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LES TECHNIQUES DE CASSATION EN MATIERE CIVILE (CIFAF 2019) M. Laurent POULET Avocat Ordre près le Conseil d Etat et la Cour de Cassation française

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Texte intégral

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M. Laurent POULET Avocat

Ordre près le Conseil d’Etat et la Cour de Cassation française

Avant d’aborder les éléments les plus techniques, je voudrais insister sur la différence entre votre situation et la mienne. Vous intervenez en première instance, en appel et en cassation. Je n’interviens qu’en cassation.

Cela signifie au moins deux choses.

La première, c’est que vous devez préparer l’instance en cassation dès l’appel. Il existe en effet un lien entre les écritures d’appel et de cassation ; des écritures d’appel de qualité faciliteront les choses devant la Cour de cassation. N’oubliez pas qu’il n’est pas possible de présenter des moyens nouveaux en cassation.

La seconde, est qu’il faut que vous acceptiez, en cassation, d’abandonner une procédure perdue d’avance (pas facile quand on a incité un client à poursuivre une procédure ; mais il vous est possible de vous prévaloir des limites du contrôle de cassation).

Vous êtes tous susceptible d’intervenir devant les juridictions suprêmes de vos pays respectifs, ce qui donne son utilité à cette conférence. J’ajouterai que vous êtes également susceptible d’intervenir devant la CCJA qui est également un juge de cassation (avec quelques spécificités). Je rappelle que l’article 23 du Règlement de procédure de la CCJA énonce que « le ministère d’avocat est obligatoire devant la Cour.

Est admis à exercer ce ministère toute personne pouvant se présenter en qualité d’avocat devant une juridiction de l’un des Etats parties au traité ».

Aussi, je me bornerai à vous présenter successivement trois thèmes : la distinction du fait et du droit, les cas d’ouverture et la rédaction du moyen de cassation. Si le temps me le permet, je dirai quelques mots de la procédure d’admission des pourvois.

Avant d’aborder le premier thème, je voudrais insister sur un point. Il faut toujours avoir à l’esprit que la Cour de cassation exerce deux fonctions1 :

- Une fonction juridique, normative. La Cour de cassation est gardienne de l’égalité devant la loi. Elle assure l’unité de l’interprétation de la loi par l’unité de la jurisprudence2.

1 J. et L. Boré, La cassation en matière civile, Dalloz Action, 2009/2010, n°01.93 et 01.94.

2 La faute inexcusable de la loi de 1985 doit être comprise de la même façon devant la CA de Rennes, d’Aix-en-Provence ou de Papeete.

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- Une fonction disciplinaire. La Cour de cassation juge les arrêts. Elle contrôle notamment leur motivation3. C’est ce qui intéresse le plus le justiciable.

Cette précision apportée, je peux vous parler du premier thème : la distinction du fait et du droit.

I – La distinction du fait et du droit

Avant d’envisager la rédaction d’un moyen de cassation, il faut le trouver.

Et, pour le trouver, il faut décortiquer le raisonnement du juge et comprendre ce qui relève du fait et ce qui relève du droit.

En matière de divorce, si un juge constate l’existence d’une faute (par exemple, un adultère) et refuse de prononcer le divorce pour faute. Il y a deux aspects dans son raisonnement : l’adultère a-t-il été commis ? Cela relève du fait.

Cet adultère devait-il entraîner un divorce pour faute ? Cela relève du droit.

En matière d’accidents de la circulation, si un juge constate qu’un piéton a traversé en dehors du passage réservé aux piétons, que celui-ci a été blessé et que le juge lui refuse toute indemnisation. Il y a de nouveau deux aspects dans son raisonnement : le piéton a-t-il traversé en dehors du passage réservé aux piétons ? C’est du fait. Cette faute pouvait-elle priver le piéton de toute indemnisation ? C’est du droit.

= bien distinguer les différentes étapes du raisonnement

II - Les cas d’ouverture

Vous relèverez que les cas d’ouverture que je vais vous présenter se retrouvent dans la plupart des pays d’Afrique et, également, devant la CCJA. Au Bénin, l’article 40 de la loi du 23 octobre 2007 précise que « la chambre judiciaire se prononce sur les pourvois en cassation pour incompétence, violation de la loi ou de la coutume ». Pour sa part, l’article 28 bis du Règlement de procédure dispose que « le recours en cassation est fondé sur : la violation de la loi ; l'incompétence et l'excès de pouvoir ; la violation des formes prescrites par la loi à peine de nullité ;le défaut, l'insuffisance ou la contrariété des motifs ;l'omission ou le refus de répondre à des chefs de demandes ;la dénaturation des faits de la cause ou des pièces de la procédure ;le manque de base légale ;la perte de fondement

3 J. et L Boré, n°01.94 : « fonction disciplinaire, fondée sur la position de supérieur hiérarchique qu’occupe la Cour suprême, qui tend à éviter toute dégradation de la fonction judiciaire en obligeant les magistrats à motiver suffisamment leurs décisions et même à s’abstenir de certaines erreurs d’interprétation grossières, constitutives d’une dénaturation d’un élément d’un procès ».

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juridique ;le fait de statuer sur une chose non demandée ou d'attribuer une chose au-delà de ce qui a été demandé ».

Nous allons partir d’un bon raisonnement. 2 + 2 = 4.

1) La violation de la loi.

C’est le cas d’ouverture par excellence. Le JDF a commis une erreur de droit. 2 + 2 = 5.

Il s’agit du « cas d’ouverture dont la portée normative est la plus forte, puisque c’est par ce type de cassation que la cour exprimera son interprétation du texte »4. Les arrêts de principe sont souvent des arrêts de cassation pour violation de la loi.

1.1. Les différentes formes de violation de la loi.

On enseigne traditionnellement qu’il existe plusieurs formes de violations de la loi5 :

- Le refus d’application : ne pas appliquer la règle à une situation qu’elle devrait régir.

- La fausse application : appliquer la règle à une situation de fait qu’elle ne devrait pas régir.

- La fausse interprétation : le texte à appliquer n’était pas clair, la cour d’appel s’est trompée sur son interprétation. C’est la Cour de cassation, cour régulatrice, qui fixe le sens de la loi.

Exemple : la CA retient la responsabilité contractuelle alors que je dis que c’était de la responsabilité délictuelle. Violation de 1147 (fausse application) et de 1384 al 1 (refus d’application). Car plusieurs articles peuvent avoir été violés.

1.2. Qualifications contrôlées / non contrôlées.

La cassation pour violation de la loi ne peut être prononcée que pour les qualifications contrôlées. Quand c’est souverain, c’est impossible. Par exemple, la faute de 1382 est contrôlée tandis que la faute de 242, c’est souverain.

Notez qu’il n’existe pas de critère général permettant de distinguer les qualifications contrôlées de celles qui ne le sont pas. Certaines qualifications ont été contrôlées puis ne l’ont plus été. Des raisons d’opportunité. Sans doute la Cour de cassation considère qu’il est plus utile d’assurer l’unité du droit en matière de responsabilité que de divorce pour faute.

Essayer de trouver des arrêts prononçant des cassations pour méconnaissance du principe de réparation intégrale du préjudice. Et montrer comment, en étant habile, on arrive à obtenir une cassation alors que c’est souverain.

Ou présenter un moyen de défaut de base légale (il est possible de faire un tel moyen pour les qualifications non contrôlées comme, par exemple, la faute en matière de divorce).

4 J-F Weber, La Cour de cassation, La documentation française, p. 67.

5 J-F Weber, ouvrage précité, p. 67.

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Il faut suivre régulièrement l’évolution de la jurisprudence pour savoir quelles sont les qualifications contrôlées.

2) Le défaut de base légale.

2 + = 5. Peut-être vrai, peut-être faux6. Mais ça ne va pas.

Proche de la violation de la loi. Mais, cette fois, ça touche à la motivation de la décision attaquée. Avec le défaut de base légale, on est un peu entre la violation de la loi et la violation de 455.

On dit traditionnellement qu’il s’agit d’une insuffisance des constatations de fait.

Exemple 1. Dans notre code civil, le fait de se comporter comme un propriétaire, peut conduire à devenir propriétaire. C’est la possession visée aux articles 2255 et suivants du code civil. Il résulte de l’article 2261 du code civil que

« pour pouvoir prescrire, il faut une possession continue et non interrompue, paisible, publique, non équivoque et à titre de propriétaire ». Bref, la possession utile suppose la réunion de plusieurs conditions. Si une CA énonce qu’un possesseur est devenu propriétaire mais que la CA n’a pas caractérisé toutes les conditions de la possession utile, alors son arrêt pourra être censuré pour défaut de base légale : il manque une constatation de fait qui aurait permis de s’assurer que la CA a bien appliqué la loi.

Exemple 2. L’exemple classique est celui dans lequel un juge condamne sur le fondement de la responsabilité civile délictuelle en retenant une faute, un préjudice, mais sans relever l’existence d’un lien de causalité entre les deux.

Il manque un maillon dans le raisonnement !

Comme je viens de vous le dire, par le défaut de base légale, la Cour de cassation censure une insuffisance des constatations de fait. Pourquoi la Cour de cassation, juge du droit, vient-elle ainsi s’immiscer dans les constatations de fait ? Pour une raison qui est très simple. La Cour de cassation pour contrôler l’exactitude juridique du raisonnement tenu par les juges du fond, se fonde sur leurs constatations factuelles. Si ces constatations sont insuffisantes ou imprécises, il est impossible de s’assurer que la règle de droit a bien été appliquée7.

Ici, il y a censure car la relecture ne permet pas de s’assurer que le raisonnement est exact. Peut-être mais peut-être pas.

Moins satisfaisant d’obtenir une cassation pour défaut de base légale qu’une cassation pour violation de la loi. La portée normative de l’arrêt de la Cour de cassation est moindre dans le premier cas que dans le second.

6 On sent qu’on est entre le vrai et le faux. Parfois, la Cour de cassation a envie de censurer et casse pour violation de la loi, comme pour la faute de 242.

7 J. et L. Boré, La cassation en matière civile, Dalloz Action, 2015/2016, n°78.04 : « le contrôle de l’application de la loi se faisant d’après les constatations de fait souveraines de l’arrêt, l’absence ou l’imprécision – volontaire ou non – de ces constatations, aurait mis la Cour régulatrice dans l’impossibilité de remplir sa tâche ».

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Mais bien pratique quand il s’agit du pouvoir souverain : on se rabat alors sur le défaut de base légale. En effet, le pouvoir souverain, ce n’est pas un pouvoir discrétionnaire : le juge doit motiver son arrêt. De sorte qu’il est possible de soutenir qu’un arrêt n’est pas suffisamment motivé8.

3) La dénaturation.

Commençons une précision : rien à faire pour les faits. Pas même de moyen de dénaturation des faits devant la Cour de cassation (possible devant le CE).

La dénaturation concerne essentiellement les contrats et les documents de preuve. Cela signifie que les juges du fond peuvent les interpréter librement, à condition qu’il y ait matière à interprétation. Il faut que l’acte dise blanc et que le juge dise noir. Si on est dans les gris, c’est foutu. En revanche, lorsque leur sens est clair et précis, le juge du fond peut être censuré pour dénaturation.

« ce cas d’ouverture est très souvent invoqué et assez rarement accueilli »9. Imaginons que la CA se soit fondée sur une attestation que j’ai produite pour retenir la faute de l’adversaire. Celui-ci invoque la dénaturation de cette attestation. J’ai intérêt à dire qu’elle était obscure (donc appréciation souveraine, donc pas de dénaturation).

En demande, on soutient que l’acte est clair. Et, en défense, qu’il est obscur.

Ce qui peut poser des problèmes d’articulation avec les écritures d’appel.

4) Le défaut de motifs.

En introduction, j’ai évoqué la fonction disciplinaire de la Cour de cassation. On en a là une belle illustration. En effet, le défaut de motifs est généralement qualifié de « moyen disciplinaire »10.

Je ne vous cache pas que ce n’est pas très satisfaisant d’obtenir une cassation au visa de 455.

455 CPC impose une motivation des décisions de justice. Donc, tous les griefs relatifs au défaut de motivation (défaut de réponse à conclusions, défaut de motivation, contradiction de motifs) sont au visa de cet article.

Défaut de base légale / 455 : très proche. On peut s’amuser à doubler les critiques. Soit pour faire plaisir au client. Soit pour laisser le choix au magistrat.

Imaginons un litige en matière de possession. Mon client est opposé à qqun qui se dit possesseur. Dans ses conclusions d’appel, mon client avait nié que la possession présentait un caractère public. Soit défaut de réponse à conclusions

8 La question de savoir quelles recherches le juge doit effectuer. Il doit effectuer certaines recherches de lui-même :

« Qu’en statuant ainsi, sans rechercher s’il existait un lien de causalité entre cette faute et ce préjudice, la cour d’appel a privé son arrêt de base légale au regard de l’article 1382 du code civil ». Et d’autres, si on les lui demande : « à défaut de rechercher, comme elle y était invitée, si Monsieur X n’était pas exonéré de sa responsabilité en raison d’un cas de force majeure, la CA a privé son arrêt de base légale au regard de … ».

9 J-F Weber, ouvrage précité, p. 68.

10 J-F Weber, ouvrage précité, p. 70.

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(que dans ses conclusions d’appel … qu’à défaut de répondre … 455 du CPC) soit défaut de base légale (qu’à défaut de rechercher, comme elle y était invitée, si la possession présentait un caractère public … MBL 2261).

4.1. Le défaut de réponse à conclusions.

Naturellement, le demandeur et le défendeur au pourvoi ont des stratégies très différentes lorsqu’un défaut de réponse à conclusions est invoqué.

Le demandeur au pourvoi va s’emparer des conclusions d’appel de son client. Il va chercher un petit argument, dans un coin des conclusions, pour dire que la CA aurait dû y répondre11.

Pour sa part, le défendeur va soutenir écrire que la CA n’était pas tenue d’entrer dans les détails de l’argumentation12.

Le défendeur va s’emparer des motifs de l’arrêt pour y trouver une réponse au moyen prétendument délaissé. Il s’agit bien sûr des motifs explicites de l’arrêt.

Mais également des motifs implicites de l’arrêt13. Ou encore des motifs adoptés du tribunal14.

Une cassation pour défaut de réponse à conclusions a une très faible valeur normative. Ça veut juste dire que la CA a négligé de répondre à un moyen. Ça ne veut pas dire que le moyen est fondé. C’est ce qu’on appelle une cassation disciplinaire.

Posons franchement la question : lorsque la Cour de cassation casse pour défaut de réponse à conclusions, est-ce que ça signifie que le moyen auquel il n’a pas été répondu était fondé ? Je suis obligé de répondre de façon nuancée. En principe non : ça ne veut rien dire sur le bienfondé du moyen. En pratique, le juge de cassation doit s’interroger sur le bienfondé du moyen, c’est humain15. Je pense que la Cour de cassation ne casse pas pour défaut de réponse à conclusions lorsque le moyen était complètement fantaisiste.

11 Dans les conclusions récapitulatives, pas dans n’importe quel jeu de conclusions. Sinon, moyen réputé abandonné.

12 Pas simple de distinguer un moyen d’un argument.

13 Difficile à déterminer. Si je reprends l’exemple de la possession. Une partie, A, invoque la possession. Une partie, B, soutient qu’elle n’était pas utile parce qu’elle n’était pas publique.

La CA retient que le possesseur est devenu propriétaire sans répondre au moyen relatif au caractère public de la possession. Ce faisant, le juge a-t-il implicitement mais nécessairement écarté le moyen litigieux ?

14 L’article 955 du CPC dispose que « lorsqu’elle confirme un jugement, la cour est réputée avoir adopté les motifs de ce jugement qui ne sont pas contraires aux siens ». C’est contraire si, par exemple, un tribunal retient la responsabilité contractuelle tandis que la cour d’appel retient la responsabilité délictuelle.

15 Le doyen Perdriau a observé que « de plus en plus souvent [la Cour de cassation usait] de la faculté d’apprécier la pertinence dudit moyen, ou son efficacité sur l’issue du litige » (« Des

« arrêts brévissimes » de la Cour de cassation », JCP 1996, I, n°18).

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« le défaut de réponse à conclusions est très souvent invoqué et finalement peu retenu par la Cour de cassation »16. // dénaturation. Ce sont un peu des roues de secours du pourvoi.

4.2. La contradiction de motifs.

Ça n’arrive preque jamais, du moins devant les chambres civiles17. Il faut qu’il s’agisse d’une contradiction entre des motifs de fait.

Je vous propose 2 exemples en matière de divorce. Voilà un couple marié.

La femme demande le divorce aux torts de son mari parce que celui-ci l’aurait frappée.

1er exemple. Si une CA énonce à quelques lignes d’intervalle que le mari a frappé sa femme puis qu’il ne l’a pas frappée, il existe une contradiction entre des motifs de fait. La cassation est encourue pour contradiction de motifs de fait au visa de 455 du CPC.

2ème exemple. La CA énonce que le mari a frappé sa femme à plusieurs reprises et violemment. Et, plus loin, elle prononce le divorce aux torts de la femme. Cette fois, il s’agit peut-être d’une erreur de raisonnement juridique (si faute du mari, il fallait prononcer le divorce pour faute du mari). Mais il ne s’agit pas d’une contradiction entre des motifs de fait. Donc, impossible de se fonder sur violation 455. La seule possibilité est d’invoquer violation de 242.

NB : ce type de moyen serait en réalité impossible. Tout simplement parce que, comme on l’a vu, l’appréciation de la faute est souveraine (cf supra), donc pas de moyen de violation de la loi (cf supra). Donc, je ne peux rien faire.

4.3. Les motifs dubitatifs.

Le juge doit trancher le litige. Il ne doit pas exprimer de doute.

Il est constant que « les motifs dubitatifs équivalent à une absence de motifs » (Com, 29 mars 1949, Bull III n°154 ; Com, 17 juin 1969, Bull IV n°229 ; Civ 2, 14 novembre 1990, Bull II n°234).

Il existe un certain nombre d’expressions qui caractérisent le doute du juge et qui doivent donc entraîner la censure de sa décision. « Ainsi l’emploi des termes

« aurait », « semblerait », « il est fort probable », « il serait sans doute difficile »,

« laisse à penser que » ou « peut-être » a été jugé conférer au motif qui les renferme un caractère dubitatif, sans d’ailleurs que cette liste soit le moins du monde exhaustive » (Jacques et Louis Boré, La cassation en matière civile, Dalloz Action, 2009/2010, n°78.141).

Noter que les principaux cas d’ouverture qui existent devant la Cour de cassation se retrouvent également devant le Conseil d’Etat, juge de cassation.

16 J-F Weber, ouvrage p. 71.

17 Devant la chambre criminelle, c’est différent. En fait, il y a 3 types de cassation : cassation civile, administrative, et pénale.

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Jusque-là, ce que je vous ai enseigné vous était utile à un double titre. En tant qu’avocat qui instruit d’un pourvoi en cassation. Et en tant que juriste qui examine un arrêt de la Cour de cassation. Mais, à partir de maintenant, mon enseignement sera surtout intéressant pour avocat qui rédige mémoire en cassation.

III - La rédaction du moyen de cassation

Pour que les choses soient bien claires, je dois dire que la déclaration de pourvoi (# contentieux administratif) n’est pas motivée. Donc, le moyen de cassation n’apparaît pas au stade de la saisine de la Cour de cassation mais plus tard, lorsque le demandeur dépose un mémoire ampliatif à l’appui de son pourvoi.

Noter que les textes de droit béninois n’imposent pas que le pourvoi soit motivé. D’autres pays d’Afrique ont fait un choix différent. Ainsi, en Guinée, la requête doit « contenir un exposé sommaire des faits et moyens ainsi que les conclusions » (article 56 de la loi organique du 23 décembre 1991 portant attributions, organisation et fonctionnement de la Cour suprême de la République de la Guinée)18. Au Gabon, l’article 554 du CPC dispose que « la requête […] doit contenir […] l’énonciation sommaire des moyens de droit et des pièces dont le demandeur entend faire état ». Pour sa part, l’article 28 du Règlement de procédure de la CCJA énonce que le recours doit contenir « les conclusions du requérant et les moyens invoqués à l'appui de ces conclusions » ; le recours doit être motivé.

Dans le mémoire ampliatif, le moyen est la seule chose qui compte. Le reste est accessoire. Faits, procédure : chronologique, objectif.

Par ailleurs, le mémoire en défense est important. Mais, sincèrement, le cœur de tout pourvoi en cassation, c’est le moyen.

Distinguer le moyen de la branche. Un moyen unique en une branche. Un moyen unique en plusieurs branches.

Quid de l’ordre des moyens quand il y en a plusieurs : moyens de forme avant les moyens de fond. Moyens permettant d’obtenir la cassation totale avant moyens permettant d’obtenir la cassation partielle. Cela se rejoint : un moyen de forme permet d’obtenir la cassation totale de l’arrêt, d’où l’intérêt de le placer en tête du mémoire.

Je vous présenterai d’abord la structure du moyen (1) avant de vous parler du moyen complexe (2).

1) La structure du moyen.

Cette structure est dictée par le CPC. L’article 978 al 2 de ce code dispose :

« A peine d’être déclaré d’office irrecevable un moyen ou un élément de moyen ne doit mettre en œuvre qu’un seul cas d’ouverture. Chaque moyen ou chaque élément de moyen doit préciser, sous la même sanction :

- le cas d’ouverture invoqué ; - la partie critiquée de la décision ;

- ce en quoi celle-ci encourt le reproche allégué ».

18 L. Poulet, article précité, n°24.

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3 parties dans le moyen. Le moyen fait grief à l’arrêt attaqué D’avoir / Aux motifs que / Alors que

D’avoir : désigne le chef de l’arrêt attaqué que l’on entend critiquer (ne pas oublier que la Cass ne juge pas un litige mais contrôle la légalité d’un arrêt). Il peut y avoir un ou plusieurs moyens, en fonction du nombre de chefs attaqués.

Par exemple, une affaire en matière de responsabilité. La victime se retourne contre l’auteur de la faute et son assureur. La CA retient la faute du responsable du dommage mais pas la garantie de l’assureur. Il y a donc deux chefs distincts dans l’arrêt. On peut imaginer que la victime fasse un pourvoi. Naturellement, il ne va pas critiquer le chef de l’arrêt par lequel la CA a retenu la faute du responsable. La victime n’a intérêt qu’à critiquer le chef de l’arrêt par lequel la CA refuse de retenir la garantie de l’assureur. Son mémoire ampliatif comportera donc un moyen unique de cassation. On pourrait imaginer que le responsable introduise un pourvoi. Il aurait intérêt à critiquer les 2 chefs de l’arrêt : celui par lequel la CA retient sa faute et celui par lequel la CA refuse de retenir la garantie de l’assureur. Il doit donc formuler 2 moyens de cassation : un contre chacun des chefs de l’arrêt.

Il faut donc retenir que qu’un seul chef de l’arrêt doit être visé dans le D’AVOIR.

Aux motifs que : en gros, on recopie les motifs utilisés par la CA pour justifier sa décision. Uniquement les motifs qui justifient le chef que l’on attaque.

Alors que : c’est la critique. C’est ce que l’on appelle une branche.

Eventuellement, plusieurs branches dans un même moyen.

Dans un premier temps, il faut trouver une faille. Puis mettre en forme la critique en rédigeant un Alors Que.

Souvent, le Alors que est divisé en deux : on commence par rappeler la règle de droit avant d’envisager son application au cas d’espèce. Le Alors que doit être rédigé en entonnoir.

Alors qu’un fait grave ou renouvelé constitue une faute en matière de divorce ; qu’en subordonnant le prononcé du divorce pour faute à la preuve d’un fait grave et renouvelé, la CA a ajouté une condition à la loi, en violation de 242.

On voit bien là que, au même titre que la Cour de cassation juge l’AA, je critique l’AA.

Noter que la branche est un serpent qui se mord la queue : on retrouve au début de la branche la substance de l’article visé à la fin.

2) Le moyen complexe.

Lorsqu’un moyen est mal rédigé, la Cour de cassation peut le déclarer irrecevable. Le fait que ça arrive que la Cour de cassation déclare qu’un moyen est complexe19.

19 Civ 2, 25 mars 2010, Bull II n°68.

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Le plus dangereux est la rédaction du D’AVOIR et du ALORS QUE.

S’agissant des motifs, sauf à les tronquer, a priori pas un grand danger d’irrecevabilité.

Ne pas attaquer 2 chefs de l’arrêt dans un même D’AVOIR. Il ne faut pas tout mélanger. Par exemple : le moyen fait grief à l’arrêt attaqué d’avoir prononcé le divorce aux torts du mari et d’avoir fixé la résidence principale de l’enfant chez la mère. On parle de quoi ? Du prononcé du divorce ou de la garde de l’enfant ? Ne pas tout confondre !

Il est donc nécessaire de bien rédiger le D’AVOIR. Ce n’est pas toujours facile20.

Ne pas invoquer 2 cas d’ouverture distincts dans un unique ALORS QUE.

Par exemple, un moyen qui serait ainsi rédigé : ce faisant, la cour d’appel a privé son arrêt de base légale et violé l’article 1382. Non ! Soit c’est une violation de la loi soit c’est un MBL. Ou encore quelqu’un qui invoque à la fois défaut de base légale et violation de 455 du CPC (# si on fait 2 branches distinctes, comme je l’envisageais plus tôt). Cela signifie que le moyen (pas le pourvoi) est irrecevable et que, ensuite, la responsabilité de l’AAC risque d’être engagée.

Noter que le moyen complexe est également déclaré irrecevable dans un certain nombre de pays d’Afrique. Ainsi en est-il au Bénin21. Pour sa part, la CCJA n’hésite pas à juger irrecevables les moyens dont la rédaction est vague ou imprécise22.

20 Soit un arrêt qui condamne un responsable à verser une somme de 10.000 € à titre de DI. Je fais un pourvoi au nom de la victime, qui aurait aimé obtenir davantage. Dois-je écrire que je fais grief à l’arrêt attaqué d’avoir condamné le responsable à verser 10.000 € (c’est exactement le chef de l’arrêt attaqué, mais ça fait bizarre) ou bien d’avoir limité le montant de la condamnation du responsable à 10.000 € (ce n’est pas exactement le chef de l’arrêt attaqué, mais c’est plus logique).

21 Cour suprême, n°004/CJ-P, 17 juillet 2009 : « le moyen unique soulevé par le demandeur est complexe en ce qu’il met en œuvre trois cas d’ouverture à cassation qui sont une contradiction entre les motifs et le dispositif, une violation des articles 120, 124 et 125 du code de procédure pénale et un manque de base légale » (cité par Gilbert Comlan Ahouandjinou, « La cassation en matière pénale », Ordre des avocats du Bénin, session de formation continue 2015, p. 20).

22 CCJA, 8 janvier 2004, n°05/2004 : « attendu que ce moyen, qui est vague et imprécis et ne vise aucun texte qui aurait été violé ou faussement appliqué, est irrecevable » (sous 28, p. 90).

CCJA, 2ème chambre, 16 mai 2013, n°41/2013 : « attendu que cette branche est imprécise, ne disant pas en quoi, l’autorité de la chose jugée retenue pour déclarer la deuxième requête en mainlevée irrecevable, est en contradiction avec les dispositions relatives à la compétence de la Cour de céans ; qu’il échet dire qu’elle est irrecevable ». Sous 14 Traité, p. 24 ; imprécision d’un moyen devant la Cour.

CCJA, 2ème chambre, 22 octobre 2015 (date audience publique) n°106/2015, Marcel Fina Matchiona Malela C/ Dandy Makaya et consorts : « attendu que le moyen ne précise pas en quoi la Cour a violé cette disposition qui traite seulement du point de départ de la personnalité juridique et nullement d’une confusion de patrimoines ou de débiteurs ; que devant cette imprécision, il échet dire que le moyen est irrecevable et le pourvoi doit être rejeté ». Sous 14 Traité, p. 33 : moyen imprécis. Sous 14, p. 35 : autre cas de moyen imprécis.

CCJA, 26 décembre 2002, arrêt n°22.2002, sous 18, p. 43 : « attendu qu’aux termes de l’article 28.1 alinéa 2 « le recours indique les actes uniformes ou les règlements prévus par le traité dont l’application dans l’affaire justifie la saisine de la cour » ; attendu que le recours de la société […] n’indique ni les actes uniformes ni les règlements prévus par le traité dont l’application dans l’affaire justifie la saisine de la cour, comme l’exige l’article précité ; que, par ailleurs, les moyens présentés sont vagues et imprécis ; d’où il suit que ledit recours doit être déclaré irrecevable ». Cet arrêt a un double intérêt (vague et imprécis ; ne vise pas les AU violés).

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On a vu que le moyen critiquait un arrêt. Il en va de même de la discussion à l’appui de ce moyen, il faut toujours passer par la médiation de l’arrêt attaqué. Je ne vais pas écrire : la charge de la preuve pesait sur Y. Mais : c’est à tort que la CA a fait peser la charge de la preuve sur X. Et, en défense : c’est à juste titre que la CA…

Il ne s’agit pas de refaire le procès mais de contester l’arrêt soumis au contrôle de la Cour de cassation ; la Cass ne tranche pas le litige mais contrôle la légalité des décisions juridictionnelles.

C’est là que l’on cite la jurisprudence et la doctrine.

Noter que la rédaction du moyen de cassation est beaucoup plus libre devant le Conseil d’Etat.

IV - La procédure d’admission des pourvois

J’évoquerai d’abord l’origine de l’institution (1) puis la pratique de la non-admission (2).

1) L’origine de l’institution.

A l’époque de la loi du 25 juin 2001, cette réforme visait à combattre l’encombrement de la Cass. En 2000, durée moyenne des affaires devant les chambres civiles : 768 jours23 (2 ans).

A cette époque, le Conseil d’Etat a trouvé une parade pour limiter son encombrement : l’institution, en 1987, d’une procédure d’admission des pourvois24.

La loi du 25 juin 2001 a donc mis en place devant la Cour de cassation une procédure analogue.

Contrairement à ce que pensent beaucoup de juristes, cette procédure ne constitue pas un « pré-filtre ». Beaucoup pensent que, dans un premier temps, la Cour de cassation examine si le pourvoi est recevable et sérieux, avant, dans un second temps de statuer dessus.

En réalité, cette procédure ne constitue pas un pré-filtre. L’instruction du pourvoi n’est pas accélérée (pourvoi/MA/MD/rapporteur/AG). Il s’agit simplement d’un arrêt de rejet, non motivé parce que la question posée par le pourvoi n’est pas suffisamment sérieuse25 pour justifier un arrêt motivé.

23Rapport annuel 2003, p. 595.

24 Didier Le Prado, « Le moyen sérieux, outil de régulation de l’accès au juge de cassation », Justice et cassation, p. 215 et s., spéc p. 217 : « grâce à lui, le nombre annuel de pourvois devant le CE a diminué régulièrement pour être aujourd’hui de l’ordre de 5000 ».

25 Il résulte de l’article L. 131-6 du COJ qu’il existe deux motifs à la NA des pourvois devant la Cour de cassation :

« les pourvois irrecevables ou non fondés sur un moyen sérieux de cassation ».

(12)

2) La pratique de l’institution.

Aujourd’hui, les décisions de non-admission représentent environ un tiers des décisions rendues par la Cour de cassation26.

La Cour de cassation est une institution beaucoup plus efficace qu’auparavant et que le temps d’instruction des pourvois a fondu. Aujourd’hui, elle statue environ en 13-14 mois là où, il y a quelques années, elle aurait statué en plusieurs années. A l’évidence, la mise en place des décisions de non- admission a permis de faciliter cette accélération. A mon sens, aujourd’hui, le délai est très raisonnable.

26 Devant Civ 1 : 35%, Civ 2 : 33%, Civ 3 : 20%, Com : 30%, Soc : 23%, Crim : 34 % ou 38% selon qu’on se réfère à l’ensemble des pourvois jugés ou des pourvois soutenus (Rapport 2012, p. 518).

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