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Destinées décoratives des grands hôtels historiques : exemples lémaniques

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Destinées décoratives des grands hôtels historiques : exemples lémaniques

EL-WAKIL, Leïla

EL-WAKIL, Leïla. Destinées décoratives des grands hôtels historiques : exemples lémaniques.

In: Flückiger-Seiler, R. Historische Hotels . Luzern : Kantonale Denkmalpflege, 1996. p. 25-32

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:106279

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(2)

HISTORISCHE HOTELS

ERHALTEN UND BETREIBEN

Conservation et 9estion des hôtels historaques

ICOMOS Landesgruppe Schweiz/

Section nationale Suisse

Eidgeni:issische Kommission für Denkmalpflege/

Commission fédérale des monuments historiques

in Zusammenarbeit mit/en collaboration avec:

Schweizer Hoterlier-Verein Société suisse des hôteliers

(3)

Leïla el-Wakil

Destinées décoratives des Grands Hôtels historiques

Exemples lémaniques Préambule

Nombre d'hôtels historiques à travers le monde ont déjà fait l'objet de transformations, de banalisations et de démolitions. Parfois condamnés par le changement de société au lendemain de la Première Guerre mondiale, ayant perdu leur raison d'être, ils ont sombré dans les oubliettes de l'histoire avant de connaître des sorts variés.

Que le Mouvement Moderne ait fait fi de l'Histoire et des historicismes peut expliquer les démolitions d'après-guerre.

D'autres facteurs s'y ajoutent. Il faut se souvenir, et ceci est particulièrement vrai en Suisse, que la réception de ces établisse- ments et de leur décor par la critique fut très controversée. Une élite cultivée, sou- cieuse des valeurs patriotiques et qui com- prenait en sein les fondateurs du Heimat- schutz, devait décrier leur caractère cosmopolite. Marguerite Burnat-Provins, l'égérie de la Commission pour la Beauté- l'ancêtre du Heimatschutz- nous a laissé des palaces de la Riviera vaudoise des des- criptions virulentes.1 Tout ce qui à nos yeux aujourd'hui fait la valeur de ces bâtiments devait être dénigré. Les matériaux tels que carton-pâte, staff, stuc, les effets illusion- nistes des faux marbres et des faux bois, le trompe-l'oeil, l'exubérance des décors furent pêle-mêle taxés de clinquant ou de pompier.

La réaction aux hôtels histo- riques devait atteindre son point culminant en 1955, lorsque le Heimatschutz célébra en une sorte de cérémonie de joie païenne la démolition du prestigieux Regina Mon- tium au Rigikulm, le premier grand hôtel de montagne en Suisse construit en 1874 par Edouard Davinet. Cet extraordinaire acte de vandalisme fait rougir aujourd'hui.2 L'»hôtel gigantesque, extraordinaire à voir dans l'aride paysage des hauteurs», si bien décrit par Alphonse Daudet dans son Tar- tarin dans les Alpes, fut incendié au son des taupins. Incendiés aussi les salons peuplés de divans et de calorifères, la salle à man- ger et sa table d'hôtes de 600 places à lustres et plafond caissonné dorés qui se reflétaient dans les compotiers!

Bien des palaces ont déjà som- bré, décors et biens, dans l'océan du souve-

nir. Michael Schmitt conclut son ouvrage3, qui leur est consacré, par une rubrique nécrologique: le célèbre Hotel Gallia de Nice a été remplacé au début des années 1980' par un immeuble d'appartements.

Disparues les salles de réception décorées par des artisans italiens dont La Construc- tion moderne (1903) avait pourtant retenu les noms: Pellegrini, sculpteur et staffeur, Designori, peintre décorateur, Vidal, sculp- teur de façades, tous venus pour enchasser le ciment armé Hennebique d'une coque décorative.

Avec la crise du Mouvement Moderne et après avoir épuisé les charmes des cinq étoiles à l'américaine, le public réapprit tardivement le goût des palaces d'antan conçus pour séduire. La générosité des espaces, la qualité des décors, la somp- tuosité des effets furent redécouvertes après avoir été décriées. La réhabilitation de l'architecture Art Nouveau, avant celle de l'éclectisme et des Beaux-Arts, initiée par l'historien de l'architecture italien Franco Borsi et la redécouverte de Victor Horta dans les années 1970 devaient mar- quer un tournant qui allait avoir des réper- cussions sur les autres styles Fin de siècle.

Une centaine d'années plus tard, rares sont les établissements parvenus jus- qu'à nous dans un état d'intégrité tel qu'on y tr.ouve encore intacts les fragiles éléments

25

' Notamment dans <<Les Can- cers>>, Gazette de Lausanne et Journal suisse, 17 mars 1905: <<On peut( ... ] faire un hôtel qui ne soit pas forcément un monstre, qui ne soit ni cubique, ni blanc cru, ni bardé de zinc, ni aggravé de décorations en ciment; qui ne soit enfin, pour ceux qui aiment goûter un beau spectacle, ni un crève-l'oeil, ni un crève-coeur.»

2 Voir l'introduction de Roland Flückiger.

3 Schmitt Michael, Palast- Hotels; Architektur und Anspruch eines Bautyps 1870- 1920, Berlin 1982.

Fig. 1

Modèle pour un plafond exé·

culé par Joseph Ferrero (Pro·

prièté privée).

(4)

Fig. 2 a/b

Le décor du théâtre d'Evian auquel contribua l'entreprise Negri de Montreux (Photogra·

phie Erich Mohr).

' Parmi les approches générales on signalera encore l'ouvrage pionnier de Praz Mario, L'a- meublement; Psychologie et évo- lution de la décoration intérieure, Paris 1964, ainsi que les récents Actes du colloque de Saintes, Entretiens du Patri- moine, Meubles et Immeubles, Paris 1993.

5 Les intérieurs entre destruc- tion et restauration, dans:

Histoire de la Restauration en Europe, vol. Il, Worms 1993, pp.

155-166. - L'mchitecture immo- bile des intérieurs: destwction, conservation, restauration?, dans: Conservation-Restaura- tion-Technologie, Université Libre de Bruxelles 1994-1995, pp. 21-31.-Casino-théâtre de La Chaux-de-Fonds; Un décor qui en cache un autre: à propos des toiles peintes du plafond de la grande salle, dans: Mélanges Marcel Grandjean, Lausanne 1995, pp. 593-609.

6 EI-Wakil Leïla (Textes), Mohr Erich (Photographies), Léman 1900. Morceaux choisis d'archi- tecture, Genève 1994.

7 Michel Pierre-Frank, Le vitrail 1900 en Suisse, Liestal 1985 et Jugendstilmalerei in der Schweiz, Berne 1986.

·' Marquis Jean-Marie, Jean-Jac- ques Dériaz (1814-1890) pein- tre-décorateur genevois, dans:

Genava 1983, n.s., t. XXXI, pp.

121-140.

9 Une menuiserie modèle: les Held de Montreux, !THA, Archives de la construction moderne, collectif d'auteurs, Lausanne 1992. L'inestimable travail d'archivage entrepris par le conservateur Pierre-A. Frey ne peut que susciter l'admiration et la reconnaissance.

10 Rucki Isabelle, Das Hotel in den Alpen; Die Geschichte der Oberengadiner Hotelarchitektur von 1860 bis 1914, Zürich 1989.

11 Lardelli Dora (Musée Scgan- tini), Ouvrage en préparation sur le décor des palaces en En- gadine.

Fig. 3

L'ancien billard de l'Hôtel Beau·Rivage à Genéve, con~u

par Alfred Olivet (MAH/DTPE, Archives privées).

d'un patrimoine de luxe. Les décors conservés, même partiellement, ne sont pas légion. Il ne subsiste parfois que des fragments, des bribes éparses de ce que furent les fastes d'antan.

Décors intérieurs. Etat de la question

La difficulté du sauvetage des décors réside dans plusieurs facteurs:

méconnaissance, difficulté de documenta- tion, fragilité. Cet état de choses explique, mais n'excuse qu'en partie, ce que l'on a coutume d'appeler les pertes de substance.

A l'exception de travaux menés sur des décorateurs-phares, aussi célèbres que les frères Adam en Grande-Bretagne, les recherches consacrées aux décors inté- rieurs profanes et à leurs auteurs sont encore rares.4 Nous en avons nous-même expérimenté le manque en diverses cir- constances5 et particulièrement lors de la préparation d'un ouvrage consacré à l'ar- chitecture lémanique en 1900.6

En cette matière et pour la région lémanique, les recherches de Pierre- Frank Michel sur le vitrail décoratif vers 19007 apportent de précieux appoints. L'ar- ticle de Jean-Marie Marquis qui retrace la vie et l'oeuvre du décorateur genevois Jean-Jacques DériazH reste une contribu- tion d'une grande utilité. De même la publication récente d'un catalogue consa- cré à la menuiserie montreusienne Held9 fait figure de recherche pionnière. La liste des travaux effectués par la maison Held donne à voir l'aura régionale de l'entre- prise; parmi ces travaux de nombreuses interventions dans des hôtels lémaniques durant la Belle Epoque ou plus tard.

Dans le domaine qui nous inté- resse, les palaces grisons, qui ont avant d'autres établissements helvétiques, fait l'objet de la curiosité scientifique d'Isa- belle Rucki 10, seront peut-être les premiers en Suisse à bénéficier d'une étude consa- crée à leur décor, tâche à laquelle s'est atte- lée Dora Lardelli.11 Il y sera sans doute question d'Otto Haberer (1866-1941), le

(5)

peintre des grands hôtels par excellence, et en particulier du Kronenhof de Pontresina.

Né à Ludwigsburg il étudia à Stuttgart, puis à l'école des arts décoratifs de Munich. Il décora notamment certains hôtels de Grin- delwald entre 1894 et 1896, d'Interlaken (Hôtels Jungfrau, Victoria, Oberlander- hof) de 1894 à 1900, le Kronenhof à Pon- tresina en 1900, le Grand Hotel de Caux, le Schweizerhof et le Bellevue de Berne, le Carlton de Madrid.

Les services compétents en matière de conservation monumentale de différents cantons ont lancé des études ponctuelles, basées sur des dépouillements d'archives (notamment des devis, livres de comptes et factures) qui apportent leur lot d'informations précises relativement à tel ou tel bâtiment. Dans le canton de Genève, les recherches menées dans le cadre de l'Inventaire des Monuments d'Art et d'Histoire ont produit beaucoup de maté- riel encore inédit.12 Dans le canton de Vaud, Je étude poinLues menées par Anne Wyssbrod13, Martine Jacquet1\ ou ylvain Malfroy'5 pour Je compte du Ser- VIce des Monuments historiques ouvrent la Voie d'une meilleure connaissance des décors.

Il n'en demeure pa moin ·quily a .encore f rl à faire dan la tégi n léma-

~~que pour cerner des per annalité d'ar- hst s comm celle de Marcel de hallet, d'o n· · gme fribourgeoi e né à Genève en l8S5 formé chez les

dé~orateurs

parisiens

~ e

Borchgrave & Bidault el à l'Ecole des G eaux-Art: re ·pon able de décors au J félJld Théâtre de Genève au Palais d

u

r

Pa~ 1~e de Montbenon à Lausanne, au

al, fédéral, à la salle de fêtes du Grand

Hôtel des Alpes de Tenitet. On aimerait en connaître davantage sur l'atelier de ces décorateurs «genevois» originaires d'Italie, comme les Taddeoli, les Fenero16 (Fig. 1), les Molina17, ou certains disciples de Bar- thélémy Menu, tels Charles Vuagnaux (1857-1911) ou Daniel Ilhy (1854-1910).

C'est par hasard que l'on tombe parfois sur telle publicité, qui nous ren- seigne sur les ouvrages entrepris par un atelier de décoration. Ainsi la maison gene- voise «David Cullaz, successeur» de

!'«ancienne maison D. Fasanino18», fondée en 1873, énumère la longue liste de. ses principaux travaux autour du lac Léman et au-delà. Parmi les hôtels concernés, le Grand Hôtel Beau-Rivage de Genève, le Grand Hôtel des Bergues, l'Hôtel des Trois Couronnes à Vevey, le Grand Hôtel Natio- nal à Montreux, l'Hôtel de Paris et sa salle des fêtes à Montreux, l'Hôtel Continental de Montreux, l'Hôtel Bonivard et sa salle des fêtes à Veytaux, le Grand Hôtel des Alpes à Territet, le Grand Hôtel de Caux, le Grand Hôtel des Avants, le Grand Hôtel de Jaman aux Avants, le Grand Hôtel des Bains à Lavey, le Grand Hôtel de Château Belle Vue à Sierre, le Grand Hôtel d'Evian-les-Bains et sa salle de spectacle, le Grand Hôtel Savoy à Chamonix, le Grand Hôtel Couttet à Chamonix, le Grand Hôtel Splendide à Aix-les-Bains, le Grand Hôtel des Bains de Divonne.

Cette maison Cullaz avait une consoeur au bout du lac en la maison Negri, puis Negri & Uberti, entreprise de stuc et staff, ayant son siège à Montreux. Très sol- licitée également, cette maison s'illustra sur de nombreux chantiers lémaniques et jusque sur la côte française, notamment

27

Fig. 4

Le Restaurant fran,ais du Mon·

lreux·Palace selon une carle postale ancienne.

12 Voir La Genève sur l'eau, ouvrage collectif, à paraître 1997.

13 Wyssbrod Anne, Beau-Rivage Palace Lausanne, Lausanne 1992.

- Wyssbrod Anne, Huguenin Claire, La villa florentine Mon- treux, Lausanne-Genève 1988.

14 Jacquet Martine, Montreux- Palace; Tea-room & skating-rink, Montreux-Lausanne, EPFLI ITHA 1993.

1s Malfroy Silvain, Galeries Saint-François 1907-1909, Lau- sanne, EPFL/ITHA 1991.

16 A ce propos voir le mémoire de licence de Reymond Cathe- rine, Les vestibules peints à Genève 1880-1930, Genève 1994. Récemment une partie des modèles des Ferrero, décora- teurs d'origine piémontaise installés à Genève, ont été dispersés au marché aux puces de cette ville.

17 Louis Molina (1877-1960) fut carougeois d'adoption.

IR Le fondateur de cette maison fut le sculpteur d'origine italien- ne, Emile-Dominique Fasanino (1851-1910).

Fig. 5

Un des salons de l'Hôtel de la Métropole à Genève tel qu'il se présentait jadis avec ses boise·

ries, sa cheminée el son pla·

fond mouluré (MAH/DTPE, Collection iconographique genevoise).

(6)

Fig. 6

le décor 1900 du hall du Beau·

Rivage à Genève remanié depuis (MAH/DTPE, Collection iconographique genevoise).

19 L'atelier Negri avait antérieu- rement travaillé à la décoration du premier casino de Montreux.

zo Op. cit., Discours prélimi- naire, p. 9: <<La décoration et l'a- meublement deviennent aux maisons ce que les habits sont aux personnes: tout en ce genre vieillit aussi et dans un petit nom- bre d'années passe pour être suranné et ridicule. Les arts industriels qui concourent avec l'architecture à l'embellissement des édifices reçoivent de l'esprit de la mode la même impulsion, et aucune sorte de beauté ou de talent ne peut assurer à tous ces objets de goût d'autre durée que l'intervalle de temps nécessaire pour leur trouver un goût nou- veau qui les remplace».

21 C'est ce qui se passe au théâtre de la Chaux-de-Fonds lorsque le peintre italien Fraschina repeint sur le décor des muses de 1830 un décor d'angelots musi- ciens en 1899. Voir notamment:

el-Wakil Leïla, Casino-théâtre de la Chaux-de-Fonds, op. cit.

(note 5), pp. 593-609.

22 Genève semble du reste avoir été un centre dans le domaine de la décoration à la fin du X!Xe siècle. Les décorateurs genevois étaient appelés pour travailler sur les chantiers savoyards (Aix- les-Bains, Evian, Thonon, etc.).

23 C'est aussi vrai des palais, des intérieurs privés, des théâtres.

2' Voir Araujo Marina, Alfred Olivet architecte 1863-\942, Genève 1991, dactyl.

25 Le Splendide-Royal-Excel- sior, de même que d'autres étab- lissements d'Aix-les-Bains, tels le Bernascon, le Mirabeau, le Grand Hôtel Beau-Site, furent reconvertis en résidences entre 1953 et 1965. Le Splendide fut agrandi par Alfred Olivet entre 1906 et 1914. Le décor de deux halls d'entrée et de certains appartements a été conservé au gré des nouveaux propriétaires, aucune mesure de protection n'ayant été prise à temps. C'est justement la maison Cullaz qui réalisa les staffs avec un italien de Carouge du nom de Torrigotti.

Les peintres Clermont et Edouard Brosse!, élève de Bar- thélémy Menn, ainsi que Léon Gaud peignirent des allégories murales (le Printemps et l'Au- tomne) dans le salon d'apparat du Splendide.

Fig. 7

Ancienne salle à manger 1900 de l'Hôtel de la Paix à Genève (MAH/DTPE, Collection icono·

graphique genevoise).

pour la décoration du théâtre d'Evian-les- Bains (Fig. 2).19

Eventail de beautés disparues

Le péril dans lequel se trouvent les décors intérieurs résulte de plusieurs causes. L'oeuvre décorative a longtemps souffert d'un manque de reconnaissance lié à son statut d'art mineur. Petit genre, régi par les mêmes exigences de mode que le vêtement, il fut soumis par le passé au caprice du goût. Déjà Percier et Fon- taine insistaient sur ce point dans leur Recueil de décorations intérieures compre- nant tout ce qui a rapport à l'ameublement

composé par Charles Percier et P. F.-L. Fon- taine, exécuté sur leurs dessins, de 1812.20 Souvent rafraîchir signifiait repeindre à neuf21, superposer une nouvelle couche à la précédente.

Travailleurs de l'éphémère, dé- pourvus de statut, se déplaçant en équipe avec leurs aides d'un chantier à l'autre, les décorateurs n'avaient pas pour habitude de signer leurs réalisations.22 L'Histoire n'a pas toujours retenu leur nom. Souvent les travaux ont été menés rapidement et la hâte a eu des répercussions sur la qualité de l'exécution, ce qui aujourd'hui pose parfois de délicats problèmes de conservation.

Combien d'intérieurs d'hôtels23, ici et ailleurs, n'ont-ils pas été repeints ou remaniés au gré des changements de propriétaires et de mode? Champion du style Art Nouveau, style rarement représenté à Genève, l'architecte Alfred Olivet (1863-1942)24, architecte du magasin Old England, qui se signala dans l'architecture hôtelière lors de l'agran- dissement du Splendide d' Aix-les-Bains25 pms avec la construction du Palace d'Hyères, fut chargé d'intervenir sur de nombreux hôtels genevois dès 1900.

Il dessina un certain nombre d'amé- nagements disparus depuis dont les documents iconographiques nous ont gardé le souvenir. Avec une équipe d'arti- sans, anonymes à ce jour, il inventa pour le Grand Hôtel Beau-Rivage une salle de billard entièrement façonnée dans le lan- gage Jugendstil, du mobilier aux lumi- naires, en passant par les vitraux et la peinture où évoluaient pour le plaisir d'un public masculin des baigneuses élancées

(7)

(Fig. 3).26 Du billard il ne subsiste que quelques photographies anciennes propres à éveiller des regrets.

Les décors Art Nouveau, tombés en une désaffection particulière, semblent avoir été souvent systématiquement rem- placés à la première occasion. Le remar- quable Restaurant Français du Montreux Palace (Fig. 4), agrandi par Eugène Jost pour le compte d'Alexandre Emery (1906), était décoré de femmes épanouies, façon Eugène Grasset et pourvu d'un exception- nel buffet à verres biseautés inventé par la maison Held. Tout cet aménagement de prix a malencontreusement été bousculé par l'intrusion d'un «indispensable» ascen- seur des années 1970'.

De même, près d'Evian, l'établis- sement des Eaux Minérales du Châtelet conçu par Jules Lavirotte (1910), un des maîtres de l'architecture Art Nouveau parisien, a été complétement aseptisé et son décor effacé. Le pavillon thermal avec ses promenoirs, ses salons, sa buvette à front de route a été démoli dans les années 1970'. De nombreux artisans et artistes parisiens avaient pourtant réuni leurs talents pour contribuer au décor intérieur et extérieur: les vitraux artistiques étaient de Labouret, les peintures à fresques à l'an- tique de Carrière, la marbrerie de la mai- son Vital-Euvrard, les staffs et modèles de sculptures de Binet, les stucs de Taponier, Matringe & Cie de Paris27

A Genève les remarquables décors anciens de l'Hôtel de la Métropole (Fig. 5), conçu en 1854 par Joseph Collart, menacé de démolition au début des années 1970', ont disparu à la suite d'une rénovation

lourde28Les salons de l'Hôtel des Bergues ont été redessinés à plusieurs reprises depuis la création de l'établissement en 1834; cer- taines pièces, notamment la Salle des Fêtes, conservent encore un caractère proche de l'intervention de Revilliod & Turrettini en 1917-1921 et de leur dernier souffle clas- sique. Le vestibule et la cage d'escalier de l'Hôtel Beau-Rivage (1865) ont été redéco- rés à maintes reprises (Fig. 6). Les belles salles de l'Hôtel de la Paix (1865), que Pierre Taddeoli avait contribué à enrichir au moment de la construction (Fig. 7)29, ont plu- sieurs fois changé d'aspect. Ce ne sont que quelques exemples, parmi beaucoup d'autres, de ces disparitions que l'on juge aujourd'hui bien intempestives.

Eventail de beautés méconnues

Quelques établissements conser- vent toutefois par chance des intérieurs de grand intérêt.3

°

Ce sont parfois des hôtels qui n'ont plus qu'une pièce représentative, le reste de l'établissement ayant fait l'objet de modernisations irréversibles. L'Hôtel du Château d'Ouchy, écho régional du Pierrefonds de Viollet-le-Duc, construit sur les vestiges du vieux château épiscopal par l'architecte Francis Isoz s'enorgueillit toujours de sa Salle des Chevaliers inven- tée de toutes pièces au XIXe siècle. Réser- vée aux banquets elle s'orne de peintures héraldiques, de sculptures grotesques, sous sa fausse poutraison décorée (Fig. 8). Dans l'embrasure d'une «fenêtre reconstituée de l'ancien château» un vitrail historié de

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Fig. 8

La Salle des Chevaliers de l'Hôtel du Château d'Ouchy (Photographie Erich Mohr).

26 La thématique de la femme au bain, si bien exploitée par Puvis de Chavannes, était très en vogue vers 1900. On la retrouve bien évidemment dans le contexte du thermalisme et, notamment pour notre région, dans le bâtiment des anciens thermes d'Evian con- struits par Ernest Brunnarius en 1901-1902. Ces peintures situées en plein air, dans le vestibule d'entrée du bâtiment désaffecté, sont un témoin important de la peinture murale 1900 dans le sil- lage du peintre de la haute société française qu'était Albert Besnard.

27 La Construction moderne, 26 nov. 1911.

28 Le bel hôtel a été vidé de la quasi totalité de son décor, pour être farci à l'ancienne. Quel autre recours alors que la par- odie? Le groupe Vaisseau a introduit dans l'un des arcs du vestibule d'entrée un Général Dufour sur un cheval volant.

29 Voir Courtiau Catherine, Hôtel de la Paix, manuscrit MAH, 20/4/1994.

3

°

Certains d'entre eux sont illu- strés dans l'ouvrage: el-Wakil Leïla, Mohr Erich, Léman 1900.

Morceaux choisis d'architecture, Genève 1994, pp. 45-76.

Fig. 9 a/b

La Salle des Fêtes du Montreux Palace (Photographie Erich Mohr).

(8)

Fig. 10 a/b

Le vestibule du Palace de Caux selon une carte postale ancienne.

31 Diekmann laissa un recueil inti- tulé: Vitraux d'art, glaces et verres gravés; Mosaïques décoratives.

Fig. 11

La Salle des Fêtes du Beau·

Rivage Palace d'Ouchy.

Edmond Hasch évoque les âges reculés de la Suisse.

Parmi les palaces lémaniques, ceux édifiés ou complétés par Eugène Jost sur la côte vaudoise au tout début du siècle, le Montreux Palace, l'ancien Grand Hôtel des Alpes & de Territet (partiellement transformé en résidence), le Palace de Caux (devenu siège du Réarmement moral) et le Beau-Rivage Palace d'Ouchy présentent encore plusieurs des disposi- tions décoratives d'origine. Des peintres- décorateurs de talent, mais encore mécon- nus, comme le genevois Marcel de Challet ou l'allemand Otto Haberer eurent à orner les salles d'apparat de scènes bucoliques ou arcadiennes (Fig. 9). Des maîtres-ver-

riers comme le hambourgeois Edouard Diekmann, artiste à la renommée cosmo- polite, qui oeuvrera jusqu'à Alexandrie et jusqu'à Rio31, ou Charles Kunz ont inventé des vitrages multicolores dans les cages d'escalier et troué les plafonds de coupoles translucides. Les talentueux ébénistes de la menuiserie Held de Montreux ont dessiné des aménagements intérieurs de grande qualité où mobilier, rideaux, luminaires, tapis, papiers peints étaient conçus comme une forme d'art total.

Le Grand Hôtel des Alpes & de Territet (1887, Louis Maillard; 1904-1905 Eugène Jost), l'un des deux géants hôte- liers de la région avec le Montreux Palace, véritable paquebot hôtelier, concrétisa

(9)

l'ambition d'Ami Chessex. Aujourd'hui, comme beaucoup d'autres, le paquebot échoué, tronçonné par parties, exhibe quelques beaux restes. L'escalier de l'an- cien Hôtel des Alpes, devenu résidence, comporte encore son pavement de carre- lage ornementé et son décor de vitraux, attribuables aux ateliers de Kunz et de Diekmann. Sa salle des fêtes (1895) avait été dessinée par la menuiserie Held32, et son plafond décoré par Marcel de Chal- let. La somptueuse verrière de l'ancienne salle à manger, prise aujourd'hui dans le musée de l'Audiorama, est rarement visible.

Le palace de Caux (1900-1902), ce Regina Montium lémanique, le plus grand hôtel de Suisse avec ses quelques 350

«chambres d'étrangers», était à l'intérieur de ses murs Troubadour et de sa carcasse de béton armé, le bâtiment de tous les éclectismes. Si les chambres étaient déjà dotées du confort moderne (salles de bains, électricité, téléphone, chauffage )33, les salles d'apparat déclinaient, conformé- ment aux canons 1900, les différents styles historiques. L'immense vestibule était de style Vieux Suisse (Fig. 10), la salle à man- ger en style Louis XVI, le promenoir en pitchpin, la salle des fêtes en style néo- rocaille avec une allégorie plafonnante de Marcel de Challet. Propriété du Réarme- ment Moral, le bâtiment, telle une «Belle au Bois dormant», a sombré dans une sorte de léthargie. Une grande partie de son décor subsiste et attend le plumeau du res- taurateur.

Le Beau-Rivage Palace de Lau- sanne, transformé par Eugène Jost en

1906-1908 conserve de beaux décors, récemment remis en état ou réinventés.34 La salle des fêtes (Fig. 11), dédiée à la fémi- nité représentée par le staff et la peinture, est surmontée d'une verrière dessinée par Otto Haberer, illustrant, elle aussi, des femmes, trônant devant des niches.

D'autres salons faisaient suite à cette salle, ainsi qu'une rotonde autrefois pourvue d'une multitude de guirlandes et d'angelots décorant l'extérieur de sa coupole.

L'Hotel Royal d'Evian, conçu par le parisien Jean-Albert Hébrard (1909), auteur également de l'Hôtel Mira- beau d'Aix-les-Bains, a bénéficié de la créativité de Gustave-Louis Jaulmes, un artiste d'origine lausannoise, à la destinée internationale, qui allait, ce que l'on pres- sent au Royal, éclore un peu plus tardive- ment dans le style Art Déco. Pendant long- temps épargnées par le chauffage central -l'Hotel Royal étant des années durant un hôtel ouvert durant la belle saison unique- ment-, les peintures décoratives de la salle à manger, du grand salon (Fig. 12) et du hall circulaire ont conservé leur fraîcheur pim- pante. Dans plusieurs chambres le mobilier d'origine a été soigneusement conservé et remis en valeur.

Constats

Le décor est le prolongement logique de l'architecture historicisante de la fin du XIXe siècle. Comme dans les réa- lisations rococo, le fait d'orner était en ce temps indissociable du fait de construire.

Souvent dépouillée -et particulièrement

31

Fig. 12 a/b

La Salle à manger de l'Hôtel Royal d'Evlan et son décor de peintures (Photographie Erich Mohr).

32 La maison Held fournit d'aut- res projets pour le palace, voir : Une menuiserie modèle: les Held de Montreux, ITHA, Archives de la construction moderne, collectif d'auteurs, Lausanne 1992.

33 Bulletin technique de la Suisse romande, 25 septembre 1903, pp.

243-247.

34 Voir la communication d'Eric Teysseire.

(10)

35 Gouirand P., Le Palace: le con- cept de luxe en hôtellerie, Aix- en-Provence, Centre des hautes études touristiques, 1991.

depuis l'apparition du béton armé système Hennebique, l'architecture se concevait comme une carcasse, le support à toutes les formes d'arts appliqués. Dans les cas plus réussis, l'intimité entre ossature et garni- ture allait jusqu'à l'osmose.

Le rejet et la suppression du décor 1900, jugé parfois excessif au nom d'un certain bon goût, a entraîné une dislo- cation de l'entité architecturale. La sub- stance décorative est comme une chaire autour de l'os; le squelette, décharné des parures qui lui convenaient, flotte dégin- gandé autour des aménagements de rem- placement. A tout bien choisir, mieux vaut conserver le fruit d'une conception unitaire et d'un esprit homogène, quitte à réap- prendre le charme du fané authentique et à le préférer au tape-à-l'oeil d'une perfection pastiche!

Cet intérêt pour les intérieurs participe du regain de faveur général à l'égard du patrimoine architectural et d'un nouveau regard accordé à ce patrimoine comme entité. A la pratique d'une conser- vation épidermique, fréquente dans les années '60 et '70, s'est substitué le concept d'une conservation substantielle. Il ne devrait plus être possible aujourd'hui d'écorcher ou de déhousser à la légère un bâtiment historique porteur d'un décor ancien de qualité.

Zusammenfassung

Mit der Krise der Moderne hat das Publikum die alten Palace-Hotels wieder schatzengelernt. Die Grosszügig- keit der Raume sowie ihre prunkvolle Ausstattung und Gestaltung sind wieder entdeckt worden, nachdem sie im Namen des Rationalismus in Verruf geraten waren. Aber die Rückkehr a us dem Fege- feuer, wohin sie durch den Wandel des Geschmacks verbannt worden waren, erfolgte nicht ohne Schaden. Viele Inneneinrichtungen sind stark verein-

Mal documentés, encore souvent méconnus et sousestimés, les décors sub- sistants méritent l'étude et le respect. Le changement de goût et la mode ne suffisent plus aujourd'hui à justifier des change- ments de décors. Ils ne suffisent plus alors que l'on sait que les goûts reviennent et que l'Histoire a peut-être en un siècle accompli toute la révolution qui du dégoût ramène à l'engouement. Le Centre des Hautes Etudes touristiques d'Aix-en-Provence n'affirmait-il pas, dans un de ses récents cahiers du tourisme35, que le public assimile le palace à une construction ancienne.

C'est la raison pour laquelle les immenses caravansérails de Marne-la-Vallée, em- pruntent à l'Histoire, que ce soit le Disney- land hotel, «véritable palace conçu dans le style victorien du début du siècle» ou le Newport Bay Club «dans le style des stations balnéaires de Nouvelle Angle- terre».

La rareté de ce patrimoine, qui ne constitue plus, bien souvent, qu'un infime pourcentage du bâti, la difficulté de réussir les intégrations plaident en faveur d'attitudes respectueuses. Si l'on souhaite transmettre à la postérité des témoins d'in- térieurs anciens, il importe aujourd'hui de s'affranchir des comportements inféodés aux processus irréfléchis et compulsifs de la mode et de la consommation.

facht, verstümmelt oder ganz zertort wor- den. Ais zerbrechliche Elemente eines Luxuskulturgutes sind die noch teilweise oder ganz erhaltenen Ausstattungen selten geworden. Die meistens schlecht dokumentierten und oft noch verkannten und unterschatzten Elemente verdienen unbedingt eine bessere Erforschung und Beachtung. Bevor man daran denkt, sie zu ersetzen, sollte ihr eigentlicher Wert sorgfaltig mit den Qualitaten einer neuen Ausstattung verglichen werden.

Références

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