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Russie : le «système Poutine» 1

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Russie : le « système Poutine »

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Pas de suspens à Moscou. Le candidat de Russie unie – et vainqueur annoncé - à la

présidentielle du 2 mars a proposé de prendre l’actuel président comme Premier ministre. Que M. Poutine le devienne ou pas, l’essentiel est de perpétuer le système en place. Ce qui ne va pas nécessairement de soi.

Personne n’attendait de surprise des élections législatives russes de décembre. Le parti présidentiel a emporté la mise haut la main. Place à la présidentielle qui aura lieu début mars. Là encore, le suspense est nul. Certes, Vladimir Poutine ne peut briguer un troisième mandat, mais on connaît son successeur.

Le scénario annoncé se déroule comme prévu. Quelques jours après le scrutin législatif, le candidat de Russie unie désigné par Poutine proposait de prendre l’actuel président comme Premier ministre. M.

Medvedev, le dauphin adoubé, est apparu ainsi comme le futur masque de son patron au Kremlin.

L’actuel président a insisté, pour sa part, sur la nécessité d’une majorité large et stable et une présidence forte pour poursuivre les réformes entreprises et rendre à la Russie la place qu’elle revendique sur la scène internationale. Il a assurément construit l’une et l’autre, en tout cas pour le court terme.

Bien des commentateurs occidentaux et les partis d’opposition se sont gaussés de cette mise en scène si bien organisée. Les uns et les autres estiment qu’en choisissant Dimitri Medvedev comme successeur, un homme qui lui doit tout, le chef de l’Etat aura le loisir de garder la main sur l’équipe au pouvoir. Si l’élection se transformait en triomphe, alors « cela signifiera en principe que la majorité écrasante des citoyens me fait confiance et me confère donc le droit moral de demander des comptes à tous ceux qui travailleront, à la Douma et au gouvernement » avait d’ailleurs lancé M. Poutine à la veille de l’élection du Parlement.

Sans surprise, M. Medvedev a justifié son « offre » comme un moyen de « garantir la continuité de l’orientation engagée depuis huit ans », celle-là même qui, à l’en croire a évité « une guerre civile ». Il a évoqué devant les caméras de télévision une nouvelle étape de la construction du pays. « On a accumulé assez d’énergie (…). Maintenant il nous faut transformer ce succès économique des huit dernières années dans des programmes sociaux réels », a-t-il déclaré. Une façon d’évoquer un des problèmes les plus lancinants du pays sans répondre concrètement aux besoins des millions de salariés lésés. Certains ont commencé dans la dernière période à relever la tête, comme le suggère l’émergence, nouvelle dans le pays, de luttes sociales. Désireux de mettre en place un capitalisme à la russe, teinté de beaucoup d’autoritarisme, le premier vice-premier ministre, âgé de quarante-deux ans et originaire de Saint-Pétersbourg comme son encombrant parrain, est bel et bien un libéral qui veut introduire dans l’économie globalisée des entreprises russes, jusqu’ici essentiellement cantonnées dans le secteur de l’énergie.

L’héritage d’Eltsine

Pour avancer dans la voie annoncée, le futur président jouera une nouvelle fois sur le terrible passif de l’époque de Boris Eltsine, celui d’un pouvoir corrompu qui n’avait rien à refuser à Washington et avait

1 Analyse parue dans le N° 340 du Journal du mardi, 8 janvier 2008.

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initié un véritable dépeçage des structures et des richesses du pays : celles-ci étaient passées entre les mains d’ex-apparatchiks prêts à se vendre au plus offrant des groupes occidentaux, à l’instar du groupe pétrolier Loukos tout près de passer sous la coupe d’un des majors états-uniennes.

En avril 2005, M. Poutine avait déjà lancé cette diatribe qui avait fait scandale en occident : « Il faut reconnaître que la chute de l’URSS a été la plus grande catastrophe géopolitique du siècle (…) L’épidémie de la dislocation a gagné la Russie. L’épargne des citoyens a été dévaluée, les vieux idéaux ont été détruits, nombre d’institutions dispersées (…) On a accepté comme ‘norme’ la misère de masse.

Tout cela s’est accompli avec pour toile de fond la chute de l’économie, l’instabilité financière, la paralysie de la sphère sociale. » Un type de discours qui s’est avéré payant. Et pour cause. « Quand M.

Poutine accède (…) la Russie est profondément déstabilisée » rappelle Jean Radvanyi, auteur de « La Nouvelle Russie »2. Qui énumère : les responsables locaux encouragent le népotisme et la corruption, les grandes sociétés russes privées ou semi-publiques créées sous l’ère Eltsine détournent impôts et taxes, « c’est le fonctionnement même de la Fédération de Russie qui se trouve mis en péril. » Sur le plan international, le pays que doit gérer Poutine n’est plus que l’ombre de lui-même et le traumatisme est grand dans la population face à l’incessante offensive menée par les Etats-Unis et leurs alliés pour piétiner l’ours blessé. « Dans ce contexte, note Jean Radvanyi, les dirigeants russes, bien au-delà du parti au pouvoir, ont beau jeu de persuader l’opinion de leur pays que les Etats-Unis avec l’assentiment tacite de l’Union européenne – cherchent à affaiblir irréversiblement la Russie. » Un jeu hasardeux dans lequel Vladimir Poutine semble décidé à rendre coup pour coup.

Course aux armements

Sur la scène internationale, certains se rassurent – et tentent de rassurer leurs opinions – en affirmant que, fin joueur, Poutine est avant tout un bluffeur. Mais est-ce bluffer qu’annoncer ce qu’on fera et faire ce que l’on a annoncé ? La décision, par exemple, de cesser d'appliquer le traité sur les forces conventionnelles en Europe (FCE), une des clés de voûte de la sécurité en Europe et qui limite les forces militaires qui peuvent être déployées de l'océan Atlantique aux montagnes de l'Oural, est une réponse, annoncée de longue date, à l'expansion militaire de l'OTAN et notamment au projet américain de déploiement d'un bouclier antimissile en Pologne et en République tchèque. « Le traité ne correspond plus depuis longtemps aux réalités contemporaines et aux intérêts de la Russie dans le domaine de la sécurité », a expliqué le ministère des Affaires étrangères russe.

A tout le moins, M. Poutine montre une rude propension à mettre en lumière des dossiers à haute charge explosive que certains leaders occidentaux préféreraient gérer en douce. Avec une certaine brutalité, certes. Sans se perdre en tout cas dans d’oiseuses circonlocutions, comme lorsqu’en février 2007, il a jeté à Munich un très lourd pavé dans la mare : « Un pays, les Etats-Unis, sort de ses frontières nationales dans tous les domaines. C’est très dangereux : plus personne ne se sent en sécurité, parce que personne ne peut plus trouver refuge derrière le droit international. » « Ceci alimente une course aux armements, avec le souhait de pays de se doter d’armes nucléaires. » Il avait accusé à nouveau les Etats-Unis de développer de nouvelles armes offensives, prenant pour preuve le bouclier antimissile qui pourrait constituer une menace pour les armes stratégiques russes. « Ainsi, l’équilibre n’existera plus du tout. Ce qui veut dire que l’une des parties aura les mains libres pour des conflits locaux, et probablement globaux. »

2 « Pourquoi le président Poutine est si populaire en Russie » par Jean Radvanyi, dans Le Monde diplomatique de décembre 2007. « La nouvelle Russie » est paru aux éditions Armand Colin, Paris, 2007.

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Mais Poutine – on en a moins parlé – avait contre proposé des alternatives. Il avait prôné la reprise du dialogue sur les sujets qui fâchent (élargissement de l’OTAN, Iran, Kosovo…) « tout « en poursuivant la réduction des armements nucléaires. » Une vision de la sécurité globale apparemment devenue iconoclaste puisqu’elle semble avoir échappé à l’époque à pratiquement toute la presse internationale et fortement déçu une Maison-Blanche «surprise » …

Surenchère nationaliste

Avec la même volonté de rappeler à tous que « la Russie est de retour » - mais il s’agit moins d’en revenir au face à face de la guerre froide que de défendre ses intérêts nationaux, ou du moins la conception que s’en font Poutine et ses amis -, Moscou assure qu’elle n’abandonnera pas la Serbie dans le dossier kosovar et est aussi intervenu vigoureusement dans le cadre du traitement de la délicate « question iranienne ». Vladimir Poutine a confirmé son appui appuyé au droit de Téhéran à se doter du nucléaire civil. Il va même au-delà en vendant des missiles à l’Iran. Des décisions aux conséquences hasardeuses, sans doute, qui vont de pair avec un énorme effort de modernisation des forces armées russes (alors que la population fait face à de sérieux problèmes sociaux, le budget de la défense ne cesse de croître dans d’importantes proportions). Mais qui renvoient à autant de postures unilatérales du « camarade loup » de Washington. Dans tout cela, et quoi que l’on pense du caractère peu orthodoxe de la diplomatie « poutinienne », c’est à la stratégie d’encerclement de la Russie et de main mise sur le « Grand Moyen-Orient », ses richesses en hydrocarbures et ses enjeux stratégiques au cœur de l’Asie que répond le Kremlin, bien décidé à redevenir un acteur majeur sur la scène internationale, répond. Au risque d’attiser les surenchères nationalistes. Le manifeste du parti présidentiel ne prône-t-il pas une politique « de redressement du pays contre des adversaires qui ne lui ont laissé qu’une place humiliante dans l’histoire » ? Et au grand dam de ses voisins quand Moscou brandit la menace d’un arrêt des livraisons de gaz.

« Démocratie contrôlée »

Poutine et les siens font assurément preuve de la même « vigueur » au plan intérieur. Ils se sont forgé tout un vocabulaire pour décrire le système qu’ils imposent au pays : « verticale du pouvoir »,

« démocratie dirigée », « capitalisme administré », « démocratie souveraine »… Reconstruire le pays, mettre au pas les oligarques, une administration inefficace et les potentats locaux corrompus, cela nécessite un Etat fort. Comprenez où toute concurrence est muselée ou doit se soumettre. Vladimir Poutine a donc, patiemment, systématiquement, placé ses hommes-liges - souvent issus, comme lui- même, des services secrets (FSB) - ou des militaires aux postes-clés du pouvoir, au sein d’une administration présidentielle pléthorique. Il s’est donné un parti – Russie unie – composé de députés fidèles, majoritaires à la Douma. En 2000, il a créé sept circonscriptions fédérales où ses missi dominici ont tout pouvoir pour faire respecter la loi. En 2004, l’élection des gouverneurs de région au suffrage universel a été supprimée au profit d’un vote de l’Assemblée locale sur un candidat délégué par le Kremlin.

Cette « démocratie administrée » va de pair avec le « capitalisme administré ». « En juillet 2000, le président convoque au Kremlin vingt et un oligarques et leur met un marché en main : s’ils ne veulent pas que l’administration fouille dans leur passé, ils doivent soutenir l’effort du gouvernement pour le

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redressement du pays tout en s’abstenant d’intervenir dans le champ politique. »3 La plupart ont cédé.

D’autres ont dû s’exiler comme Boris Berezovski. Mikhaïl Khodorkovski a été envoyé en prison et son groupe Loukos démantelé. Son arrestation a fait scandale en Occident. Il avait certes l’intention de se présenter à l’élection présidentielle. Mais il voulait aussi vendre une bonne partie de son groupe pétrolier à l’américain Exxon-Mobil. Mauvais choix, alors que l’administration présidentielle engageait la mise sous contrôle des secteurs stratégiques (pétrole, gaz, nucléaire, armement). Depuis lors, l’accent est mis sur la diversification du tissu industriel en s’appuyant sur la rente pétrolière.

Certes, les libertés individuelles et collectives n’y trouvent pas leur compte. Gilles Favarel-Garrigues, chercheur français en sciences politiques, décrit ainsi « les leviers qu’emploie le nouveau président pour réaliser son projet de restauration de l’autorité de l’État : contrôle des principaux canaux d’information, maîtrise de la hiérarchie judiciaire, usage de l’intimidation pour mettre au pas les diverses composantes de l’élite russe (milieux d’affaires, hauts fonctionnaires, leaders politiques régionaux), création d’un ‘ parti du pouvoir’ auquel les décideurs doivent prêter allégeance, dénonciation des ennemis intérieurs et extérieurs qui menacent la survie du régime, etc. »4 Jean Radvanyi complète le tableau en évoquant « les faiblesses structurelles de l’Etat : corruption latente des services de sécurité, absence de séparation entre les pouvoirs exécutifs et judiciaires, laxisme envers les groupes extrémistes, en particulier xénophobes ou de skinheads (…) A bien des égards, la ‘démocratie dirigée’

tient de l’euphémisme commode. Il faudrait parler de ‘démocratie manipulée’ quand le pouvoir n’hésite pas à attirer à lui les représentants de l’opposition sensibles à l’octroi de postes ou de privilèges, ou lorsque se multiplient les liens personnels entre les mondes politiques et économiques. » On comprend que, vantant la démocratie et le multipartisme comme garants d’une « stabilité réelle de la Russie à long terme », Poutine ne voit pas cette configuration avant « des décennies ».

Mouvements sociaux

Une large majorité des Russes estiment toutefois que Vladimir Poutine et son clan leur ont apporté au moins l’illusion d’une double stabilité, institutionnelle et économique, malgré les fractures sociales qui déchirent la société. A la veille des élections législatives, des mouvements sociaux se sont multipliés en Russie, de nombreux Russes sont victimes de l’inflation, alors que dans le même temps une poignée d’entre eux s’enrichissent. Selon le Parti communiste, le deuxième parti en importance, « 10 % de riches possèdent 90 % des biens alors que 38 millions de retraités vivent avec moins de 3 000 roubles par mois (100 euros) ». En 2007, une vague de mouvements sociaux s’est répandue de la Sibérie au Caucase, dans les secteurs de la métallurgie, du pétrole ou des transports, bien que le droit de grève soit limité. Depuis quelques mois, on assiste dans diverses entreprises à la naissance de nouveaux syndicats. « C’est quand il y a un début de croissance que les gens peuvent comparer leur niveau de vie avec les autres groupes sociaux et il peut en découler des frustrations », analyse Gilles Favarel- Garrigues.

3 ibidem

4 « Les raisons d’un soutien populaire » dans L’humanité du 29 novembre 2007. Gilles Favarel-Garrigues a publié « La police des mœurs économiques de l’URSS à la Russie » (CNRS Editions, France)

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Pour Boris Kagarlitski, journaliste et politique, directeur de l’institut des problèmes de la mondialisation à Moscou, qui voit une aggravation prochaine de la situation économique et des tensions sociales, « le niveau de vie des Russes s’est amélioré pendant ses deux mandats (de Poutine). Comme le disait un ministre : nous sommes passés de la misère à la pauvreté. Mais l’inflation commence à reprendre, et une réforme du logement social est en préparation. Les logements communaux, par exemple, sont en voie de privatisation en répondant aux critères du marché. À cette réforme vont succéder d’autres, sur l’éducation et sur la santé. Même s’il n’a peut-être rien contre, Poutine tient à sa popularité et préfère laisser cela à d’autres. Ce n’est pas le Kremlin qui prend les décisions : le président de Russie est une sorte de PDG d’une compagnie dont il n’est pas le propriétaire, c’est un job technique. Ceux qui prennent les décisions, c’est un consortium de cinq ou six corporations comme Gazprom», le géant de l’énergie5.

Conclusion ?

Le « système Poutine » est-il alors plus fragile qu’il y paraît ? The Moscow Times, journal indépendant en anglais lancé en 1992 à destination de la communauté étrangère de Moscou et les hommes d'affaires russes, qui évoquait plusieurs cas de figure pour l’après-présidentielle, s’est demandé si

« Poutine (Premier ministre ou pas, ndlr) et Medvedev vont présider autre chose qu’une coquille vide ? » : face à une insatisfaction sociale qui risque d’exploser, « les élites russes sont peut-être en train de semer les graines de leur propre destruction.6 »

Plus prudent, le journaliste belge Jean-Marie Chauvier, auteur de nombreux reportages en Russie, note que « Russie unie n’est encore qu’un conglomérat d’élites sans idéologie ni programme, n’ayant de

‘ciment’ que le leadership de Vladimir Poutine et la peur d’une ‘déstabilisation’ ».7 Le danger d’un affaissement du système, sur fond de guerre des clans, est sans doute l’élément qui plaide le plus en faveur du maintien du président sortant dans la position de l’homme fort. Une option qui a ses limites si elle ne prend pas à bras le corps les contradictions croissantes entre avidité des nouvelles nomenklaturas et exigences des laissés-pour compte, entre autoritarisme bureaucratique et aspiration à une société plus ouverte.

5 « Pour l’opinion ce qui compte, c’est le climat social », L’Humanité du 1er décembre 2007.

6 « The Power Paralysis », The Moscow Times, le 24 décembre 2007.

7 « Elections du 2 décembre 2007 en Russie, dernier bilan ». J-M Chauvier, le 8 décembre 2007. Cité sur le site

« Investigaction » de Michel Collon.

Références

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