• Aucun résultat trouvé

Strategies for Organic and Low-input Integrated Breeding and Management

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2022

Partager "Strategies for Organic and Low-input Integrated Breeding and Management"

Copied!
19
0
0

Texte intégral

(1)

Suivi d'une expérience de sélection participative en cours l'exemple du projet européen SOLIBAM

Strategies for Organic and Low-input Integrated Breeding and Management

par Bérangère Storup, FSC et Patrick de Kochko, RSP

Sommaire

Introduction

1. La naissance puis l'évolution du projet sur les croisements de blé

2. L'intégration du projet de croisements de blé au programme de recherche européen 3. Les objectifs des acteurs

4. Les rôles remplis par les différents acteurs a. Les paysans

b. L'animateur/technicien

c. L'équipe de recherche du Moulon d. Les apports mutuels

e. Le code de conduite contractuel

5. Le processus de co-construction d'une méthode commune a. Des variétés adaptées aux terroirs

b. Une méthode de gestion participative de la biodiversité à la ferme c. Les représentations des acteurs et la co-construction des savoirs d. Le respect de tous les savoirs

e. Le cheminement vers la confiance 6. Les contraintes

a. Les temps d'échanges b. Les temporalités différentes c. Les langues de travail

d. Les contraintes liées au cadre académique e. Les personnes intermédiaires

7. Les points positifs

8. Les recommandations des acteurs Conclusions

Introduction

Contexte de l'étude

Un des volets du projet « Co-construction des savoirs et des décisions dans la recherche : l'exemple de la sélection participative en agri-environnement », consiste à faire le suivi d'un projet de sélection participative en cours. Il s'agit du suivi du projet de croisements de blés tendres réalisés à la ferme, initié depuis 2005 par Jean-François Berthellot, pour le Réseau Semences Paysannes (RSP) et l'équipe d'Isabelle Goldringer de l'INRA-Moulon. Il nous a été demandé d'analyser le contexte actuel du projet, aujourd'hui inclus au sein du projet européen SOLIBAM. Le document suivant comporte deux aspects: le premier est sociologique, basé sur des entretiens et l'autre plus plus "historique/politique".

D'une part, l'analyse sociologique a permis d'analyser le processus avec un œil extérieur au projet. 9 entretiens ont été menés, de décembre 2010 à avril 2011: du côté des paysans du RSP : Rapahël Baltassat, Jean-François Berthellot, Florent Mercier, Olivier Ranke, Bernard Ronot ; du côté de l'équipe du Moulon :

(2)

Isabelle Goldringer (chercheuse), Nathalie Galic (technicienne), Mathieu Thomas et Pierre Rivière (doctorants). Les paysans du réseau interrogés ont été choisis en fonction de la compatibilité de nos agendas respectifs, de la localisation géographique et des évènements qui nous ont permis de nous rencontrer (par exemple, le séminaire organisé à Angers en février 2011). Chaque entretien a duré entre 45 et 80 minutes.

Une grille d'entretien a été réalisée préalablement, après une première discussion avec Isabelle afin de commencer à comprendre le projet. Les attentes qui ont été formulées par Isabelle visaient une meilleure compréhension du projet en général ; l'aspect historique ; la reconnaissance scientifique ; faire un schéma des interactions ; ainsi que des propositions pour mieux avancer. Nous avons donc essayé, au fil des entretiens, de mieux comprendre les processus d'implication des uns et des autres au fur et à mesure de l'évolution du projet ainsi que leurs motivations, les différentes interactions des uns et des autres, etc. Les entretiens se sont déroulés de façon ouverte, ont été enregistrés et totalement retranscrits, afin de pouvoir citer les dires de chacun. Nous avons certes un point de vue extérieur, mais devant la richesse des entretiens, il a été délicat d'analyser un processus qui a semblé clair et finement analysé par chacun des acteurs. Les extraits d'entretiens sont ordonnés selon des thématiques précises, et peu commentés car les extraits parlent d'eux-mêmes : attentes des acteurs, enjeux, rôles, contraintes, points positifs, recommandations, etc. Les schémas visent à éclairer en un coup d'oeil le projet : le schéma des interactions inventorie les interactions des différents acteurs interrogés. Le schéma des évènements vise à redonner une chronologie aux évènements, des premiers échanges autour des blés, à la mise en place du projet Solibam.

Ce document s'attache d'autre part à retracer la génèse du projet, à travers la plume de Patrick de Kochko, animateur du groupe blé au sein du RSP, et impliqué dans le projet depuis son origine. Il met en valeur les aspects historiques et politiques du projet. Le point de vue de l'animateur permet d'éclairer sur des processus à l'oeuvre au sein du projet. Ce document permet donc de conjuguer deux expériences différentes mais sans doute complémentaires autour d'un même projet.

Description du dispositif

Le projet européen SOLIBAM est divisé en plusieurs segments, appelés Work Packages. Le Work Package 6 est intitulé "sélection participative et gestion à la ferme". Il est dirigé par Stefania Grando, qui a succédé Salvatore Ceccarelli à l'ICARDA, (Institut International de Recherche Agricole dans les Zones Arides) après avoir travaillé de nombreuses années avec lui. Ils sont tout deux chercheurs spécialisés dans la sélection de l'orge.

L'objectif affiché est de capitaliser sur les expériences de paysans et autres acteurs impliqués dans la production de nouvelles pratiques et connaissances, en ligne avec les transformations en cours des modes de production des connaissances. L'objectif spécifique de ce volet du programme SOLIBAM est de développer des stratégies de sélection participative qui répondent à la demande des paysans travaillant sur de petites structures, en agriculture biologique et à faibles intrants, en Europe et dans les pays en voie de développement.

La sélection participative permet aux plantes de se développer sous les effets combinés de la sélection naturelle et humaine et prend en compte la diversité des pratiques, des besoins, des attentes et des traditions des paysans ainsi que des préférences des consommateurs. Ce projet essaiera de développer de nouvelles ressources génétiques, populations ou variétés, spécifiquement adaptées à ces conditions et donc plus facilement adoptées par les paysans.

L'approche retenue repose sur l'analyse critique des pratiques habituelles et la mise au point collective de méthodes et leur évaluation. Particulièrement, le WP6 est censé :

• faire une analyse historique des expériences de sélection participative dans le monde afin d'identifier les différentes structures et organisations impliquées, leur résultats et les problèmes spécifiques.

• développer des procédures efficaces de sélection participative basées sur l'analyse et l'évaluation des pratiques paysannes

• évaluer les effets de la sélection paysanne sur l'évolution de la diversité et la performance dans un contexte agro-écologique donné.

Deux aspects fondamentaux sont pris en considération : (I) comment l'organisation de la sélection et les interactions entre les différents acteurs produisent des stratégies de sélection innovantes et (II) les caractères spécifiques de la création variétale et la gestion de la diversité à la ferme.

Le RSP est plus spécifiquement impliqué avec l'équipe d'Isabelle Goldringer dans la troisième tâche visant à évaluer l'impact de la sélection participative sur la création variétale et la gestion de la diversité.

(3)

Les blés de pays sont les variétés paysannes les plus connues car ils ont été sélectionnés par des générations de paysans pour leur adaptabilité et d'autres caractères comme les arômes, les qualités boulangères, la production de paille etc. Ces populations (variétés dans lesquelles les individus, c'est-à-dire les plantes, sont tous différents) restent hétérogènes avec le potentiel de s'adapter aux conditions changeantes de l'environnement. Par contre les croisements entre populations de pays ont été largement inexplorés tout comme leur faculté de répondre à la sélection paysanne. L'idée est donc d'observer ces croisements et l'effet de la sélection massale opérée par les paysans dans différentes conditions et de mesurer l'évolution et l'adaptation de la population en terme de diversité génétique et phénotypique.

Pour la saison 2010-2011, à la suite du travail réalisé dans chaque ferme et après réflexion, les fermes ont été organisées géographiquement avec, dans 7 régions, une ferme régionale et des fermes satellites. Le dispositif en place présente 6 plateformes ou ferme régionale avec au moins 25 croisements et des fermes satellites qui hébergent entre 5 et 10 croisements. Les F5 récoltés sur l'ensemble des micro parcelles ont été semés en 2010 sur les plateformes à côté de parcelles ensemencées par des bouquets sélectionnés par les paysans selon leur critères et de nombreuses mesures sont effectuées par l'équipe de recherche, sur les blés en végétations et après la récolte. Dans le même temps, les paysans sont chargés de faire des observations en cours de végétations aussi bien sur les plateformes que sur les satellites. Des analyses complémentaires sont effectuées en laboratoire : valeur boulangère, taux de protéines.

L'expérience sera renouvelée avec les F6 avec des semis en automne 2011. Des analyses génétiques spécifiques seront également mise en œuvre afin d'évaluer la diversité génétique au sein des populations sélectionnées par les agriculteurs.

Les résultats devraient permettre d'aider les paysans à créer leur propre population, adaptée à leur environnement et à leurs usages et de mettre au point une méthode de gestion de la diversité sur la ferme largement diffusable.

Ce programme est donc tout à fait original car il prend en route une expérience de co-construction de connaissance qui reposait au départ sur une rencontre entre une chercheuse scientifique et un paysan, tout deux passionnés de blé et de sélection. Au delà des concepts souvent mis en avant, c'est une réelle construction de bas en haut (bottom-up). Cette première création a en effet été ensuite élargie vers un cercle plus large de paysans en France (en Suisse et en Belgique également) grâce à l'implication du Réseau Semences Paysannes et du centre INRA du Moulon. Pour se caler dans le format européen il a fallu faire des ajustements, réduire la durée de l'expérimentation, accepter de ne pas être retenu comme partenaire officiel.

L'expérience en cours montre déjà des résultats fort intéressants (en cours de publication, Pierre Rivière et al.) et il y a fort à parier qu'elle permettra de faire prendre en compte par les institutions, européennes notamment, de l'importance des remarques émises plus haut pour permettre, au delà d'une simple participation, une réelle co-construction.

1. La naissance puis l'évolution du projet sur les croisements de blé

Tout a commencé lors des rencontres fondatrices du Réseau Semences Paysannes en 2003 à Auzeville. De nombreux paysans qui travaillaient chacun de leur côté à remettre des variétés anciennes en cultures et refaire des sélections ont la surprise de se trouver plus nombreux qu'ils ne l'imaginaient. Ils ont également le plaisir de rencontrer quelques rares chercheurs, plutôt chercheuses d'ailleurs, passionnées par le sujet et motivées pour travailler avec les paysans. C'est ainsi que se rencontrent Isabelle Goldringer, chercheuse en génétique du blé à l'INRA du Moulon et Jean François Berthellot, paysan-boulanger en Aquitaine. Isabelle est intéressée par les aspects biodiversité génétique intra-variétale des populations de blé mais aussi par les liens entre la diversité des conditions expérimentales, économiques, sociologiques et culturelles et la diversité génétique. Elle est également consciente que la grande diversité des céréales a été créée avant tout par la diversité des pratiques paysannes et la richesse des échanges. Le projet est donc né de l'envie de travailler ensemble à partir de leurs pratiques autour de la biodiversité et de l'articulation de leurs savoirs. Les échanges se basent sur les explications d'Isabelle, en tant que généticienne, sur les mécanismes d'évolution des plantes...

« C'étaient les paysans qui avaient pris l'initiative sur les semences, sur les variétés anciennes, qui voyaient les limites du système et qui voulaient essayer des choses. On a bien discuté, on a vu qu'il y avait vraiment des points de convergence. J'ai trouvé génial qu'il y ait en France des agriculteurs susceptibles de travailler sur la biodiversité à travers leur intérêt pour des variétés populations différentes. Ça faisait des années que j'avais des interactions au niveau international avec des gens de la FAO, de Biodiversity International. J'ai discuté

(4)

avec des gens qui travaillaient dans les pays du Sud sur de telles approches. On me disait qu'en France, dans notre système, ces approches n'avaient aucun intérêt, que ça ne pouvait pas se mettre en place. C'était vraiment embêtant, j'aurais bien aimé donner une réalité. Parce que moi ce que je faisais, la gestion des populations, c'était très théorique. Et même si on s'appuyait sur l'expérimentation, elle était en station. Je trouvais que ça n'allait pas, que ça ne pouvait avoir un sens que si ça pouvait s'appuyer sur des acteurs locaux. » I.G.

« Jean-Françoisa élaboré ça de son côté. On a énormément discuté des mécanismes d'évolution, c'est-à-dire de la manière dont les populations variables pouvaient évoluer. Puisque c'est là-dessus que j'avais travaillé, il était très demandeur afin de comprendre le fait que les blés pouvaient quand même se croiser un petit peu même si c'était une espèce autogame, quel rôle pouvaient jouer les mutations. […] Longtemps, j'ai eu une position en disant que c'est très intéressant d'étudier le résultat sur la diversité génétique de leurs pratiques, de leur manière de faire. Eux ils étaient demandeurs que j'intervienne en tant que sélectionneur. Mais moi je n'ai jamais été sélectionneur. Et c'était une responsabilité. Je ne me sentais pas de faire ça. Donc j'ai essayé de leur apporter des éléments de compréhension. J'ai fait un texte assez long sur les différents mécanismes évolutifs : comment on peut jouer dans une stratégie de sélection, soit par la sélection massale, soit par les différentes techniques de croisement ; quel est l'effet des différentes pratiques, des mécanismes. J'ai fait des présentations, mais je n'ai jamais été pro-active à dire il faudrait faire ci ou ça. » I.G

...et sur les questionnements et pratiques de Jean-François « paysan-chercheur », comme il le revendique lui- même. Il a commencé depuis quelques années à observer sur sa ferme plusieurs dizaines de variétés anciennes de blé, des blés de pays mais aussi les premières sélections des Vilmorin et d'autres sélectionneurs.

Il s'intéresse aussi au travail des sélectionneurs biodynamistes allemands et suisses. Ils vont commencer à travailler ensemble à travers différents petits programmes de recherche visant à évaluer les qualités boulangères de ces variétés anciennes, évaluer les influences des dates de semis et de l'environnement sur l'évolution des populations. Petit à petit, ce cheminement ensemble leur montre une passion commune autour du blé. Un respect mutuel s'instaure et les idées fusent.

Pour Jean-François, plusieurs constats se précisent. En premier lieu, la confirmation que les variétés modernes, sélectionnées en conditions d'artificialisation du milieu, de plus en plus dépendantes des engrais chimiques solubles et à partir d'un pool génétique très étroit, sont inadaptées à ses pratiques agronomiques et aux qualités qu'il recherche dans le grain de blé pour faire son pain. Le boulanger en vente directe est de plus en plus exposé au retour de consommateurs intolérants voir allergiques au gluten. Le travail manuel de la pâte semble révéler des différences de comportement entre les blés anciens et les blés modernes.

L'hypothèse est faite que ces différences sont liées à la qualité des glutens et pas seulement à la quantité. La plupart des blés de pays, qui ont fait les pains des campagnes de nos ancêtres, sont en effet classés comme non panifiable avec les critères de l'industrie de la boulangerie. Les observations sur plusieurs années d'un nombre croissant de variétés anciennes de blé sur la ferme, aux côtés de variétés plus modernes, permet également de prendre conscience que la sélection moderne n'a pas (ou très peu) exploré cette grande diversité génétique contenue dans les blés de pays. Pressés de développer des variétés à fort rendement, résistantes aux maladies et avec des pailles de plus en plus courtes afin de permettre d'absorber de plus en plus d'engrais, les sélectionneurs ont rapidement opté pour croiser des variétés d'Europe de l'Est, d'Angleterre voir du Japon pour le nanisme en laissant de côté les blés de pays peu productifs. Attiré par les qualités gustatives de certains blés de pays, Jean-François est curieux d'explorer la diversité de ces populations, qui, bien que réduite à celle présente dans les centres de conservation des ressources génétiques, reste tout de même très riche avec plusieurs centaines de blés de pays. Pour les blés de Redon seulement, plus de 300 populations différentes sont répertoriées. Jean-François observe ces blés sur la ferme.

Certains présentent des caractéristiques peu compatibles avec les pratiques agricoles d'aujourd'hui. La taille de certaines pailles est en effet très haute et certains finissent par verser, rendant la récolte difficile et altérant parfois la qualité du grain. L'idée vient donc naturellement de tenter des croisements entre populations de pays présentant des qualités "complémentaires" mais aussi de croiser ces blés de pays avec des variétés sélectionnées avant l'avènement des engrais chimiques solubles et qui ont révélées de bonne qualité boulangère en condition d'agriculture biologique.

« J'avais vu plein de choses expérimentées, de l'autre côté du monde, avec une méthode et des résultats intéressants. J'ai commencé à imaginer tout un protocole, en me disant que dans quelques années on les distribuerait, on se les approprierait et on verrait comment elles s'adaptent chez les différents paysans. On risque d'avoir des résultats assez intéressants, parce que je savais de l'expérience de Ceccarelli qu'il y avait des résultats. Et ce voyage, on l'avait fait avec Isabelle, avec le petit groupe blé. On était une douzaine. En Syrie. Juin 2005. Dès que je suis rentré de ce voyage, je me suis dit que puisque d'autres l'avaient fait de

(5)

l'autre côté du monde, on allait essayer de le faire et on verrait comment ça serait accueilli et repris. Tout en sachant aussi que ça risquait de déplaire, que ce n'était pas une vision unitaire dans le réseau. » J.-.F B.

En 2005, Isabelle et Jean-François, avec l'appui technique de Nathalie, font les croisements des populations de blé choisies par Jean-François. Les résultats dépassent les espérances avec 92 croisements réussis donnant de 1 à 5 ou 6 grains par épi croisé. Ils sont précautionneusement semés au jardin de la ferme dès l'automne 2005 pour deux ans de multiplication sans sélection afin d'obtenir une quantité suffisante de grain avant de commencer le travail de sélection.

Pour Isabelle, le recherche doit se mettre au service des paysans. Aussi propose-t-elle de transmettre son savoir-faire afin d'essayer de réaliser des croisements selon les objectifs et la vision du paysan. La première requête est de réaliser ces croisements à la ferme alors qu'ils sont fait habituellement en station d'expérimentation. L'opération est délicate autour des minuscules fleurs contenues dans les épillets du blé. Il faut castrer les fleurs qui sont choisies pour être femelles ou réceptrices et les ensacher jusqu'à la pollinisation par le pollen des épis mâles en fleur de l'autre variété "paternelle". L'idée reste d'adapter la technique pour qu'elle soit à la portée des paysans sur leur ferme. L'adaptation de ces croisements au milieu est également un facteur important. C'est pourquoi le souhait de les réaliser à la ferme est une condition fortement mise en avant.

A l'automne 2008, sans aucun financement public ni programme de recherche officiel, les 92 croisements sont dans leur sac en papier, soigneusement numérotés, dans des quantités variant entre 1 et 3 kilos, prêt à intégrer un programme de sélection participative ou mutualiste. En l'absence de cadre et de financement (pour cause de rejet de demande de subvention), le Réseau Semences Paysannes décide de commencer le programme et diffuse ces croisements à plus de 20 paysans du groupe blé qui ont accepté de les accueillir sur leur ferme dès septembre 2008. De la même façon le laboratoire d'Isabelle prend en charge sur ses fonds propres le suivi technique et les mesures sur ces croisements. C'est donc plusieurs milliers d'épis de blé qui vont être mesurés en végétations : nombre de talles, hauteur des pailles, hauteur de la dernière feuille à l'épi, longueur de l'épi et pesée une fois récoltés.

Isabelle envisage déjà cette grande diversité créée par ces croisements qui vont donner pendant plusieurs générations des épis de toutes sortes, toutes tailles, très hétérogènes et instables. Elle est curieuse de voir ce qu'en feront les paysans sur leur ferme : quels épis choisiront-ils? Pourquoi? Et quelles variétés vont ressortir de ce travail? Un nouveau champ de recherches s'ouvre avec ces croisements paysans, si on arrive à les observer dans plusieurs environnements et soumis à des sélections paysannes diverses au cours du temps.

« Non, je n'ai pas d'attentes particulières, mais je pense que c'est à lui d'avoir des attentes, c'est son projet. A Jean-François. C'est le projet de Jean-François. Lui, il sait quels sont les croisements. Moi j'ai piqué dedans, il y a des choses bien, je lui dirai. Mais je pense qu'un des buts c'est aussi d'essayer de voir comment ça se comporte à côté. Lui il devait avoir des idées très précises quand il a fait ses croisements. » O.R.

Des croisements faits au Moulon sont également réalisés par les paysans qui en font la demande, à partir de variétés qu'ils ont eux-mêmes choisies : « A partir des croisements de Jean-François, les résultats sont tels que les paysans souhaitent effectuer des croisements à partir des populations qu'ils utilisent déjà dans leurs propres champs. Il y a eu quelque chose de très intéressant. La plupart des paysans ne savaient pas ce que c’était qu'un croisement, ou alors ils avaient un a-priori très fort dessus. C’est-à-dire que ce n’était pas naturel, c’était quelque chose qu’il ne fallait pas faire. Et déjà ça a pris un an ou deux pour que les personnes commencent à s’approprier ce que sont les croisements. Pour eux, ce n’était pas la façon de faire, ils pouvaient trouver des variétés adaptées sans faire de croisements. Le processus était plus long et se mettrait en place naturellement. Pour eux il y a vraiment la notion de forcer la Nature. Il a quand même réussi à trouver 15 personnes qui étaient prêtes à recevoir des 3ème générations issues de ses croisements. Ces croisements sont arrivés chez les paysans. Il y a des paysans qui avaient des pratiques très conservatrices c’est-à-dire qu'ils conservaient quelque chose de très homogène. Ils se sont rendus compte qu’il y avait des choses très intéressantes, même à l’échelle d’une variété, d’une population. Donc ça a été le coup de foudre, ils se sont dits c’est génial. C’est à ce moment-là qu’il y a eu la deuxième phase où Isabelle et Julie ont dit aux paysans, « si vous voulez, à ceux que ça intéresse, on peut aussi vous apprendre à croiser ». Et ça n'a commencé que l’année dernière. Les premières générations de croisements c’était l’année dernière. Les paysans ont fait la première journée de formation en février, cette année c’est la deuxième. De nouveaux croisements vont être faits. » M.T.

« Je lui ai dit de m'envoyer 6 croisements cette année et 6 autres l'année suivante. Splendide, ce qu'il m'a envoyé. Ensuite Isabelle a dit, on vous a envoyé les variétés, parce qu'elle les avait croisées avec Jean-

(6)

François, mais ce qu'on vous propose, c'est que vous les régions, vous choisissiez les variétés à croiser. Ça devient intéressant, parce que c'est Jean-François avec Isabelle qui les avaient choisies. Isabelle avec son œil de chercheur, dans son laboratoire, Jean-François chez lui sur ses terres dans le Lot-et-Garonne. » B.R.

Le croisement de deux variétés est une opération précise. L'équipe du Moulon a organisé une journée de formation au laboratoire à l'attention des paysans sur la technique de croisements. Beaucoup de paysans ont ensuite préféré envoyer les variétés qu'ils avaient sélectionnées pour qu'elles soient croisées au laboratoire, soit parce que cette opération est trop fastidieuse, soit par manque de temps. Le croisement renvoie à une vision spécifique et personnelle du travail de l'Homme sur la Nature.

« Moi, j'ai eu la curiosité de le faire, je me suis donné l'objectif de le faire, mais de mener en parallèle les deux, parce que je ne suis pas sûr que ce soit bon que la Nature dise oui parce que je l'ai fait de mes propres mains.

Et j'ai vu que c'est une véritable opération chirurgicale. J'étais dérangé par ça. Mais je l'ai fait parce que ça fait partie de ma recherche. » B.R.

Le projet inclut donc des populations, qui seront évaluées puis sélectionnées via la sélection massale, c'est-à- dire par un processus de sélection dans le champ, sans passer par le laboratoire.

« dans le programme Solibam, j'ai plusieurs fois insisté pour que d'autres puissent s'y retrouver en mettant des populations, que chacun puisse apporter des blés qui ne sont pas forcément des croisements. C'est vrai que c'est un objet de recherche extraordinaire. Tu brasses, tu connais les parents... » F.M.

« Et puis une entrée « attention », surtout avec un programme expérimental comme Solibam qui va aussi avoir un impact au niveau politique, avec tout ce que ça implique comme communication. De dire il ne faut pas résumer la sélection participative au croisement. […] On crée des variétés, mais il faut aussi sortir des conservatoires, découvrir des blés qui demandent qu'à exister, qu'à être cultivés. » F.M.

2. L'intégration du projet de croisements de blé au programme de recherche européen

Dans le même temps, Isabelle et Véronique Chable, également chercheuse à l'INRA, compagne du RSP depuis sa création, et à l'origine de plusieurs programmes de sélection participative sur potagère, décident de répondre à un appel à projet Européen du 7ème programme cadre de recherche et développement (7ème PCRD) pour proposer un large programme allant du blé au maïs en passant par les potagères. Ce programme n'est pas spécifiquement ouvert à la recherche participative et il faut toute la diplomatie de ces chercheuses pour réunir une large équipe scientifique européenne et proposer un programme qui sera finalement retenu avec une excellente notation par les évaluateurs européens. Le RSP pressenti depuis le début pour être le partenaire naturel sur plusieurs espèces ne peut toutefois pas être officiellement retenu, le programme européen ne considérant que les équipes scientifiques et les semenciers. Il est toutefois prévu que le RSP soit sous-traitant sur le programme des croisements de blé.

Le programme doit commencer dès l'automne 2009 mais les retards administratifs, souvent associés aux gros projets, ne permettront de démarrer qu'au printemps 2010. Le RSP ressème les croisements en 2009 grâce au soutien du Centre d'Etude Terre d'Accueil des Blés en Aquitaine, membre du RSP et du laboratoire du Moulon. Le RSP a finalement été retenu en septembre 2010. Les croisements de blés intègrent alors le programme de recherche pour les semis de l'automne 2010. Deux saisons et deux campagnes de mesures ont déjà été faites, révélant des résultats fort intéressant de l'effet de la sélection paysanne sur l'évolution et la diversité génétique de ces populations.

Pour beaucoup des acteurs interrogés, l'intégration au sein du programme européen n'induit aucune différence dans leurs expérimentations, ni dans leurs objectifs. Ils ne la situent pas précisément dans le temps. Pourtant, selon plusieurs avis, cette intégration a donné plus de cadre et de contraintes dans la façon de travailler, d'échanger et de rendre des comptes les uns aux autres. Elle témoigne aussi d'une reconnaissance scientifique des expérimentations, ce qui rejoint concrètement un des objectifs des acteurs.

Elle donne également une plus grande envergure au projet, surtout grâce aux fonds reçus, à travers l'augmentation du nombre d'expérimentations. Ce projet européen est une satisfaction pour les acteurs impliqués.

« La démarche de Jean-François, au départ, ne s’inscrit pas dans un projet européen. C’est une démarche très personnelle avec Isabelle. Ensuite c’est Isabelle qui a dit ce serait bien d'intégrer notre travail dans un projet européen sur la méthodologie de sélection des variétés pour les faibles intrants. Puisqu'il y a une demande, un besoin, puisque les sélectionneurs ne font pas cet effort de sélectionner pour les AB et faibles intrants, il

(7)

faut trouver des solutions alternatives. Et l’approche participative, puisqu’elle a été développée dans d’autres pays, comme la Syrie, pourquoi ça ne pourrait pas être appliqué à ce système-là ? Comme il y avait les croisements qui avaient été faits, Isabelle s’est dit qu'on pourrait utiliser ce cas d’étude pour appliquer au cas français, par exemple. » F.M.

« Alors Solibam, moi c'est pareil, dans tous ces programmes je m'y perds. Je travaille avec les agriculteurs et avec Isabelle en me détachant du projet en lui-même. Le projet c'est surtout Isabelle qui gère ce truc-là.

Solibam, je ne pourrais même pas te dire. Là on est en 2011...non je ne sais pas. » N.G.

« C'est un processus lent qui s'est accéléré quand on a proposé au groupe de l'expérimenter de façon un peu plus suivie : « on a un projet, il faut qu'on trouve une quinzaine de fermes qui acceptent de les prendre, est-ce que vous voulez bien ? » Des gens ont répondu qu'ils voulaient bien. Sinon on aurait peut-être attendu encore quelques années avant que ça ne devienne plus une demande. Ça a accéléré le processus, ça a commencé à donner des moyens. Parce que quand Isabelle a senti que ce projet pouvait réussir, elle a envoyé des jeunes faire des relevés sur des sélection que j’avais faites, et ils ont observé que sur certains caractères, la sélection que j'avais faite répondait. Une réponse, c'était encourageant pour eux et ça enclenché le projet. […] Mais nous, ce sur quoi on s'est engagé avec Isabelle, ça n'a pas du tout interféré sur le fond et sur la forme. Au contraire, ça a même permis de donner du zèle, je dirais, au projet. » J.-F. B.

« Il y a Solibam en général, et il y a la partie avec Isabelle. La partie avec Isabelle a mis du temps à se construire. C'est un peu la continuité, et non pas l'aboutissement, parce que je pense que ça continuera en dehors de Solibam. C'était plus une façon d'avoir des moyens de travailler, même si Isabelle commençait à en avoir plus de son côté, parce qu'elle était plus reconnue en tant que chercheuse. […] ce qui a été dur au début, ce que du coup ce n'est pas une construction collective. C'est un truc pyramidal qui tombe d'en haut, il faut rentrer dans le moule des appels à projet et c'est une grosse machine. En plus le RSP ou les paysans ne sont pas partenaires à part entière. Donc ça créé quand même une situation particulière. » F.M.

(8)

3. Les objectifs des acteurs

Les résultats attendus du projet ont tout d'abord deux dimensions :

« On a un enjeu de développer réellement des variétés adaptées aux attentes des paysans. Un enjeu de co- construction pour l'avenir, pour eux, éventuellement pour d'autres, une manière de travailler en sélection participative. On est tout le temps dans les deux. On peut avoir le côté interaction / co-construction qui marche bien, et avoir la manipulation qui rate, ou le contraire. Ou les deux qui marchent. » I.G.

Les travaux visent d'une part la mise au point de variétés paysannes. « Si par exemple le projet Solibam fait vraiment émerger des variétés nouvelles que chacun se sera approprié, et qui ne seront plus les croisements du départ mais complètement différents et adaptés au milieu, ce sera la première fois. On pourra alors les revendiquer comme des obtentions paysannes, de sélections paysannes, issues de croisements paysans. » J.- F. B.

Et d'autre part la mise au point d'une méthodologie : «Solibam et le projet croisement, c’est de dire on met en place une réflexion pour proposer des éléments méthodologiques pour créer de la diversité et des variétés adaptées à des systèmes bien particuliers. » M.T.

Le projet est pluriel : en plus de la mise en place d'expérimentations et de l'élaboration d'une méthode de sélection participative, il inclut également une dimension politique - une alternative aux semences modernes des semenciers industriels. Les paysans cultivent la terre, mais aussi une idéologie, une représentation de leur catégorie socio-professionnelle en s'apparentant au RSP.

« C'est important de montrer qu'il y a différentes voies possibles, et de voir justement dans ce programme de recherche l'inconvénient des différentes voies possibles. Mais c'est vrai que le gros est sur les croisements.

C'est un peu normal, parce que je pense que dans l'idée d'Isabelle et Jean-François, il y a ce côté un peu politique, un peu innovant de faire des nouveaux croisements, des nouvelles variétés, et d'aller au-delà de variétés anciennes, avec des variétés nouvelles, pour l'agriculture d'aujourd'hui, à partir de variétés paysannes. Il y a aussi l'idée de faire un brassage, de ne pas partir de variétés fixées, et de voir comment les croisements se comportent à différents endroits ». F.M.

Plusieurs objectifs de ce projets sont liés au contexte dans lequel évoluent les acteurs. Ils font partie intégrante du projet sans être évoqués directement dans les documents officiels :

La reconnaissance du travail des chercheurs par leur communauté scientifique :

Les attentes d'Isabelle, en plus de ses questionnements de chercheuse, se retrouvent liées aux exigences de rendu d'un projet. Des contraintes supplémentaires se mettent en place. Elle doit rendre des comptes à ses bailleurs sous forme de rapport et de démonstration, protocoles et chiffres à l'appui. Elle souhaite aussi, de façon générale, faire avancer la reconnaissance scientifique d'un tel travail de recherche.

« le département de génétique d'Isabelle n'était pas prêt à faire un suivi. Isabelle en avait envie, mais elle n'aurait jamais eu les fonds internes à l'INRA. Ensuite, d'un seul coup, elle peut passer une partie de son temps et inclure des collaborateurs parce qu'elle a des financements. » J.-F. B.

La reconnaissance scientifique du travail de sélection effectué par les paysans (la reconnaissance du savoir empirique et du savoir-faire du paysan, de l'importance de l'implication des paysans comme partenaires dans des projets de recherche participative, dès l'identification du problème jusqu'à la mise en place des solutions)

« On peut faire un beau travail et avoir de beaux blés. Pour le rendre public, il faut qu'il y ait des gens qui viennent les mesurer, car nous-mêmes n'avons pas autorité. Dans un tel programme, avec des gens qui sont reconnus comme autorité scientifique, tout a changé. » J.-F. B.

«Parce que si on ne voulait que des populations adaptées aux exigences culturales, on ne participerait pas à un tel programme de recherche. On travaillerait avec Isabelle, mais on n'irait peut-être pas aussi loin, parce que ça demande de l'implication, du temps. […] En tant que paysan on n'a pas forcément besoin d'avoir des statistiques sur la longueur des épis, l'évolution, des choses comme ça. Le travail, concret, de terrain, ça peut le nourrir, mais c'est surtout pour avoir une reconnaissance scientifique. Pour faire évoluer la réglementation, et pour amener d'autres chercheurs à travailler avec nous éventuellement. » F.M.

L'autonomie paysanne : son maintien pour certains, ou sa réappropriation pour d'autres est au cœur des motivations et des revendications des paysans qui s'impliquent dans les projets de recherche participative. Ils

(9)

souhaitent montrer que les paysans sont aussi capables de se réapproprier le travail de sélection pour mettre au point des variétés répondant à leur besoin.

« Si ce programme montre que cet agriculteur a pris des variétés, les a mis dans différentes conditions, a gardé des bouquets, a fait une certaine sélection, ensuite caractérisée par une amélioration de la variété, que ça lui a permis de conserver des belles populations de blé, et bien on aura réussi, ça suffit. Après chacun le fera, et si on veut conserver la biodiversité, il ne faut surtout pas qu'il y ait une méthode arrêtée qui envahisse demain toute la campagne, parce que sinon il n'y a pas de diversité. » J.-F. B.

« j'ai trouvé que le concept était intéressant, de faire des nouvelles variétés et d'arriver à montrer aussi aux grands semenciers qu'on était aussi capable de se passer d'eux, qu'on était pas forcément bloqués sur les variétés anciennes, qu'on pouvait faire des variétés d'aujourd'hui à partir de variétés anciennes. Pour montrer aussi notre indépendance, quelque part. » R.B.

« si on veut vraiment une agriculture biologique qui apporte un plus en terme de durabilité, de biodiversité, de gestion de l'agriculture, de commercialisation et de choses comme ça, il faut qu'on développe...enfin il faut d'autres semences. » O.R.

« Mon objectif, ce serait quand même de mettre en place une filière. Je serais content que ça se mette en place. Que les paysans valorisent ça. On a des conservatoires nationaux qui le font. Nous, on réactualise ça, on le fait connaître aux paysans, pour que le paysan reprenne un petit peu en main sa semence.» B.R.

« En général ce sont des paysans qui sont en bio, qui ont un mode de fonctionnement assez particulier, et qui le valorisent localement à leur échelle, parce qu’ils ont leurs circuits courts. » M.T.

Un rapport privilégié, réfléchi au vivant, un partage de valeurs, un respect mutuel et un respect du vivant sont des éléments particulièrement mis en avant par les acteurs du projet :

« Il y a beaucoup de monde dans la recherche qui dit que le paysan n'est pas capable de faire de la sélection.

Il y a bien longtemps que ce ne sont plus les paysans qui font la sélection. Les sélectionneurs et professionnels de l'INRA disent que les champs des paysans sont importants pour faire des essais, mais c'est tout. Il n'y a que le champ du paysan qui est intéressant, pas le paysan. Il y a bien longtemps que le paysan ne fait plus ça ; il n'a plus ça dans la tête, il n'a plus le regard. De toute façon, les paysans ont tellement de souci qu'ils ne vont pas perdre de temps dans leurs champs à aller regarder les blés et dire c'est beau. Tu en connais des paysans qui vont dans leurs champs et qui disent que c'est beau ? C'est un truc extraordinaire de participer à redonner du sens.» J.-F. B.

« On a encore notre rôle pour produire de la bonne nourriture, nourrissante, et qui fasse que les gens soient en bonne santé, et qu'on ne pourrisse pas la nappe phréatique qui est en dessous non plus. Donc je pense que les semences paysannes sont un bon moyen pour arriver à cela, pour se passer d'intrants, pour que ce soit économiquement intéressant aussi, surtout pour le maïs, pour ne plus avoir d'achat de semences. Et puis après on fait un travail original, c'est quand même plaisant aussi. » R.B.

Enfermés dans une réglementation de niche très contraignante, les populations de pays sont des obtentions paysannes de plusieurs générations de paysans. Ces populations de blé ont été la base du travail des sélectionneurs. Pourtant, aujourd'hui, l'offensive de l'industrie de la semence vise à les empêcher de circuler et de s'échanger entre paysans. Ce projet souhaite influencer la réglementation en matière de semences et de propriété intellectuelle et reconnaissance des droits des paysans à utiliser leurs propres semences mais aussi de leur rôle dans la conservation de la biodiversité cultivée :

« Il faut qu'à un moment donné on puisse montrer qu'on a des semences paysannes d'aujourd'hui. Et que ces semences paysannes d'aujourd'hui qui marchent, comme elles existent, il faut qu'elles aient un espace d'existence, dans lequel on puisse se les échanger, puisqu'on va montrer que c'est en se les échangeant, et en cherchant lesquelles vont bien, qu'on va trouver des bonnes variétés. Cela veut dire que cet espace-là il faut le trouver, il faut nous le donner. Dans l'espace juridique. Oui, c'est en s'échangeant les variétés et en les sélectionnant que les paysans ont eu ces belles variétés-là. Il faut que ce soit une chose tangible et prouvée dans les projets scientifiques. Ça va mettre du temps. Solibam, c'est 3 ans. » J.-F. B.

« J'ai beaucoup plus d'insectes dans les remorques de blé aujourd'hui qu'il y a 4 ou 5 ans, alors que j'étais déjà en bio, et que l'environnement, l'écosystème a pas changé. Il y a une niche écologique qui s'est vraiment enrichie, et du coup une biodiversité sauvage aussi. Il y a donc là un effet indirect qui est très fort. Mais on tient en premier lieu à la biodiversité cultivée. » J.-F. B.

(10)

La dimension sociale de la sélection participative : « l'aventure humaine »

Le réseau social est en lien avec le réseau génétique. Il favorise le maintien de la biodiversité par les pratiques agricoles : l'étude de la façon dont les semences ont été obtenues, par le biais d'échanges avec d'autres paysans, est complétée par une étude de la manière dont elles sont cultivées en plein champ. La caractérisation génétique de ces populations-là permet de voir comment elles sont différentes les unes des autres, pour voir ce qu'on conserve dans les champs et ce qu'on ne conserve pas dans les banques de graines, et vice versa.

« Quel effet sur le réseau social va avoir le subventionnement de telle ou telle initiative ? L’idée derrière est de dire que si on arrive à avoir un signal suffisamment puissant du réseau social sur la structure génétique, cela nous amènera à faire passer le message suivant : pour maintenir la diversité, c’est en agissant sur le social, sur les politiques publiques, les politique agricoles, qu’on va arriver à maintenir un système » M.T.

Les membres du réseau diffusent des variétés, mais également des pratiques et des idées « Le point fort du réseau est le lien avec les systèmes traditionnels, dans la mesure où il y a des échanges de semences. Et pour qu’il y ait des échanges de semences, il faut qu’il y ait un réseau social. Et le RSP, c’est vraiment ça. » M.T.

« Le fait que les gens soient connectés fait partie des propriétés d’un réseau social. Cela fait une entité. Il y a une identité qui ressort. Et derrière cette identité, ils veulent qu’il y ait une image qui tienne la route. » M.T.

« Là il s'agit vraiment de se donner les moyens de travailler ensemble, de diffuser, de se rencontrer, de dynamiser localement des groupes, qui ne réfléchissent pas seulement... » F.M.

4. Les rôles des différents acteurs

(11)

a. Les paysans

Les paysans du Réseau Semences Paysannes impliqués dans le projet choisissent et sélectionnent dans leurs champs les variétés et populations de blé qui correspondent à leurs exigences. Ils apportent leur savoir empirique et savoir-faire dans le projet, et gèrent les populations et essais qui sont implantés dans leurs champs. Les paysans ont chacun des dates d'entrée différentes dans le RSP, qu'ils soient membres fondateurs ou recrue sur le chemin. Ils ont également un engagement différents, propre à chacun, dont les motivations varient au cours du temps et des expériences.

b. L' animateur/le technicien

L'animateur, ou le technicien selon les structures concernées, a un rôle complémentaire aux deux acteurs principaux que sont le chercheur et le paysan. Il facilite le dialogue et l'installation du climat de confiance. Il permet de faire le relais indispensable au vu des décalages temporels. Il assure une traduction minimum vers les paysans pour les maintenir informés, souvent par oral. Proche des paysans mais souvent issu de formations similaires à celle des scientifiques, il est une courroie de transmission entre les deux mondes, un interprète des langages de chacun plus qu'un traducteur. En effet, le vocabulaire du spécialiste et la complexité des dispositifs méthodologiques se heurtent souvent à une incompréhension des paysans. Dans l’autre sens, les techniciens aident à décoder les logiques agricoles – pas si simples à expliquer aux scientifiques - et les intuitions porteuses d’émergences impossibles à prévoir dans une programmation carrée d’un protocole expérimental. Le technicien est aussi un pivot reconnu par les paysans pour s’occuper de l’interface entre le travail de recherche à la ferme et l’extérieur. Il intervient ainsi dans le suivi des observations et des mesures sur les plantes, la rigueur des applications des essais, la gestion administrative et financière des actions, le relationnel avec tous les autres acteurs du projet.

Dans certains programmes de sélection participative, il assure même le rôle du chercheur. En effet, sur les programmes concernant le maïs, aucun chercheur scientifique institutionnel n'a pu s'associer à l'association paysanne (AgrobioPérigord) qui a toutefois mis en place un très ambitieux programme qui rayonne maintenant nationalement. Ce travail suit le modèle brésilien d'après lequel certains programmes de sélection participative sont directement mis en place par les techniciens (de coopérative souvent) avec les paysans.

Enfin, les programmes de recherche participative sont des programmes collectifs. Une structure collective est nécessaire, association formelle ou non. C'est l'animateur qui assure le fonctionnement de cette structure, recherche les financements, fait circuler l'information, organise les rencontres et les partages de savoirs et savoir-faire. La limite la plus sérieuse à son action se situe souvent à ce moment. Il doit passer un temps de plus en plus important, au fur et à mesure du développement des actions collectives, sur des tâches administratives et de recherche de financements au détriment des actions de terrains et de mise en réseau.

Les décalages de temporalités entre chercheurs et paysans sont une source de tension et d'incompréhension. L'animateur a un rôle important à jouer pour les amoindrir et permettre la persistance du dialogue en faisant le lien entre les deux mondes, en se rendant disponible lorsque le paysan ne l'est pas trop, et en expliquant le travail du chercheur aux participants.

« Il y a un bon lien avec le groupe d'Isabelle, notamment Pierre, qui est très bien. Il est très réactif aussi. Des fois je l'appelle pour lui poser des questions. Et le rôle d'animateur de Patrick, qui fait énormément le lien.

Tout ça c'est vraiment important, sinon c'est un peu dur. Tu vois dans le projet PaysBlé c'est pareil. C'est grâce au travail d'animation de Julie, d'Estelle. S'il n'y avait que Véronique et les paysans, ça ne pourrait pas marcher. Les chercheurs et les paysans sont trop débordés. Il faut faire intervenir des gens qui connectent un peu les deux. » F.M.

c. L'équipe de recherche du Moulon

Les fonctions de l'équipe de l'INRA-Moulon sont multiples dans le projet : apporter une expertise scientifique, un soutien technique, faire des observations quantitatives, des mesures et analyses post-récoltes, des analyses statistiques, des publications académiques, la communication des résultats notamment via la participation à des colloques, des rapports auprès des bailleurs de fond. Les données sont collectées, analysées et diffusées de manière à ce que l'information circule bien, sur différents supports, afin d'aider les paysans à évaluer une variété en plus des caractères visuels.

Isabelle, en tant que responsable du projet, coordonne les différentes actions.

(12)

Pierre base sa thèse, débutée en septembre 2010, sur l'expérimentation inscrite dans SOLIBAM : les résultats des expériences servent directement à alimenter la thèse. S'il n'y a pas d'expériences à analyser, il n'y aura alors pas de résultats ni d'analyse produits. Un des enjeux se base à ce niveau pour les chercheurs : produire des données scientifiques qu'ils puissent présenter à leurs pairs.

« L’idée n’est pas d’imposer aux paysans de sélectionner sur tel ou tel caractère. C’est chacun, en fonction de sa sensibilité, de ses attentes, de ses besoins, de ses débouchés, qui va sélectionner ses caractères. Comme c’est dans le cadre du projet Solibam, et qu’il y a une portée méthodologique derrière, Isabelle, Pierre et Julie ont besoin de quantifier tout ça. Et pour quantifier tout ça, ils ont besoin d’avoir un dispositif expérimental assez contraignant, avec des témoins, plus les répétitions. » M.T.

d. Les apports mutuels : ils peuvent être schématisés de la façon suivante, à condition de bien garder en tête le rôle de pivot qu'occupe l'animateur, au centre de presque tous les échanges.

Qu'est-ce que le paysan apporte au chercheur ?

« Pour le chercheur, c'est un objet de recherche formidable. Parce que ça n'a pas été fait. Il y a des choses similaires qui ont été faites, mais pas avec ce type de blé-là. Ils ont déjà beaucoup de références, de mécanismes de croisement, entre des variétés qui sont un peu comme des clones, des variétés modernes. Là c'est un terrain d'expérimentation formidable. Mettre des mêmes populations dans différents endroits de France si éloignés, si différents, pour eux c'est du pain béni. » J.-F. B.

Et inversement, qu'est-ce que le chercheur apporte au paysan ?

« Quand je vais garder un beau bouquet d'épis parce que je trouve que c'est un beau pied, qu'il est joli, avec une belle forme, que ça me plaît bien, que je fais un bouquet que je resème l'année prochaine, je ne suis jamais sûr du résultat. Je pense que ça marche mais...mais quand il commence à regarder il me dit « tu sais on a mesuré. Pour un certains nombre de critères, ça marche bien, ça répond, ça suit ». Du coup je me dis que je continue. Là j'en suis à la 3ème sélection de suite. Je vais arrêter, tout remélanger, mais du coup je suis intéressé maintenant à ce que les chercheurs regardent, ce qu'ils comparent. J'ai semé des petits carrés, la population brute, la 1ère sélection, la 2ème et la 3ème. Et maintenant j'attends que Pierre vienne noter pour me dire les différences qu'il y a entre les unes et les autres. » J.-F. B.

« Le modèle que nous essayons d’étudier s'appelle la gestion dynamique à la ferme, qui s’oppose et est complémentaire à la fois à la gestion ex-situ, dans des banques de graines. L’idée est de promouvoir ce type de système ». M.T.

« Quand un paysan dit « j'aime bien ces deux variétés, j’aimerais voir ce que ça donne, apprenez-moi on va faire les croisements », il regarde ce que ça donne et après on va mettre en place une méthodologie pour travailler ces populations qu'il a obtenues suite au croisement. » M.T.

e. Le code de conduite contractuel

Aucun événement particulier n'a salué l'entrée du projet dans Solibam. La définition des rôles de chacun se fait au fur et à mesure du temps. En plus de l'animateur du RSP, Pierre Rivière, doctorant au Moulon joue un rôle important dans ce processus. Il élabore des livrets qui visent à préciser par écrit, surtout aux paysans, les objectifs du projet, son déroulement, son processus complet : chaque expérimentateur peut alors se représenter sur une carte, par exemple, par rapport aux autres acteurs engagés dans le processus. Le seul contrat qui ait été signé lie l'INRA-Moulon et le RSP, qui s'engage à accueillir sur les champs de ses membres des expérimentations. Un projet de sélection participative n'exige pas nécessairement une implication des acteurs de la même manière et un engagement dans les mêmes actions. L'élaboration d'un contrat détaillé des acteurs, d'un programme et des activités reste importante afin de permettre l'élaboration d'un modèle de co-construction des connaissances qui soit exportable à d'autres projets de recherche participative. Certes les paysans du RSP et l'équipe du Moulon se connaissent et travaillent ensemble depuis des années, et n'ont donc pas ressenti le besoin d'établir un contrat qui aurait pu les brider et les empêcher de sortir de ce qui avait été préalablement défini. Un contrat ne devrait pas briser l'introduction de riches idées, mais bien définir les rôles de chacun dans le processus. Ce contrat pourrait alors être réutilisé par d'autres acteurs pour établir d'autres projets. Il pourrait également permettre une reconnaissance, par exemple par les institutions, des modèles de co-construction de connaissances, et faire sortir ce type de projets de leur marginalité.

« la contrepartie était peut-être qu'il y avait beaucoup plus de cadres qui étaient mis dans la façon de travailler, et d'échanger, ou de rendre compte de ce qui était fait. Le fait de devoir mettre par écrit les expériences gêne sûrement les uns et les autres. C'est à la fois limitant, parce qu'on ne peut pas forcément

(13)

retransmettre par écrit tout ce qu'on ressent, tout ce qu'on échange avec les gens. Et puis ça peut aussi très vite dévier, être restrictif, et te donner une fausse interprétation de la situation. Si on ne redonne pas à chacun son rôle, par exemple. » N.G.

« Je ne sais pas si chacun a vraiment un rôle précis mais en tout cas il y a forcément des zones d'interaction entre les gens. Ce ne sont pas des zones qui sont différenciées les unes des autres. » N.G.

« Avec Isabelle maintenant c'est une relation qui dépasse la relation de chercheur. C'est une relation de confiance, d'amitié, on a l'impression de cheminer ensemble, de faire des choses sur un même chemin qu'on partage même si après dans la route on n'a pas le même bitume ». J.-F. B.

5. Le processus de co-construction d'une méthode commune

Comme développé précédemment, les résultats attendus du projet portent sur deux dimensions. Le travail avec des acteurs appartenant à des catégories socio-professionnelles différentes suppose la mise au point d'une méthode commune de travail.

a. Des variétés adaptées aux terroirs et qui répondent aux besoins en terme de qualité et de rendement tout en conservant la biodiversité. Se pose la question de l'évaluation de ce que l'on considère comme étant un bon blé et l'entente sur des caractères afin de combiner des modes d'appréciation différents.

« J'ai toujours dit, et ils le savent les gars du réseau, pour moi un blé il faut que ça crache. Il faut que ça fasse du grain. » […] Un bon épi avec une bonne résistance, pour moi il a plus de chance. Pour moi ça c'est un beau critère. » B.R.

« D'ailleurs, mes critères sont un peu comme ceux de Jean-François : épinage, barbu, jaune, rouge. Des courts glabres, blancs, et pâles. Une bonne hauteur. Je regarde la tige, elle est plutôt costaude. Tu as des critères objectifs. Et puis après, comme c'est une sélection multifactorielle, c'est une moyenne de facteurs. Un blé qui n'est pas forcément très beau mais qui est d'un état sanitaire extraordinaire, alors que les autres ont toutes les feuilles bouffées par je ne sais quoi, de la rouille, et que tu le vois pétant de vert, c'est sympa. Même si ce n'est pas l'épi que tu attends. Il y a des tas de critères de sélection qu'il faut voir à la longue. » O.R.

« On a essayé tout d'abord de voir comment on pouvait caractériser les plantes ; de voir quels étaient les caractères qu'on pouvait observer chez les uns et chez les autres d'une façon assez neutre. Qu'il y ait moins d'observations qui soient liées au ressenti des gens. Les agriculteurs avaient envie de dire « celle-là elle me parle » alors que pour nous, c'était plutôt « elle a un grand nombre de talle, donc beaucoup d'épis, elle a beaucoup de grains par épis ». Il fallait qu'on se mette d'accord sur des caractères à observer. C'est de cette manière qu'on a commencé à observer. » N.G.

b. Une méthode de gestion participative de la biodiversité à la ferme

L'échange et la circulation des semences entre paysans sont au cœur du projet. Les populations de blés évoluent, sont testées et sélectionnées par les paysans sur une large gamme d'environnement.

« Rien qu’à ce niveau de la sélection participative, d’un point de vue méthodologique, il y a des questions qui se posent. A quel moment faire la sélection ? Est-ce c’est la 2ème, 3ème, 4ème génération après le croisement ? Est-ce que quand tu fais une sélection, tu prends une population, tu jettes tout le reste ou alors tu gardes tout en parallèle ? Il a plein de questions qui émergent quand tu fais ça » M.T.

« Est-ce qu'il y a une méthode ? Il faudrait arriver à une liste des erreurs à ne pas faire, ou une liste des moyens minimums à mettre en œuvre. Je pense qu'en plus, parmi les paysans qui ont fait de la sélection, ils ont largement sous-estimé leur temps de travail. Ça prend beaucoup de temps. Il y a surement des erreurs à ne pas faire, des précautions qui rejoignent les précautions de l'agriculture normale.» O.R.

« Ce n'est pas la méthode qui nous importe. Le plus intéressant c'est que chacun ait envie de prendre des semences, de les essayer chez soi, de se remettre à devenir sélectionneur de ses propres semences. Ça renforce encore cette dynamique-là. » J.-F. B.

« On laisse les paysans faire comme ils ont l'habitude de faire. Ils ont leur façon de travailler, ils savent pourquoi ils travaillent comme ça. Ce n'est pas du tout par hasard qu'ils le font, ni parce que le voisin fait comme çi, ni parce que tel agriculteur bio plus loin fait comme ça. C'est vraiment leur propre expérience qui fait qu'ils ont décidé de faire quelque chose. Nous, ce qu'on peut demander, c'est pourquoi ils travaillent

(14)

comme ça, comment ils sont arrivés à cette conclusion, ou bien demander si j'avais fait autrement, pourquoi ils font comme ça. Discuter avec eux est très facile, mais on ne se permet pas de leur demander de changer quoi que ce soit. » N.G.

« Ces variétés-là, les premières années, elles sont vraiment dans les champs, dans les mêmes conditions que tout le reste de la ferme. Très rapidement, elles vont dans des conditions de ferme très différentes. Le plus beau qui ressortira, c'est que ce qui rigolera dans les champs, ce qui se plaira, et c'est une belle signature.

Après, je comprends que la façon dont nous l'avons obtenue puisse déranger certains. Mais on ne se calque pas sur le modèle classique, même si au départ on a fait une hybridation forcée. Et on ne l'a pas fait dans la station, dans les serres, mais dans mes champs. Et avec tout ce que je portais en moi, l'espoir dans ce travail- là. » J.-F. B.

c. Les représentations des acteurs et la co-construction des savoirs

Chercheurs et paysans ont intégrés les exigences des uns et des autres : la conscience de ce qu'induit l'appartenance à une catégorie d'acteurs est liée au respect du travail de l'autre. Ce qui n'empêche pas que chacun travaille en essayant d'accomplir les objectifs qu'il s'est assigné.

« Je ne pioche pas. Chacun a sa place. Chacun a sa raison. Le chercheur a sa raison. Moi j'ai ma raison de choix dans ce que je veux faire. J'ai beaucoup apprécié par exemple qu'Isabelle nous dise de choisir dans le lot les variétés à croiser. On aura certainement besoin de la recherche pour faire les analyses. C'est le problème de la recherche. Chacun a sa place. Mais ce n'est pas tellement mon problème de savoir l'objectif des chercheurs.

Ce que je veux, c'est savoir si je vais avoir un bon blé et ce que vous avez décidé de faire. Et puis ce que l'on obtiendra donner dans le temps, dans la finalité des choses. Parce que finalement, c'est fait pour se nourrir. » B.R.

L'implication de diverses catégories d'acteurs, avec des attentes et des savoirs parfois différents, induit de questionner le jeu des acteurs mais aussi les représentations qu'ils ont de leur métier, de celui des autres acteurs en présence, mais aussi du but et du sens de leur action. Les dires de chacun sont bien souvent imprégnés des représentations qu'il a de lui-même en tant qu'individu appartenant à une catégorie sociale bien distincte, et qui renforce les frontières d'avec celui avec lequel il interagit. On se cache derrière la catégorie à laquelle on appartient, qu'on soit paysan ou chercheur, pour se protéger des invasions de l'autre dans « son monde ». Les représentations, qu'elles soient évoquées ou non, sont bien inscrites chez chacun, mais évoluent au cours des interactions et du temps. L'essentiel serait alors de se demander qui apporte quoi, comment les uns et les autres s'apportent mutuellement des éléments pour avancer et réfléchir sur ses pratiques. Finalement, quels sont les bénéfices que chacun peut tirer dans sa quête en fonction des objectifs qu'il s'est donné. Comment faire pour que les différentes parties en jeu acceptent de jouer le jeu et d'en retirer des bénéfices - non pas bénéfice monétaire, mais une évolution dans la pratique, la découverte, la recherche, à travers les échanges avec l'Autre. Les personnes impliquées ont bien des exigences en rapport avec le monde professionnel dans lequel ils évoluent :

« C'est vrai que la grande différence entre le chercheur et le paysan est la suivante : si le paysan a passé une demie journée par semaine pendant trois ans pour aller voir ses blés, si ça donne rien et bien il a perdu du temps. Alors que le chercheur doit justifier son financeur, son boulot, tout son travail...c'est vrai qu'il y a des enjeux qui ne sont pas forcément les mêmes. Qu'est-ce qu'on peut donner aux chercheurs à manger ? Mais il faut qu'eux ils nous définissent leurs critères et comment ça colle » O.R.

d. Le respect de tous les savoirs

Le paysan souffre parfois d'un complexe d'infériorité face à la toute puissance de la science et de ses outils.

De même le chercheur pourrait parfois penser que le paysan le méprise car il sort de la ville et d'un laboratoire. Parmi les scientifiques qui cheminent avec le RSP, et au sein même du RSP, ces clichés n'ont pas vraiment place aujourd'hui dans les équipes chercheurs/paysans. Cela fait en effet maintenant plusieurs années que chaque acteur a largement témoigné de son respect de l'autre.

Lorsque les programmes et les relations commencent, il est malgré tout essentiel d'accorder du temps et de l'importance à construire ce respect qui devrait commencer à être transmis dans les écoles d'agriculture. Les chercheurs compagnons de route du RSP depuis plusieurs années témoignent souvent d'une grande humilité en reconnaissant qu'ils ont aussi beaucoup appris de ces échanges et en essayant d'analyser le regard paysan. C'est réciproque avec les paysans qui remercient régulièrement les chercheurs de leurs résultats mais aussi de leur contribution au débat et de leur vision, qui permettent de faire évoluer rapidement et efficacement leur travail.

(15)

Il est important de préciser ici que les paysans souhaitent garder une part de mystère ; ils ne souhaitent pas tout expliquer. Leur savoir reste global et souvent intuitif grâce à cette approche "spirituelle". Le vivant doit rester un sujet d'émerveillement, avec la plante en son centre. C'est un élément qu'accepte le chercheur, qui aimerait sincèrement comprendre et expliquer toujours plus. L'expertise à l'œuvre dans le projet est donc un mélange de savoirs scientifiques et de savoirs paysans, à travers les interactions et les échanges.

« J'ai commencé à voir les paysans en 2007, bien après Isabelle. Elle les connaissait déjà depuis deux ans quand moi j'ai fait leur connaissance. Au départ c'étaient des relations qui n'étaient pas forcément froides ni distantes, mais on était un peu, ni sur nos gardes les uns par rapport aux autres, mais peut-être curieux les uns des autres. […] On n'avait pas du tout la même approche au niveau des plantes. Moi j'ai une approche scientifique. Les paysans ont une approche qu'on ne saisit pas, que moi je ne saisis pas. Ils parlent de l'énergie des plantes. Que la plante leur parle. Qu'il y a des relations entre tout. C'est très déstabilisant. C'est une approche complètement différente que moi je n'ai pas du tout, avec mon petit côté cartésien. C'est assez bizarre. Parfois je ne comprends pas ce qu'ils veulent dire. On ne parle pas du tout le même langage, mais on s'écoute. Je les écoute beaucoup parce que j'essaie de comprendre ce qu'ils veulent faire. Je ne ressens pas les choses comme eux, c'est évident. » N.G.

e. Le cheminement vers la confiance

Chercheurs et paysans vivent dans deux mondes différents et doivent prendre le temps d'instaurer une vraie relation de confiance. Les paysans bio, toujours très minoritaires, considèrent souvent que l'agriculture industrielle et chimique a été largement encouragée par les institutions de recherche publique comme l'INRA. Les budgets alloués à la production agro-écologiques sont dérisoires. Les paysans qui souhaitent avancer dans leur pratiques doivent bien souvent faire eux-mêmes de la recherche avec des moyens très limités au sein de structures professionnelles qui luttent en permanence pour leur propre survie. Il faut donc du temps et des gages d'engagement personnel pour que la confiance paysanne soit accordée aux scientifiques.

D'un autre côté, le chercheur a également besoin de temps pour partager ses idées, les expliquer aux paysans et savoir lire la recherche paysanne. Chez le paysan, l'écrit passe souvent après l'oral et n'est pas indispensable. Les impératifs du protocole comme les répétitions, indispensables à tout traitement statistique mais contraignantes sur les fermes, ne sont pas forcément bien comprises et acceptées par les praticiens.

Certaines mesures intéressent les paysans, d'autres apparaissent sans valeur. L'inclusion également nécessaire d'un témoin dans le dispositif pose parfois problème, car il s'agit bien souvent de variétés modernes qui ne parle plus à ces agriculteurs. Le paysan doit donc également se montrer digne de la confiance du chercheur, qui choisit souvent des voies difficiles face à son institution, pour venir dans les champs co-construire un programme de recherche.

6. Les contraintes

a. Les temps d'échanges

Beaucoup de difficultés viennent du manque de contacts et d'échanges : les moments d'interactions entre les différents acteurs du projet sont variés mais trop limités et devraient être plus récurrents, comme des réunions pluri-annuelles, la co-rédaction de rapports, ou l'analyse systématique des données à plusieurs.

« jusqu'où aller dans l'interaction chercheurs-paysans notamment dans les publications ? » Les modalités doivent être précisées par les acteurs. Nombre d'acteurs soulignent l'importance des réunions pour se rencontrer et discuter des stratégies et des résultats : « dire ce qu'on fait, ce qu'on va faire, est-ce que vous êtes d'accord, qu'est-ce que vous en pensez ? » P.R.

b. Le décalage temporel

Les deux façons de travailler, entre le paysan et le chercheur, sont les éléments les plus compliqués dans le projet. Le paysan évolue dans un contexte temporel complètement différent de celui du chercheur. Avec les céréales et en particulier avec le blé, son travail en agro-écologie est saisonnier et s'articule autour de la préparation des sols, de la fin de l'été au début de l'automne, les semis d'hiver, puis la récolte en été.

Quelques opérations peuvent intervenir entre les semis et la récolte, comme un désherbage mécanique ou bien un épandage d'engrais organiques. Les opérations de production priment sur les opérations de recherche et les participations aux différentes activités d'un programme de recherche. Ceci génère ce qui est vécu parfois par les partenaires de la recherche comme un déficit de participation alors que le paysan a tout

Références

Documents relatifs

Organic or low-external-input systems in developed countries may resemble farming systems in marginal environments of developing countries because environmental stress is

All voltage values, except differential voltage, are with respect to the zero reference level (ground) of the supply voltages where the zero reference level is the midpoint between V

The MAELIA multi-agent platform for integrated analysis of interactions between agricultural land- use and low-water management strategies. 14th International Workshop

Utilisation du blé et des céréales dans la ration des vaches laitières (revue).. Valeur alimentaire et utilisation du triticale en

Dans cette thèse, le dimensionnement, le contrôle et la gestion d'énergie optimale de Microgrid sont proposées dans les deux modes: mode îloté et mode connecté au réseau..

All voltage values, except differential voltage, are with respect to the zero reference level (ground) of the supply voltages where the zero reference level is the midpoint between V

All voltage values, except differential voltage, are with respect to the zero reference level (ground) of the supply voltages where the zero reference level is the midpoint between V

Although yields can be often high, on account of favourable climatic conditions (prevailing in most of the production areas) that fact makes rice production in Portugal low