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Academic year: 2022

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Texte intégral

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Gabriel Nucci (Collo, 1926 – Lyon, 2007) est né en Algérie, à Collo, petit port de pêche situé non loin de Bône. A l’Ecole normale de Constantine, il a eu pour condisciple mon père, de 1949 à 1951, avant d’être nommé instituteur à Collo. Après la guerre d’Algérie, il s’est fixé en métropole et a fait carrière dans l’administration. Il s’est retiré près de Lyon, partageant son temps entre l’écriture et la peinture. Je l’ai rencontré avec émotion lors d’une exposition de peinture, à Lyon, vers 2006, peu avant sa mort.

La nouvelle qu’on va lire a obtenu en 1997 le Premier prix de la nouvelle au Concours international des Arts et Lettres de France. Elle est extraite d’un recueil intitulé Mektoub, Nouvelles de là-bas, paru dans la collection Ecrits d’Orient et Méditerranée, aux éditions Licorne (ISBN 2-9506839-6-7). Elle raconte mieux que bien des analyses ce qu’a été la guerre d’Algérie, et je dirais la même chose des Carnets d’Orient de Jacques Ferrandez.

Je dédie cette lecture à la mémoire de mon oncle André Roux, mort à 34 ans, en juillet 1961, des suites des blessures reçues lors d’un attentat, en décembre 1955.

Pierre-Jean Hormière

Le signal

S

limane regardait Veden. Cet homme-là était condamné. Lui, Slimane, le savait. Dans quelques heures, il mourrait sur le bord de la route. C’était écrit : MEKTOUB ! Ce café qu’il buvait, c’était son dernier café. Il n’y aurait plus d’autre cigare dans sa main, après celui qui s’y consumait lentement, et qui, dans un instant, serait écrasé dans le cendrier.

Oui, cet homme-là allait mourir parce que c’était ainsi. Et lui, Slimane, n’y pouvait rien. Le destin de ce mort en sursis ne le concernait pas plus que la fumée de son cigare qui s’étirait paresseusement en longues volutes bleutées au-dessus de sa tête.

Rachid lui avait tout expliqué. Veden devait mourir parce que c’était un personnage important, parce qu’il fallait prouver que l’Armée de Libération Nationale frappait qui elle voulait, quand elle voulait, parce que le bruit des armes devait réveiller une opinion assoupie, secouer la léthargie des douars, et rallier à la cause, par la peur ou l’espérance les fellahs du massif.

Alors, tout à l’heure, quand Veden remonterait dans sa traction noire pour reprendre le chemin de l’exploitation forestière qu’il dirigeait dans le massif, lui, Slimane, enlèverait les draps, blancs comme des linceuls, qui séchaient là-haut sur la terrasse.

Et à ce signal, des hommes qu’il ne connaissait pas, descendraient du massif dans l’ombre des chênes liège, jusqu’à la route sinueuse, d’où ils pointeraient leurs armes à la sortie d’un virage.

Et le destin de Veden serait scellé là.

Lui, Slimane, il n’y pouvait rien. Le destin de Veden ne le concernait pas, pas plus que celui de Rachid qui finirait sans doute sous quelque balle française, après avoir parlé, dans un de ces endroits où l’on parle toujours, parce que l’électricité

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Ah, il aurait bien voulu ne pas avoir à toucher à ces draps, là-haut, sur la terrasse !

Mais comment faire autrement ?

Abdou avait refusé de payer son impôt aux collecteurs du F.L.N. On l’avait retrouvé égorgé sur le côté du chemin qui menait à sa maison. Lamine avait refusé d’ouvrir sa porte à un combattant qui, blessé par les éclats de la bombe qu’il venait de faire exploser au marché, cherchait un refuge.

Et l’autobus qui assurait la liaison avec Constantine, s’était arrêté sur la route, à quelques mètres de la tête de Lamine, posée sur le sol, les yeux crevés par les corbeaux qui se pressaient autour, et le sexe dans la bouche, comme un monstrueux cigare.

Et Kahoul, éventré, égorgé, émasculé, pour avoir prévenu le maire, son ami, de l’attentat qui se préparait contre lui. Et aussi Améziane, le chaouch du sous-préfet, qui n’avait pas voulu se joindre à la révolte contre les français et qui était tombé sous les balles des rebelles, à moins de cinquante mètres de la gendarmerie.

Non vraiment, le destin de Veden ne le concernait pas, et s’il était dit qu’il devait mourir, qu’il meure.

Lui, Slimane, il ne voulait pas sa mort, certes ! Mais il ne voyait aucune raison d’entraver la marche inexorable d’un fatalité qui, tout à l’heure, s’abattrait sur Veden, dans le fracas des armes, et l’abandonnerait sur le bord de la route, dépouille sanglante et froide, point final à l’encre rouge de l’histoire de sa vie.

* * *

L’après-midi s’étirait lentement. La pièce, largement ouverte au sud et à l’ouest, était baignée de soleil. On apercevait au loin nettement dessinés, les premiers sombres massifs de chênes liège, derrière lesquels surgissaient d’autres massifs, dans une succession de plans qui finissaient par se noyer à l’infini dans les brumes bleutées du ciel d’été.

Bientôt le djebel Sidi Achour tout proche, engloutirait le soleil derrière sa muraille de granit bleu où les chênes liège mettaient des taches sombres.

Vers le sud, la maison du haut de sa colline, surplombait le port et la baie. La mer, jusqu’à l’infini, semblait pétrifiée comme une immense flaque d’eau gelée retenant prisonnier le bleu d’un ciel sans nuages où quelques goélands planaient paresseusement.

− C’est beau, dit Veden. Regardez, toubib.

Debout devant la fenêtre, il enfermait le paysage dans un geste ample de son bras.

− Plus l’heure de mon départ approche et plus je découvre les beautés de ce pays. C’est déjà la nostalgie, ça ! Et pourtant dieu sait que nous menons une drôle de vie depuis cinq ans enfermés dans ce massif tellement impénétrable que notre armée a fini par l’abandonner aux fellaghas après avoir multiplié les opérations destinées à les anéantir.

− Autant chercher une aiguille dans une meule de foin, dit le docteur Guigue. Il aurait fallu tout brûler pour y voir clair.

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− Brûler ces forêts de chênes liège ! C’est impensable ! C’est toute la vie économique du pays, toute sa richesse qui seraient détruites. Et puis, à quoi bon ! Vous le savez bien, il faudra partir de toutes façons.

Dans quinze jours, à Paris, au siège de la Compagnie des lièges, je m’installerai dans un beau bureau où ça sentira bon le bois ciré et le cuir. Nous irons au spectacle, nous recevrons des amis, nous nous promènerons n’importe où, n’importe quand, vous vous rendez compte ! Sans crainte de prendre une balle ou un coup de boussaadi. J’aurai perdu cette angoisse terrible, permanente, qui m’habite depuis cinq ans, cinq ans de récoltes incendiées, d’ouvriers égorgés, de coups de feu sur ma maison, et de veilles la nuit quand les chacals s’agitent alentour.

Et je serai malheureux dans mon bureau. Oui, je serai malheureux. Il me semble que je ne vais pas terminer une tranche de ma vie, mais que c’est ma vie même qui s’arrêtera au moment où le bateau m’emportera de ce port et dénouera un à un les fils qui m’attachent au rivage.

J’aurai les yeux rivés sur ce massif où j’ai passé dix ans de ma vie. Le clocher de l’église, le minaret de la mosquée auront depuis longtemps disparu que j’apercevrai encore, du bateau qui m’emporte, le djebel Sidi Achour, et je dessinerai à ses pieds, cette route que j’ai faite tant de fois, et qui, par cent dix- sept virages, vient mourir à la porte même de l’exploitation, comme si le monde s’arrêtait là.

Il écrasa son cigare dans un cendrier et se laissa aller dans un fauteuil.

− Vous auriez pu rester… encore, dit le docteur Guigue.

− Non, mon successeur est déjà arrivé. Le fils de notre président qu’on a casé là en attendant mieux. Qu’il n’y connaisse pas grand-chose n’a pas tellement d’importance… C’est du moins ce que moi je ressens de sa désignation. Cela prouverait qu’à Paris, le sort de la compagnie est joué, que l’indépendance de l’Algérie est désormais inéluctable, bref, que nous n’avons plus rien à faire ici. Et croyez-moi mon cher, les politiciens peuvent se tromper, les pieds-noirs peuvent encore rêver ! Mais les financiers eux, se trompent bien rarement et ne rêvent jamais dans leur évaluation des profits où le subjectif, le passionnel, représentent d’infimes décimales.

Et puis cela fait dix mois maintenant que ma femme est rentrée. Je ne puis plus longtemps lui imposer cette angoisse qui ne la quitte pas et qui altère gravement son équilibre. Ma présence auprès d’elle est nécessaire.

− Vous allez me manquer, Veden. Votre visite hebdomadaire c’est un peu ma récréation et l’occasion d’un bon repas. Slimane a fait de gros progrès grâce à vous. Le jeudi, rien à faire pour le sortir de la cuisine tellement il est absorbé par les préparatifs du repas en votre honneur.

Allez, trinquons à votre retour en France, à la santé de votre épouse, à nos prochaines retrouvailles à Paris… Inch’Allah !

Slimane déposait sur la table basse une bouteille de whisky, deux verres.

Les deux hommes s’étaient levés. Contraste étonnant entre la haute silhouette de Veden, son visage bronzé marqué de reliefs puissants comme ces figures abruptement taillées dans les pipes de bruyère, et la rondeur du docteur Guigue, sa petite taille, son visage blanc et lisse, et ce crâne, aussi nu et rond que la calotte

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Il était le même, il y avait vingt ans, quand il s’était installé au village où son crâne chauve avait tellement impressionné, qu’en l’adoptant on l’avait rebaptisé

« Fartasse », autrement dit, le chauve.

− Pour Zohra, je vous tiendrai au courant, dit-il. Mais je n’ai pas grand espoir.

Sa tuberculose est trop avancée, et l’envoyer en France dans un sana comme vous le souhaitez, ne changerait malheureusement rien. Elle est bien usée, la pauvre ! Et puis, et pour tout dire, les français lui font peur.

− Je sais. D’abord son mari, ensuite son fils. Quand ma femme l’a recueillie, elle hurlait dans la rue devant le corps de son fils accroché à l’étal du boucher comme un vulgaire mouton, avec cette pancarte qu’elle ne savait pas lire : « Voilà ce qui arrive aux fellaghas assassins. »

− Il avait quand même tué le caïd Boudraa et la capitaine Betoux…

− Oui, mais tout de même ! Ah, toubib ! je n’ai pas d’enfant, mais j’imagine la douleur animale mordant furieusement dans le corps de cette femme, dans son ventre où s’était allumée une étincelle de vie. Il n’avait pas vingt ans. Quelle saloperie d’époque !

Soignez-la bien docteur, et tenez-moi au courant. Et pour Messaouda, si sa mère devait mourir, n’oubliez pas que Bouznad le boulanger doit la prendre chez lui. Ils sont vaguement parents. Pour l’instant je crois qu’elle est bien traitée chez l’instituteur. Il m’arrive de la croiser quand je traverse le village. Elle pousse le landau du bébé avec le drôle d’air d’une petite bonne femme consciente de ses responsabilités. Je souris toujours. Elle a dix ans, onze ans peut-être…

La sonnette de la porte d’entrée grésilla brusquement. Une note aiguë suivie de deux coups brefs.

Le docteur sourit.

− C’est Tchico ça, le copain de Slimane. Je me demande ce qu’il va me proposer aujourd’hui. Ah, celui-là ! Je ne sais pas s’il réalise que nous sommes en guerre, et que lui aussi devra choisir entre la valise et le cercueil ! Quel homme heureux !

Un bruit de voix montait du rez-de-chaussée.

− Salam Slimane, la besse ? Purée comme tu es beau pour un arabe ! Ho là là tu sens bon. Tu es tombé dans l’eau d’la fleur d’oranger ou quoi ?

Les rires des deux hommes emplissaient la cage d’escalier, tandis qu’ils montaient à l’étage.

Toi Tchico, tu as dû tomber dans le broumitche, pourquoi tu sens la sardine pourrie.

− Un européen au broumitche, il sent encore meilleur qu’un arabe à la fleur d’oranger, j’te jure sur les os de mes morts.

− Entendez-les, disait le docteur. Ces deux-là quand ils allaient à l’école, ils en ont tellement fait voir à l’instituteur, qu’il a fini par demander sa mutation, le pauvre, pour le nord de la France… Le nord de la France ! Vous vous rendez compte ?

Et dans tous les coups de ce brigand de Tchico, on retrouve Slimane. Slimane qui vole de la dynamite sur le chantier du port, et Tchico qui fait sauter tous les coins de la côte pour ramener des tas de poissons. Slimane qui pisse dans la forge de Morgera. Une odeur infecte ! pendant que Tchico, à la demande générale, tordait le cou au coq du forgeron qui réveillait le quartier tous les matins. Et le

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purin qu’ils ont caché sous l’étal de Flambo, qui criait « Poisson frais, poisson frais » dans une odeur qui tenait les clients à distance, tandis que nos deux zèbres, un peu plus loin, vendaient tranquillement leur poisson éclaté à la dynamite. Ah, ces deux-là, c’est cul et chemise ! Bonjour Tchico.

− Bonjour docteur. Bonjour monsieur Veden. Non… non, docteur, je n’ai rien pour vous aujourd’hui. C’est monsieur Veden que je venais voir. Oui, je dois monter en forêt histoire de préparer la prochaine battue aux sangliers pour les chasseurs. Ils y vont avec l’armée, bien sûr, pour la protection. Mais comme les soldats tirent aussi à la mitraillette ou au fusil de guerre, je peux vous dire qu’on ne manquera pas de saucisse et de fromage de tête.

Alors, monsieur Veden, si vous pouvez m’emmener avec vous ce soir, je prendrai pas cet autobus où ça sent l’arabe… sans la fleur d’oranger, ajouta-t-il malicieusement en regardant Slimane.

− Demain c’est jour de marché, dit Slimane. Et tu aiguises les couteaux au marché. J’en ai beaucoup qui m’ont demandé. Alors tu restes là. Autrement ils donneront les couteaux à Tahar, et tu perds tout le flouss.

− Mon zob ! Ils donneront rien du tout à Tahar. Quand il aiguise les couteaux, lui, tu es sûr qu’ils vont couper en zig-zag. Non, non, je monte avec monsieur Veden si il veut bien.

− Bien sûr, dit Veden. Comme ça tu pourras m’expliquer comme tu prends tant de pageots et de sars, à croire qu’ils se donnent rendez-vous avec toi. On part tout de suite.

Slimane, en proie à une soudaine excitation, débarrassait la table. Son plateau à la main il quitta la pièce, le front moite, les idées embrouillées.

Non, pas Tchico, pas Tchico… Son destin n’avait rien à voir avec celui de Veden. Les draps, là-haut sur la terrasse, il fallait qu’il les enlève dans un moment mais pour Veden seulement, pas pour Tchico. Tchico n’avait rien à voir là- dedans.

Oui, mais… il serait dans la voiture de Veden le couilloune. Il voulait monter dans le massif au lieu d’aiguiser tranquillement ses couteaux au marché.

Et si Veden ne partait pas ce soir ! S’il passait la nuit ici, chez le docteur, comme cela lui arrivait parfois ?

Oui, c’est ça… Il fallait empêcher Veden de partir. La voiture… oui, la voiture… Il fallait trafiquer la voiture pour qu’elle reste là, le long du trottoir.

Slimane, un couteau effilé à la main, sortit doucement. La traction noire était là, à quelques mètres, dans la rue.

Il enfonça rapidement son couteau dans un des pneus arrière, puis dans l’autre.

La voiture lentement s’affaissait tandis qu’il regagnait la cuisine.

Là-haut Veden s’apprêtait au départ.

− Comme d’habitude je vous téléphonerai sitôt arrivé, docteur. Une demi-heure environ. Allez Tchico, si tu es prêt on y va !

Slimane, par la fenêtre, observait les trois hommes en conversation sur le trottoir.

− Putain, dit Tchico. Le pneu est crevé, regardez, il est tout plat. Allez, je vais le

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− Chouf le pneu, bordel de cagaille. On va le changer.

− Et l’autre, là, tu l’as vu ? Il est crevé aussi. Alors comment tu vas faire, hein ? La voiture elle a qu’une roue de secours.

Merde alors, dit Veden. C’est encore un coup de ces maudits yaouleds qui traînent dans la rue. Il faut pourtant que je rentre ce soir, on m’attend.

− Prenez ma roue de secours, dit le docteur. Ma traction est du même modèle.

Ça devrait aller.

− Tchico avait déjà placé le cric sous la voiture et l’actionnait avec des gestes précis tandis que Veden et le docteur remontaient à l’étage.

− Allez, Slimane, dépêche-toi, dio cane. Va chercher la roue de Fartasse. Tu as peur de te salir les mains ou quoi ?

− Tu vas perdre plein d’argent demain au marché.

− Eh merde ! Fous-moi la paix avec le marché. Allez fissah, va chercher la roue.

En quelques minutes, avec une extraordinaire dextérité, Tchico avait rempla-cé les roues.

− Bon, je vais changer l’eau aux olives. Va dire à monsieur Veden qu’on peut partir.

− Tu sais, Tchico, monsieur Veden il disait tout à l’heure qu’il aimerait bien avoir une de tes palengrotes que tu montes avec le crin de cheval. Il part bientôt en France. Il aimerait bien montrer aux frankaouis ta palengrote, parce que c’est une ligne qui ramène plein de poissons, et que là-bas ils connaissent rien pour la pêche. J’te jure qu’il a dit comme ça. Et que tu lui ferais un grand plaisir…

− Ah ! il a dit ça ? − Tchico se rengorgeait de plaisir −. C’est sûr que c’est une bonne ligne. Avec ça, le poisson bessif tu le remontes.

− Pourquoi tu lui en donnes pas une, hein Tchico ? Va la chercher, il sera content.

− Ouais ! Tu as raison. Bon, qu’il m’attende hein ! J’en ai pour cinq minutes.

Dès qu’il se fût éloigné, Slimane grimpa rapidement à l’étage.

− Voilà, c’est prêt… Mais Tchico il est parti. Il devait faire quelque chose. Il a dit que c’était pas la peine de l’attendre.

− Bon, j’y vais. La nuit va bientôt tomber. Allez, salut docteur, salut Slimane. A bientôt, jeudi prochain, sans doute, et de toutes façons, tout à l’heure au téléphone.

− Inch’Allah !

Simane, du pas de la porte regardait la traction noire qui s’éloignait lentement.

Il referma la porte et s’engagea dans les escaliers jusque sur la terrasse où les draps éblouissants de blancheur sous les rayons du soleil couchant, s’agitaient faiblement sur les étendages.

Il scruta longuement la montagne sombre, cherchant un signe qui ne venait pas, et, avec des gestes brusques, enleva les draps.

* * *

Veden traversait le village lorsqu’il aperçut Messaouda poussant le landau du

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Au coup de klaxon, la fillette agita le bras et s’approcha de la voiture qui s’arrêtait.

− Alors, Messaouda, tu vas bien ? J’ai vu ta mère ce matin à l’hôpital. Le docteur dit que ça va bien. Bientôt elle pourra revenir à la maison. Et toi, tu es contente chez l’instituteur ?

− Oui, monsieur Veden, je promène surtout le bébé parce qu’à la maison il pleure tout le temps. Tenez, regardez comme il est beau !

Une vraie petite bonne femme, pensait Veden attendri, tandis que Messaouda, le bébé dans les bras, faisait des grimaces pour lui tirer un sourire.

Si Zohra mourait… Il faudrait que je voie Aline. On pourrait peut-être l’adopter.

Pourquoi pas ?

L’idée s’insinuait en lui, l’envahissait tout entier bien qu’il la sût déraisonnable.

Un court instant il lui semblait qu’il n’avait plus de raison de se sentir déjà orphelin de l’Algérie.

* * *

− Holà, monsieur Veden, alors vous partiez sans moi ? Heureusement que je vous ai vu en revenant de la maison. Tenez, j’ai un cadeau pour vous, une palengrote. C’est tout du crin de cheval, de la queue, que j’ai tressé. Les poissons ils aiment tellement qu’ils s’accrochent tout seuls aux hameçons.

Tchico s’installait dans la voiture, tout essoufflé

− Allons-y, dit Veden. Il est déjà sept heures. Au revoir Messaouda.

La voiture démarra dans un crissement de pneus.

* * *

Le docteur Guigue reposa le téléphone. Il était vingt heures trente. Cela faisait trois fois qu’il appelait chez Veden, sans résultat. Non, Monsieur Veden n’était pas encore rentré.

Il reprit l’appareil, composa un numéro.

− Allô ! C’est le P.C. du colonel Mayan ? Ici, docteur Guigue. Passez-moi le colonel. Oui, c’est urgent, très urgent !

Gabriel Nucci

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