La sécurité sociale perd un grand maître : hommage au professeur Guy Perrin

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La sécurité sociale perd un grand maître : hommage au professeur Guy Perrin

GREBER, Pierre-Yves

GREBER, Pierre-Yves. La sécurité sociale perd un grand maître : hommage au professeur Guy Perrin. Cahiers genevois et romands de sécurité sociale , 1992, no. 8, p. 119-123

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LA SECURITE SOCIALE PERD UN GRAND MAITRE : HOMMAGE AU PROFESSEUR GUY PERRIN

Pierre-Yves GREBER

LA SECURITE SOCIALE ET SES DEFIS

La sécurité sociale représente l'une des tâches essentielles de l'Etat moderne, avec la formation, le système de santé, la protection de l'environnement et l'aménagement du territoire, la garantie de l'Etat de droit et celle des droits fondamentaux de l'individu. Dans tous les pays industrialisés, elle remplit un rôle irremplaçable dans l'accès aux soins médicaux, quelles que soient les ressources de chacun, dans la garantie de revenus de remplacement (en cas de maladie, de maternité, de retraite, etc) ou de minimum garanti, à l'égard enfin du chômage et des besoins tant d'indemnisation que de prévention et de réadaptation à l'emploi qu'il implique. Au bénéfice de réalisations importantes et quotidiennes, l'institution est cependant confrontée à maints défis : besoins sociaux non satisfaits (p.ex. chômage de longue durée), mutations de valeurs (que représente la solidarité?

comment réaliser pleinement l'égalité de droits entre femmes et hommes ?), incertitudes économiques (restructurations, nouvelles technologies, équilibres Ouest-Est et Nord-Sud), évolution démographique (vieillissement de la population), complexité des systèmes qui les rend difficilement compréhensibles pour les usagers mais aussi parfois pour les décideurs politiques et les praticiens. Plusieurs auteurs ont relevé que la sécurité sociale fait partie du

"modèle" de civilisation européen, lequel essaie de conjuguer au mieux le libéralisme économique et le souci d'une protection sociale développée. C'est dire l'importance des réflexions fondamentales en la matière, menées essentiellement en Europe, la nécessité de pratiquer l'interdisciplinarité, de considérer les droits nationaux comme les normes européennes et internationales.

UN GRAND MAITRE

Le professeur Guy PERRIN, qui vient de s'éteindre, était l'un des maîtres les plus éminents de la sécurité sociale : né le 23 juillet 1926 à Oyonnax, Français, il fut élève des fameuses Ecole nationale d'administration (ENA) et Ecole normale supérieure, à Paris, avant d'obtenir un doctorat ès sciences sociales à l'Université de Lausanne. Pendant de longues années, il a conjugué une activité internationale, en tant que Conseiller auprès du Bureau international du Travail (BIT), et scientifique, en qualité de professeur associé à l'Université de Genève, au sein de la Faculté de Droit et de la Faculté des Sciences économiques et sociales. Il a rempli d'autres missions d'enseignement, au bénéfice de l'Université de Lausanne et de l'IDHEAP.

Dans le cadre du BIT, G. PERRIN a participé très étroitement à l'élaboration de grands instruments de sécurité sociale, parmi lesquels il convient de citer le système de coordination (protection des migrants et des non-nationaux) fondé sur la Convention OIT N°

157 (1988). Ses activités l'ont amené à établir des collaborations techniques fructueuses avec la Communauté européenne et avec le Conseil de l'Europe. Ses enseignements et ses quelques 80 publications ont montré qu'il était l'un des plus grands chercheurs en théorie générale, en droit international et en droit comparé de la sécurité sociale.

PHILOSOPHE ET PRATICIEN

J'ai toujours été impressionné par la capacité du prof. Guy PERRIN tant de philosopher sur l'évolution de la sécurité sociale, les crises d'efficacité voire de légitimité auxquelles elle pouvait être confrontée, en tirant parti d'innombrables expériences nationales, comme de résoudre des questions très techniques et concrètes, telles celles posées par la protection des migrants. Aucune opposition entre l 'oeuvre du théoricien, du penseur et celle du praticien engagé sur le terrain, international. Mais une belle harmonie, nourrie par un savoir interdisciplinaire immense et une grande et patiente conviction. Ayant côtoyé l'homme pendant dix-huit ans, j'ai pu admirer le cheminement d'un véritable savant humaniste, modeste, profondément respecté et aimé, de ses étudiants qu'il commençait à initier à une matière complexe avec une bienveillance quasi paternelle, comme de toutes les personnes oeuvrant dans le domaine de la sécurité sociale.

Dans tous les colloques ou presque en Europe, il était présent au moment décisif, guidant la réflexion, aidant à formuler la synthèse. Confronté à une institution en pleine mutation, Guy PERRIN a notamment orienté la recherche vers une approche fonctionnelle de la sécurité sociale, celle-ci étant amenée à s'organiser pour remplir efficacement ses fonctions de garantie des soins de santé, de garantie d'un revenu social de compensation (cf. le débat sur le RMI), d'un revenu de remplacement, de protection contre le chômage et de valorisation des ressources humaines. Il insistait toujours sur la nécessité double d'une rationalisation et d'une humanisation de la sécurité sociale.

LA DISPARITION D'UNE SOURCE DE REFLEXIONS

Paraphrasant un vieux proverbe africain ou asiatique, je dirais que le décès de ce grand maître représente la fermeture d'une vaste bibliothèque de même que la disparition d'une source extrêmement vivifiante de réflexions. Et ceci à un moment où la sécurité sociale, confrontée à l'évolution européenne qui ne saurait être économique seulement, à la grande mutation de l'Est, à l'immense défi de la pauvreté et de la misère du Sud, aurait eu particulièrement besoin de ses lumières.

Quelques repères bibliographiques parmi les nombreuses publications du professeur Guy Perrin:

a) Théorie générale de la sécurité socialel

Les prestations non contributives et la sécurité sociale. Droit social [Paris] 1961, pp.

179 SV.

La sécurité sociale comme mythe et comme réalité. Droit social 1967, pp. 250 sv Revue belge de sécurité sociale [Bruxelles] 1966, pp. 1039 sv.

Réflexions sur cinquante années de sécurité sociale. Revue internationale du travail 1969, vol. 99, pp. 279 sv.

1 Réflexions alimentées, dans une part importante, par l'étude du droit comparé.

Vues prospectives sur la sécurité sociale. Revue belge de sécurité sociale 1970, pp.

1153 SV.

Les fondements du droit international de la sécurité sociale, Droit sociale 1974, pp.

479 SV.

La sécurité sociale au passé et au présent. Revue française des affaires sociales 1979, N° 1, pp. 87 SV.

Le droit à la santé et l'évolution des régimes de soins médicaux. In : Assurance- maladie et politique de santé. Documentation de sécurité sociale, série européenne, N°

2. Association internationale de la sécurité sociale. Genève 1979.

Le rôle de la sécurité sociale dans la protection et la lutte contre le chômage. In Annuaire EISS 1974-1977, Partie II. Institut européen de sécurité sociale. Kluwer.

Deventer 1979, pp. 81 sv.

A propos du financement de la sécurité sociale. Revue belge de sécurité sociale 1980, N° 10, pp. 769 SV.

Considérations préalables à la réforme de la sécurité sociale. In : Droit et politique sociale. Travaux réunis par P. de Laubier et J.-P. Fragnière. Delta. Vevey 1980, pp.

91 SV.

La naissance de l'assurance sociale, institution centenaire. In : Prévenir. Cahier V : Sécurité sociale et santé. N° V, mars 1982. Editions de la Vie mutualiste. Marseille.

Rationalisation et humanisation, deux objectifs prioritaires pour une réforme de la sécurité sociale. In : Emploi et politique sociale. Travaux réunis par Ph. Bois et P. -Y.

Greber. Réalités sociales. Lausanne 1982

=

Cent ans d'assurance sociale. L'assurance sociale, ses particularités et son rôle dans le passé, le présent et ! 'avenir. In : Beitrage zur Geschichte und aktueller Situation der Sozialversicherung. Colloquium des Max-Planck-Instituts für auslandisches und in- ternationales Sozialrecht. P.A. Kôhler et H. Zacher (Herausgeber). Duncker &

Humblot. Berlin 1983.

Rationalisation du financement de la sécurité sociale. In : Sécurité sociale : Quelle méthode de financement? Une analyse internationale. Bureau international du Travail.

Genève 1983, pp. 123 sv.

L'avenir de la protection sociale dans les pays industriels - Crises, défis et mutations.

Futuribles [Paris] 1985, octobre-novembre.

La fin de! 'Etat-providence eu Europe? Du mythe aux réalités. In : Droits sociaux et politique sociale en Suisse et en Europe. Travaux réunis par C. Ricq. Réalités sociales. Lausanne 1986, pp. 115 sv.

2 G. Perrin dégage, dans cette étude les contours de la conception fonctionnelle de la sécurité sociale, analyse développée dans plusieurs autres travaux sur l'avenir de l'institution (cf. p.ex. l'étude pour les Mélanges A. Berenstein, 1989).

L'avenir du droit de la sécurité sociale. In : Le droit social à l'aube du XXIème siècle, Mélanges Alexandre Berenstein. Collection juridique romande. Payot. Lausanne 1989, pp. 457 SV.

Prestations non contributives et droit international de la sécurité sociale. In : Annuaire EISS 1988, Institut européen de sécurité sociale. Acco Leuven/Amersfoort 1989, pp.

95 SV.

Sécurité sociale et pauvreté dans les pays développés. In : Pauvretés et sécurité sociale. Travaux réunis par P. Gilliand. Réalités sociales. Lausanne 1990, pp. 267 sv.

Pour une nouvelle alliance entre travail et protection sociale. In : Pratique des solidarités. Hommage au Professeur Roger Girod. Travaux réunis par P. de Laubier, J.-P. Fragnière et J. Kellerhals. Réalités sociales. Lausanne 1991, pp. 29 sv.

b) Droit international de la sécurité sociale

L'action de l 'Organisation internationale du travail en faveur de la coordination et de l'harmonisation des législations de sécurité sociale. Revue belge de sécurité sociale 1969, août-octobre, pp. 76 sv.

Le rôle de l 'Organisation internationale du travail dans l'harmonisation des conceptions et des législations de sécurité sociale. Droit social [Paris] 1970, pp. 457

SV.

Les nouvelles frontières de la sécurité sociale. Revue belge de sécurité sociale 1977, pp. 214 SV.

La sécurité sociale des étrangers et des migrants selon les instruments de

!'Organisation internationale du Travail. Revue belge de sécurité sociale 1981, N° 3, pp. 1 SV.

Origines du droit international de la sécurité sociale. Revue française des affaires sociales [Paris] 1981, N° 1, pp. 161 sv.

Pour une sécurité sociale sans frontières. Deux nouveaux instruments de l 'Organisation internationale du Travail. Revue belge de sécurité sociale 1984, pp.

505 sv.3

c) Droit européen de la sécurité sociale

Un nouvel instrument multilatéral pour la protection des travailleurs migrants. La Convention européenne de sécurité sociale. Revue belge de sécurité sociale 1973, N°

1, pp. 1 SV.

L'influence de la Cour de Justice des Communautés européennes sur la coordination internationale des législations de sécurité sociale. In : La jurisprudence sociale de la

3 Les instruments en question sont la Convention OIT N° 157 et la Recommandation OIT N° 167 relatives à la conservation des droits en matière de sécurité sociale (1982-1983).

Cour de Justice des Communautés européennes, Colloque avril 1977. Université Jean Moulin-Lyon

m.

Réflexions préalables à la coordination des régimes complémentaires privés de sécurité sociale dans la Communauté économique européenne. In : Annuaire EISS 1990. Institut européen de sécurité sociale. Acco. Leuven/Amersfoort 1991, pp. 211

SV.

La sécurité sociale dans la perspective du Marché intérieur unique de la Communauté économique européenne au 31 décembre 1992. Cahiers genevois de sécurité sociale, N° 6-1990, pp. 3 SV.

UNE VOIX ORIGINALE ET GENEREUSE S'EST TUE : HOMMAGE AU PROFESSEUR PHILIPPE BOIS

Pierre-Yves GREBER

Le professeur Philippe BOIS, qui nous a quitté en octobre 1991, était assurément l'un des acteurs les plus connus en Suisse romande dans le champ politique sociale/sécurité sociale/travail. Né le 17 décembre 1942 à La Chaux-de-Fonds, Suisse, il a fait des études de droit : licence, brevet d'avocat et doctorat. Il a été professeur de droit social à l'Université de Neuchâtel dès 1971; de droit administratif dès 1976, Doyen, ainsi que professeur associé à la Faculté de Droit de Genève dès 1979.

Le professeur P. BOIS a accepté la mission difficile et très exigeante d'enseigner et de publier dans trois disciplines jurdiques, le droit de la sécurité sociale, le droit du travail et le droit administratif, dont les première et troisième évoluent constamment sur un rythme rapide. Il a été membre de plusieurs commissions fédérales, du parti socialiste et il a entretenu des contacts étroits avec les organisations syndicales. Ses travaux scientifiques ont montré son aptitude à examiner aussi bien des questions techniques - la décision en droit des assurances sociales, p.ex. - que des problématiques aux vastes enjeux - les spécificités de la politique sociale en Suisse, la participation des travailleurs. P. BOIS a mis en évidence avec une grande pertinence le rôle du libéralisme dans l'évolution et dans la structure de la sécurité sociale : son analyse, originale, permet de comprendre l'état de la législation et les difficultés immenses de la réformer afin de réaliser un véritable système de sécurité sociale. Son livre sur la participation4 constitue une approche systématique et particulièrement enrichissante d'une grande question : les seules percées importantes sont en cours de réalisation dans le régime complémentaire de pensions LPP (prévoyance professionnelle) et dans l 'Espace économique européen (EEE). Ce Collègue, profondément regretté, n'a pas négligé les questions européennes, tant à l'égard de la Charte sociale européenne qu'au dialogue européen : il a été le rapporteur suisse lors de! 'important Colloque sur le rôle des régimes complémentaires dans les systèmes de protection sociale (Conseil de ! 'Europe, Lisbonne 1990).

A la suite du grand maître Alexandre BERENSTEIN, P. BOIS a contribué de façon décisive au développement de l'intérêt porté en Suisse romande au droit de la sécurité sociale

4 BOIS, Philippe : La participation. Ides et Calendes. Neuchâtel 1976.