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PHILIPPE SÉNART LA REVUE THÉATRALE

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Academic year: 2022

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LA REVUE THÉATRALE

Raymond Roussel ; L'Etoile au front (Festival du

XlIIe arrondissement). - Auguste Strindberg ; Les Créanciers (Théâtre du Tertre). José Triana La nuit des assassins (Théâtre Récamier).

Raymond Roussel était le petit-fils du maréchal Ney. Il a dédié l'un de ses romans, Locus Solus, à sa sœur, la duchesse d'Elchin- gen. Il a été l'ami de Jean Cocteau. Il a traversé le monde, le service neuro-psychique du docteur Janet et le surréalisme, porteur d'une étoile au front qui s'est éteinte mystérieusement à Palerme en 1933. Il Y a quelques années, M. Jean-Jacques Pauvert a édité ses œuvres complètes. Bizarre lui a consacré un de ses numéros spé- ciaux. M. Ionesco a reconnu son influence sur son théâtre. M. Ara- gon a dit: « C'est la statue parfaite du génie. » Il y a une pièce de lui, Poussières du soleil, qui comporte vingt-cinq tableaux et qui s'étend sur plusieurs journées, comme Théagène et Chariclée, d'Alexandre Hardy, au XVIIe siècle, ce qui laisse supposer qu'en 1625, Raymond Roussel n'eût pas "été considéré comme un auteur d'avant-garde. En ce temps-là où les esthètes fignolaient les règles de la tragédie, l'avant-garde, c'était Aristote. L'Organisation théâ- trale française qui a planté sa tente dans le parc de l'avenue de Choisy, à l'occasion du festival du XIIIe arrondissement, a eu l'heu- reuse idée de représenter une autre de ses pièces jouée pour la première fois en 1924. Le titre en est justement l'Etoile au front.

On pourrait penser que le sujet de l'Etoile au front, c'est le génie.

M. Jean Rougerie a placé sur la scène en rond du parc de l'ave- nue de Choisy, au milieu des spectateurs, une étoile de verre qui s'éclaire et s'éteint à plusieurs reprises au cours de la représen- tation comme pour montrer la permanence difficile en l'écrivain

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de ce don le plus rare. Mais le génie n'est pas le sujet de l'Etoile au front. Cette pièce qui ne semble soutenue que par u n intaris- sable bavardage n'est rien d'autre que la critique d u style narra- tif. Elle annonce la Cantatrice chauve q u i entreprendra, elle, d'une m a n i è r e plus radicale, la critique du langage lui-même.

L'Etoile au front a p p a r a î t comme une pièce à tiroirs o ù les histoires se s u c c è d e n t au hasard de la conversation mondaine mais en s ' e m b o î t a n t avec une p r é c i s i o n calculée les unes dans les au- tres comme pour former une suite picaresque, une sorte de long voyage immobile autour du monde, de P o n d i c h é r y à quelque petite ville du L i m o u s i n h a b i t é e par les m â n e s de Giraudoux ou de l'au- teur de la Négresse blonde et l'on y est e n t r a î n é sur les pas d'un lecteur des romans d'aventures de Jean de L a H i r e , mais la verve coloniale et exotique y reste t e m p é r é e par la malice petite bour- geoise h é r i t é e de la famille Fenouillard, les b é g o n i a s y poussent entre les racines des p a l é t u v i e r s g é a n t s . Que faire au cours d'une de ces soirées de s o u s - p r é f e c t u r e o ù sont r é u n i s pour tromper l'en- nui r é p a n d u en nappes glacées par le brouillard nocturne sous les ormes du mail, fonctionnaires, notables et boutiquiers de p r e m i è r e classe tels que libraires et antiquaires, sinon se moquer j u s q u ' à en perdre la tête, de ce q u i fait l'objet m ê m e des r é u n i o n s de ce genre, la conversation ? On se raconte, en buvant de l'orangeade à goût de haschich, des histoires de c œ u r c o n t r a r i é e s par le devoir patriotique et d ' h é r i t a g e s d é t o u r n é s par des intrigues de notaire, u n crime à N o u m é a , u n legs de papillons au m u s é u m d'histoire naturelle, un p è l e r i n a g e à un sapin s a c r é , le roman d'amour et de politique d'une nihiliste et d'un prote russe. C'est le monde de l'En- fant à la balustrade devenu grand. Corneille est professeur de pre- m i è r e au collège et R i m b a u d ne p a r t i r a jamais pour H a r r a r . O r ê v e u s e et railleuse province ! O m è r e de tous les arts à commen- cer par celui de la parodie !

M . Jean Rougerie a su marier dans l'Etoile au front l'ironie et la poésie, en jouant en contrepoint avec légèreté du violon de Strauss et du clavecin de Rameau. I l a v e r s é dans le sirop d'orgeat des soirées bourgeoises juste ce qu'il fallait d'eau gazeuse un peu c i t r o n n é e pour que le m é l a n g e aigre-doux pétille a g r é a b l e m e n t . C'est une bonne r é u s s i t e .

Lorsque Strindberg écrivit les Créanciers, i l n ' é t a i t pas encore venu à Paris mais i l se sentait déjà exilé dans son pays. E n 1894, il s'installera à la pension Orfila, rue d'Assas ; i l voudra devenir alors tin écrivain français, i l racontera en français dans le Plai- doyer d'un fou quelques-uns des é p i s o d e s les plus dramatiques de

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sa vie conjugale, en français toujours i l é c r i r a Inferno et c'est dans notre langue qu'il a traduit les Créanciers. M . Cellier a eu la bonne idée de mettre en scène cette pièce au T h é â t r e du Tertre. I l la joue lui-même avec sa femme, M m e H é l è n e Roussel, et M . Michel Derain. C'est un spectacle malheureusement privé de moyens, i l n'y a pas de costumes, le d é c o r est indigent, mais i l reste le texte et il y a des acteurs pour le servir avec un d é v o u e m e n t parfait.

Strindberg, quand i l écrivait les Créanciers, proclamait encore sa foi dans la science. M a l dégagé de l'idéalisme des philosophies nordiques, i l se d é c l a r a i t m a t é r i a l i s t e , positiviste, scientiste. Mais comme Huysmans, i l s'était déjà mis en route et i l avait d é c o u v e r t l ' â m e . Seulement, c'était par des chemins de traverse ou i l s'enli- sait un peu dans le spiritisme et ce n ' é t a i t pas l'abbé Mugnier qu'il y rencontrait, c'était Allan Kardec. I l s'attardait certes, rue Bonaparte, devant les vitrines d'images pieuses, i l pressentait peut- ê t r e la vérité du catholicisme, les conversions autour de l u i se multipliaient. Mais s'il tournait autour de Saint-Sulpice, c'était pour y respirer les relents un peu troubles des messes noires d é c r i t e s par Durtal. Etait-il vraiment « en route » ? N'était-il pas encore « là-bas » pour parler comme le h é r o s de Huysmans. I l écrivait dans Y Hyper chimie des articles pseudo-scientifiques o ù i l ne paraissait pas s'être délivré de ses phantasmes.

I l y a, dans les Créanciers, des photographies criblées de coups de couteau, des statuettes sur lesquelles s ' o p è r e n t des transferts i n q u i é t a n t s , tout u n a r r i è r e - p l a n o ù se profile l'ombre de Charcot.

Le h é r o s de la pièce est p a r a l y s é , m e n a c é d'épilepsie. On assiste m ê m e à un d é b u t de crise pour lequel Strindberg a d û faire appel à ses souvenirs de la S a l p ê t r i è r e , yeux r é v u l s é s , doigts r e t o u r n é s , bouche tordue. Non ! Non ! s'écrie Adolphe. Ne rions pas. Strind- berg mettait autant de sérieux dans l'évocation de ces farces cli- niques que Jean-Paul Sartre, plus tard, lorsqu'il s'imaginait ê t r e suivi par des langoustes, en apportera à Sainte-Anne dans ses obser- vations.

Mais i l y a aussi, dans les Créanciers, à travers des gaietés d'in- ternat un peu d é m o d é e s , le merveilleux tourment d'une â m e qui se cherche et c'est dans l'âme s œ u r , celle de la femme. Ces lignes é c r i t e s par Strindberg, dans Inferno II, illustrent parfaitement le propos des Créanciers : « Nous commençons à aimer une femme en y déposant des parcelles de notre âme. Nous dédoublons notre personnalité et l'aimée, jadis indifférente, neutre, se met à revêtir notre double, notre autre moi, elle devient notre sosie. Si elle s'avi- se de s'en aller avec notre âme, la douleur est alors peut-être la plus forte qui soit, comparable seulement à celle d'une mère qui a perdu son enfant. Un vide s'établit, et malheur à l'homme qui ne

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dispose pas de la force suffisante pour recommencer son dédou- blement et trouver un autre vase à remplir. » Strindberg ajoutait, p r é v o y a n t que l'héroïne des Créanciers serait volage, ingrate, fugi- tive, qu'elle ne paierait pas sa dette : « L'amour est un acte d'auto- fécondation du mâle, parce que c'est l'homme qui aime et qu'il est illusoire de croire qu'il est aimé de sa femme, son double, sa propre création. » Adolphe, ainsi, a tout d o n n é à celle q u ' i l voulait c r é e r de sa substance, mais i l a é t é vidé, v a m p i r i s é . I l ne subsiste de l u i qu'un pantin d é s o s s é . I l tombera à terre, au m i l i e u de la plus d é r i s o i r e des gigues, pour ne plus se relever.

Cependant, le rêve de Strindberg, s'il reste vain, indique dans quelle voie s'engage l ' h u m a n i t é pour s'achever et se sauver. E n p l a ç a n t la femme au-dessus de l u i , en s'abaissant volontairement, l'homme n'obéit pas seulement à un instinct p r o f o n d é m e n t fémi- nin, i l veut assurer la r é d e m p t i o n de l'être complet, homme-femme, v é r i t a b l e androgyne qui est à l'origine et à la fin d u monde. « Le lien qui existe entre époux, écrivait toujours Strindberg dans In- ferno II, est un lien réel. »

C'est cette réalité, cette c o n s u b s t a n t i a l i t é de l'homme et de la femme qu'il avait entrepris de montrer dans les Créanciers. Pour y parvenir, i l ne disposait pas plus que son h é r o s de « l a force suffisante ». I l y avait entre l u i et l a vérité, une trop grande épais- seur d ' i d é a l i s m e h é r é d i t a i r e .

La Nuit des assassins de M . J o s é Triana, r e p r é s e n t é e sous l'égide de la Compagnie-Renaud-Barrault au T h é â t r e R é c a m i e r dans l'adaptation de M . Carlos Semprun M a u r a et l a mise en s c è n e de M . Roger B l i n , est une pièce qu'on aurait bien tort de ne pas voir jusqu'au bout. De nombreux spectateurs partent à l'entracte et je dois dire que la p r e m i è r e partie d u spectacle est assez en- nuyeuse. Trois jeunes gens, deux filles et un g a r ç o n , celui-là peut ê t r e meurtrier de son p è r e , é c h a n g e n t , au m i l i e u d'une chambre en d é s o r d r e , des cris et des coups, aiguisent longuement des cou- teaux, d é b a l l e n t leur linge sale, é t a l e n t des remords. O n comprend que le g a r ç o n voudrait sortir de cette chambre o ù i l étouffe, q u ' i l a envie de vivre, mais est-ce les filles qui le retiennent, ou bien le sentiment de son impuissance ? Cette question nous laisse indif- f é r e n t s .

Or, a p r è s l'entracte, les choses changent. D e r r i è r e les enfants un peu falots, ce sont les parents q u i paraissent et i l faudrait dire qu'ils comparaissent. On va faire leur p r o c è s . Par le temps q u i court, ce n'est pas t r è s original. I l reste, pourtant, que ces parents, dont l a cause est é v o q u é e avec force, sont p e u t - ê t r e coupables, que

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ce fils trop faible n'a t u é son p è r e que pour se d é c h a r g e r du lourd fardeau de velléités q u ' i l l u i avait transmis, se délivrer de l'image à laquelle i l ressemblait et qui le hantait. M . Huster est t a n t ô t le fils, t a n t ô t le p è r e , M l l e Moretti, t a n t ô t l a fille, t a n t ô t la m è r e . Sous cet é c h a n g e rapide de masques, on r e c o n n a î t les m ê m e s angoisses, on p e r ç o i t les m ê m e s h a l è t e m e n t s , on s o u p ç o n n e les m ê m e s é c h e c s . Les fils, alors, ne peuvent plus se dresser légi- timement contre leurs p è r e s . Ils partagent avec eux la m ê m e souffrance de vivre. On é t a i t d e m e u r é indifférent devant les dis- putes domestiques, les cris, les bousculades des trois jeunes gens en rupture de clan. Maintenant, on sent que dans cette chambre sordide où, à travers le d é s o r d r e , est d é n o n c é u n ordre essentiel- lement absurde, ils sont faits comme des rats, qu'ils ne r é u s s i r o n t pas à exorciser les fatalités h é r é d i t a i r e s , qu'ils continueront à jouer j u s q u ' à leur mort l'humble t r a g é d i e dont leur p è r e et leur m è r e ont é t é avant eux, les acteurs. U n seul espoir subsiste, p e u t - ê t r e :

l'amour, grâce à quoi, la maison pourrait ê t r e n e t t o y é e ; on pour- rait m ê m e en construire une autre. E t , à la fin, en effet, une porte s'ouvre par o ù entre un flot de l u m i è r e , mais elle se referme aussi- tôt et l'espoir s'éteint. M . Ionesco est moins sombre. I l croit au moins à l'amour.

Sous cette r é s e r v e , c'est au t h é â t r e de l'auteur de Victime du devoir que nous renvoie, en effet, la Nuit des assassins. M . J o s é Triana y traduit les m ê m e s hantises, s'y exprime dans le m ê m e langage onirique, s'y habille du m ê m e v ê t e m e n t m i s é r a b i l i s t e . E t i l a la chance d'avoir t r o u v é dans M l l e Moretti une i n t e r p r è t e q u i fait penser à M m e Tsilla Chelton !

P H I L I P P E S E N A R T

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