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La médecine scolaire à Angers

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La médecine scolaire à Angers. L’œuvre pionnière de Marguerite Legros dans les années 1930.

En avril 1935, un artisan de la ville, père de famille, adresse une lettre de protestation au chef du Service d’Inspection Médicale des Ecoles de la ville d’Angers1, le Docteur Marguerite Legros. L’homme entend manifester « énergiquement » sa désapprobation contre

« cet (sic) institution inutile ». Les premières phrases de la lettre sont directes :

« J’ai l’honneur de répondre à la convocation que vous avez bien voulu remettre à ma femme.

Ainsi donc nous voilà affligés, nous contribuables, d’une nouvelle maladie : l’Inspection médicale des Ecoles.

De quoi veut-on encore se mêler, et quel besoin avaient nos gosses d’être vérifiés et matriculés par une doctoresse ? Serions nous donc devenus des animaux de Haras, avec pédigree municipal ?…»

La fin de la lettre ne l’est pas moins. L’homme en appelle au devoir d’insurrection du citoyen et cite la Déclaration des droits de l’homme « contre ce qui lui semble injuste et inique ». Il invite la « Doctoresse » à s’occuper de ses propres enfants et à laisser le sien

« tranquille, car il n’a que faire de vos conseils ».

Depuis des décennies, les circulaires ministérielles incitent les collectivités à développer une inspection des écoles mais la loi ne fixe aucune obligation2. A Angers, la décision remonte à 1930 et prend la forme d’ « un service autonome d’inspection médicale des écoles » sous l’autorité d’un médecin municipal recruté à plein temps. Alors que la situation économique est plus que morose, certains conseillers se montrent sceptiques, voire critiques face à la solution alors retenue3.

Les premières années de fonctionnement du service municipal de santé publique apportent des éléments pertinents d’analyse des politiques locales de santé en direction de l’enfant d’âge scolaire. Les activités et objectifs affichés éclairent un moment de l’histoire de la santé scolaire à une période, les années trente, fondatrice dans la mise en place d’une médecine

1 Archives Municipales d’Angers. Fonds M.Legros, 16J 19 (106)

Il s’agit d’un fonds privé en cours de classement constitué de documents remis par la famille du Docteur Legros.

Mes remerciements à la famille et au personnel des A.M . d’Angers

2 Par exemple, la circulaire ministérielle adressée le 14 novembre 1879 par J.Ferry aux préfets ordonnant l’organisation d’une inspection sanitaire des écoles . La loi du 30 octobre 1886 dispose en son article 9 que l’inspection des écoles primaires publiques et primaires est exercée par des médecins inspecteurs communaux ou départementaux. Dominique Desse, Un bicentenaire oublié, la médecine scolaire en France ou deux siècles de luttes incertaines, Thèse de médecine, Université de Caen, 1993

3 A.M. Délibérations du Conseil Municipal, séance du 22 juillet 1930

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socialisée ou/et spécialisée et alors que de nouveaux enjeux autour de l’école et de l’élève se profilent.

Une municipalité sous pression

La création du service invite à s’intéresser à une population, celle des élus municipaux et à étudier ce groupe comme producteur de politiques publiques dans le champ de la santé.

Dans le cas d’Angers, l’action de ces hommes n’est pas autonome. La décision ne peut être déconnectée de la pression de l’Etat ni du rôle d’acteurs locaux comme la chambre des Métiers de l’Anjou et, bien sûr, les médecins libéraux4.

Dans le domaine visé par le futur service, la pression de l’Etat sur les départements et les communes s’intensifie dans les années vingt, période de renforcement de l’administration centrale dans le cadre de la mise en place du Ministère de l’Hygiène, de l’Assistance et de la Prévoyance sociale5. Alors que depuis le second XIXe siècle, l’action des hygiénistes pousse à une nouvelle définition des responsabilités des collectivités locales, le Préfet interpelle les élus du Conseil général et des principales municipalités du département6. Après la catastrophe démographique et sanitaire de la guerre, le développement d’une médecine scolaire préventive, facteur de progrès, est remis à l’ordre du jour. Pourtant aucune loi n’est votée malgré des propositions de loi avancées par des membres du gouvernement ou de l’opposition. Les élus du Conseil général se font discrets. Le contexte est alors favorable à une intervention de la ville d’Angers.

En 1925, un vœu est émis par la commission d’Orientation professionnelle de la Chambre des Métiers de l’Anjou7 sur l’intérêt d’organiser une inspection médicale des enfants en fin de scolarité comme outil au service d’une orientation professionnelle plus rationnelle.

De telles voix deviennent audibles alors que les élus de la ville accèdent progressivement à la représentation du chômage comme une question sociale et que des idées sur l’organisation

4 A signaler également l’interpellation de la section syndicale CGT des Instituteurs du Maine et Loire mettant en cause l’inertie de la ville. Quelques années plus tard, la section demande le renforcement d’un service devant devenir « le pivot du progrès sanitaire et social de la Ville » car touchant toutes les familles qui ont des enfants,

« c’est à dire celles qui tiennent l’avenir entre leurs mains ». Prises de position signalées dans l’article « La protection de l’Enfance par l’Inspection Médicale des Ecoles », Le travail. Organe de l’Union des syndicats ouvriers et employés de Maine et Loire (CGT), n° 7, octobre 1937

5 1886 : création de la Direction de l’Assistance publique au sein du Ministère de l’Intérieur. 1920 : création du Ministère de l’Hygiène, de l’Assistance et de la Prévoyance sociale. En 1930 : création du Ministère de la Santé publique

6 L’hygiène est inscrite dans les attributions des municipalités dès leur création par la loi du 14 décembre 1790.

La loi du 15 février 1902, « loi sur l’hygiène publique »engage la responsabilité des communes en matière sanitaire, particulièrement celles de plus de 20 000 habitants, tant dans la définition d’un règlement sanitaire que dans la gestion (bureaux d’hygiène). Bernard Allemandou, La santé des enfants au cœur de la politique locale.

Bordeaux 1789-1989, Maison des sciences de l’homme d’Aquitaine, 1999, p.15

7 A.M.16 J, 19 (106), lettre du préfet au maire d’Angers, 20 août 1925. Mention du vœu de la commission dans sa séance du 27 juin 1925

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scientifique du travail circulent dans le monde économique8. Médecine scolaire et médecine du travail ne tracent pas séparément leur route. Elles se rejoignent pour produire une main d’œuvre efficace ou, mieux encore, adaptée. L’adaptation au travail est alors présentée comme un gain économique et un gage de concorde sociale puisque que la bonne personne serait placée au bon endroit, invalidant toute idée de lutte des classes.

Une impulsion est donnée par le syndicat des médecins d’Angers9. Ses représentants interviennent auprès de la ville pour appuyer la demande du Préfet d’une inspection sanitaire des écoles10. Les praticiens se disent convaincus « de l’utilité et du rôle important que peut jouer l’Inspection médicale des Ecoles, branche de l’Hygiène » et prêts à se mettre au service de la ville. En 1925, en soutenant le principe d’une inspection, le syndicat semble adhérer à une médecine socialement et administrativement organisée pour répondre à la question de la médicalisation des masses populaires urbaines. L’heure n’est plus à la médecine charitable.

L’intérêt du pays et les nouveaux savoirs exigent des réponses plus appropriées dans un cadre de l’hygiène sociale. Le syndicat local invite la ville à se tourner vers les médecins libéraux pour faire fonctionner le service. En 1930, la ville opte pour une solution différente.

Le projet est élaboré par l’adjoint à l’Instruction publique, un médecin, professeur d’anatomie à l’Ecole de médecine et de pharmacie d’Angers, le Docteur Metzger, après enquête auprès d’une vingtaine de villes en France. Le changement de Municipalité en 1929 ne fait pas naître le projet mais donne une impulsion nouvelle au processus d’institutionnalisation.

Le maire Eugène Proust, un conservateur, succède à une personnalité radicale élue quelques années plus tôt dans la dynamique du cartel des gauches. La rupture est à signaler mais peut être relativisée dans le cas d’Angers. Avant comme après 1929, la Municipalité gère au centre.

Sans grande originalité, le nouveau maire conservateur s’emploie à rassembler sur l’idée de progrès ! L’action est opposée à l’inertie de l’ancienne majorité. L’hygiène, la santé sont à la fois des domaines traditionnels de l’action municipale et une nouvelle frontière pour des élus soucieux du bien public et soumis à la critique des formations ouvertement progressistes.

La décision est votée par la nouvelle municipalité. Deux théories d’organisation s’affrontent alors dans le pays. Faut-il employer des médecins « fonctionnaires » donnant tout leur temps ou des médecins praticiens faisant des visites d’écoles dans le voisinage immédiat

8 La période qui suit l’institutionnalisation du service voit la création d’un office municipal d’orientation professionnelle. En 1933, le service médical de l’office est tout naturellement placé sous l’autorité du docteur Legros responsable du service médical des écoles

9 La syndicalisation des médecins est ancienne et forte. En France, en 1926, le nombre des médecins syndiqués payant leur cotisation est proche des 15 000. Le nombre des médecins en exercice est de l’ordre de 25 500.

Pierre Guillaume, op.cit., p.178.

10 A.M. I 164. Inspection médicale des Ecoles. Lettre du 19 décembre 1925 du Président du Syndicat au Maire de la ville

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de leur zone d’influence habituelle ? En France, la tendance est de confier les services à des médecins praticiens. Le choix que fait Angers de recruter le responsable du service à partir d’un concours sur titre et de lui interdire de poursuivre une activité libérale illustre le courant favorable à l’institutionnalisation d’un corps de médecins spécialisés. En fait, l’immobilisme angevin a eu des conséquences paradoxales. La municipalité se saisit du dossier alors que des médecins (venus de l’hygiènisme ou professeurs d’université) bataillent pour la reconnaissance de la médecine scolaire comme spécialité autonome. La ville s’inspire alors du modèle mis en avant par le projet de loi déposé le 30 janvier 1928 par Edouard Herriot, ministre de l’Instruction publique et personnalité radicale, projet qui fait reposer le service sur l’activité de médecins sans clientèle assistés par des assistantes d’hygiène scolaire. La désignation du Docteur Legros, l’action engagée par celle-ci précisent l’engagement de la Municipalité dans une politique de protection de l’enfance d’âge scolaire bien au-delà de la traditionnelle médecine des pauvres ou de l’hygiène publique.

Le recrutement de Marguerite Legros comme médecin-inspecteur

Marguerite Legros accède à ses nouvelles fonctions dans un contexte de suspicion, alors que les médecins libéraux sont sur la défensive. Depuis la guerre, la multiplication des dispensaires à l’initiative des municipalités, des associations, du patronat mais aussi les discussions et votes des grandes lois sur les assurances sociales en France ont amené les médecins libéraux à accentuer leur mobilisation11. A l’exemple de la grande charte de 1927 qui définit les grandes lignes de défense de l’exercice libéral de la médecine en France, les organisations professionnelles entendent bien défendre les prérogatives d’une médecine libérale jugée menacée par le développement d’une médecine socialisée et/ou fonctionnarisée.

Le nom de la revue du groupement des Syndicats médicaux de la Loire-Inférieure et du Maine-et-Loire est tout un symbole : Le bouclier12. Face à la politique de la ville, l’obsession des praticiens libéraux est de cadrer l’activité du nouveau service dans le domaine de la prévention et non du soin et d’empêcher toute « concurrence déloyale » de la part du médecin municipal13.

11 Voir les travaux pionnier d’Henri Hatzfeld ou l’ouvrage plus récent de Michel Dreyfus, Michèle Ruffat, Danièle Voldman, Bruno Valat, Se protéger, être protégé. Une histoire des Assurances sociales en France, PUR, Rennes, 2006

12 Tirage affiché : 2200 exemplaires.

13 Le thème de la surpopulation médicale est un classique depuis le XIXe siècle. Il est repris dans la vulgate syndicale. En 1931, à Angers, il y a un médecin pour 1050 habitants (1140 en 1851 et 1 pour 1280 en 1971), François Lebrun, dir., Histoire d’Angers, Privat, Toulouse, 1975, p.231

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En 1930, le choix du jury se porte sur Marguerite Legros, ancienne élève de l’école de médecine d’Angers, auteure d’une thèse tout juste soutenue à Paris sur Le médecin scolaire14. Cette désignation n’est pas une surprise. Lorsqu’à la fin des années vingt le projet se précise, contact est pris avec l’Ecole de médecine pour orienter un étudiant vers les spécialités attendues. L’enquête ne permet pas de dire si les professeurs ont volontairement fait le choix d’une étudiante ou si c’est l’étudiante qui s’est montrée réceptive à ce projet de carrière. Les femmes représentent alors moins de 2% des effectifs des médecins en exercice15 et à l’école de médecine d’Angers, les étudiantes sont au nombre de 4 en moyenne pour la période 1925-1929 (7% des inscrits)16. Tout au plus peut-on relever que le sexe du médecin est retenu comme un élément positif dans la communication municipale auprès des familles une fois le service mis en place17.

C’est en 1929, que cette angevine de 26 ans18, interne à l’Hôtel Dieu d’Angers, s’est vue conseiller par son professeur d’anatomie, chirurgien de ce même hôpital et adjoint à l’instruction publique, de partir à Paris, soutenir sa thèse et passer des diplômes19 lui donnant les compétences pour postuler au poste de médecin-inspecteur. Dans le cadre de sa formation à l’Institut d’Hygiène de la Faculté de Paris, elle fait un stage pratique à Vanves dans le service du Docteur Lafosse. L’appui de cet ancien directeur du bureau d’hygiène de la ville d’Angers semble avoir été décisif20 et l’importance accordée à ce « patronage » rappelle l’ancrage institutionnel et scientifique de la médecine scolaire dans l’hygiénisme. La postulante est également « diplômée de la clinique de tuberculose »21. Chez Metzger, la

14 Marguerite Legros, Le médecin scolaire, thèse de médecine, Paris, PUF, 1930, 64 p. Président L.Tanon. Elle dédie la thèse à ses parents à ses « maîtres de l’hôtel-Dieu et de l’école de médecine d’Angers »…

15 Audrey Thévenard, Les étudiantes en Médecine à l’Université d’Angers, Mémoire de Master I mention Histoire, Géographie et Document sous la direction de Christine Bard, 2007, p.17

16 Ibid. Voir l’article de Christine Bard dans ce même volume

17 A.M. 16J20 (109). Une « doctoresse » qui « aurait plus facilement raison de la crainte des tout petits et de la réserve des jeunes filles »

18 Originaire du Havre et fille unique, elle quitte cette ville pour Angers à l’âge de 12 ans après la nomination de son père à l’école des Arts et Métiers. En 1930, son père est directeur de cette institution. La jeune fille suit une scolarité secondaire dans l’établissement public de la ville : le cours secondaire des jeunes filles, Joachim Du Bellay. A la fin des années vingt, elle préside l’association des anciennes élèves. Nécrologie de Marguerite Legros parue dans le journal Ouest France, 20 mars 1981 et Fonds Legros aux A.M. d’Angers

19A.M.16J20 (117) Diplômes d’Hygiène, de phtisiologie. Comme elle le précise dans thèse, op.cit.p.29-30, la jeune femme a suivi un enseignement professé à l’Institut d’Hygiène de Paris à l’usage des candidats aux fonctions de médecins inspecteurs des écoles de la Seine et a fait un stage au centre d’hygiène scolaire de la fondation Lannelongue. Elle rappelle alors que c’est le Docteur Metzger qui lui conseilla de faire sa thèse sur le sujet. Dans les remerciements, elle le salue comme celui « qui a bien voulu nous donner l’idée de notre thèse et que nous remercions de la bienveillance qu’il n’a cessé de nous témoigner ».

20 A.M. 16J8. M.Legros évoque le souvenir inoubliable du docteur Lafosse à Angers. En poste en 1910, le Docteur Lafosse est l’auteur d’un Précis élémentaire d’hygiène pratique à destination des enfants. Il démissionne en 1916.

21 Ibid.

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conviction de l’adjoint rejoint celle du professeur de l’école de médecine : « on ne s’improvise pas médecin scolaire »22.

Dans ces différentes fonctions, le sexe du médecin-fonctionnaire est jugé comme un atout. Puisque des femmes sont médecins, l’administration est rapidement vue comme un milieu plus protégé, en un mot plus adapté au sexe dit faible. Les champs de compétences : l’enfance, l’hygiène, l’assistance (le service est rattaché au service municipal de l’assistance et de l’hygiène) s’accommodent, voire justifient, aux yeux des contemporains, l’embauche d’une femme. Dans les années trente, sa candidature au poste de directeur du bureau d’hygiène n’est néanmoins pas encouragée sous prétexte qu’une femme honorable ne devrait pas avoir affaire à des prostituées23. Après avoir occupé ce poste comme directeur-intérim entre 1937 et 1939, elle est confirmée dans la fonction, après concours, par un arrêté ministériel daté du 5 juillet 1939 et y est maintenue alors que l’administration est étatisée en octobre 1940. Malgré ses nouvelles responsabilités, elle tient alors à conserver la direction du service municipal de l’inspection médicale des écoles.

Très tôt, l’autorité manifestée par la jeune femme, sa capacité de travail vont surprendre une partie d’un milieu médical largement masculin et susciter des critiques dont la dimension sexiste n’est pas à exclure. Marguerite Legros s’investit totalement dans sa tâche et s’impose, non sans difficulté24, pendant plusieurs décennies comme une figure incontournable de l’action sanitaire et sociale de la ville et du département. Dans les années trente, il lui faut d’abord dégager un espace et créer la fonction. Le travail n’est pas simple et les appuis de la Municipalité sont discrets. A la tête d’un service initialement constitué de 3 infirmières visiteuses et d’une femme de service, la jeune femme doit définir une pratique. Le conflit avec la médecine libérale a été fondateur d’une action qui s’apparente à un engagement. Après des premiers heurts sévères avec les porte-parole de la médecine libérale à Angers, elle apprend à naviguer plus prudemment et surtout à conforter son assise sociale par son action au service de l’école républicaine.

Un rôle d’abord contesté par la médecine libérale.

Lors de la création du service, les élus ont le souci d’en lister les fonctions. Ils balisent le territoire de la médecine scolaire dans un but de promotion d’une médecine socialisée à

22 Conviction bien mise en avant par son élève dans sa thèse. Marguerite Legros, op.cit., p.49

23 16J 20, document s.d reprenant les réserves du conseiller Louis Martin

24 En 1945, cette femme célibataire alors âgée d’une quarantaine d’année donne le jour à un petit garçon. Son statut de mère célibataire a suscité nombre de commentaires dans la « bonne société angevine ». Celle que son entourage présente comme « une femme de devoir » fait de son engagement auprès de l’enfance le cœur de son existence. Entretien téléphonique avec Evelyne Legros, belle fille de Marguerite Legros, décembre 2007.

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l’initiative de la commune mais avec le souci de ne pas irriter les médecins libéraux dans un contexte tendu. Trois fonctions principales sont avancées : la surveillance hygiénique des locaux et du matériel scolaire, la surveillance de la santé générale des écoliers25, la prophylaxie des maladies transmissibles.

Ces précautions ne suffisent pas à écarter tout conflit. Au delà de l’anecdote, les tensions révèlent l’ambiguïté des positions de la Municipalité quant au fonctionnement du service et plus largement la difficulté à définir le champ d’intervention d’une médecine fonctionnarisée dans un pays, qui, à travers la gestation des assurances sociales, fait le choix d’intégrer la médecine libérale dans le fonctionnement du système de santé socialisé. Quelle place, fonction, légitimité pour une administration à vocation sanitaire à l’échelle locale auprès des enfants et des familles qui ne relèvent pas de l’assistance ? La question est posée au regard de la puissance paternelle, de la compétence de la médecine libérale, de l’action engagée par les instituteurs.

Du côté médical, et l’enfant d’âge scolaire n’est pas le seul concerné comme le prouvent les réflexions sur la médecine du travail, si le principe d’un contrôle est toléré, jusqu’où peut aller le suivi du contrôle sans que soient remis en cause les grands principes de la charte médicale adoptée par le syndicat national des médecins en 192726 ? Alors que la population des enfants des écoles est peu médicalisée, quel sens donner à une médecine préventive séparée d’une médecine de soins ? L’Etat ne légifère pas, la municipalité est prudente. A côté de la personnalité du médecin-inspecteur, la question des moyens et l’environnement professionnel conditionnent une pratique. Le conflit se fait régulateur.

Le conflit surgit dans l’année qui suit l’installation de Marguerite Legros. La lutte contre la diphtérie est une des missions prioritaires du service. La vaccination n’est alors pas obligatoire mais, à la demande de l’Académie de médecine27, des circulaires ministérielles invitent les collectivités à la développer chez les enfants. La ville d’Angers est particulièrement touchée. Le Docteur Legros qui dans sa thèse défendait le principe d’une inspection médicale des écoles devant répondre à la nécessité de « protéger, dans la santé de l’enfant, l’avenir de la race et le capital humain de la nation » et de satisfaire « aux revendications dont la déclaration des droits de l’enfant, dite de Genève, est l’expression »28 prend l’initiative d’une large campagne de vaccination dans les écoles publiques, en

25 A.M. 16J10 (56). Elèves inscrits dans les Ecoles communales de la ville d’Angers le 5 mars 1930 : 3474 (Primaire) + 1092 (Maternelle)

26 Parmi ces grands principes : le libre choix du médecin par le patient, le paiement direct à l’acte, le respect du sacro-saint secret médical…

27 A.M.16J16 (80). Vœu de l’académie de Médecine lors de sa séance du 6 décembre 1927

28 Marguerite Legros, op.cit., p.11

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collaboration avec le rectorat. Une lettre est donc envoyée aux parents pour leur demander d’amener leurs enfants.

La réaction du syndicat des médecins d’Angers ne tarde pas. Un courrier de protestation daté du 15 février 1931 est expédié par le secrétaire général du Syndicat à l’adjoint chargé des questions d’assistance et d’hygiène dont relève le service et une campagne de presse est orchestrée pour mettre en garde les familles29. S’adressant à celui qu’il désigne ostensiblement comme son confère, le secrétaire ne ménage pas ses critiques à l’égard d’une initiative présentée comme à risque pour les enfants et donc pour la municipalité contre laquelle les familles pourraient se retourner en cas de problème. Tout en rappelant que la vaccination n’est pas obligatoire, il met en cause la légitimité et la compétence du médecin scolaire à la pratiquer. Le syndicat se pose une nouvelle fois en défenseur de la liberté des familles contre l’intrusion des pouvoirs publics et oppose la pratique « collectiviste » du « médecin fonctionnaire » à celle du « médecin de famille »

« connaissant les antécédents et le tempérament de chaque enfant ». Il conclut sa démonstration en s’en prenant à Marguerite Legros qui, en manifestant un « sentiment élevé de sa fonction », incarne « l’ardeur de la jeunesse et l’enthousiasme d’une fonction nouvelle » qui « ont parfois besoin d’être éclairés par l’expérience des anciens »30 ! Dans cette affaire, l’organisation professionnelle défend une certaine conception du service dans la tradition des œuvres d’assistance de la ville. Le rôle du médecin scolaire s’exerce naturellement auprès des familles indigentes, à la rigueur populaires. Les enfants des classes moyennes et supérieures sont naturellement suivis par le médecin de famille, et l’autorité du médecin municipal ne saurait marginaliser celle des pères ou son action s’interposer entre les familles et leur médecin librement choisi.

L’épisode ne semble pas avoir désarmé la jeune femme qui, dans ses courriers, s’en prend à la grande inertie de la médecine libérale à Angers pour justifier son action contre la diphtérie. Tout au plus entreprend-elle un travail de communication avec les familles, les pouvoirs publics et s’assure-t-elle du soutien de quelques autorités morales, intellectuelles et scientifiques au plan local mais également national. Médaillée de l’Académie de Médecine en 1933, saluée par les officines privées et publiques de la lutte sanitaire, consacrée par la Revue

29 Titre de l’article : « Avis à nos concitoyens ». Texte (extrait) : « Personne, jusqu’à ce jour, n’est obligé de se conformer à l’invitation plus ou moins prescrite de l‘Administration…Seul, le médecin de famille, parce qu’il sait déjà, parce qu’il est à même de constater tous les jours et au moment, peut garantir cet examen sérieux, gage indispensable de sécurité. La vaccination en série…n’est qu’un pis aller : les parents soucieux de la santé de leurs enfants ne l’emploieront qu’en l’absence de tout autre moyen ».

30 A.M.16J16 (80), lettre du Secrétaire du Syndicat des médecins d’Angers à l’adjoint chargé des questions d’assistance et d’hygiène, 15 février 1931

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philanthropique, Marguerite Legros tente également de trouver dans l’association le moyen de sortir de son isolement. Elle adhère à l’association des femmes médecins, possède une carte CGT (Fédération de l’Administration générale)31. Plus encore, elle s’investit dans la défense de l’école publique en devenant administratrice de la caisse des écoles en 1932 et directrice de la Claverie, un aérium pour les enfants de la ville. Parallèlement, elle renforce sa position dans les organes de santé publique de la ville en devenant la directrice du bureau municipal d’hygiène à partir de 1938. Elle apprend également à ménager la susceptibilité des médecins libéraux angevins et, dans la seconde moitié des années trente, les relations tendent à se normaliser entre le service municipal et la médecine libérale.

Le contexte national n’est pas sans lien avec ces évolutions. La mise en place des assurances sociales selon la loi de 1930, le déploiement des dispensaires, un épisode politique comme le Front populaire n’ont pas entravé le développement de la médecine libérale. A plus long terme, la représentation de la clientèle médicale est en pleine transformation. L’existence du service municipal peut alors être saisie comme une expression parmi d’autres de la reconfiguration des relations entre le monde médical et une société en cours de médicalisation. A l’ère des masses, une médecine sociale circonscrite à des espaces bien déterminés a sa place dans le cadre d’une nouvelle économie de la santé dont profite la médecine libérale plus à même, désormais, de concevoir la complémentarité des rôles et fonctions avec une médecine fonctionnarisée dont les tâches sont davantage précisées. Les relations de Marguerite Legros avec le milieu médical angevin se banalisent donc dans un marché de la santé en expansion et alors que la crise économique apporte une légitimité à l’Etat social. Parallèlement, la place, les fonctions d’une administration sanitaire à l’échelle communale se précisent.

Les pratiques de la médecine scolaire : de l’hygiène à la norme ?

La pratique de Margueritte Legros n’échappe pas au cadre des politiques sanitaires qui dépendent de la Commune. Les questions liées à l’hygiène et la prophylaxie des grandes épidémies demeurent essentielles dans une ville qui ne brille pas alors par la modernité de ses installations. Dans ce cadre, la surveillance des lieux (salubrité des locaux scolaires) peut apparaître comme secondaire au regard du temps consacré à la surveillance de la santé des élèves. La peur des épidémies, d’une diffusion à partir des foyers scolaires, justifie une partie des pratiques du service. Le nombre d’enfants examinés ou plutôt de gorges scrutées par Marguerite Legros symbolise l’utilité sanitaire de la fonction dans le cadre d’une politique

31 Une carte syndicale anonyme datant de 1937 est présente dans le dossier 16J38

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municipale de santé publique. L’inspection mène une action de prévention et permet l’orientation des porteurs de germes ou en danger vers les structures ad hoc. L’action préventive de la médecine scolaire passe par des opérations de triage et aboutit à orienter certains enfants fragiles, « déficients physiques » vers la colonie sanitaire du Chillon ou l’aérium municipal La Claverie (son service médical est dirigé par Margueritte Legros).

D’autres, peu nombreux, sont dirigés vers l’internat de perfectionnement d’Yvetot en Normandie, au titre de la loi de 190932 sur « les anormaux scolaires », « débiles » ou

« instables ».

L’héritage hygiéniste est pleinement présent dans la pratique du service mais ne suffit pas à définir l’action du médecin inspecteur et de ses auxiliaires33. Une des grandes affaires du service est l’établissement des carnets de santé34. Année après année, le service se dote d’une mémoire sous la forme de milliers de dossiers individuels. La fabrication et la tenue de ces dossiers par un personnel qualifié ont fonctionné comme un puissant outil d’institutionnalisation de la médecine scolaire. Le carnet relève d’un vaste projet : la mise sous contrôle des populations scolaires au plan sanitaire à partir d’un suivi individuel de chaque élève. Le carnet traduit un glissement vers une médecine de la norme35. Avec les statistiques produites par le service sur l’état de la population scolaire, il permet un suivi à partir d’une moyenne et participe à la définition par l’institution médicale des normes de l’enfant sain et de l’élève adapté dans une société déterminée. L’initiative intrigue et génère du soupçon que la responsable désamorce en faisant valoir le secret médical et en indiquant aux parents que les carnets sont conservés dans une armoire fermée à clé36.

Dans les années trente, l’action de la professionnelle de santé et de ses auxiliaires s’inscrit dans une logique médico-sociale. La part du social est manifeste dans certaines tâches accomplies par les infirmières visiteuses37. Les enfants sont examinés à l‘école ou au dispensaire. L’examen est susceptible de déboucher sur quelques soins accomplis sur place ou sur des recommandations de suivis adressées aux parents. Les visites à domicile pour vérifier

32 Pas de trace dans les archives pour les années 30 de classes de perfectionnement dans les écoles publiques d’Angers

33A.M. 16J2 (8). En 1938, le service se compose du médecin-inspecteur de 4 « infirmières », 1 infirmière secrétaire, 1 femme de service

34 A Paris, si le principe d’un carnet individuel est admis par le Conseil municipal dés 1888, il semblerait qu’il ne soit réellement adopté qu’à partir de 1910. Marguerite Legros, op.cit., p. 17

35 Un évolution bien étudiée dans le cas genevois par Eléonore Zottos, Histoire de la médecine scolaire à Genève : 1884-2004 , Genève, Victor Chevalier Imprimerie, 2005

36 A.M.16J20 (109). Lettre du Maire aux parents, 1931

37 La fonction des infirmières visiteuses a été légalement reconnue dans le contexte de la Première Guerre mondiale à travers la loi Léon Bourgeois de 1916 dans le cadre de la lutte contre la tuberculose. Attachées aux dispensaires, elles avaient pour mission de détecter les malades en pénétrant, si nécessaire, dans l’intimité des foyers populaires. Pierre Guillaume, Le rôle social des médecins depuis deux siècles 1800-1945, Paris, Association pour l’histoire de la Sécurité sociale, 1996, p.98

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que les consignes sont appliquées servent de prétexte pour rassembler les éléments d’une enquête sociale. La dimension de contrôle social est encore plus évidente lorsque la visite n’est pas justifiée par un quelconque acte médical mais par la nécessité de s’enquérir des causes justifiant l’absentéisme de l’enfant. Si cette pratique est le signe d’une étroite collaboration avec le monde enseignant, elle est source de confusion quant au rôle du service auprès des familles.

La confusion entre le médical et social résulte, pour partie, de la structuration du champ sanitaire à partir de questionnements sociaux, de la formation des hommes et des femmes se retrouvant à mettre en place les politiques publiques de protection de l’enfance, et du faible degré d’institutionnalisation du travail social dans une commune comme Angers. La question dépasse très largement le problème posé par le service angevin. Pour Bernard Allemandou, l’osmose est au cœur des politiques publiques où les problèmes de santé ont pu ne servir que de support, d’appoint à la conduite de politiques d’aide sociale municipale. Dans son étude sur Bordeaux, l’auteur conclut sur l’inexistence d’actions municipales ayant un objectif exclusivement sanitaire38. Dans le cas angevin, les initiatives prises par le Docteur Legros, son positionnement quant aux fonctions de son service permettent de nuancer cette thèse. L’action engagée relève d’une véritable politique de santé scolaire. Les pratiques du service sont un bon lieu d’observation de ces rééquilibrages incessants entre politiques de santé et politiques de préservation sociale propre à la médecine scolaire.

En 1941, une fiche médico-pédagogique est introduite dans les carnets. L’innovation avorte mais annonce la médicalisation d’une problématique nouvelle : celle de l’échec scolaire alors que l’avenir de l’enfant est progressivement pensé comme dépendant de son aptitude à développer certaines compétences à l’école. Au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale, Margueritte Legros déplore « la grande misère du Service de l’Inspection Médicales des Ecoles »39, la difficulté à développer une action médicale efficace et exprime la crainte que le service puisse n’être qu’un paravent devant les incuries de l’administration municipale dans le champ sanitaire.

Les archives de Marguerite Legros se révèlent une pièce importante dans l’histoire de la santé scolaire avant 1945. Leur exploitation a permis de mieux mettre en lumière la place de l’échelon municipal dans l’histoire de la médicalisation de l’enfance. Et à Angers, la politique engagée par les élus a été menée en concertation avec l’école de médecine de la

38 Bernard Allemandou, op.cit.

39 A.M. 16J7. Lettre du Docteur Legros du 18 septembre 1945 au maire d’Angers.

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ville. Dans les années 30, le service a mobilisé une petite équipe relativement stable et soudée autour de la personnalité du Docteur Legros, dans l’allégresse plus ou moins romancée des pionniers. Les années de guerre sont difficiles mais le contexte de pénurie redonne toute leur place aux problèmes sanitaires. Dans les écrits du docteur Legros, les années d’après guerre sont des temps de plus grand doute40. Les temps héroïques sont révolus pour laisser place à un travail d’encadrement sanitaire et social des populations scolaires dont la justification médicale est moindre dans un contexte de médicalisation croissante des populations et de recul des grands « fléaux ». Les faibles moyens donnés à la médecine scolaire limitent les ambitions dans un secteur, la protection de l’enfance, largement dans les mains des associations gestionnaires d’établissements médico-sociaux ou/ et de nouveaux professionnels embauchés par l’Education nationale.

Dans les années soixante, la Municipalité a le désir de se décharger du service médical des écoles41. Non sans contradiction avec certaines options autrefois défendues mais dans la filiation des origines du service, le Docteur Legros, à la tête du service départemental de l’hygiène, résiste. La surface sociale acquise par cette dernière dans la ville, a certainement été un élément important dans la conservation d’un service municipal d’inspection médicale des écoles à Angers, autonome bien au-delà de 1945. Mais en 1969, la demande du maire Jean Turc est accueillie favorablement par les services de l’Etat et en 1972, le service est transféré à la Direction de l’Action Sanitaire et Sociale.

Pascale Quincy-Lefebvre, HIRES/CERHIO UMR 6258, université d’Angers

40 Sur un plan personnel, le médecin doit affronter les critiques que lui vaut son statut de mère célibataire

41 Les initiatives de 1945 succèdent à la loi du 13 août 1943, relative à l’organisation du contrôle médical de la jeunesse dans les établissements d’enseignement et dans les groupements de jeunesse relevant du Secrétariat d’Etat à l’Education nationale. La loi précise que les contrôles se font sous la surveillance du Directeur régional de la santé et de l’assistance. Le principe de l’obligation pour les parents est légalement posé au plan national.

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