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Des "appareils" pour construire des images...

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Academic year: 2022

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Des "appareils" pour construire des images...

RAFFESTIN, Claude

RAFFESTIN, Claude. Des "appareils" pour construire des images.. In: TURCO Angelo. Verso una teoria geografica della complessità . Milano : Unicopli, 1988. p. I-IV

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:4428

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DES «APPAREILS» POUR CONSTRUIRE DES IMAGES...

A l'origine de la pratique d'une discipline il y a toujours, explicitée ou non, une conception philosophique. Hilary Putnam en dénombre deux, celle du réali- sme métaphysique et celle de l'internalisme. Selon la première «le monde est constitué d'un ensemble fixe d'objets indépendants de l'esprit. Il n'existe qu'une seule description vraie de "comment est fait le monde". Dans ces conditions, la vérité est une sorte de relation de correspondance entres des mots ou des symbo- les de pensée et des choses ou des ensembles de choses extérieures» 1. Selon le second point de vue la question «de quels objets le monde est-il fait» n'a de sens que dans une théorie ou une description...2.

Jusqu'à récemment, la géographie n'a pas démontré une grande capacité à explorer la voie internaliste et même si les problématiques, les théories et les modèles n'ont pas manqué d'inciter à cette exploration la conception sous-jacente n'en est pas moins demeurée externaliste. En d'autres termes, la géographie a - davantage été vécue comme une «découverte» de la réalité que comme une-

«invention» d'images de la réalité. Sans pour autant tomber dans un constructivi- sme outrancier je tends à penser que les théories sont surtout des «appareils», des systèmes conceptuels, qui permettent de construire des images et cela d'autant plus que les images ne durent que ce que durent les théories et les modèles.

Le passage de l'externalisme à l'internalisme est un saut épistémologique réalisé, en partie, entre 1965 et 1975 en géographie. A cet égard, je suis tenté de parler de la «décennie incommode» qui a déclenché fureurs et dépression mais aussi espoirs parmi les géographes. Certains ont prolongé l'effort jusqu'à construi- re des axiomatiques qui sont autant de tentations qui ont mimé la théorie du réel des sciences de la nature mais qui n'en constituent pas moins des impasses en niant l'épaisseur de l'historicité dans laquelle se découpent les sciences humaines.

Je ne sais si A. Turco se réclame du réalisme métaphysique ou de l'internali- sme mais une chose est certaine: il s'inscrit dans la décennie incommode marquée par les apports du constructivisme. Son homo geographicus en témoigne. Celui-ci n'est pas un démarquage de l'homo ecmomicus malgré l'apparente analogie des termes. On aurait tort de s'insurger contre ces «hommes construits»... Tout au plus pourra-t-on regretter la naissance tardive de l' homo geographicus mais il est naïf

1 H. P tnam, Raison, vérité et histoire, Les Editions de Minuit, Paris, 1984, p. 61.u

2 Ibid.

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VERSO UNA TEORIA GEOGRAFICA DELLA COMPLESSITÀ

de parler de retard car ce mot n'a pas de sens au regard de la sociologie de la connaissance conditionnée par des hiérarchies qui dépendent de systèmes comple- xes et non pas de volontés individuelles.

L'homo geographicus d'A. Turco est l'acteur incontournable, si j'ai bien compris, d'un «agir territorial» qu'il est loisible de saisir dans une perspective synchroni- que, coupe géographique essentielle, mais aussi dans une perspective diachroni- que qui peut témoigner de l'écogenèse territoriale. C'est assez dire qu'il faut rappeler, ici, une grosse évidence, qui tend malheureusement à être oubliée, à savoir que tout agir territorial réordonne de l'étendue et de la durée, autrement dit combine ou recombine des espaces et des territoires qui ressortissent à des échelles de temps différentes. C'est ainsi que des territoires perdent leur fonction première à laquelle se substitue une fonction seconde portée par une technique ou un système technique nouveau. Qui ne verrait poindre, dans ce cas, la complexité et la complexification du processus? A. Turco est fasciné par ces deux notions auxquelles il recourt avec bonheur. La complexité est toujours présente même dans les systèmes passés qu'une illusion d'optique nous fait apparaître simples sur l'horizon de l'histoire. Ils ne peuvent pas être simples car ils assument déjà toutes les relations qu'entretien le vivant avec son entour, son Umwelt, pour ne pas parler d'environnement si fâcheusement banalisé. La complexification, de son côté, réside moins dans la multiplication des choses et des instruments que dans la manière de réordonner la nature, pour employer la terminologie de Moscovici.

Au centre de la complexité et de la complexification on découvre deux couples conceptuels fondamentaux: ordre-régulation et relations-dispositions. Ces deux couples fondent la problématique de l'agir territorial qui conduit A. Turco à définir la géographie comme forme territoriale de l'action sociale. L'homo geogra- phkus est, par essence, dynamique et il ne trouve son équilibre qu'à travers l'action. Ce n'est pas par hasard, dès lors, si A. Turco prend appui pour dérouler sa pensée sur Paul Vendryès et Arnold Gehlen. Le premier lui fournit une analyse originale des relations, qu'il s'agisse de relations déterministes ou de relations aléatoires. Vendryès part de la physiologie mais prolonge sa réflexion jusqu'à la linguistique balayant ainsi tout le champ des sciences de la nature et des sciences de l'homme. Toute notre existence est tissée de déterminisme et d'aléatoi- re. Bien sur, il ne s'agit pas d'un mélange de l'un et de l'autre mais d'une combinaison aléa-déterministe dont la réalisation fait prendre conscience de l'em- boîtement des échelles. Le second, Gehlen, a donné, dans son oeuvre, une place tout à fait centrale à l'expérience et à l'action. Les relations à la réalité constituent les éléments d'une anthropologie de l'homme total, physique et psychique. Bien que venant d'horizons différents, Vendryès et Gehlen convergent très nettement.

Cela n'a pas échappé à A. Turco dont les fondements de son agir territorial sont solidement posés sur les apports de ces deux auteurs du point de vue méthodolo- gique qu'il complète par la pensée de Niklas Luhmann pour assurer la transition avec le social.

Mais cela dit, je voudrais revenir aux deux couples, cités plus haut, qui servent de noyau à la problématique d'A. Turco. J'utiliserai, à cet effet, des termes

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DES "APPAREILS" POUR CONSTRUIRE DES IMAGES... III

qui ne sont pas employés par A. Turco mais qui, je le pense, ne trahiront pas ses idées qui le conduisent à repenser la géographie physique pour l'articuler sans solution de continuité à la géographie humaine. La terminologie que je propose n'a pas d'autre objectif que de me permettre de condenser la pensée d'A. Turco.

L'agir territorial est ordonné et régulé par trois logiques: l'éco-logique, la bio- logique et la socio-logique. Elles imposent des ordres et des régulations dans lesquels le déterminisme et l'aléatoire jouent leur rôle. L'interaction de ces logi- ques encadrent l'agir territorial dans les différents écosystèmes humains. L'agir territorial, ou action, de l'homo geographicus est sous-tendu par ces logiques dont la signification profonde est révélée à l'occasion de crises ou de catastrophes qui, soit dit en passant, ont plus souvent été étudiées pour elles-mêmes que comme champ expérimental unique et spécifique. Je veux dire par là que la géographie peut trouver dans les crises ou les catastrophes un moyen de dévoiler la structure profonde de l'agir territorial. Avec la multiplication des accidents dans l'environ- nement le champ expérimental, hélas, s'élargit.

Quant au couple relations-dispositions, il rend compte de ce qu'A. Turco appelle «atti territorializzanti». Ces actes de l'homo geographicus, A. Turco les ramène à trois: la dénomination, la réification et la structuration. Ils correspondent à des relations de contrôle: contrôle symbolique, contrôle pratique, contrôle de sens (sensivo). Le croisement des logiques et des actes territorialisants débouche sur la territorialisation, autrement dit aussi, cela va de soi, sur la déterritorialisation et la reterritorialisation.

La dénomination est beaucoup plus importante qu'on ne l'imagine, plus im- portante peut-être encore que ne le dit A. Turco lui-même. Pourquoi? Parce que cette constitution langagière du territoire, qui renvoie à une sémiosphère commu- nautaire ou sociétale, peut perdurer dans la mémoire collective et survivre ainsi longtemps à la disparition du territoire dénommé. Il est des lieux, des villes qui ne sont connus que par un toponyme. Ces toponymes ont parfois une telle force sur l'imagination qu'ils mobilisent l'ardeur des archéologues qui finissent par découvrir une réalité matérielle correspondante. Ainsi ces territoires langagiers qui imprègnent la mémoire constituent souvent le point de départ des travaux archéologiques. Qu'on songe à Pompéi et à Troie. La dénomination, par ailleurs, informe sur le vécu mais aussi sur le non-vécu, elle est une délimitatin de la réalité par la parole et par le langage. La dénomination pose deux problèmes insuffisamment explicités par les géographes: l'investissement des choses par le langage et l'extraction du langage des choses (la voix des choses comme l'appelait Marguerite Yourcenar). Ainsi se réalise un va-et-vient de la parole des choses au langage des hommes. N'est-ce pas ce qu'évoquait Wittgenstein lorsqu'il écrivait:

«Cela a-t-il un sens de montrer un groupe d'arbres et de poser la question:

comprends-tu ce que dit ce groupe d'arbres? — Généralement pas, mais la disposi- tion des arbres n'exprimerait-elle pas une signification, cela ne pourrait-il pas être une langue secrète?»3.

3 L. Wittgenstein, Philosophische Grammatik, Suhrkamp, Frankfurt-am-Main, 1978, p. 39.

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IV VERSO UNA TEORIA GEOGRAFICA DELLA COMPLESSITÀ

La réification, cet autre moment territorialisant, est la transformation maté- rielle de l'espace et/ou du territoire. C'est en somme la distribution des choses et des instruments sur la terre. Par là, l'homo geographicus agit sur la matière organi- quement, mécaniquement ou synthétiquement pour aller dans le droit fil de la pensée de Moscovici. A cet égard, A. Turco cite un exemple tout à fait éclairant, celui de la digue. La digue est bien le résultat d'un processus territorialisant mais elle est aussi un acte qui déterritorialise car elle fait disparaître beaucoup de choses tout en retterritorialisant par ce qu'elle permet de faire dans une nouvelle dynamique fonctionnelle. Par la réification l'homo geographicus réaménage sans cesse son autonomie en construisant du territoire nouveau avec du territoire ancien, en faisant glisser l'histoire d'une fonction à une autre.

La structuration, le troisième moment, par le jeu des mailles, des noeuds et des réseaux fait éclater la complexité des systèmes mis en place. A. Turco nous donne une méthode pour analyser les écosystèmes humains dans le temps court mais aussi dans le temps long.

Son homo geographicus est peut-être enfermé dans la logique, les logiques plus précisément, mais il s'échappe dans l'histoire et par l'histoire. Avant d'y être englouti, il y dure plus ou moins longtemps en tant qu'être social car en tant qu'espèce c'est autre chose... Il me revient une idée de Sartre qui éclaire la rationalité de l'homo geographicus: « L'histoire est précisément ce par quoi il y a de la nécessité géographique»4.

A. Turco, par son livre, nous offre un «appareil» pour construire des images géographiques non pour atteindre la réalité géographique qui, selon moi, impéni- tent intemaliste, est inatteignable comme telle. Notre discipline a besoin de la multiplication de semblables appareils pour poser des questions car c'est à coups de questions et d'hypothèses qu'on invente quelque chose... ou bien...

Claude Raffestin

4 J.-P. Sartre, Cahiers pour une morale, Gallimard, Paris, 1983, p. 115.

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