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C était une nuit blanche... blanche d écume. Konorg, le vent d ouest hurlait sa colère dans les haubans. La goélette en perdition craquait de toute so

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Academic year: 2022

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C’était une nuit blanche... blanche d’écume.

Konorg, le vent d’ouest hurlait sa colère dans les haubans. La goélette en perdition craquait de toute son âme. Une âme vacillante, à l’image des fanaux de position du bateau bringuebalé en tous sens.

Depuis la tombée du jour – dont on pouvait douter qu’il se soit levé – de longues lames s’&étiraient venues du large, poussée par un orage d’une rare violence. Sans fin, les déferlantes balayaient sur leur passage tout ce qu’elles pouvaient arracher au navire. Déjà, deux hommes avaient disparu. Raflés sans que l’on puisse rien faire pour eux. Aucun des deux matelots n’avait eu le temps de crier sa détresse. La foudre, incessante, déchirait la nuit, frappait les mâts à trois reprises. Son éclat fulgurant trahissait le sort de gabiers agrippés là-haut, dans le gréement dont l’état ne laissait entrevoir aucun espoir de manœuvre. Les voiles en lambeaux claquaient dans le mauvais vent.

Elles claquaient en résonnance avec le fracas du tonnerre. Un tonnerre continu, roulant loin sur la mer pour revenir, géant, titanesque, marteler puissamment les hautes falaises que l’on devinait toute s proches. Les hommes désemparés, les sentaient se dresser menaçantes. Puissantes murailles frappées par des bordées d’une grêle furieuse, giflée par des nuées d’une pluie abondante. À leur pied, des récifs aux roches acérées attendaient de mordre cette offrande que l’océan faisait à la terre.

Le capitaine un natif d’Enez-Vaz, roux comme un coq devait se résigner. Il plaçait ses paluches larges comme des pelles d’aviron, en porte-voix. De la sienne, puissante, il ordonnait ... l’abandon du navire.

Une main pour le bord, une main pour soir.

Si le bateau souffre, ajoute lui trois doigts.

On consacrait ces trois-là aux chaloupes. Les gars ne distinguaient plus le pont de mer en furie.

Engoncés dans leurs cirés ruisselants d’eau, ils luttaient contre les éléments pour retirer les sangles des deux embarcations. Ils baignaient dans les remous jusqu’aux aisselles, sous la déferlante de certaines lames, ils allaient jusqu’à disparaître. Les mises à l’eau coûtaient encore une vie. Il fallait faire au plus vite... Dans le tumulte de la tempête, chacun identifiait l’inquiétante rumeur de la côte escarpée. Elle n’était plus qu’à quelques encablures. Trois ou quatre au plus. Les sourdes détonations du ressac trahissaient la proximité secrète des cavernes profondes. Pour chaque coup que frappait le tonnerre, la falaise renvoyait son écho presque immédiat.

C’était toute l’ossature du bateau qui tremblait. La première chaloupe s’écartait tant bien que mal de la goélette livrée à elle-même. On devinait ses deux lanternes monter, descendre, ballottées en tous sens.

Douze hommes se trouvaient à son bord. Dam gast !... Aucun d’eux ne savait où ils aborder dans cet enfer liquide, véritables lessiveuse battue par d’invisibles lavandières de la nuit. Les avirons commençaient à brasser de manière désordonnée, autant l’air que la mer. Ils donnaient au frêle esquif l’apparence d’un oiseau incapable de prendre son envol.

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Le deuxième canot venait d’embarquer les derniers hommes d’équipage. Un seul demeurait à bord du trois mâts. On le devinait tituber par la lanterne qu’il brandissait, luttant à grand-peine contre le roulis subi par le navire.

Surgie de la nuit noire, une masse d’eau gonflait, montait sur les hauts-fonds. Sa chevelure d’écume déferlait à son tour, claquent le flanc bâbord, étrillant le pont dans sa totalité. Un instant... une éternité, les hommes de la première chaloupe ne distinguaient plus que le squelette d’une mâture écharpée, brimbaler hors les remous.

Eux-mêmes embarquaient des paquets de mer, et, tandis que la lame dévastatrice s’étirait, cédant la place à la suivante, les matelots découvraient une goélette et ses abords dépourvus de tout signe de vie.

Tout en écopant avec les moyens du bord, les gars scrutaient désespérément le vaste bouillon en quête de leurs camarades. Deux s’épuisaient à maintenir la chaloupe face aux vagues. À la faveur des éclairs, dans l’écume blanche, ils virent enfin reparaître et se débattre des silhouettes éparses.

C’est à cet instant... les ténèbres semblaient devoir reculer.

Ce n’était pas l’éclat des foudroiements incessants de l’orage.

Un rai de lumière illuminait la nuit !

Les marins dans la chaloupe et leurs compagnons à lutter contre la fureur de l’océan, tous levaient la tête. Alors, ils découvraient, et reprenaient espoir. Là-haut, surplombant la falaise, la lanterne d’un phare venait de s’allumer.

Yannig an Aod- « Jean du rivage » - était l’un de ces cafés du bourg du bout du monde ... à peine isolé du bourg. Petite maison à la toiture d’ardoise vissée sur d’épais murs de granit, à la façon d’une casquette sur la tête d’un terre-neuvas. Le vent pouvait souffler tant qu’il voulait. Une porte de bois mouchetée d’un lichen jaunâtre invitait à l’humilité pour qui en voulait franchir le pas. À peine avait- on la main sur la poignée qu’un grelot érodé par l’air marin tintinnabulait joyeusement. Au seuil de charmant penn-ty – maison du « bout » - venait mourir le chemin de douanier. Il serpentait jusqu’ici depuis le bord des falaises et bien au-delà, venu de l’est de la côte.

Le nom Yannig an Aod évoquait le Hopper-noz, le « crieur de nuit ». Une sorte d’épouvantail à traîner ses guêtres la nuit tombée, le long des grèves, que la marée soit haute où qu’elle soit basse. La légende disait de lui qu’il s’en prenait aux égarés, bien mal inspirés de répondre à ses appels nocturnes.

En trois bonds le hopper-noz leur sautait dessus pour les bouffer tout cru.

Ce qu’il faut savoir... Yannig an Aod était surtout un clin d’œil aux marins immobiles, ces habitués du comptoir, lesquels à la fermeture s’en aller tirer des bords d’un mur à l’autre des venelles, en chantant haut et fort le désespoir de leur amours perdus.

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Mais en cette fin de soirée d’octobre, le méchant coup de vent qui sévissait depuis le milieu de la journée avait chassé les habitués bien avant l’heure. Personne ne s’en retournerait, aviné sur le tard, à beugler au hasard des venelles. La pluie mêlée d’embruns fouettait violemment les carreaux du Yannig an Aod, et l’orage grondait sur la mer.

Marie-Morgan, la patronne s’affairait toute seule à son comptoir. « Hale-tapatte », un irréductible, habitué à faire chaque fermeture de ce qu’il considérait comme sa cambuse, se chauffait à une petite table près de la cheminait où ronflait un bon feu. Un talon de cartes à jouer en main, il achevait une énième réussite. Dire qu’il était seul eu été mentir. Une bouteille de rhum ambré lui tenait compagnie.

Il fallait bien çà pour affronter la tourment sur le chemin du retour.

Il tirait une nouvelle carte, observait son jeu avec attention... Non, décidemment non ! Il était de nouveau bloqué. Esquissant une moue désabusée, il balayait la table des deux mains, amassant l’ensemble du jeu en un gros tas de cartes qu’il commençait à tapoter sur la tranche. Pour les remettre en bon ordre.

Maudit soir le valet de pique... Je perds une fois encore ! »

Au-dehors le craquement soudain de la foudre déchirait l’obscurité. L’ancien marin au long cours regardait un instant vers la fenêtre martelée d’une averse de grêle.

« Diable ! Plus souvent qu’à mon tour. J’ai affronté de violents orages en mer du Sud, mais celui-ci, croyez-moi... celui-ci n’a rien à leur envier. Parole de marin, y f’rait pas bon être en mer à c’t heure. S’il en est un, je plains l’équipage qui pour son malheur navigue dans les parages. »

Entre gens de mer, c’était comme ça ! Dès que le temps tournait au vinaigre, on nourrissait un inquiétude fraternelle à l’égard de ceux qui, là-bas, n’avaient d’autre choix que de subir les éléments déchaînés. C’étaient les tripes qui parlaient. Lors des coups de tabac, chacun sentait monter en lui la crainte d’un naufrage ;

En parlant de naufrage... Le dernier remontait au début de l’automne. Un brick de l’île de Man poussé à la côte au cours d’une tempête d’équinoxe. L’alerte donnée, tout le pays avait accouru, pour certains le ciré par-dessus la chemise de nuit. Les uns équipés de lanternes, les autres de cordage, avec cet espoir partager de prêter secours aux rescapés... en vain. Les vagues étaient si fortes qu’elles submergeaient le chemin des douaniers en plusieurs endroits. Il était impossible de s’y engager. Et pourtant... quelqu’un y était parvenu !

Dans cette nuit terriblement agitée, aux environs du rocher de la « tête noire », là où s’était échoué le brick irlandais, la lueur d’un feu était apparue. Un feu semblable à celui d’un phare. Son pâle éclat demeurait visible une partie de la nuit. Puis il avait disparu.

Au petit matin, l’accalmie venue, les premiers arrivés sur les lieux du naufrage ne trouvaient aucune trace de feu. Seule demeurait une quantité de débris livrés à la côte. C’était un mystère. Alors, certaines mauvaises langues exhumaient cette vieille croyance rattachée aux naufrageurs, et profondément ancré dans les mémoires.

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On racontait à propos de certains navire échoués que leur naufrage était provoqué par l’apparition soudaine de ces feux trompeurs. On évoquait la malfaisance de pilleurs d’épaves. Ainsi naissait la légende des naufrageurs, les brigands de la côte. Des coquins « coupe-jarrets », à propos desquels chacun fabulait. On imaginait ces écumeurs du rivage fixer des fanaux aux cornes de leurs vaches, dont les pattes entravées de corde forçaient les ruminants complices à boiter tel Long John Silver. Clopin- Clopant, leur allure signifiait le tangage d’un bateau sur la mer. Au large les marins pouvaient être dupes. Ils croyaient la côte plus éloignée qu’elle n’y paraissait. Insouciants du danger, ils venaient s’échouer sur les récifs où attendaient d’impitoyables naufrageurs prêts à occire les rescapés pour en piller l’épave. Mais tout cela n’était que fables et « trompe-foutaises » !... Les naufrageurs n’avaient d’existence qu’au sein de récits romanesques.

« Au diable les récits romanesques... Au diable le vent mauvais ! Tempêtait « Hale-ta-patte » ... Et tant pis pour moi. Je dois me résigner à mouiller ma carcasse rouillée pour regagner le bourg. » Il sifflait son verre d’un trait et le claquait sur la table... » Si l’extérieur est érodé, il suffit de bien huiler l’intérieur ! »

Rigolard, il enfilait un lourd caban et s’en allait traîner la patte pour saluer Marie Morgan. Le vent mugissait sous le seuil.

« Oh, là ! Mon tout beau... Tu t’impatientes. J’arrive, j’arrive ! Si tu entends gueuler, Marie, ne cherche pas. C’est Kornorg qui m’emporte dans les airs »

Ajustant sa casquette, il empoignait l’anneau de sa lanterne et gagnait la porte. Marie le raccompagnait sur le seuil. Le grelot à son habitude, saluait gaiement en même temps qu’un vent humide s’engouffrait dans le café. La pluie semblait s’apaiser. Après un ultime salut, « Halte-ta-patte » s’en retournait vers le bourg, sa longue silhouette ployée dans les bourrasques. Bien vite, il était avalé par la nuit à ne plus distinguer que le balancement fragile d’un insignifiant halo lumineux.

Marie Morgan demeurait seule à écouter le grondement de la mer. Un grain soudain lui cinglait le visage. Alors, elle fermait les yeux pour en profiter un instant... Juste un instant. Elle rentrait toute décoiffée, soudain désireuse de profiter de son feu de cheminée. Elle s’y réchauffait et s’activait à raviver les bûches à petits coups de tisonnier lorsqu’elle crut entendre gratter à la porte. C’était si faible... Elle n’y prêtait pas plus d’attention et continuait à taquiner la braise. De nouveau, on semblait gratter. Pui se furent deux petits coups toqués contre le bois. Marie Morgan se redressait et s’approchait de la porte. Qu’y avait-il à craindre par ici ? Ce n’était rien d’autre que le bout du monde.

Sa main délicate écartait la dentelle. Elle sentait le froid du carreau sur l’extrémité de son nez. Au dehors tout était noir. On ne voyait rien. Rien de rien. Juste les carreaux de lumière étirés sur le sol devant la maison. Mais, de nouveau... au bas de la porte, comme un égratignement d’ongles sur le bois.

Marie Morgan se dressait sur la pointe des pieds, cherchant à voir le seuil... Là en dessous, il y avait quelqu’un. Un corps inerte sur le sol.

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Ce n’était pas un gars du bourg. Peut-être un voyageur égaré, surpris par la tempête. Certainement avait-il chuté dans les rochers. Transi de froid, couvert d’un long ciré en lambeaux, il avait une plaie sur le haut du front. Les bras et les genoux méchamment abimés. Il était roux, roux comme un coq.

Marie Morgan l’avait traîné à grand-peine auprès du feu. Enveloppé dans d’épaisses couvertures, il gisait là, inconscient. Après lui avoir nettoyé le visage du mieux qu’elle le pouvait, elle décidait d’aller Jakez, le médecin du bourg. Tirer le lourdaud de son lit clos ne serait pas la tâche la plus facile.

Le vent s’essoufflait un peu. Il emportait avec lui d’éparses gouttes de pluie, traîne étirée d’un orage ayant gagné l’intérieur des terres. Dorénavant, l’éclat lumineux des éclairs devançait longuement les roulements sourds du tonnerre sur la lande. Le grelot de la porte n’était décidemment pas en accord avec la tournure des évènements, À la faveur d’une lampe-tempête, Marie Morgan remarquait des taches brunes sur le sol mouillé. Elle levait haut le bras, et en découvrait d’autres, dispersées de loin en loin, jusqu’à se perdre dans l’obscurité du chemin de douanier. L’homme venait des falaises...

L’attention de la jeune femme était soudain accrochée par une lueur chancelante dans la nuit. Ce n’était

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pas bien loin, Juste de l’autre côté de la pointe, une lueur dont Marie Morgan, d’où elle était ne pouvait voir la source.

Quelqu’un, là-bas, avait allumé un feu. Ce devait être un signal ! Elle pensait à un naufrage !...

L’homme roux qu’elle venait de recueillir était un rescapé en quête de secours ! Elle réfléchit rapidement. Pour l’heure, celui-ci était en sécurité. À n’en pas douter, il y aurait bien d’autres réchappés. Certainement se trouvaient-ils en péril. Elle n’hésitait plus et décidait de se rendre compte par elle-même. Elle pourrait alors aller chercher des secours adaptés. Sans plus attendre, Marie Morgan s’engageait sur le sentier sinueux.

Encore et toujours, le vent sinueux de la mer. Il portait la rumeur des rouleaux, que l’on devinait à peine alors que descendait la marée. Très vite le chemin devenait escarpé. Il se transformait en un étroit sentier à serpenter entre les rochers hérissés. Marie Morgan devait s’assurer d’une main, l’autre brandissait toujours la lampe-tempête ballottée autant par la vivacité du vent que par sa marche trébuchante. Maintes fois, elle buttait, manquait de perdre pied. La distance était plus importante qu’elle ne l’avait jugée. En journée ce trajet aurait été plus court...

Plus court, et ô combien moins périlleux ! Elle approchait pourtant, mais chaque fois qu’elle croyait atteindre la dernière anse avant la pointe, il s’en devinait une nouvelle. Un temps elle se demandait si, par mégarde, elle n’avait pas emprunté un raidillon secondaire, plus proche de la grève. Ici, les blocs rocheux se faisaient plus accidentés encore. Du peu qu’elle révélait, la lampe de Marie dévoilait alors une vision fantastique. La petite lumière ambrée caressait la silhouette massive de géants pétrifiés. Son nimbe glissait de pierre en pierre, luttant désespérément contre une obscurité presque totale. À son passage, de longues algues rejetées par la tempête, luisaient dans la profondeur de l’ombre. Était-ce la fatigue ? Elle croyait les voir ondoyer en de longs serpents marins cherchant à se dissimuler dans cette clarté intrusive. Et de monter, et de descendre dans ce dédale incertain... Enfin elle parvenait bientôt à la pointe qu’elle longeait en contrebas de la falaise. Bien au-dessus d’elle, la crête des rochers se dessinait sur la nuit troublée de cette insolite pâleur lumineuse. Elle allait enfin savoir.

Lorsqu’elle arrivait au bout du boute, le sentier obliquait, se rabattant sur le versant opposé....

Elle s’attendait à découvre un feu, un brasier, des naufragés, voire des naufrageurs impitoyables surpris en plein pillage....

Á sa grande stupeur, elle découvrit l’existence d’un phare nimbé d’une brume luminescente. Un phare là où c chacun savait qu’il n’y en avait jamais eu. Du moins, sa structure et le feu qui brûlait à son faîte laisser penser qu’il s’agissait d‘un phare. Du moins, sa structure et le feu qui brûlait à son faîte laissaient penser qu’il s’agissait d’un phare. Il se dressait mystérieux sous l’apparence d’une tour de guingois, dans une anse formée de hautes falaises, dans une anse formée de hautes falaises confondues dans l’épaisseur de la nuit, du pied desquelles l’océan s’était retiré.

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Marie Morgan chancelait, étourdie par cette vision fabuleuse. De la main, elle protégeait ses yeux de l’éclat du feu de la lanterne. Ainsi elle pouvait distinguer les contours extraordinaire de cet étrange édifice. C’était un assemblage fermé de fragments de navires dont il ne faisait aucun doute qu’il s’agissait d’épaves accumulées, pour certaines très anciennes. Marie devinait des proues aux figures fantastiques assemblées à des châteaux arrière, entassés sur des gaillards d’avant. C’était toute la structure qui s’érigeait en une accusation d’étraves et de coques vermoulues aux voiles pourrissantes.

Elle laissait un regard glisser du haut vers le bas de cette architecture insensée. Et elle les vit.

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La brume les enveloppait à la manière d’un linceul. Tout autour, plus ou moins visibles à travers le voile éthéré qu’aucun vent ne semblait pouvoir disperser... tout autour était disséminés les décombres d’un navire brisé parmi lesquels s’activaient de petits êtres, femmes et hommes, plus nabots grimaçants qu’aimables lutins. Marie Morgan couvrait prestement sa lampe. C’étaient les Tan-noz, « les « feux- seurs » de la nuit », féroce pillards à hanter les côtes

Dans la clarté rougeoyante de leurs flambeaux surmontés de crânes de trépassés, ils se dévoilaient rabougris, la tignasse échevelée, barbe et sourcils hirsutes. On imaginait assez mal qu’ils puissent vouloir du bien. Ces drôles à courir en tous sens étaient affublés de redingotes anciennes à gros boutons dorés et de culottes cousues dans les lambeaux de voiles écrues.

Quelques-uns, aux allures de pirate, portaient sur le chef un tricorne élimé ou un chapeau à plumes, d’autres un simple foulard noué dessus la tête. Et aux pirates, ces vils nabots des mers n’avaient rien à envier. Ils s’affairaient à rapiner, éventrer caisses et tonneaux rejetés par la tempête, se disputant parfois à couteaux tirés un ballot d’étoffe ou une timbale argentée.

Tandis que les uns rassemblaient le butin, leurs acolytes s’empressaient de l’acheminer, non pas dans le phare qu’ils semblaient craindre, mais dans les recoins obscurs des falaises, en de secrètes et profondes cavernes, là où ces écumeurs des mers paraissaient se terrer.

Sans aucun doute, ces charognards des grèves devaient y accumuler leur précieux trésor. Marie Morgan jugeait bon de ne pas révéler sa présence. Aussi se cachait-t-elle à l’abri de gros rochers qu’elle longeait, prenant bien garde où elle posait le pied. Elle restait ainsi tapie, désireuse d’en apprendre plus quant à ce phare énigmatique dont elle ne voyait plus grand-chose. Elle avait idée de s’en rapprocher pour mieux comprendre ce qu’il en était.

Le Tan-noz, occupés à leurs propres affaires, ne la remarquerait pas. Elle commençait à se faufiler lorsqu’elle se sentit saisie par les cheveux. Une poigne d’une grande fermeté la tirait vivement hors de son replis. Elle criait de douleur... « Aïïïïe !!!...

- Eh bien, la belle, on f’est égarée ? Ne t-a-t-on jamais expliquer que la nuit n’appartenait pas à ceux de ton efpèce ? » moquait une voix de crécelle pourvue d’un fort cheveux sur la langue.

Depuis u rocher en surplomb, Marie Morgan devinait la sombre silhouette d’une petite bonne femme, plus trapue qu’un buffet à deux portes. D’une patte évoquent la pince d’un crabe, la méchante lui empoignait fermement les cheveux. De l’autre, elle laissait pendouiller une vieille hache d’bardage dont on entendait la lame frotter le granit, et en bandoulière, une longue-vue distordue.

« Lâchez-moi... Vous me faites mal ! »

L’autre la tirait un peu plus à elle tout en s’baissant face contre face, jusqu’à lui souffler dans le nez...

« Et ce n’est rien comparé à ce qui t’attend ma volie. F’est le prix à payer pour avoir voulu nous espionner... Ve vais te présenter mes amiiis, ponctuait-elle d’un large sourire sardonique.

- Les quelques dents qui vous restent sont toutes jaunies et vous avez fort mauvaise haleine... grimaçait marie Morgan. Vous sentez le poupe mort.

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- Odieuse impertinente !... Tu vas venir avec moi... F’en est affez ! Nous allons te bouffer toute crue.

Et comme f’est moi qui t’ai attrapée, v’aurai le foix des meilleurs morceaux. Ve fais déjà lequel ve foivirai... pour moi fe fera une feffe. »

Et le Tan-noz d’entraîner de force Marie Morgan à sa suite en beuglant à l’attention de la horde malfaisante....

« Ohé ohé ! Compagnons de la côte ! Finifons de rapiner et carapatons-nous fans attendre ! V’ai trouvé de quoi faire bombanfe. »

Une grouillante assemblée de féroces compagnon s’était regroupé autour de l’infortunée Marie- Morgan. Chacun, chacune y allait de son commentaire. Qui de ce qu’il voulait lui dérober, qui de la partie qu’il désirait croquer... Quelques autres commençaient à la turlupiner de l’extrémité d’une gaffe, de la pointe émoussée d’un sable rouillé.

« ... bombance... bombance... » Tout cela est bien vite dit. La drôlesse n’est pas bien épaisse ! Nous n’aurons pas assez à manger ! » observait un esprit chagrin.

La plupart au contraire, estimant du bout du doigt de la fermeté de la chair ne cachaient pas leur enthousiasme à l’idée de godailler joyeusement.

« N’y toufez pas ! N’y toufez pas ! F’est moi qui l’ai trouvée. Elle est à moi, n’y toufez pas !!! » vociférait « Buffet-à-deux-portes »

Marie-Margot était cernée d’une mêlée confuse de petits êtres disgracieux ne lui arrivant pas à la ceinture. Tournoyant sur elle-même, elle cherchait tout autant à repousser les intrépides qu’à échapper à l’emprise de leurs mains crochues. Déjà, les nains tourmenteurs salivaient à la perspective de cet excellent repas, et les dents révélées à la faveur de leurs torches paraissaient bien pointues à la pauvre captive.

Elle se sentait perdue. Perdue... jusqu’à ce que le son d’une corne résonne dans la nuit. Comme ils subissaient un carme puissant, tous les laiderons se figeaient. À quelques distance, perdue dans l’obscurité une voix nasillarde braillait à leur attention....

« Il revient ! Il revient ! »

Du haut d’un éperon rocheux, une ombre se laissait glisser précipitamment de pierre en pierre en s’égosillant le souffle court :

« ... Le grand sinistre, il revient ! »

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L’effet était celui d’un coup de pied dans une fourmilière. À peine le temps d’un clin d’œil, les horribles Tan-Noz se dispersaient en une bousculade tumultueuse. Aucun ne re joignait, ni même n’approchait le mystérieux phare, bien au contraire, tous passaient au large tant ils semblaient craindre ce qui se dégageait de cette sombre tour. En un instant les dernières lueurs vacillaient, avalées par les ténèbres de grottes insoupçonnées. La toute dernière à suivre les coquins était « Buffet-à-deux-portes » Elle aussi décampait au plus cite. Au plus vite qu’elle pouvait, clopin- clopan, à boîter sur sa jambe endolorie du méchant coup de pied reçu de marie Morgan.

« Que le diable t’emporte ! tempêtait-elle. Tu ne perds rien pour attendre, méfiante donzelle et fefi plus tôt que tu ne le crois... Que le grand crique te croque ! »

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La menace résonnait en écho d’une pointe à l’autre de la crique, tandis que la furie s’évanouissait à son tour dans les profondeurs de la Terre. Sans rien n’y comprendre, Marie Morgan se retrouvait seule sur le grève désertée. En amont, proche des falaises, se dressait la sinistre tour. À son sommet continuait de brûler un feu livide qu’une lanterne diffusait vers le rivage.

De nouveau, les langues de brumes disséminées par cette agitation, s’étiraient en douceur, enveloppant avec langueur les vestiges d’un saccage inachevé. Marie s’inquiétait soudain de l’imminence d’un danger plus inquiétants que la Tan Noz eux-mêmes.

Car enfin, que pouvaient-ils tant redouter, ces cruels pilleurs d’épave, pour s’enfuir avec autant de précipitation ? Quelle menace, plus horrible encore, pouvait surgir de cette étrange nuit ? Elle suivait du regard les nappes diaphanes qui serpentaient d’entre les récifs découverts jusqu’à gagner le rivage, effleurer le ressac.

On devinait toujours les vagues se briser, rouler en une lenteur extrême. Car maintenant tout ici, semblait subir l’étreinte langoureuse d’un temps écoulé différemment. Marie Morgan découvrait l’insolite ballet de ses vêtements. Elle les sentait flotter mollement dans un vent léger. Ils s’éployaient autour d’elle, tels ceux d’un noyé avalé par l’abîme. Elle voulait s’avancer... chacun de ses mouvements avait perdu toute vivacité. Le temps s’étirait en une surnaturelle indolence.

Un étrange phénomène avait cours, auquel, elle devait échapper. Marie Morgan sentait monter en elle une vive inquiétude. Une peur superstitieuse qui se nourrissait de ce que l’on ne pouvait expliquer.

C’était folie que d’être venue jusqu’ici. Elle avait assez subi et pressentait l’urgence de rebrousser chemin... Elle tentait d’atteindre les rochers en contrebas, d’où elle pourrait rejoindre le sentier côtier...

Marie hâtait le pas. Les pans de son manteau épousaient le mouvement de sa course de cette identique lenteur avec lequel le sol défilait sous ses pieds. Elle aurait aimé courir, mais la lourdeur de ses jambes l’empêchait.

Elle se heurtait à l’écoulement d’un temps qui n’était plus le sien. La pointe... il lui fallait atteindre l’extrémité de la pointe en contre bas... Il lui fallait ses soustraire à l’emprise du phare dont elle redoutait qu’il soit à l’origine du sortilège. De toutes ses forces, elle luttait contre cette torpeur. Et, livrée toute entière à cette épreuve, Marie Morgan ne prêtait aucune attention à ce qui affleurait en surface, au loin dans la nuit. Le reflet d’un halo lumineux s’étendait dessous la traîne des longues vagues marbrées d’écumes... Marie n’en voyait rien. Pourtant, il revenait des profondeurs de la mer, là où reposaient les bateaux coulés par la violence des tempêtes. Il rejoignait le rivage, orienté par l’éclat de son phare baignant l’onde en surface. Ce phare érigé pour guider son chemin. Car enfin... comment diriger son errance incertaine, la nuit dans les ténèbres marines ?

Comme il apparaissait, l’attelage, fantastique ruisselait d’une eau noire et de varech frais. Deux fanaux flamboyaient mystérieusement de part et d’autre de la charrette fantôme. Karrig an ankou, la charrette du passeur... Elle s’avançait sur la grève de son trait sépulcral, tirée péniblement par un cheval décharné. Une ombre servile, l’allure altière, dirigeait l’attelage bride en main, depuis l’avant de la voiture dont l’essieu grinçait à donner plus de frissons que des ongles raclés sur un tableau noir.

Il grinçait tellement, le maudit essieu... Il grinçait tellement que sa plainte déchirait l’oreille de Marie Morgan. Saisit d’effroi, elle découvrait alors l’équipage lugubre et la vue de son chargement lui glaçait le sang.

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À la faveur des deux lumignons, on devinait des têtes dodeliner à l’arrière. Un petit tas d’hommes transbahutés, bringuebalés au gré des secousses. Ils étaient quinze. Quinze marins pâles comme la mort... les orbites creusées sans aucun éclat. Leurs vareuses maculées d’algues dégoulinaient de trop longues heures passées sous la mer. De leurs bouches coulait sans fin l’eau de cet océan où ils avaient perdu la vie.

Ils étaient quinze. Quinze matelot matelots que le passeur, dans sa charrette, s’en était allé recueillir au fond de la mer. Car tel était la tâche d’An Ankou, l’ouvrier de la mort. Quérir l’âme des trépassés, qu’elle puisse enfin gagner l’autre rive pour y trouver un repos mérité. Tétanisée, Marie Morgan voyait s’branler la charrette devant elle. Lentement elle la regardait passer, indifférente à sa présence, comme si elle, Marie n’existait pas. Et malgré les couinements lancinants de l’attelage fantasmagorique, Marie pouvait entendre murmurer les matelots... était-ce possible ? Ils chantonnaient, lascivement à voix basse... Ils unissaient leurs voix et d’une extrême lenteur, il reprenaient un chant... le chant de Long John Silver :

Quinze marins... sur l’bahut du mort...

Yop la ho, une bouteille de Rhum...

À boire et l’diable... avait réglé leur sort...

Et tout en susurrant ces paroles éteintes, d’un flux continu, l’eau commençait de s’écouler de leurs bouches à tous. Tandis que Karrig An Ankou, la charrette fantôme, remontait la grève, la complainte des matelots s’effaçait au profit du couinement de l’essieu.

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Imperceptiblement, la lanterne du phare, tout là-haut, avait baissé en intensité... jusqu’ à s’éteindre.

Elle n’avait plus de raison d’être. Le passeur avait honoré sa mission. La nuit se drapait de nouveau d’obscurité. On ne percevait plus que le chatoiement de quelques lueurs blafardes.

Elles dansaient aux fenêtres à croisillon, disséminées çà et là en différents recoins de cette ossature de carènes échouées.

Qui donc pouvait hanter pareil endroit ?... L’instant d’après, c’est la brume qui se retirait. Elle glissait et s’accumulait à la base du phare, l’enveloppant progressivement d’un épais brouillard. Peu à peu, Marie Morgan assistait à la disparition de l’inconcevable tour.

Vision surnaturelle Le temps semblait suspendu

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Alors Marie sentait dans ses cheveux dénoués monter une brise nocturne. Avec délicatesse le vent léger dispersait ce voile irréel. Et comme il se dissipait, derrière, il n’y avait plus rien. Le phare et son attelage fantôme s’étaient évanouis au plus profond de la nuit. Certainement cette lanterne brillait- elle déjà sur d’autres côtes, juste le temps de recueillir les âmes perdues de prochain naufrages.

La lune perçait les nuages. Le temps reprenait son cours, Marie Morgan n’attendait pas plus longtemps pour prendre ses jambes à son cou et s’enfuit au hasard d’un cheminement incertain. Au matin, « Halte-ta-patte » la retrouvait inconsciente en contre bas du chemin de douanier. Tout d’abord, il ne la reconnaissait pas. Ses cheveux !... ses longs cheveux avaient blanchi. Un blanc argenté. On lui demandait ce qui avait provoqué une telle frayeur... Mais il est des choses... des choses qui ne se racontent pas, au risque d’être pris pour ce que l’on n’est pas.

Dans les jours qui suivirent, la marée rejetait les corps de quinze marins. Quinze marins qui composaient l’équipage d’une goélette que la tempête avait jetée à la côte. Seul le capitaine en avait réchappé. Un homme roux comme un coq.

Il est une anse perdue, derrière une pointe. Une anse formée par de hautes falaises que borde un chemin de douanier périlleux. De tout là-haut, parfois, on apercevoir un couple. Non ce ne sont pas des pêcheurs à pied aux cheveux argentés en compagnie d’un homme robuste, roux comme un coq. À marée basse, ils viennent sur la grève déposer un bouquet de saison. Ils restent ainsi, à se recueillir, un certain temps. Puis avant de s’en retourner, ils s’approchent du pied des falaises. Et là, pourvu de torches, ils en explorent les abords et les failles et autres grottes insondables. À celui qu’aurait l’oreille la plus fine, il pourraient les entendre chantonner :

C’est Bille le second du corsaire Le capitaine Flint en colère Qu’est revenu du royaume des morts

Pour hanter la cache au trésor.

À qui tendrait un peu plus l’oreille, il pourrait entendre d’autre voix murmurer le refrain d’un seul chœur. Ils sont quinze, quinze trépassés, toujours fidèles à leur capitaine.

Quinze marins... sur l’bahut du mort...

Yop la ho, une bouteille de Rhum...

À boire et l’diable... avait réglé leur sort...

Il est des trésors cachés qui reste à découvrir. Peut-être plus encore des secrets.

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