• Aucun résultat trouvé

Caisses maladie, le narcissisme conservateur

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2022

Partager "Caisses maladie, le narcissisme conservateur"

Copied!
1
0
0

Texte intégral

(1)

Premier devoir post-votation : regarder la réalité.

Constater l’incapacité de notre démocratie à contrer, et même à reconnaître, les dysfonc- tionnements des assureurs-maladie. Le non de dimanche à la caisse publique a été net. Le refus est si manifeste qu’aux yeux des caisses, il a valeur d’indulgence envers leurs pratiques.

Et même d’encouragement. Mais la réalité, c’est aussi une Suisse divisée. La minorité romande qui a dit oui. Pour expliquer cette scission, les médias n’ont avancé qu’une brochette de lieux communs. Restent sans réponse les questions importantes : les Romands sont-ils plus luci des sur la réalité des caisses ? Ont-ils davantage été victimes des déviances, par exemple en payant trop de primes ? Leurs politiciens et médecins ont-ils une indépendance et un culot qui manquent en Suisse alémanique ? Toutes ces raisons ont probablement joué un rôle.

Impossible, en tout cas, de s’en tenir à la pauvre rengaine «les Romands aiment se ré- fugier sous la protection de l’Etat».

Où que l’on regarde, c’est plutôt la trou- blante puissance de l’argent qui apparaît. Les opposants à la caisse unique ont dépensé dix fois plus que ses défenseurs en annonces dans les médias. L’immensité de leurs moyens a faussé le débat. De manière légale, a cepen- dant estimé le Tribunal fédéral : les caisses avaient le droit de faire campagne. Mais alors, comme le remarque Jean-François Steiert dans une interpellation, cela veut dire que leur statut s’apparente à celui de la Poste ou des CFF : pour éviter les conflits d’intérêts, les parlemen- taires devraient être interdits de siéger dans leurs conseils d’administration. Interpellation sans réponse.

Comme restent sans réaction politique les scandales qui ne cessent d’éclater depuis près de vingt ans dans le milieu des caisses mala- die. Les primes cantonales qui ne corres- pondent pas aux coûts, la chasse aux bons risques qui se sophistique et déjoue sans cesse les mesures prises, les réserves qui sont gérées de manière obscure. Certes, les caisses maladie n’ont pas de but lucratif. Mais les flux d’argent entre la partie publique et la partie privée et lucrative des assurances s’organisent sans véritable contrôle. Et quantité d’autres stratagèmes existent pour faire du profit là où ne devrait exister que du service public. Ainsi, lorsque les caisses CPT/KPT et Sanitas ont décidé de fusionner, un journaliste du Blick particulièrement sagace a découvert que les dirigeants et administrateurs allaient gagner des centaines de milliers de francs en revendant à prix fort leurs actions. La fusion a finalement été annulée. Mais que s’est-il passé

lors d’autres fusions ? Par exemple celle des petites caisses de la constellation du Groupe Mutuel, qui sont passées, en 2011, de 16 à 4 ?

Le Groupe Mutuel, justement. L’incroyable annonce de la semaine passée a glacé ceux qui pensent en termes de justice. Par son timing, d’abord. Il est scandaleux. La population a en effet dû attendre le lendemain de la votation pour apprendre que la Finma avait constaté

«des faiblesses éventuelles dans la gouver- nance de l’entreprise». Et que, en même temps, l’ensemble du Comité du Groupe Mutuel, dont le président Pierre-Marcel Revaz, démissionnait avec effet immédiat. Pour que ce chef ultra- ambitieux, omniprésent, tout puissant et obsé- dé par le succès ait démissionné en catimini et sans la moindre explication – sauf le risible :

«le Groupe a souhaité un changement de gé- nération» – la découverte de la Finma a dû être gravissime. Pour le moment, on n’en sait pas davantage. Le plus probable est que, comme dans le cas d’Assura, la vérité ne so rtira jamais. En particulier, la population igno- rera toujours qui, à la Finma, a décidé de retenir cette affaire pour qu’elle n’éclate pas en période pré-votation. Et il y a plus grave. La Finma n’a le droit de s’intéresser qu’aux activités privées de l’assureur. Mais les problèmes de gouver- nance n’ont aucune raison de n’affecter que cette activité. Au contraire : la partie assu- rance publique est bien plus vulnérable. Seu- lement voilà : son contrôle revient à l’OFSP.

Lequel n’a pas la moindre culture de l’enquête poussée, aucune tradition ni compétence con- cernant l’analyse de gouvernance. Il n’est qu’un simulacre administratif servant à donner le change à la population. Le Parlement l’a voulu et continue de le vouloir ainsi.

Les caisses ont donc gagné. A la démocratie, elles n’auront pas à rendre de véritables comptes. Elles peuvent renforcer leur stra- tégie du «surveiller et punir», la décliner en

«évaluer et choisir». Elles ne connaissent rien à la médecine, ne comprennent aucune de ses complexités. Qu’importe. Portées par le vote de dimanche, elles viennent de réussir, la semaine passée, à faire accepter par le Natio- nal une motion leur permettant de choisir les médecins avec qui elles travaillent. Le Conseil des Etats suivra probablement.

Bien sûr, les médecins se battront contre cette fin de l’obligation de contracter. Et ob- tiendront un vote référendaire. Mais les caisses, à nouveau, auront 10 fois plus d’argent que leurs opposants pour faire croire à la popula- tion qu’elles défendent ses intérêts. Bref, nous nous acheminons vers un monde médical

dominé de A à Z par des assureurs de plus en plus riches, sans autre vision que l’économie à court terme et dont l’arrogance va aller crois- sant à mesure que leurs moyens leur permet- tront d’acheter les voix politiques et de renfor- cer ce qui est déjà la plus grosse logistique de propagande en Suisse.

Le gâchis risque d’être immense. Car le tempo du monde s’accélère et la médecine se trouve confrontée à d’immenses changements. Pour le moment, le système politique feint de ne pas les voir. Certes, il organise ici ou là une réflexion sur les réseaux de soins. Mais rien à la hauteur.

Vision classique. Réseaux pilotés par les cais- ses. Pas de véritable pensée de la relation soi- gnante, de l’équité. Pas de mise en débat de ce que l’organisation des soins engage en termes de culture et de vision de l’homme.

Très peu, surtout, sur le cœur du boulever- sement : les données. Car en médecine plus encore qu’ailleurs, leur capture, leur stockage et leur interprétation changent l’ensemble du paradigme. De nouveaux acteurs arrivent, au pouvoir souvent mondial. Internet et les ré- seaux sociaux transforment les esprits et les consommations. Les tests en kits, les disposi- tifs embarqués, le quantified self commencent à atteindre la pratique médicale concrète. Ce n’est qu’un début. Bien sûr, la relation soi- gnant-patient va rester centrale, seule capable de prendre en compte l’irréductible complexité de la maladie. N’empêche : le tropisme de la population s’accroît pour les structures bien équipées en technologies, informatisées, qui posent des diagnostics, qui définissent des traitements par algorithmes. Le réseau médical va devoir composer avec ce qu’on appelle le Mobile Health. Et le dossier médical informa- tisé, ouvert aux patients d’un côté et aux soi- gnants de l’autre, va devenir le cœur straté- gique de ce réseau. Les entreprises du Big Data l’ont compris : elles lancent des projets de dossiers médicaux, mais aussi des ré- seaux de patients en ligne et quantité d’autres procédés qui leur permettront de maîtriser en- suite la distribution des soins.

Pendant ce temps toujours, les caisses savou- rent leur victoire dans l’ancien monde. Ainsi, Karin Perraudin, nouvelle présidente du Comité du Groupe Mutuel, rappelait sa priorité au TJ du 30 septembre. L’orientation en faveur des assurés, le souci de leur santé, la réflexion sur les formidables enjeux du futur de la médecine ? Non. Le renforcement narcissique. «Maintenir le patrimoine et l’identité forte du Groupe».

Bertrand Kiefer

Bloc-notes

1896 Revue Médicale Suisse www.revmed.ch 8 octobre 2014

Caisses maladie, le narcissisme conservateur

48.indd 1 06.10.14 12:17

Références

Documents relatifs

Traduction: Serviceslinguistiquesdel’OFS Mise en page: sectionDIAM,Prepress / Print Graphiques: sectionBEVO,OFS En ligne: www.statistique.ch Imprimés:

Par classe d‘actifs, moyenne annuelle, toutes les CP, pondération en fonction du capital, après déduction des frais, en

Chaque assuré maladie paie 35 francs de plus qu’en 2001, soit 30%, pour couvrir les frais administratifs des caisses privées.. Selon l’Office fédé- ral de la santé

l’on considère que les grands grou- pes détiennent plusieurs filiales, la concentration paraît plus évidente en- core : ainsi, les cinq plus grands as- sureurs du pays –

Avec une conséquence pas entièrement prévue : la fin du financement des sites de comparaison en ligne comme Comparis et Bonus.. Ces derniers travaillent avec des caisses

Dès lors qu’il ne s’agit plus seulement de garantir les coûts encourus sur le marché des soins mais de fixer les primes au mieux d’une stratégie commerciale, rien

Pour Didier Burkhalter, qu’il s’agisse d’une grosse ou d’une modeste dépense de santé, la loi doit être la même et la pression constante sur les

Au motif bien helvé- tique qu’il faut connaître de l’intérieur ce qu’on contrôle, elle sera menée par un directeur et des cadres issus des assurances maladie,