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A propos de quelques aspects de la science

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A propos de quelques aspects de la science

WENGER, Paul Eugène Etienne

WENGER, Paul Eugène Etienne. A propos de quelques aspects de la science. Genève : Georg, 1956, 21 p.

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:106112

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PUBLICATIONS DE L'UNIVERSITÉ DE GENÈVE

PAUL-E.

WENGER

RECTEUR DE L'UNIVERSITll: DE GErŒ:VE

A PROPOS DE QUELQUES ASPECTS DE LA SCIENCE

LIBRAIRIE DE L'UNIVERSITÉ

GEORG & Cie S. A.

GENtVE 1956

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30, quai Ernest-Ansermet

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PUBLICATIONS DE L'UNIVERS11't DE GEN'tVE

PAUL-E. WENGER

BECTEUll DE L'UNIVEBSIT& DE GBNIVE

A PROPOS DE QU.ELQUES ASPECTS DE LA SCIENCE

UBRAIRIE DE L'UNIVERSITt

GEORG & Cie S. A.

GENiVE

1956

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A PROPOS DE

QUELQUES ASPECTS DE LA SCIENCE

En 1952, le thème des Rencontres Internationales de Genève était: « L'Homme devant la Science» et nous avons pu assister alors à des débats conduits et orientés par des savants choisis parmi les esprits les plus remar­

quables de notre époque.

Il n'est pas dans mes intentions de donner une suite à ce forum durant lequel se sont affrontées des vues toujours intéressantes, quelquefois aussi contradictoires. Mon pro­

pos, beaucoup plus modeste, sera celui d'un homme de sciences, d'un chimiste, qui, depuis un demi-siècle, assiste au développement extraordinaire de la science qu'il avait choisi d'étudier lorsque, tout jeune homme encore, il péné­

trait dans cette Aula pour la première fois, il y a exactement cinquante ans.

Je pense donc qu'il n'est pas sans intérêt pour les étu•

diants d'aujourd'hui d'écouter, durant cette heure, quelques réflexions d'un « ancien », suggérées par le développement prodigieux de la science qui, par voie de conséquence par­

ticipe à la création de ce que mon collègue, le professeur Babel, appelle dans son introduction aux Rencontres Inter­

nationales 1952, les produits de la science: aviation, radio, cinéma, produits synthétiques, médecine et chirurgie scien­

tifiques.

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Afin de ne pas paraître incohérent dans mon discours, je voudrais vous montrer le fil conducteur qui m'a guidé:

Tout d'abord, j'ai envisagé le passé, qui sera arbitraire­

ment fixé dans le temps jusqu'à mon initiation aux sciences chimiques et physiques, puis le présent qui expliquera le développement quasi fantastique de la physique et de la chimie durant les cinquante années de ma carrière, et enfin, l'avenir qui ouvre de larges perspectives, qui me permettront d'exposer ma prise de position devant une science toujours plus avide de nouveautés, toujours plus envahissante, mais aussi toujou,rs plus belle pour ceux qui savent la concevoir, non en techniciens purs, mais en hommes dans le sens philosophique du terme.

Faisons halte au début de notre siècle :

Inspirés du positivisme des philosophes du 19me siècle, mais aussi du glorieux passé de la science genevoise, nos maîtres n'avaient pas de peine à convaincre leur auditoire et à faire de nombreux adeptes d'une science qui semblait devoir tout expliquer et tout comprendre. Et pourtant, c'est à peine si l'on entrevoyait l'énorme progrès, qui allait, à une cadence toujours accélérée, bouleverser toutes les notions acquises jusqu'alors et mettre en question les principes les plus fondamentaux de la physique et de la chimie. Cependant, -pour un chimiste, que de progrès :réa­

lisés déjà ! Progrès dus aux travaux des savants des dix·

huitième et dix-neuvième siècles.

Rappelons, sans nous y attarder, l'époque hérolque de la chimie avec Lavoisier et ses disciples : la primauté en matière de chimie passe en France dès la fin du I8me siè­

cle ; ce qui ne veut pas dire que les autres nations se tien•

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nent à l'écart durant cette étape audacieuse de l'évolution d'une science qui en est à sa première crise de croissance : établissement des lois fondamentales, conception quanti·

tative de la molécule, premiers balbutiements de la théorie atomique. La chimie est en voie de devenir une science exacte, voisine de la physique.

Déjà, de grands savants comme le Français Dumas, dans ses « leçons sur la philosophie chimique » peut prédire les découvertes du 2ome siècle et l'on doit admirer la clair­

voyance de cet homme lorsqu'il nous dit :

« On se flattera peut-être alors, et non sans raison, de parvenir un jour à fouiller les entrailles des corps, de mettre à nu la nature de leurs organes, de reconnaître les mouve•

ments des petits systèmes qui les constituent. On croira possible de soumettre ces mouvements moléculaires au calcul, comme Newton l'a fait pour les corps célestes.

Alors les réactions des corps, dans des circonstances don·

nées, se prédiront comme l'arrivée d'une éclipse, et toutes les propriétés des diverses sortes de matière ressortiront du calcul. Mais d'ici là, quel chemin à faire, que de travaux

à exécuter, que d'efforts il reste à tenter aux chimistes, aux physiciens, aux géomètres ! »

Or cet homme clairvoyant me fait penser à la Genève d'alors et à ses savants. En effet, il existait des rapports suivis et parfois même de solides amitiés entre les cher·

cheurs de l'Ecole de Paris et ceux de Genève. Je n'en cite­

rai pour preuve que les relations intimes entre Dumas et Marignac. (C'est dans la pharmacie Le Royer, rue des Alle­

mands, que le grand Dumas, l'un des premiers chimistes de son temps, fit un apprentissage). Pendant plus d'un demi­

siècle, son affection pour Genève ne s'est jamais démentie.

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Il est d'ailleurs assez curieux de constater le rôle impor­

tant de Genève dans le développement des sciences natu•

relles en général et dans le domaine physico-chimique sin­

gulièrement ; il sera peut-être intéressant d'en rechercher les causes : c'est à partir de la seconde moitié du rnme siècle que nous assistons à ce brusque épanouissement dans un milieu très cultivé mais qui, jusqu'alors, avait gardé à l'état potentiel, pendant les deux premiers siècles de la vie académique, ce génie de la découverte qui s'épa­

nouit avec tant de succès qu'il créa une tradition capable de produire des lignées de savants.

Tandis que de nombreuses familles offraient à Genève leur culture, leurs traditions, leurs trésors d'intelligence, le peuple des artisans, des commerçants, des horlogers constituait un public avide de connaître et ouvert aux choses de l'esprit.

Quelles furent les causes favorables à cette initiation ? Alphonse de Candolle, dans son « Histoire des Sciences et des Savants depuis deux Siècles», parue en 1873, analyse certaines d'entre elles « Proportion importante de per­

sonnes aisées, disposées à s'occuper de choses intellectuelles peu ou pas lucratives, libres de voyager et de choisir une profession à ieur goût. Ancienne culture de l'esprit dirigée depuis plusieurs générations vers des choses réelles et des idées justes. Tradition favorable aux sciences, cultivée

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dâns .. es taill.l.u.es. .Llllllllgrat1on ue 1amwes euangeres, honnêtes, instruites, ayant le goût des travaux intellec­

tuels peu lucratifs. Public curieux de choses vraies et réelles plutôt que de choses fictives ou imaginaires, opinion pu­

blique favorable aux sciences et à ceux qui s'en occupent.

Religion faisant peu d'usage du principe d'autorité. Liberté

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d'énoncer et de publier toute opnnon, au moins sur des sujets scientifiques, sans éprouver des inconvénients d'une certaine gravité. Connaissance des langues principales, ré­

pandue dans les classes instruites, etc ... »

Mais, me direz-vous, pourquoi ce développement ne pro­

duit-il son effet que deux siècles après la fondation de notre Alma Mater ? Le principal obstacle, au dire des historiens, était la pauvreté de Genève, sortant épuisée de la longue lutte qu'elle dut soutenir contre les ducs de Savoie.

Le second obstacle aux recherches scientifiques fut le règlement de l'Académie. Il n'était pas admis que des pro­

fesseurs fussent laïques et l'on n'enseignait que la théo­

logie, le droit, la philosophie, le grec, l'hébreu, les belles-lettres.

Une évolution dans le sens plus libéral se fit petit à petit, le Sénat académique fut créé, et nous pouvons dire que deux hommes jouèrent un rôle de premier plan dans cette évolution : Jean-Robert Chouet, professeur de philoso·

phie de 1669 à 1686, et Jean-Alphonse Turrettini, profes­

seur d'histoire ecclésiastique et de théologie de 1697 à 1737.

En effet, Sénebier a dit : « La Réforme a donné la vie à Genève, l'époque de Chouet lui donna plus tard sa direction scientifique et son mouvement propre. »

Après la première impulsion donnée par ces deux hommes, l'époque napoléonienne a une particulière importance pour nos institutions scientifiques : création de la Société Econo­

mique dont la mission était de sauvegarder le plus possible les établissements d'instruction publique. En 1802, trois chaires de l'Académie sont attribuées à la chimie et une à la minéralogie, mais les titulaires doivent se contenter de l'honneur qui leur est fait, car les ressources manquent.

Ce dévouement assure la vie et la renommée à notre Aca-

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démie que Napoléon incorpore en 1808, à l'Université Impériale de France. Le professeur Borgeaud nous apprend dans son histoire de l'Académie qu'il y avait alors 130 étu•

diants et que parmi les quelques professeurs payés, les plus privilégiés gagnaient 1200 frs annuellement.

Je prie l'auditoire d'excuser les quelques chapitres que je viens de consacrer à notre cité, mais ils tendent à expli·

quer le rôle très important qu'une petite ville, comme la Genève d'alors, a joué dans l'élaboration et le développe­

ment des sciences durant le dix-neuvième siècle ; d'autre part, j'ai pu constater pendant ma carrière combien l'his•

toire des sciences était ignorée de nos volées d'étudiants.

Nous sommes au 19me siècle. Dès lors, la chimie se déve•

loppe harmonieusement, Genève continuant à y tenir sa place. De nombreux éléments sont découverts, leur poids atomique déterminé. Marignac et Ph. A. Guye y doivent leur notoriété de savants: C'est alors que va se poser la question de la classification des éléments : après les essais de divers savants, c'est Lothar Meyer et Mendéléeff qui publièrent les résultats de leurs travaux, indépendamment i'un de i'autre ; c'est dire qu'en 1869, la science était suffi­

samment avancée pour que l'on puisse se rendre compte

qu'il existait un rapport certain entre la série des poids atoru.iques, rangé!:! par ordre numérique, et ies propriétés essentielles des éléments ; Mendéléeff, se basant sur des analogies existantes, put même prévoir les positions d'un certain nombre d'éléments encore inconnus : le système périodique des éléments était alors trouvé. On sait tout le parti que la chimie a tiré de cette audacieuse classüication.

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On ne peut s'empêcher de penser que si Mendéléeff avait connu Pexistence des isotopes, il n'aurait jamais établi son tableau et inversément, il est probable que, ne con­

naissant pas le système périodique, on n'aurait pas pu définir si bien les isotopes.

Durant tout ce 19me siècle, la chimie organique d'abord, la chimie physique ensuite ont le temps de se développer harmonieusement, ainsi que tout ce qui touche à la création des sciences biologiques modernes ; enfin la thérapie, la médecine bénéficient déjà des travaux de nos chimistes.

Venant couronner cet édifice du siècle dernier, l'analyse de la lumière et �es relations de la spectroscopie en 1880, la

découverte de la nature granulaire de l'électricité, et enfin la découverte des corps radioactifs, singulièrement du radium par les Curie, qui constituent les expériences les plus importantes menées par l'homme, ouvrent la pers­

pective de tous les travaux postérieurs.

Voici, en un résumé trop succinct, le panorama devant lequel nous nous trouvions en 1906. Il n'était pas étonnant

que devant une telle moisson, nos maîtres adoptassent une attitude orgueilleuse : la science semblait devoir tout expliquer.

Et cependant la science continuait à progresser à pas de géant. Cette radioactivité qui venait de nous apparaître, devait modifier nos conceptions les plus classiques et nous obliger à penser «neuf», à réviser notre manière d'envi­

sager les phénomènes et les lois. Le positivisme ne suffit plus à tout expliquer ; les découvertes qui se succèdent, et qui font de la première moitié du 2Qme siècle l'une des

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périodes les plus glorieuses, les plus dangereuses aussi, dans le domaine des sciences physiques et naturelles, obligent les hommes de sciences, comme celui qui vous parle, à évoluer de jour en jour et à réapprendre l' A.B.C. nouveau de leur métier. Alors peut se produire un certain décalage entre les réalisations et les possibilités que notre «moi» a de les imaginer! Certes, le trouble peut s'installer dans la pensée du profane, quand le savant lui laisse entrevoir un monde hors de proportions, ou parce qu'il utilise un langage qui lui est propre, pour exprimer, dans une forme symbolique, les lois qu'il vient de découvrir et qui lui serviront à trouver d'autres faits expérimentaux qui, à leur tour, seront uti­

lisés pour gravir l'échelon suivant du savoir. Une formule mathématique peut, pour l'homme de sciences, être évo­

catrice au même titre qu'une portée musicale pour l'artiste.

Dans les deux cas, il suffit simplement d'avoir la clé qui nous permettra d'entrer dans le domaine de la compré­

hension. Et si je fais en passant une incursion dans le do­

maine de l'art, je m'aperçois que, là aussi, la vision du monde a changé, que les formes ont éclaté, que le langage est devenu ésotérique. N'y a-t-il pas quelque analogie entre une peinture moderne et la structure de la matière vue au grossissement de nos microscopes géants ? Ou en­

core avec les schémas imaginés par les savants pour repré­

senter les infimes parties de cette même matière ?

Vers 1910-1912, en effet, un modèle planétaire de l'atome est édifié. Remarquons cependant que la notion philoso­

phique de l'atome remonte à 25 siècles au moins. Rappelons à ce sujet la réflexion de J. Perrin:

« Il y a vingt-cinq siècles peut-être, sur les bords de la mer divine, où le chant des aèdes venait à peine de s'étein-

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dre, quelques philosophes enseignaient déjà que la ma­

tière changeante est faite de grains indestructibles, en mouvement incessant, atomes que le hasard ou le destin aurait groupés au cours des âges selon les formes ou les corps qui nous sont familiers. »

Comment les philosophes grecs étaient-ils parvenus à cette conclusion ? Nous ne le savons pas et tout ce que nous pouvons imaginer est du domaine de l'hypothèse.

Tout ce qu'on peut affirmer, c'est que leur mode de con­

naissance était purement abstrait. N'ayant jamais eu besoin du secours de la science dans le domaine pratique, ils ignoraient les recherches expérimentales qui leur eussent permis de vérifier leurs théories et de développer les appli­

cations de la science. Malgré cela, les philosophes grecs, avec une clairvoyance étonnante, posent le principe de la divisibilité de la matière, comme pouvant seul expliquer la diversité du monde réel. Démocrite explique toutes les propriétés des corps par la quantité, la grandeur, la forme et la situation réciproque des atomes. Epicure aurait même admis la pesanteur de l'atome. N'est-ce pas là ce que nous admettons aujourd'hui sur la foi d'expériences conduites avec des moyens perfectionnés ?

Dès le 19me siècle, en effet, les expériences sur la matière devenant de plus en plus précises et de plus en plus nom­

breuses, il était à prévoir que l'atome, s'il existait, devait être la conséquence irréfutable de ces expériences.

Depuis 40 ans, l'image de l'atome - si j'ose dire - s'est perfectionnée, et l'atome de 1955, tel que la Conférence de Genève nous l'a présenté, se rapproche, semhle-t-il, de la réalité, bien que l'on soit très loin de l'avoir sondé jus­

qu'en ses parties les plus mystérieuses. Car, contrairement

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à ce que croyait la science atomique du 19me siècle, basée uniquement sur les réactions de la chimie, c'est tout un monde que ce tout dont l'esprit humain ne peut se repré­

senter la petitesse: 108 gr. d'argent sont formés de 602.500 milliards de milliards d'atomes. Les mots semblent perdre toute signification quand il s'agit de donner les dimensions de ces petits mondes ; il est plus représentatif de dire que cinq millions d'atomes alignés bout à bout couvrent à peine une longueur de 1 millimètre.

De quoi se compose cette particule insécable pour nos devanciers : de vide, comme les espaces interstellaires ; dans ce vide, des particules qui tournent, vertigineuses, sur des orbites bien déterminées, autour du noyau, petit centre assez lointain : ce sont les électrons, porteurs chacun d'une charge élémentaire d'électricité. Ces petites parti­

cules, disséminées dans les espaces intra-atomiques, ont cependant une importance particulière dans le domaine matériel. Ils seront capables de produire, en liberté, entre les atomes, le courant électrique. S'ils sautent d'une orbite à l'autre, ils peuvent émettre un rayon lumineux.

S'ils ne sont pas trop rapprochés du noyau, si celui-ci n'exerce pas une force attractive trop grande, ils peuvent bondir d'un atome sur un atome voisin et créer une liaison plus ou moins forte, formant ainsi des groupes d'atomes que nous nommons les molécules, ce qui nous ramène en chimie qui, comme chacun sait, doit étudier des centaines de milliers de corps composés possibles.

Dans le système de Mendéléeff, on constate, chose éton­

nante, que le numéro d'ordre des éléments ou numéro ato•

mique, nous donne précisément le nombre des électrons périphériques de chacun de ces éléments. L'atome de so•

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dium, par exemple, comporte 11 électrons et 11 est préci­

sément le numéro qui correspond à sa place dans la classi­

fication de Mendéléeff, alors que lorsqu'elle fut établie, on ignorait la constitution de l'atome ! Ces électrons qui sont à l'heure actuelle parmi les particules les plus impor•

tantes du fondement de la matière et de l'énergie, se répar­

tissent selon des orbites circulaires ou elliptiques, succes•

sives autour du noyau atomique, et c'est la mécanique quantique qui permet d'établir leur condition et leur position.

On pourrait alors penser que ce petit point qui se trouve au centre de tout atome, le noyau, est insécable ? Eh bien non! Lui qui concentre toute la masse de l'atome ou presque (il pèse 4000 fois plus que les électrons et il est 10.000 fo,is plus petit que l'atome) est constitué, lui aussi, de particules, les protons et les neutrons, et bien que nos sens soient dans l'incapacité de se faire une idée des dimen·

sions réelles des noyaux et des atomes, les physiciens, depuis une génération, les ont mesurés, pesés, analysés, et les chiffres sont là irréfutables. D'ailleurs, si nous reve•

nons une fois de plus au système périodique, il nous fournit une preuve supplémentaire de ce que nous venons de for•

muler. Les protons possèdent une charge électrique équi•

valente à celle de l'électron, mais de signe contraire, soit positive, ce qui assure la neutralité globale de l'atome, pris dans son état normal. En effet, le nombre des protons est toujours égal au nombre des électrons périphériques.

Quant aux neutrons - leur nom l'indique - ils sont élec•

triquement neutres. Enfin, la masse de l'atome, le poids atomique, est donné par la somme des protons et des neu•

trons.

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Lorsque le nombre de neutrons se modifie dans un atome, seule sa masse varie ( et non pas ses propriétés chimiques liées au nombre des électrons). Pour un même élément nous aurons donc plusieurs noyaux possibles, ayant tous le même nombre de protons et un nombre variable de neu•

trons. C'est alors que l'on parle d'isotopes, L'élément 50, par exemple, a 10 isotopes présents dans le métal que nous appelons l'étain, et ceci dans des proportions bien définies.

Nous pouvons constater que les noyaux de chaque élé­

ment possèdent un, deux ou plusieurs isotopes. Je ne veux pas insister sur ce côté technique de ma causerie, c'est pourquoi je n'irai pas au delà et je ne parlerai pas des forces nucléaires qui maintiennent les protons et les neu•

trons agglomérés ; j'en demande pardon aux physiciens atomistes.

Néanmoins, rappelons que l'énergie est enfouie dans le noyau de l'atome, que l'homme depuis dix ans commence à puiser dans ce réservoir qui, dans l'avenir, sera la princi­

pale source de notre économie ; lorsqu'on oblige des noyaux, comme celui de l'uranium 235 (92 protons, 143 neutrons) à se casser en deux, lorsqu'on opère une fission, on obtient une série d'éléments plus légers, radioactifs ou non, mais une fraction de la matière se transforme en énergie qui peut être calculée grâce à la relation d'Einstein. De même d'ailleurs, si on a la possibilité d'agglomérer des noyaux légers en des noyaux plus lourds, opérations que l'on résume sous le nom de fusion, on observe également une légère perte de masse qui s'est transformée en énergie.

Cette conception moderne de la matière rejoint le rêve formulé par les hommes depuis l' Antiquité : les Grecs ima­

ginant l'atome, les alchimistes à la recherche de l'or et de

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la pierre philosophale. L'ancienne croyance en une matière modifiable par transmutation des éléments les uns dans les autres est devenue une réalité au 2ome siècle grâce à la connaissance plus complète de l'atome et de son noyau qui condense en lui-même toute la matière et qui par là devient une source d'énergie quasiment inépuisable.

Certes, pour l'instant, les transmutations d'éléments sont surtout produites grâce à l'énergie que nous donnent les piles et les bombes atomiques. Le rôle de ces éléments est alors plutôt nuisible, puisque la fission produit des corps radioactifs qui se répartissent dans l'atmosphère, en pro­

voquant des radiations dangereuses et non contrôlables.

Lorsque l'on procède à la fabrication d'isotopes radio·

actifs, on assiste également à une transmutation de la matière.

Pour la nouvelle science nucléaire, il a fallu imaginer et construire des appareils spéciaux, capables d'obtenir des énergies telles que l'on puisse « agir » sur les noyaux atomiques. Il est ainsi possible de continuer l'étude de ces noyaux, car on est loin encore d'avoir résolu tous les pro·

blèmes et, à mesure que l'on avance, on s'aperçoit que le but ultime reste encore bien loin de nos conceptions.

Cependant, actuellement déjà, cette connaissance mo­

derne de la matière touche directement au problème de la vie : grâce aux isotopes radioactifs de certains éléments, on peut suivre les fonctions si compliquées de la vie chez l'être humain ou chez les êtres organisés en général. Il me semble que c'est là la véritable action féconde de la radio­

activité ; dans les années qui vont venir, d'immenses pro·

grès vont être réalisés ; que l'on soit adversaire ou partisan de ce développement scientifique, il serait vain de s'y o ppo·

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ser. Souhaitons que les hommes, et particulièrement ceux

qui auront à aborder ces problèmes, soient assez sages pour œuvrer pour le bien de l'humanité, pour jeter des lumières nouvelles sur la santé et la maladie, sur la jeunesse et la vieillesse.

Je vous ai donné brièvement une idée de l'état actuel du développement scientifique. La science d'aujourd'hui est capable dans les mains de l'homme de détruire notre

race, mais aussi, si les forces du bien prévalent, d'amélio­

rer dans de nombreux domaines la condition humaine.

Permettez-moi maintenant de faire un peu d'anticipation et, à la lumière de mes réflexions personnelles, d'exprimer

très modestement et très franchement mon point de vue sur la science future.

Henri Poincaré, dans son livre « le Savant et la Science », fait le procès d'idées assez curieuses émises par de grands hommes sur l'utilité de la science. Je les résumerai, peut•

être un peu légèrement, par une boutade de Tolstol :

« N'avons-nous pas mieux à faire que de compter le nombre de coccinelles qui existent sur notre planète ? ». Il est clair que le mot « utilité» n'a pas le même sens pour lui que pour les hommes de sciences contemporains, car, dans ce

cas, il faudrait nier tous les progrès réalisés depuis un siècle: application de l'électricité, de la lumière, de la chi­

mie, non seulement dans un but utilitaire mais encore pour le développement et la conservation de la vie, la lutte constante contre les maladies, la diffusion et la reproduction des idées, des œuvres d'art, de la musique. Le voudrions•

nous que nous ne le pourrions plus ! Quelle que soit, du

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reste, l'utilité de la science dans le domaine immédiat et pratique, la démarche scientifique n'est jamais guidée par l' « utilitarisme ». Ecoutons encore Poincaré sur ce point :

« Les savants croient qu'il y a une hiérarchie des faits et

que l'on peut faire entre eux un choix judicieux ; ils ont raison, puisque sans cela, il n'y aurait pas de science, et que la science existe. Il suffit d'ouvrir les yeux pour voir

que les conquêtes de l'industrie, qui ont enrichi tant d'hom·

mes pratiques, n'auraient jamais vu le jour si ces hommes pratiques avaient seuls existé et s'ils n'avaient pas été devancés par de pauvres fous désintéressés qui sont morts pauvres, qui ne pensaient jamais à l'utile, et qui pourtant avaient un autre guide que leur caprice ».

Il est certain qu'à l'heure actuelle, il y a confusion dans quelques esprits et qu'il serait dangereux de suivre ceux qui ne veulent pas s'initier aux travaux des scienti­

fiques, des savants. Les Grecs à qui, ne l'oublions pas, le mondé occidental doit en grande partie son mode de pen­

sée et son génie propre, avaient un idéal scientifique. A partir de données expérimentales très modestes, ils s'étaient créé une image de la nature, du ciel et de la terre. L'homme et son âme immortelle et insaisissable n'en était pas exclu. Ils étaient arrivés à cette conception que tout était bâti à partir d'un tout, insécable et très petit qui, groupé et multiplié, faisait un monde divers et infini dans ses formes.

Or, au 2ome siècle, voici que cet atome existe et qu'il est bien la source de toute matière. Bien que nos sens ne puissent l'envisager directement, on l'a mis en évidence, on a mesuré ses dimensions et son poids, et on est même

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parvenu à pénétrer cet infiniment petit qui, par sa compo­

sition se rapproche de !'infiniment grand des systèmes stellaires.

Ne pensez-vous pas qu'il a fallu des hommes de haute culture et doués d'une imagination géniale pour arriver à

de tels résultats en si peu de temps ? Car, pendant des siècles, physiciens et alchimistes, tous faux savants à la recherche de l'or, dispensateur de biens matériels, n'ont pas amené de progrès réel et n'ont laissé à leur successeurs que des documents fragmentaires et souvent obscurs 1 Comment ne pas s'étonner alors du décalage qui résulte de cette évolution soudaine de la science par rapport à

l'évolution régulière et si lente de l'esprit humain !

On a écrit : « l'atome, maître de l'homme». Je ne le crois pas : l'homme doit apprendre à dominer la matière comme il l'a fait par le passé, et ce n'est pas parce que la science moderne, par ses précieuses applications, nous a portés vers un machinisme fatal, qui tente les techniciens, et dont jouissent et profitent, ne· l'oublions pas, toutes les c.ultures (je pense à la musique, à la littérature, à la politique), qu'il ne faudra plus des esprits distingués, des gens désintéressés qui devront transmettre le flambeau.

Les méthodes, certes, ont changé, les travaux d'un scienti­

fique ne peuvent plus se concevoir, comme par le passé, dans un grenier, exécutés par un solitaire, mais c'est alors que l'universitaire intervient s'il consent à cultiver son esprit dans le cadre d'un humanisme qui ne sera plus celui de la Renaissance, mais dans lequel la science aura néan­

moins sa place.

De nos jours, en effet, il est impensable de concevoir UDe culture dans l'ignorance complète des notions nouvelles

E

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du domaine scientifique, ne serait-ce que parce que les réalisations qui en découlent sont dans les mains de chacun, pour le bien et pour le mal. De plus, quelle tentation ce devrait être pour les penseurs d'imaginer, à partir des données précises des savants, un ordre universel harmo•

nieux ! Idée audacieuse, peut-être, mais dans la plus belle tradition de l'esprit humain à la recherche perpétuelle d'une vérité plus haute et d'un sens à donner à la vie.

Dans le cadre universitaire, sachons guider notre jeu­

nesse scientifique vers des buts plus élevés que ceux d'ap­

prendre un métier, difficile certes, mais qui ne peut que former des techniciens, fort érudits, mais incapables de faire progresser l'idéal scientifique. Poincaré dit encore :

« Le savant n'étudie pas la nature parce que cela est utile ; il l'étudie parce qu'il y prend plaisir et il y prend plaisir parce qu'elle est belle. Si la nature n'était pas belle, elle ne vaudrait pas la peine d'être connue, la vie ne vau•

drait pas la peine d'être vécue. Je ne parle pas ici, bien entendu, de cette beauté qui frappe les sens, de la beauté des qualités et des apparences ; non que j'en fasse fi, loin de là, mais elle n'a rien à faire avec la science ; je veux parler de cette beauté plus intime qui vient de l'ordre har­

monieux des parties, et qu'une intelligence pure peut saisir ; c'est elle qui donne un corps, un squelette pour ainsi dire aux chatoyantes apparences qui flattent nos sens, et sans ce support, la beauté de ces rêves fugitifs ne serait qu'un·

parfaite parce qu'elle serait indécise et toujours fuyànte.

Au contraire, la beauté intellectuelle se suffit à elle-même et c'est pour elle, plus peut-être que pour le bien futur de l'humanité, que le savant se condamne à de longs et pénibles travaux ».

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C'est cette beauté qui devrait attirer tous les jeunes chercheurs.

Quelle est donc notre tâche à nous les maîtres ? Allons­

nous nous enliser dans la spécialisation facile et oublier que notre premier devoir est de former une élite qui doit faire un avenir digne de l'homme ; qui ne doit pas se lais­

ser dominer par les applications d'une science toujours plus belle dans sa conception philosophique, mais dange·

reuse si nous nous laissons dominer ! Je crois en l'homme, et je vous demande à vous les jeunes de ne pas désespérer devant un avenir qui semble incohérent et peut-être tra­

gique parce que notre moi moral a été devancé par les progrès de la technique. Ce n'est là qu'une crise, profonde sans doute, mais qui sera surmontée comme d'autres plus anciennes, si nous sommes assez sages pour suivre le conseil de Daniel-Rops, alors qu'il met en garde son auditoire contre le progrès technique envisagé au seul point de vue pratique :

« Celui-ci est un fait irréversible, dit-il, et l'on ne peut aujourd'hui envisager l'avenir de l'humanité en dehors de l'invention technique qui est un fait de l'esprit humain : en ce sens, et d'une certaine façon, être anti-modeme ce serait nier la valeur de l'esprit. Plutôt que cela, dit-il encore, l'homme doit tendre à harmoniser la civilisation et la culture, le devoir de notre époque étant de promouvoir un nouvel humanisme. Peut-on concevoir, se demande l'ora­

teur que cet esprit qui nous a tiré du néant nous y laisse retomber ? »

Certes, nous sommes, comme je viens de le dire, en pleine crise, et il y a autant de chances, historiquement parlant,

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pour que nous allions vers l'abîme plutôt que vers la lu­

mière ; le débat est en nous et c'est à ceux qui ont la joie et l'honneur de guider la jeunesse, d'avoir la force de per•

suasion d'orienter nos jeunes disciples afin qu'à leur tour, ils s'emparent du flambeau magnifique qui éclairera notre chemin vers la lumière.

Telles sont, Mesdames et Messieurs, les quelques aspects de la science que je voulais présenter à mon auditoire, ainsi que les réflexions qu'une longue expérience acadé­

mique m'a suggérées. Puisse notre jeunesse y voir un encou·

ragement au travail et l'espoir d'un avenir débarrassé du tragique et du burlesque d'une époque en voie d'évolution et peut-être difficile à admettre si l'on ne veut pas croire en « l'homme pensant» tel que Dieu l'a voulu !

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prononcés par les Recteurs à l'occasion de leur accession au rectorat

William E. RAPPARD :

<< L'Université et les temps actuels »

26 octobre 1936, Genève, Secrétariat de l'Université.

Victor MARTIN :

« Penser difficilement »

25 octobre 1 938, Genève, Secrétariat de l'Université.

Eugène PITTARD :

<< Conseils d'un vieil étudiant à de jeunes étudiants » 5 novembre 1940. Manuscrit.

Eugène BUJ ARD :

« Quelques réflexions d'un biologiste »

20 octobre 1942, Genève, Secrétariat de l'Université.

Antony BABEL :

« L'Université a-t-elle failli à sa mission ? »

30 octobre 1944, Genève, Librairie de l'Université, Georg & Cie S. A.

Paul-E. MARTIN :

« L'Université militante »

21 octobre 1946, Genève, Librairie de l'Université, Georg & Cie S. A.

Georges TIERCY :

« L'homme de science devant l'architecture et l'écono­

mie de l'univers »

21 octobre 1 948, Genève, Librairie de l'Université Georg & Cie S. A.

Eugène BUJARD :

« A propos de quelques problèmes de la v 26 octobre 1950, Genève, Librairie df

Georg & Cie S. A.

Antony BABEL :

<< Le levain dans la pâte »

30 octobre 1 952, Genève, Librairie de Georg & Cie S. A.

Henri de ZIÉGLER :

« L'Université et l'époque »

28 octobre 1 954, Genève, Librairie de Georg & Cie S. A.

Imprimé en Suieee Imprimerie Reggiani & Jaccoud, Ge

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