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IL NE FAUT JAMAIS DIRE FONTAINE...

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IL NE FAUT JAMAIS

DIRE FONTAINE...

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JEANNINE WORMS

IL NE FAUT JAMAIS DIRE FONTAINE...

FASQUELLE, ÉDITEURS

I I , RUE DE GRENELLE - PARIS

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I L A É T É T I R É DE C E T O U V R A G E 50 E X E M P L A I R E S SUR VÉLIN BOUFFANT A L F A N A V A R R E , N U M É R O T É S D E

1 A 50.

© 1956 by Fasquelle. Éditeurs. — Paris.

Dépôt légal : 3 trimestre 1956, n° 572.

Printed in France.

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« ... Quelque honnête petit stratagème pour ajuster vos affaires. » Molière, Les Fourberies de Scapin, acte I, scène II.

M meme Du POMMIER rentra chez elle fort contente d'avoir trompé son mari.

Elle n'avait pas éprouvé à le faire des délices nouvelles. Elle y avait puisé le senti- ment d'une promotion, sûre de s'être par là ouvert accès à une catégorie différente et supérieure.

Ses talons sonnaient plus fort sur le pavé.

Elle regardait d'un autre air les passants dans la rue. Elle se demandait quels de ces hommes étaient ses pairs, quels sauraient deviner la distinction dont elle était l'objet.

Puis, retournant la question, elle cherchait à son tour à découvrir desquels il lui plai- rait d'être devinée. Beaucoup d'entre eux étaient laids, usés comme leurs habits.

Mais à tous elle prêtait une sorte de curio-

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sité, un air d'intérêt pour la vie : même les plus vieux étaient rajeunis.

Quant aux femmes, quelles sauraient voir ? Quelles approuveraient ? Quelles condamneraient ? Combien envieraient ? Pour ceci, toutes. M Du Pommier savait le fascinant prestige qu'exercent sur les femmes les femmes aimées, et que la répro- bation des autres n'est qu'une forme de leur envie. Et voilà qu'elle appartenait à cette espèce brillante et redoutable : elle s'en trouvait glorifiée. Si elle avait jusqu'à ce jour été belle, la beauté dès maintenant, comme libérée, s'épanouissait sur sa per- sonne et, par instants, l'oppressait. C'était trop, c'en était insolent... Elle s'en rendait bien compte et cherchait alors à ralentir son pas et contenir son regard. Mais, pensait-elle, en vain.

Elle n'avait plus que hâte de regagner sa demeure, déguster seule enfin la nou- veauté de sa joie.

Son appartement l'attendrit. Dans la pénombre, familiers, les meubles luisaient.

Le retroussé des rideaux s'alanguissait.

Quelques opalines accrochaient la lumière dans les angles. Tous ces objets portaient

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un signe : la sensibilité, le goût qui les avaient choisis marquaient du premier jour la route qui l'avait tout à l'heure menée au lit de son amant... Seule une main faite pour l'amour avait pu les disposer dans cette grâce délicate. Toutes les caresses dont ils avaient été flattés à leur décou- verte, leur achat, à leur installation sur l'étagère et au long de leur existence muette, n'étaient qu'un lent apprentissage des gestes qu'elle avait enfin joués sur le corps de son amant. Mince, poli comme eux, pensait-elle.

Mollement, car depuis qu'elle s'était relevée du lit adultère elle se considérait avec un grand respect, elle s'assit sur le canapé rose, y étendit paresseusement les jambes, tandis que, la tête appuyée sur une main, elle allongeait un bras sur le dossier galbé, dans une pose ornementale et lan- goureuse qui lui semblait être celle-là même de la « jeune femme aimée ».

Ce qui lui plaisait le mieux, dans toute cette aventure, c'était qu'elle n'aimait pas son amant.

Maintenant qu'elle en faisait le point, elle pouvait s'en féliciter : l'affaire avait été

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traitée de main de maître. Rien, ou presque, ne s'était produit qu'elle n'eût d'abord souhaité, amené, avec cette fausse docilité féminine dont elle avait, du premier coup, compris le maniement dans les moindres finesses.

Certes, elle était vraiment femme, et femme heureuse — car qui avait su si habi- lement prendre, saurait garder, ou déprendre, ou prendre ailleurs — cela toujours à sa guise et tant que durerait un semblant de beauté, puisque l'impérissable adresse sau- rait suppléer là ce qui serait mort ici.

Le jour et l'heure où elle avait décidé de tout cela étaient demeurés vifs dans son souvenir. Un après-midi, pareil à tant d'autres, l'obscurité lentement gagnant sa demeure l'avait trouvée dans ce même siège assise, et vidé son cœur jusqu'au vertige.

Les bruits qui, au travers des fenêtres closes, parvenaient du dehors ne faisaient qu'aug- menter le sentiment de son abandon. Elle refusa d'y succomber, et, de ce moment, attendit. Elle n'aurait su dire quoi. Elle

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guettait l'obstacle contre lequel viendrait buter sa vie au cours jusqu'alors trop droit, déviant ou s'embranchant selon l'allure de l'événement. Au besoin, elle le provo- querait.

Ce fut dans cette sereine détermination qu'elle partit peu après avec son mari pour les grandes vacances. Sur la terrasse de l' Hôtel-Casino où ils étaient arrivés la veille, M Du Pommier, ouverte à toutes les sollicitations, vit plus florissantes les jeunes femmes, plus nombreux les jeunes gens.

Son mari vint la rejoindre sur la plage.

Demi-nue, étendue près de lui sur le sable, elle se sentait mûrir comme raisin à la treille. La chaleur la pénétrait et la portait à la plénitude de la saveur. Le bruit fragile de la mer, pleine elle aussi de soleil, contri- buait, dans sa stérilité même, à la persuader qu'elle participait de l'élan le plus profond du monde, qui allait l'amener vers quelque secrète et splendide consécration.

Elle eut, l'heure du déjeuner venue, quelque déception lorsque le maître d'hô- tel mena le ménage qu'ils formaient vers l'humble table à deux qui lui était réservée.

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Il lui semblait que l'animation, partout grande dans la salle à manger, s'arrêtait aux rives de leur nappe blanche, les enfer- mant dans un îlot de vie irrémédiablement quotidienne.

Son mari faisait les gestes de tous les jours. Il portait à sa bouche, à une allure qu'elle connaissait trop, sa fourchette demi- chargée de nourriture vers une mastication tranquille et saine. La chemise à col ouvert qu'il portait ne changeait rien à sa juste beauté dont on pouvait aussi bien ne pas s'apercevoir, et, qu'il parlât de bain ou de promenade, c'était avec cette douceur égale qui finissait par enlever tout contour à ses propos, si elle contribuait à établir l'ordre et la sécurité dans la vie domestique.

M Du Pommier sentit le rouge monter sous la peau cuisante de ses joues quand le sommelier, venu s'informer des vins, emporta pour réponse le « demi anjou » qui leur était habituel en cette saison, tant lui semblait soudain malvenue l'image de convention qu'ils offraient ainsi d'eux-mêmes aux estivants.

Quelques jours passèrent de la sorte, où espoir et déception alternaient dans le

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cœur de M Du Pommier, selon qu'elle était sur la plage ou à l'hôtel et qu'elle sentait se poser sur elle ou non les regards.

Bientôt, ils firent des connaissances.

D'autres couples se lièrent à eux, qu'elle ne tarda pas à juger aussi ennuyeux qu'eux- mêmes.

Un jeune homme, entre tous, retenait son attention. Élégant — M Du Pommier le trouvait « distingué » — distant, volon- tiers solitaire, bien qu'il parût connaître tout le monde, il lui sembla qu'il éveillait l'intérêt général des femmes. Elle décida de l'emporter.

Elle apprit qu'il était professeur de ten- nis. Elle engagea son mari à prendre des leçons.

Elle ne savait pas encore précisément de quels liens elle voulait s'attacher ce beau garçon. Elle ne cherchait qu'à lui plaire, à être remarquée par lui, préférée à toutes les autres.

Elle crut tout de suite à son succès, puis vit que ce qu'elle avait pris pour des hom- mages qui lui étaient particulièrement des- tinés ne témoignait que d'une courtoisie toute professionnelle, qu'il montrait égale-

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ment à l'endroit des épouses de ses clients.

Elle s'en piqua, comprit qu'il fallait accorder plus, l'accepta, pensa le lui laisser entendre. Il reçut avec une prudence extrême des avances si discrètes qu'elles pouvaient ne pas être remarquées.

M Du Pommier se prit à ce jeu. Plu- sieurs semaines s'écoulèrent en coquet- teries.

Le jeune professeur s'absenta. Des bruits, qui fâchèrent M Du Pommier, coururent au sujet de ce dernier : on le disait parti avec une estivante.

M Du Pommier le sentit comme une déloyauté. Une autre s'était servie d'une carte qu'elle détenait aussi. Que l'occa- sion se présentât, et elle saurait l'abattre, non à l'étourdie et pour une simple « levée », mais afin de gagner définitivement la partie.

Le professeur revint. La décision de Mme Du Pommier était prise. Les vacances finissaient. Avant son départ, en cachette de son mari, elle inscrivit sur son calepin l'adresse du jeune homme.

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M Du Pommier sourit à ces souvenirs.

Tout était bien, ou presque. Manquait un petit détail qui pouvait porter les choses à ce point de perfection où elle souhaitait les voir. Une lettre. Un appel télépho- nique eût été vulgaire et fugace, et, trop proche de leur rencontre, il eût dès leur nais- sance alourdi des rapports qu'elle voulait passionnés mais gracieux. Une lettre qu'il trouverait le lendemain au réveil, ou à l'heure du déjeuner, enfin à quelque moment de la journée, où, distrait, elle viendrait discrètement lui raviver la mémoire sur ce qu'il avait pu croire une joie partagée avec Mme Du Pommier.

Elle quitta le canapé rose et s'approcha de son écritoire de poirier qui avait dû attendre ce jour pour reprendre sa carrière : M Du Pommier n'était pas sans avoir compris que seule une jeune femme d'an- tan, aux amours clandestines, avait pu commander ce meuble aux courbes larges et commodes. Elle ouvrit le tiroir et n'y trouva que du papier à lettres de son mari.

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Elle en prit une feuille qui portait leur adresse gravée. Elle s'en réjouit : l'utiliser était l'imprudence à commettre, la faute de goût qui témoignait du désordre où la jetait sa passion, l'insolence même de la folie.

Elle s'assit et prit un stylo, avec le regret de ne pouvoir se servir d'une plume d'oie. Elle data la page, écrivit « Mon chéri»

puis, après une brève réflexion, ceci : Je te quitte à l' instant. Déjà je voudrais te revoir. Pourtant, ne t' inquiète pas de ce zèle. Je viendrai quand tu le voudras.

Merci de ce bonheur que je ne tiens que de toi.

« Ce n'est pas tellement faux », se dit Mme Du Pommier, pliant la lettre.

Et, certes, si cet hiver s'annonçait plus gai que le précédent, si au lieu de lui ajou- ter de l'âge il paraissait lui en retrancher au point de la ramener presque à celui où, jeune fille, elle partait pour ses premiers bals, mais tout armée cette fois de sa sûreté de femme, si les jours à venir s'annonçaient désirables, divers, colorés, n'était-ce pas,

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elle en convenait, grâce à son amant ? M Du Pommier s'amusa de ces pensées : n'avoir pas entièrement menti dépassait ses espérances.

Elle déplia la feuille et relut son billet.

Elle n'en fut pas contente et jugea le reste, qui ne venait pas si bien jusqu'aux mots

« Merci de ce bonheur », tissu de maladroits mensonges.

Cet amour trop docile, qu'elle faisait mine d'offrir, et que son indifférence lui permettait de donner, n'effraierait-il pas ce garçon un peu neuf ? N'aurait-il pas lieu de craindre un sentiment qui montrait son excès par sa modestie même ? Ou bien, au contraire, serait-il flatté d'avoir su éveiller dans la personne tranquille qu'elle parais- sait être un penchant si fort ? Fallait-il, en un mot, ne pas envoyer la lettre ? Fal- lait-il la recommencer ?

« Après tout, peu importe, trancha M Du Pommier. Au début, les mots eux- mêmes n'ont pas de sens. C'est un geste que je fais là pour lui, et tout mouvement que je ferai dans ce sens devra, un temps encore, nécessairement, l'enchanter. »

Puis elle replia la feuille et la glissa dans

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une enveloppe. Elle acheva de se rassurer, songeant, qu'à leur prochaine rencontre elle saurait bien reprendre, par des paroles et des baisers, la gaucherie qu'elle avait pu mettre dans son écrit. Et, comme l'heure avançait, elle glissa l'enveloppe dans son sac.

Son mari ne tarda plus à venir.

Il alluma d'abord les lumières, que M Du Pommier s'étonnait d'avoir lais- sées éteintes alors qu'elle supportait mal, d'habitude, l'obscurité. Elle prit cette négli- gence pour une marque de son bonheur et embrassa son mari.

C'était son premier baiser de femme adultère, si peu différent des autres, sinon en cela, précisément, qu'elle le savait tel et, secrètement, s'en félicitait. Contre la joue de son mari, elle chercha sur la sienne le souvenir de la joue de l'autre. Mais elle offrait un visage vierge qui ne se rappelait rien de son amant.

Elle conçut l'essentielle différence des caresses et la volupté du secret, sans par- venir à se cacher tout à fait la profondeur de son étourderie. Tout cela lui plut. Elle entrait enfin en plein jeu, allait pouvoir guet-

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Il ne faut jamais dire fontaine... est le premier livre de Jeannine Worms. Il est d'une telle insolence que l'auteur ne s'imposera sans doute pas d'emblée au public. Les libertins de la seconde moitié du XXe siècle ne voudront pas se reconnaitre dans ce récit fait de scepticisme à peine teinté de passion, dans cette distraction foncière en plein jeu.

Peut-être les marxistes, s'ils daignaient s'intéres- ser aux femmes, écriraient-ils une telle monographie, pour décrire le mécanisme dérisoire de l'adultère bourgeois, « hippogriffe » au manteau de petit gris.

Quoi qu'ils pensent de ce livre, les uns comme les autres conviendront qu'il ne faut pas dire : « Fon- taine, je ne boirai pas de ton eau », mais : « Fontaine, tu n'es pas une fontaine, tu n'es qu'un jet d'eau ».

« Les grands jets d'eau sveltes parmi les marbres. »

OUVRAGES RÉCENTS

JACQUES HOUBART BELLES BESOGNES

HUGO CLAUS LA CHASSE AUX CANARDS

JOURS DE CANICULE

M. T. PONTY LA VIE DE CHATEAU

ERSKINE CALDWELL UNE LAMPE, LE SOIR...

AMOUR ET ARGENT

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