qui leur plait… bon, qu'il y ait des meneurs.

Beaucoup ont rejoint le RPCR comme ça. Parce que c'était des idées simples. « Il y aura pas d'indépendance », « les choses elles vont rester comme ça » et « on est français ». Quand les gars disent « on veut rester français », les Kanak disent

« nous on vous empêche pas de rester français, mais quand vous dites « on veut rester français » –en tant que Caldoche il aimerait bien rester français il dissimule– là-dessous vous voulez exprimer une autre idée. L'idée c'est : « on ne veut pas que vous, Kanak vous ayez votre nationalité ».

197. H : Oui. Mmh.

198. P : Voyez, donc ce qui parait légitime en disant « on veut rester français », en définitive, c'est une couverture qui veut dire « on ne veut pas que vous, vous ayez une autre nationalité »…

199. H : Français?

200. P : Non, enfin « vous, vous soyez Kanak ». C'est-à-dire « vous voulez un pays indépendant ».

201. H : Mmh… en fait ça veut dire « on ne veut pas être Kanak » quoi! Enfin…

202. P : Oui… que vous vous ayez un pays à vous. Voilà ce que ça veut dire.

203. H : Enfin « on veut pas vous rendre votre pays » c'est ça?

204. P : On va essayer d’illustrer quelque chose par l'absurde, hein?

(19)

18 205. H : Oui.

206. P : Après la seconde guerre mondiale, quand les Allemands ont envahi la France (inaudible) ils l'ont envahi entièrement. On va supposer qu’au lieu de rester quatre ans, ils soient restés plusieurs générations, qu’à un moment donné, les Allemands se seraient fixés en France et puis que les choses se soient tassées : le Français qui était d'origine française, il demande l'indépendance de la France, à l'Allemagne.

207. H : Mmh.

208. P : Et que les Allemands décident/ les Allemands qui sont nés en France, disent « et bien non, vous ne pouvez pas avoir l'indépendance française, parce que nous on veut rester Allemands ». (Inaudible). C'est un petit peu pareil, c'est exagéré mais c'est la même idée. Les Français sont venus de métropole et se sont établis sur le territoire parce que bon, les générations (inaudible) mais dès que les choses, dès que le pays, dès que les gens originels du pays, les Kanak, deviennent mûrs pour se gouverner eux-mêmes, ils vous disent « non, vous ne pouvez pas vous gouverner parce que nous on veut rester français ». Ça veut dire… ça veut dire que « vous, vous ne pouvez pas devenir indépendants, parce que nous on est… français - Mais les gars, on vous empêche pas de rester français ».

209. H : Mais vous ne pensez pas que ces choses, elles vont quand même/ parce que vous dites que les gens ne vont pas changer leur manière de penser mais qu’ils vont mourir. Mais ce sont des trucs qui se transmettent d'une génération à l'autre !

210. P : Ah et bien ça se transmet. Bon, bien sûr, on a un père extrémiste, réactionnaire il va inculquer son mode de pensée à son fils, mais après, ce sera peut-être moins aigu chez le fils que chez le père.

211. H : Ah.

212. P : Et le fils, il va connaître d’autres gens. Il n’a pas suivi les Événements, il n’aura pas été embrigadé par des discours simplistes comme le… comme le père.

D'ailleurs dans toutes les… dans tous ce genre de cas c'est/ quand j'ai sorti l'exemple de l'affaire Dreyfus/ ce ne sont pas les réactionnaires, du moment qu’ils sont pondérés, ce sont les descendants. Vous voyez ? Parce qu’ils ont côtoyé d'autres personnes. Ils ont appris d'autres choses.

213. H : Donc par le contact en fait.

214. P : Oui, par le contact il faut qu'il y ait quelque chose de différents, qu'ils commencent à avoir des raisonnements plus pondérés. C'est quand même d'une certaine utilité, que le Kanak demande de commencer à gouverner son propre pays. Chose que son père n'envisageait pas. Et puis il peut dire « oui et bien…normal! Et puis maintenant il y a certains amis que je vois qui créent une structure politique et qui commencent à réaliser les difficultés de l'indépendance et puis qui sont en train de se pondérer dans leur raisonnement, etcetera ». Donc le fils va devenir moins virulent que le père. Mais le père… je vous ai dit, moi j'ai discuté avec des copains qui voulaient rien entendre, hein : « il faut les attacher aux fils des télégraphes » hein, « faut tous les pendre aux fils des télégraphes ».

215. H : Pourquoi les fils des télégraphes? (Rire).

216. P : C'est comme les hirondelles, vous voyez…

217. H : Ah!

218. P : (Inaudible) il faut sortir le fusil du grand-père et puis les bombarder.

Des… des raisonnements mais…

(20)

19 219. H : Oui.

220. P : Ridicules.

221. H : Mais quelque part, je n’ai pas l'impression que les jeunes ont tendance à s'adoucir alors je ne sais pas, qu'est-ce que vous pensez qu'il faudrait leur dire?

Parce que vous ça…

222. P : Ça c'est un problème, c'est que… comment dire… il y a beaucoup de jeunes, actuellement, qui deviennent extrémistes. Hein? C'est surtout les jeunes en banlieue qui sont désœuvrés, qui n'ont rien à faire.

223. H : Mmh.

224. P : En particulier, il n’y a pas si longtemps, tu vois, je suis retourné à Kouaoua. J'ai travaillé pendant des années à Kouaoua et c'était la SLN qui exploitait des mines. A cette époque, il y avait du roulage. Il y avait beaucoup d'activité: il y avait du roulage, une cantine, des magasins, des ateliers de réparation, des camions, etcetera, il y avait de la vie et il y avait un seul gendarme… ok? Dernièrement, il n’y a même pas un an, un an ou deux, et bien je suis retourné à Kouaoua. C'est un village mort. C'est une ville morte. Bon, ils ont exploité leur mine, tout est mécanisé, il y a un seul gars qui travaille au chargement, mais la ville est morte et il y a une quantité de jeunes, de gens qui sont désœuvrés. Des jeunes, justement, qui sont désœuvrés, qui sont là à traîner sur les routes. Moi je trouve que c'est une faillite de la SLN, dans le sens qu'il devrait y avoir une obligation de faire travailler les gens du lieu. Parce qu’autrement vous fabriquez ici des gens qui sont désœuvrés, qui deviennent…

qui picolent. Il y en a qui ont de la rancœur parce qu'ils n’ont pas d'argent. Les uns viennent, et bien comme ils n’ont rien à faire à Kouaoua, ils descendent (inaudible) à Nouméa. Et puis on les voit très bien, avec leur capuche, à la recherche de la première connerie à faire. Parce que bon, le désœuvrement c'est la mère de tous les vices, si vous voulez. Les jeunes n'ont rien à foutre… puis ils commencent à rejoindre les bandes, et puis à faire des bêtises. J'ai vraiment été très très surpris et… et bien ça c'est un côté social de ce qu'il se passe actuellement en… Seulement on ne peut pas faire tout en même temps, il y a l'usine du nord qui se fait, il y a… donc il faut voir la réalité mais… bon en ce qui me concerne, j'étais vraiment très déçu de retourner à Kouaoua, de voir que c'était un village mort. Il y a une belle mairie, une belle gendarmerie et puis tout le monde traîne dans le village. A l'époque il y avait du boulot et puis il y avait de la vie dans le village et il y avait un gendarme. Maintenant je ne sais pas combien il y en a, peut-être une demi-douzaine…

225. H : Voilà l'emploi local (rire).

226. P : Non mais bon, ça crée des aigris. Surtout quand on est jeune, hein, ça crée des aigris.

227. H : Et puis eux ils se servent aussi de ce qu'ils ont entendu de leurs parents…

228. P : Ça c'est… ils sont vite embrigadés par des gars qui leurs tiennent des discours extrémistes. Je crois que c'est un danger pour le pays, d'avoir des jeunes qui deviennent aussi extrémistes.

229. H : Mais… puis ça c'est aussi/ parce que j'avais entendu beaucoup de trucs entre les Kanak et puis les Wallisiens, les jeunes…

230. P : Là aussi c'est différent, à Saint Louis par exemple…

231. H : Et ça, c'est dû à quoi? C'est dû au fait qu'on vote plutôt loyaliste ou…

(21)

20 232. P : Il y a ça, et puis il y a aussi des différences de culture… grandes différences ! Il y a aussi que les Wallisiens sont souvent membre de… l'église, des églises. Je sais pas… je ne sais pas, je ne pourrais pas vous dire exactement quels sont les différends… mais… les différences culturelles. Enfin, je ne sais pas.

233. H : Et… alors vous ça vous est déjà arrivé de parler avec des plus jeunes de ce qui s'est passé ? Par exemple de ce qui s'est passé pendant les Événements ? Des pièges dans lesquels il ne faut pas tomber ? Des enseignements qu'il faut en tirer ? Est-ce que vous avez déjà raconté des trucs qui vous étaient arrivés ? 234. P : Vous dites personnellement?

235. H : Par exemple ou bien… ou pas!

236. P : Non mais… il ne m'est rien arrivé de bien particulier. Ceci dit, maintenant entre Caldoches on parle plus tellement de ça (on parle en même temps). Parce que si vous avez des gens qui ne sont pas d'accord, le ton monte tout de suite et puis on s'engueule.

237. H : Ah oui.

238. P : Mmh. Bon. Mais moi je trouve qu'en définitive c'était une bonne chose.

Parce que vous faite une thèse sur le… comment dirais-je, sur le destin commun.

Je sais pas ce que vous allez dire là-dessus, mais ce serait bien que vous disiez

« c'est une bonne chose que les gens réalisent que s'ils veulent vivre dans ce pays et s'ils ne veulent pas devenir comme les pieds noirs avec leurs valises et se retrouver sur le quai du port, il faut que chacun y mette du sien. Il faut qu'on reconnaisse la légitimité de l'autre ». D'ailleurs, pour en revenir à ces signes identitaires, le fait d'avoir laissé deux drapeaux dans les mairies, c'était une bonne chose. C'était une reconnaissance de l'autre. Mais puisque c'est le drapeau du FLNKS, il y en a qui disent que le drapeau est taché de sang. Or si on les prenait au mot, alors le drapeau de la métropole aussi est taché de sang. Si vous regardez tous les crimes coloniaux qui ont été commis par la métropole, aussi bien à Madagascar qu'en Indochine ou ailleurs. La conquête de l’Algérie ne s’est pas faite par référendum.

239. H : Le drapeau de la France aussi. D'ailleurs il y a du rouge aussi dedans hein? Mais, mais… qu'est-ce que vous faites des gens qui disent… « ça, ça peut aussi mettre en évidence une séparation dans la mesure où dans un pays, ça montre aussi qu’il y a deux clans, deux camps qui se… qui vivent »…

240. P : Oui mais…

241. H : « Côte à côte sans être ensemble ».

242. P : Non non mais ça veut dire que ces deux camps ont reconnu la légitimité de l'autre. Ont reconnu qu'il va falloir vivre… qu'il va falloir vivre ensemble. C'est à partir du moment où vous ne voulez pas reconnaître que les choses se gâtent.

C'est ce qui s'est passé en Algérie, ils n’ont pas voulu reconnaître la volonté des Algériens de se gouverner eux-mêmes. Les Algériens auraient bien voulu qu'ils reconnaissent ça. Mais à partir d’un moment, vous ne pouvez plus arranger les choses. Parce qu'ils vont s’entretuer, après il y aura la mort de celui-ci, l’assassinat de celui-là, après il y a vengeance, etcetera, etcetera. En plus de ça, en Algérie c'est la composante religieuse qui/ et encore, on est heureux ici qu'il n'y ait pas de composante religieuse, il y a pas d'extrémisme religieux/. Mais… en Algérie il y avait les musulmans et les chrétiens. C'était encore pire.

243. H : Bon, la composante… les modes de vie c'est une composante vraiment hyper délicate parce que… à prendre en considération…

(22)

21 244. P : Oui, oui! Mais on s'est habitués quand même. Naturellement, on n’a pas les mêmes modes de vie, parce que nous on a des vies familiales, la cellule…

comment dirais-je… la cellule sociale, c'est la famille… chez les Européens. La cellule sociale, chez les mélanésiens, c'est la tribu.

245. H : Oui, c'est la chefferie.

246. P : Oui (inaudible). Nous on aime bien se singulariser. Par exemple l'Education Nationale veut que l'élève devienne le premier. Hein ? Se singulariser.

Chez les Mélanésiens on ne peut pas. On ne veut pas que la personne se singularise.

247. H : Mmh.

248. P : Voyez? Donc si vous faites la classe à des Mélanésiens, des jeunes Mélanésiens parfois, quand on les interroge, ils ne veulent pas dire. Pourquoi ils ne veulent pas répondre ? Parce que ça serait se singulariser, vis-à-vis du groupe, si vous voulez. Donc ils n’ont pas chez eux. Nous quand le père demande à son fils, quand il revient de l'école « alors, t'as bien répondu à la maîtresse? » etcetera.

S'il regarde ses notes « ah t'es pas le… et bien avant t'étais le deuxième, maintenant t'es cinquième ». Donc il veut le faire monter. Le faire monter dans la hiérarchie. Mais ce n'est pas l'idée dans la tribu. Dans la tribu c'est le groupe. Le groupe, il faut toujours être à l'intérieur du groupe.

249. H : L'unité ce n'est pas la personne mais c'est le groupe?

250. P : C'est le groupe (on parle en même temps).

251. H : Mais du coup sa place… j'ai un copain kanak, il me dit toujours « chacun sa place »…

252. P : Oui, ils ont chacun leur place, mais si vous interrogez une petite mélanésienne ou un petit mélanésien au tableau et vous lui posez la question et qu'il sait mais il ne répond pas, hein, vous aurez tendance à lui mettre une mauvaise note. Et ça c'est ce qu'on appelle une injustice. Peut-être qu'il sait mais qu’il se comporte… toujours selon les règles qu'on lui a enseignées en tribu: « il ne faut pas te mettre en avant ». Si en équation, on pouvait raconter toutes les choses que la colonisation a faites de bien et de mauvais, il y aurait matière à faire des volumes. Pourquoi par exemple, on parle français ici ? Parce qu’à un moment donné les français étaient minoritaires. Pourquoi on parle français à Tahiti?

Pourquoi toutes les transactions officielles, administratives ne se font pas en tahitien, par exemple? Et bien parce que si vous prenez les petites tahitiennes/

vous discutez avec des vieilles tahitiennes, elles se rappellent que lorsqu’elles parlaient tahitien à l'école, à l'école communale, on leur frottait les lèvres avec du savon. Ah oui, il ne faut pas parler tahitien, c'est sale! Donc c'est comme ça qu'on impose… je veux dire, la langue. A partir du moment où on impose la langue, on impose aussi toute la… structure. Toute la façon de vivre.

253. H : C'est vrai que par rapport à cette histoire de langue, aussi, dans l'éducation des langues il y a des positions bien arrêtées.

254. P : Ah maintenant c'est aberrant de punir une jeune fille à l'école communale parce qu'elle parle sa langue natale. On lui frotterait plus les lèvres au savon.

255. H : Mmh.

256. P : Mais à l'époque, il y a… il y a quatre-vingt ans… (silence).

257. H : Et… par rapport à cette période des Événements, ça me donne l'impression que c'était davantage des petites… choses… éparses, des petits épisodes. Et on les réunit pourtant dans une unité. Et pour vous, c'est quoi cette

(23)

22 unité? Qu'est-ce qui rassemble tous ces épisodes qui se sont passés, çà et là, sur le territoire ?

258. P : Ça c'est les épisodes qui (proviennent?) de la société. Maintenant si vous voulez voir une continuité, il faut voir les… textes qui ont été promulgués au fur et à mesure… des ans. Alors vous verrez une espèce de forme de continuité. La reconnaissance du… peuple kanak, la reconnaissance, comment dirais-je…

259. H : Ah, du premier occupant.

260. P : Du premier occupant!

261. H : Oui.

262. P : Hein, Nainville-les-roches, etcetera et si vous suivez toute la ligne politique qui a été tracée, là vous y verrez une continuité. Vous ne verrez pas cette continuité dans les mouvements sociaux, parce que les mouvements sociaux, ce sont des réactions qui se passent (à cause de certains abus?) ce sont des réactions qui sont dues soit à un individu, comme dans le cas de Machoro, un individu ou deux individus qui se mettent en première ligne, soit à des groupes d'individus, comme des grèves, des manifestations, hein? C'est épidermique.

Tandis que si vous voulez avoir une idée du suivi de… des Événements, alors là il faut regarder tous les textes qui ont été promulgués au fur et à mesure des années. Mais moi je suis…

263. H : Donc en fait c'est dans les décisions qui ont été prises… dans les décisions qui ont été prises que les Événements prennent vraiment leur sens.

264. P : Voilà, parce que les Événements, c'est quelque chose d'épidermique.

C'est quelque chose qui apparaît subitement.

265. H : Mais alors si je me base sur ce que vous dites, ce n'est pas fini!

266. P : Ah et bien non, ce n'est pas fini.

267. H : Parce que on dit toujours 84-88, mais…

268. P : Non!

269. H : Mais si c'est par rapport à la politique, ce n'est pas fini!

270. P : Oui, le problème c'est qu’il devrait y avoir un référendum en 2014. Mais seulement…

271. H : Mais les gens stressent avec ce référendum.

272. P : Voilà : on voudrait reconduire cette histoire de destin commun. Parce qu’on voudrait éviter un référendum couperet qui dise du jour au lendemain

« allez on est indépendants ». Parce que moi, j'ai le sentiment qu'on n’est pas encore suffisamment préparé… bien que je sois indépendantiste, je trouve que c'est une chose légitime, que c'est une chose qu'on devrait préparer, qu'on devrait faire au fur et à mesure des années. Et ça, ça devrait être le rôle de la métropole. De dire « un jour vous serez indépendants mais voilà les étapes qu'il va falloir… atteindre au fur et à mesure ». Voilà, les étapes.

273. H : Ah, des objectifs, comme ça…

274. P : Dans une certaine mesure ça s'est fait puisqu'il y a la prévision du transfert des compétences. C'est une bonne chose. Mais 2014, ça fait un peu juste, à mon avis, pour qu'il y ait une indépendance couperet. Mais je crois qu'on voudrait qu'il y ait une reconduction de cette espèce de statu quo…

275. H : Mais les gens ont peur qu'il y ait de la bagarre?

276. P : Oui.

277. H : Oui. Ils n’ont pas seulement une peur que ça se casse la figure au niveau économique, mais aussi qu'il y ait de la bagarre… je crois. Les gens ne sont pas prêts et économi/ et politiquement et…

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23 278. P : C’est parce qu’il y a des gens qui voudraient que ça se passe très vite et

des gens qui voudraient que ça ne se fasse pas du tout.

279. H : Mmh.

280. P : C'est toujours pareil. Il y a des extrémistes, des Mélanésiens qui voudraient qu'en 2014, on (change de commande?) puis il y a des extrémistes caldoches qui voudraient que ça ne se passe pas du tout.

281. H : Tous les autres… parce que je suis sûre qu'il y a une énorme majorité…

282. P : Les autres ils… sont comme ça, ils ne savent pas très bien. Ils disent…

283. H : Parce qu'il y a des métis et des Javanais. Il y a des Vietnamiens…

284. P : Il y en a de moins en moins.

285. H : De moins en moins?!

286. P : Oui, avant il y avait beaucoup de Javanais sur le territoire. Maintenant il y en a beaucoup moins.

287. H : Pourquoi ils sont partis?

288. P : Je ne sais pas. Beaucoup datent de… quand j'étais plus jeune. Beaucoup d'Indochinois. Mais c'était des gens qui étaient venus par contrat pour travailler sur des mines. Qui avaient fondé des familles ici, mais après ils sont repartis. Ils sont repartis dans les années… je ne sais pas… je me rappelle plus… en 1960 par là…

289. H : Mais bon, et puis les métis… parce que quand vous parlez d'être entre deux chaises, moi j'ai l'impression qu’eux aussi…

290. P : Eux aussi, les métis, c'est vrai ils sont entre deux chaises, oui.

291. H : Et… ils sont même entre deux fois deux chaises enfin… comment dire…

parce que…

292. P : Oui, par la couleur de leur peau, par leur… ascendance… familiale, tout.

293. H : Parce que parfois ils sont obligés de choisir leur camp.

294. P : Et bien oui.

295. H : …

296. P : C'est aussi ça hein!

297. H : Ça ne doit pas être évident, hein?

298. P : D'un côté si vous êtes métis, vous n’êtes pas accepté totalement par les blancs, ou en tous cas moins bien, et vous n’êtes pas accepté totalement par les…

par les noirs non plus. Mais enfin… ce ne sont pas des trucs… exacerbés encore, il y a des gens qui ont leur place dans le pays et ils arrivent à composer, on n’en est quand même pas au point de l'Afrique du sud. Hein? Où il y a une ségrégation entre noirs et blancs en tout cas…

299. H : Mmh… quand on se balade à Nouméa, par exemple, les noirs et les blancs ne se mélangent pas du tout. Donc quelque part…

300. P : Oui, ils vivent les uns à côté des autres.

301. H : Oui?

302. P : En brousse ils sont mélangés par la force des choses. Parce que le jeune broussard, s’il ne trouvait pas de femme quand il avait 20 ans, il se mettait en ménage avec une femme indigène et c'est là (qu'il y a des métis?).

303. H : Il y a plus de métis en brousse qu'à Nouméa.

304. P : Et bien oui, mais là c'était par la force des choses.

305. H : Géographique quoi!

306. P : Non parce qu’il n'y avait pas de femme blanche à proximité. Bon, il y a des gens qui ont vécu très heureux comme ça hein? Il n’y a pas de problème. Ça c'est une question individuelle.

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