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Pendant longtemps, hors du cadre de la garde à vue, le code de procédure pénale ne prévoyait aucune disposition spécifique en ce qui concerne l’audition « libre » d’une personne suspectée (1)

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Texte intégral

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Commentaire

Décision n° 2018-762 QPC du 8 février 2019

M. Berket S.

(Régime de l’audition libre des mineurs)

Le Conseil constitutionnel a été saisi le 4 décembre 2018 par la Cour de cassation (chambre criminelle, arrêt no 3319 du 27 novembre 2018), d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) posée par M. Berket S. Cette question est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l’article 61-1 du code de procédure pénale (CPP), dans sa rédaction issue de la loi n° 2014-535 du 27 mai 2014 portant transposition de la directive 2012/13/UE du Parlement européen et du Conseil, du 22 mai 2012, relative au droit à l’information dans le cadre des procédures pénales.

Ces dispositions déterminent, dans le cadre d’une enquête de flagrance, les modalités de l’audition libre d’une personne à l’égard de laquelle il existe des raisons plausibles de soupçonner qu’elle a commis ou tenté de commettre une infraction.

Dans sa décision n° 2018-762 QPC du 8 février 2019, le Conseil constitutionnel a déclaré contraire à la Constitution l’article 61-1 du CPP et reporté au 1er janvier 2020 la date de son abrogation.

A. – Présentation des dispositions contestées

Dans le cadre d’une enquête pénale, l’un des actes d’investigation élémentaires est le recueil d’informations à travers l’audition d’une personne, celle-ci pouvant être entendue comme témoin, victime ou suspect.

Pendant longtemps, hors du cadre de la garde à vue, le code de procédure pénale ne prévoyait aucune disposition spécifique en ce qui concerne l’audition « libre » d’une personne suspectée (1). Depuis la loi du 27 mai 2014 précitée, celle-ci est désormais encadrée (2).

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1. – L’audition libre des personnes soupçonnées avant la loi du 27 mai 2014 a. – L’audition libre d’une personne soupçonnée avant la loi n° 2011-392 du 14 avril 20111

Pendant longtemps, la notion de « suspect », mot bien connu du public, n’a eu que peu d’effet en droit français2. La personne suspectée ou mise en cause, ainsi qualifiée car soupçonnée d’avoir participé à la réalisation d’une infraction, pouvait être entendue dans le cadre d’une enquête de flagrance (article 62 du CPP) ou d’une enquête préliminaire (article 78 du CPP)3, au même titre que tout témoin susceptible de fournir des renseignements sur l’affaire en cours.

Cette audition pouvait avoir lieu aussi bien sous le régime de la garde à vue que sans mesure de contrainte.

Toutefois, à partir de 1993, le législateur a commencé à distinguer, pour les auditions menées dans le cadre de la garde à vue, la personne soupçonnée du témoin. En effet, la loi du 4 janvier 1993 puis celle du 15 juin 2000 ont exclu le placement en garde à vue d’un simple témoin. Elles ont corrélativement élargi les droits de la personne placée en garde à vue.

En revanche, s’agissant des auditions menées hors garde à vue, le législateur a continué à traiter indifféremment toutes les personnes et n’a prévu aucun encadrement.

Comme deux auteurs le rappellent, « si l’audition est libre, elle est avant tout libre de toute réglementation, autrement dit de toute contrainte textuelle jusqu’à l’intervention de la loi du 27 mai 2014 »4.

Par ailleurs, la chambre criminelle rappelait de façon constante qu’« aucun texte n’impose le placement en garde à vue d’une personne qui, pour les nécessités de l’enquête, accepte […] de se présenter sans contrainte aux officiers de police judiciaire afin d’être entendue et n’est à aucun moment privée de sa liberté d’aller

1 Loi n° 2011-392 du 14 avril 2011 relative à la garde à vue.

2 Sur ce point, voir Christian Guéry, « L’avenir du suspect », AJ pénal, 2005, p. 232 ; voir néanmoins déjà auparavant en doctrine Lucien Remplon, « La rétention du "suspect" », JCP G., 1978, I. 2916.

3 Également en cas de conduite en état d’ivresse (article L. 234-18 du code de la route), de conduite après usage de stupéfiants (article L. 235-5 du même code) ou d’ivresse publique et manifeste (article L. 3341-2 du code de la santé publique)

4 Amane Gogorza, Bertrand de Lamy, « La reconnaissance de l’audition libre – L’audition libre devant le Conseil constitutionnel », in Jean-Baptiste Perrier (dir.), L’audition libre : de la pratique à la réforme, LGDJ, 2017, p. 29.

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et venir »5.

Seule la nécessité d’une contrainte justifiait le placement en garde à vue d’une personne suspectée et, par là-même, l’ouverture d’un certain nombre de droits.

b. – La loi du 14 avril 2011 : une tentative infructueuse de réglementation de l’audition libre

La loi du 14 avril 2011 réformant le statut de la garde à vue a marqué une rupture importante pour l’audition des personnes dans le cadre d’une garde à vue. Le législateur a alors défini cette mesure, ainsi que les conditions justifiant d’y recourir.

Il a par ailleurs largement renforcé les droits des gardés à vue notamment en permettant la présence de l’avocat tout au long de la mesure.

La jurisprudence de la Cour de cassation précitée a également été consacrée à l’article 73 du CPP, celui-ci prévoyant que : « Lorsque la personne est présentée devant l’officier de police judiciaire, son placement en garde à vue, lorsque les conditions de cette mesure [...] sont réunies, n’est pas obligatoire dès lors qu’elle n’est pas tenue sous la contrainte de demeurer à la disposition des enquêteurs et qu’elle a été informée qu’elle peut à tout moment quitter les locaux de police ou de gendarmerie ».

Par ailleurs, les règles relatives à l’audition des témoins ont été précisées puisque la durée de la rétention d’un témoin aux fins de son audition a été limitée à quatre heures et il a été prévu aux articles 62 et 78 du CPP que : « S’il apparaît, au cours de l’audition de la personne, qu’il existe des raisons plausibles de soupçonner qu’elle a commis ou tenté de commettre un crime ou un délit puni d’une peine d’emprisonnement, elle ne peut être maintenue sous la contrainte à la disposition des enquêteurs que sous le régime de la garde à vue ».

En revanche, le législateur a refusé l’encadrement des auditions libres, alors que celui-ci figurait dans le projet de loi initial6. Selon l’exposé des motifs, l’un des objets du projet de loi était, afin de réduire le nombre de gardes à vue, de poser « le principe, absent du code de procédure pénale actuel, de l’audition libre d’une personne suspectée, et du caractère subsidiaire du placement en garde à vue ». Il était ainsi expressément prévu qu’une personne « à l’encontre de laquelle il existe des raisons plausibles de soupçonner qu’elle a commis ou tenté de commettre une infraction »

5 Cass. crim., 3 juin 2008, n° 08-81.932 ; voir auparavant notamment Cass. crim., 14 octobre 1998, n° 98-81.370.

6 Projet de loi relatif à la garde à vue, n° 2855 (Assemblée nationale – XIIIe législature), déposé le 13 octobre 2010, article 1er.

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pouvait être entendue librement par les enquêteurs, sous réserve :

– de s’être rendue librement dans les locaux des services de police judiciaire, c’est- à-dire, selon les dispositions proposées, lorsqu’elle s’y est présentée spontanément ou à la suite d’une convocation des enquêteurs ou lorsque, ayant été appréhendée, elle a accepté expressément de suivre l’officier ou l’agent de police judiciaire ; – d’avoir recueilli son consentement après l’avoir informée de la nature et de la date présumée de l’infraction dont elle est soupçonnée ainsi que de la possibilité de mettre un terme à son audition. À chaque reprise de l’audition, le consentement de la personne devait être de nouveau recueilli.

Toutefois, l’Assemblée nationale a décidé, en première lecture du texte, de supprimer ce dispositif de l’audition libre, en raison de l’absence de reconnaissance des droits du suspect entendu librement, notamment son droit de se taire et son droit d’être assisté par un avocat, en contrariété – selon certains parlementaires – avec la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme7. La suppression a été approuvée par le Sénat8. L’inquiétude des parlementaires résultait également du fait que l’audition libre s’appliquait à la personne ayant « accepté expressément de suivre l’officier ou l’agent de police judiciaire » après avoir été appréhendée, son arrestation la plaçant « de facto dans une situation de contrainte »9.

c. – La définition du régime de l’audition libre par le Conseil constitutionnel Dans sa décision du 18 novembre 201110, le Conseil constitutionnel s’est prononcé sur l’alinéa précité de l’article 62 du CPP. Déduisant de cet alinéa la possibilité pour les enquêteurs d’entendre une personne suspectée sans le bénéfice de l’assistance d’un avocat dès lors qu’elle n’était pas placée en garde à vue, les requérants soutenaient qu’en faisant dépendre le droit à l’assistance d’un avocat de l’existence d’une mesure de contrainte et non de la suspicion qui pèse sur la personne interrogée, cet alinéa méconnaissait le respect des droits de la défense. En réponse, le Conseil a jugé que « si le respect des droits de la défense impose, en principe, qu’une personne soupçonnée d’avoir commis une infraction ne peut être entendue, alors qu’elle est retenue contre sa volonté, sans bénéficier de l’assistance effective d’un avocat, cette exigence constitutionnelle n’impose pas une telle assistance dès lors que la personne soupçonnée ne fait l’objet d’aucune mesure de contrainte et consent à être entendue

7 Voir le rapport n° 3040 (Assemblée nationale – XIIIe législature) de M. Philippe Gosselin, fait au nom de la commission des lois, déposé le 15 décembre 2010.

8 Voir le rapport n° 315 (Sénat – 2010-2011) de M. François Zocchetto, fait au nom de la commission des lois, déposé le 16 février 2011.

9 Voir le rapport n° 3284 (Assemblée nationale – XIIIe législature) de M. Philippe Gosselin, fait au nom de la commission des lois, déposé le 30 mars 2011.

10 Décision n° 2011-191/194/195/196/197 QPC du 18 novembre 2011, Mme Élise A. et autres (Garde à vue II).

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librement »11.

Le Conseil a toutefois ajouté une réserve d’interprétation, suivant laquelle « le respect des droits de la défense exige qu’une personne à l’encontre de laquelle il apparaît, avant son audition ou au cours de celle-ci, qu’il existe des raisons plausibles de soupçonner qu’elle a commis ou tenté de commettre une infraction pour laquelle elle pourrait être placée en garde à vue, ne puisse être entendue ou continuer à être entendue librement par les enquêteurs que si elle a été informée de la nature et de la date de l’infraction qu’on la soupçonne d’avoir commise et de son droit de quitter à tout moment les locaux de police ou de gendarmerie »12.

Au vu de cette décision, la direction des affaires criminelles et des grâces a, le jour même, adressé aux procureurs généraux et aux procureurs de la République une dépêche leur demandant de mettre immédiatement en application les règles ainsi posées par le Conseil constitutionnel en donnant des instructions en ce sens aux services de police judiciaire13.

Le Conseil a réitéré cette solution dans une décision du 18 juin 2012, se prononçant cette fois sur l’article 78 du CPP, relatif à l’enquête préliminaire14.

d. – L’essor de la pratique de l’audition libre postérieur à la loi du 14 avril 2011 Si le législateur a refusé d’encadrer l’audition libre, la loi du 14 avril 2011, qui avait pour objectif de faire diminuer le nombre de gardes à vue, a toutefois atteint cet objectif. Ainsi, « [s]i les gardes à vue sont passées de 456 327 (790 000 avec les délits routiers) en 2009 à 286 337 en 2013, par vases communicants, l’audition libre a augmenté pour atteindre avant la réforme du 27 mai 2014, 780 000 mesures par an »15.

Lors de l’examen de la loi du 27 mai 2014, le rapporteur de la commission des lois du Sénat a précisé que « les enquêteurs y ont plus fréquemment recours en matière de contentieux routier, d’infractions économiques et financières ou encore d’auditions de mineurs ou de personnes fragiles ou vulnérables, auxquelles il

11 Ibid., cons. 19.

12 Ibid., cons. 20.

13 Citée par l’étude d’impact attachée au projet de loi n° 303 (Sénat – 2013-2014), déposé le 22 janvier 2014.

14 Décision n° 2012-257 QPC du 18 juin 2012, Société OLANO CARLA et autre (Convocation et audition par OPJ en enquête préliminaire), cons. 8 et 9.

15 Matthias Murbach-Vibert et Dimitri Delpeut, « La naissance de l’audition libre », in Jean-Baptiste Perrier (dir.), op.

cit., p. 13.

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convient d’éviter autant que possible un placement en garde à vue »16.

Cette absence de régime juridique de l’audition libre a toutefois été critiquée, notamment parce qu’elle avait pour conséquence de ne pas rendre possible l’assistance de l’avocat ou la notification du droit de se taire, dès lors qu’apparaissaient les soupçons17.

2. – Le régime de l’audition libre issu de la loi du 27 mai 2014

Dans l’étude d’impact du projet de loi, déposé le 22 janvier 201418, qui deviendra la loi du 27 mai 2014, est mis en avant l’objectif de « réaliser les adaptations législatives liées à la mise en œuvre de la directive 2012/13/UE du 22 mai 2012 relative au droit à l’information dans le cadre des procédures pénales qui doit être transposée au plus tard le 2 juin 2014 »19. Cette directive vise en effet à établir des normes minimales relatives, d’une part, au droit à l’information des personnes mises en cause ou poursuivies pénalement et, d’autre part, à l’accès aux pièces du dossier.

Est également mentionnée la directive 2013/48/UE du 22 octobre 2013 relative au droit d’accès à un avocat dans le cadre des procédures pénales, qui devait être transposée avant le 27 novembre 2016.

Or, ainsi que l’indique cet exposé des motifs, le respect des exigences posées par ces directives impose notamment que soient renforcés les droits des suspects entendus hors garde à vue.

S’il est fait état de la décision précitée du Conseil constitutionnel du 18 novembre 2011, l’étude d’impact relève qu’« aucune disposition n’impose aujourd’hui d’informer [la personne suspectée] de la qualification des faits. De même, il n’est pas prévu qu’elle doive être informée de son droit de garder le silence et de son droit d’obtenir l’assistance d’un interprète, alors que ces droits existent actuellement […].

En outre, alors que la personne dispose […] d’un droit à une consultation juridique, le plus souvent gratuite […] dans un point d’accès du droit ou une maison de la Justice et du droit, cette faculté n’est pas portée à sa connaissance. Par ailleurs, la personne suspecte entendue librement n’a pas aujourd’hui droit à l’assistance d’un

16 Rapport n° 380 (Sénat – 2013-2014) de M. Jean-Pierre Michel, fait au nom de la commission des lois, déposé le 19 février 2014.

17 Jacques Leroy, « La décision du Conseil constitutionnel sur la nouvelle garde à vue : une décision dérangeante », Dr. Pénal, 2012, p. 22 ; Audrey Darsonville, « Le maintien de l’audition libre, une nouvelle occasion manquée ? », Constitutions, 2012, p. 442 ; Olivier Bachelet, « QPC : ordre de comparution et audition libre, bis repetita (non) placent », Gaz. Pal., 2012, p. 17 ; Xavier Salvat, « Audition d’une personne entendue en enquête préliminaire sans être placée en garde à vue », RSC, 2013, p. 842.

18 Texte n° 303 (Sénat – 2013-2014) précité.

19 Voir l’étude d’impact.

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avocat, et donc ce droit ne lui est pas notifié ».

Afin de remédier à ces lacunes, la loi introduit ainsi dans le CPP un nouvel article 61-1 définissant les droits du suspect entendu dans le cadre d’une audition libre.

Ainsi, s’il existe à l’encontre de la personne convoquée aux fins d’audition des raisons plausibles de soupçonner qu’elle a commis ou tenté de commettre une infraction, l’article 61-1 du CPP prévoit que, « [s]i le déroulement de l’enquête le permet, […] cette convocation indique l’infraction dont elle est soupçonnée, son droit d’être assistée par un avocat ainsi que les conditions d’accès à l’aide juridictionnelle, les modalités de désignation d’un avocat d’office et les lieux où elle peut obtenir des conseils juridiques avant cette audition ».

Par ailleurs, lorsque cette personne est entendue, les 1° à 6° de l’article 61-1 disposent qu’elle doit être informée :

« 1° De la qualification, de la date et du lieu présumés de l’infraction qu’elle est soupçonnée d’avoir commise ou tenté de commettre ;

« 2° Du droit de quitter à tout moment les locaux où elle est entendue ;

« 3° Le cas échéant, du droit d’être assistée par un interprète ;

« 4° Du droit de faire des déclarations, de répondre aux questions qui lui sont posées ou de se taire ;

« 5° Si l’infraction pour laquelle elle est entendue est un crime ou un délit puni d’une peine d’emprisonnement, du droit d’être assistée au cours de son audition ou de sa confrontation, selon les modalités prévues [pour la garde à vue] aux articles 63-4-3 et 63-4-4, par un avocat choisi par elle ou, à sa demande, désigné d’office par le bâtonnier de l’ordre des avocats ; elle est informée que les frais seront à sa charge sauf si elle remplit les conditions d’accès à l’aide juridictionnelle, qui lui sont rappelées par tout moyen ; elle peut accepter expressément de poursuivre l’audition hors la présence de son avocat.

« 6° De la possibilité de bénéficier, le cas échéant gratuitement, de conseils juridiques dans une structure d’accès au droit ».

La notification de ces informations est mentionnée au procès-verbal.

L’article 61-1 s’applique également lors de l’enquête préliminaire (article 77 du CPP) ou pour l’exécution d’une commission rogatoire (article 154 du CPP).

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L’audition libre n’est pas enfermée dans des conditions de délai20. Si la personne soupçonnée souhaite quitter les lieux, l’officier de police judiciaire peut, si les conditions prévues par la loi sont remplies, décider de son placement en garde à vue (article 62-2 du CPP). L’heure du début de la garde à vue est alors fixée à celle du début de l’audition (article 63 du CPP).

L’accès à l’avocat n’est pas ouvert de manière inconditionnelle à toutes les personnes suspectées auditionnées librement, la rapporteure de la commission des lois de l’Assemblée nationale justifiant l’exclusion en matière contraventionnelle « car [elle] repose sur la réserve permise par la directive 2013/48/UE ainsi que sur des considérations pragmatiques importantes (surcoût lié à l’aide juridictionnelle, désorganisation du travail des services d’enquête…) »21 . Un amendement fut par ailleurs adopté par la commission des lois de l’Assemblée nationale, précisant que la personne suspectée peut accepter expressément de poursuivre l’audition hors la présence de son avocat22.

Dans un souci de coordination avec l’article 73 du CPP, la commission des lois du Sénat a ajouté en première lecture un alinéa suivant lequel « Le présent article n’est pas applicable si la personne a été conduite par la force publique devant l’officier de police judiciaire »23. La commission des lois de l’Assemblée nationale a précisé que la personne doit avoir été conduite « sous contrainte »24, excluant par ce biais les personnes interpellées par les services d’enquête qui accepteraient librement de les suivre.

3. – Le régime de l’audition libre applicable aux mineurs a. – Un renvoi aux dispositions applicables aux majeurs

Lorsque l’ordonnance de 1945 relative à l’enfance délinquante25 ne prévoit aucune disposition spécifique relative à la procédure d’enquête pénale, il est admis que, dans son silence, le droit commun s’applique. Or, si l’article 4 de cette ordonnance prévoit

20 Voir à l’inverse l’article 62 du CPP : « Les personnes à l’encontre desquelles il n’existe aucune raison plausible de soupçonner qu’elles ont commis ou tenté de commettre une infraction sont entendues par les enquêteurs sans faire l’objet d’une mesure de contrainte. Toutefois, si les nécessités de l’enquête le justifient, ces personnes peuvent être retenues sous contrainte le temps strictement nécessaire à leur audition, sans que cette durée puisse excéder quatre heures ».

21 Rapport n° 1895 (Assemblée nationale – XIVe législature) de Mme Cécile Untermaier, fait au nom de la commission des lois, déposé le 29 avril 2014.

22 Amendement n° CL16 de Mme Untermaier, rapporteure

23 Amendement n° COM-32 de M. Jean-Pierre Michel, rapporteur.

24 Amendement n° CL20 de Mme Untermaier, rapporteure.

25 Ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante.

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des conditions spécifiques pour la garde à vue des mineurs, il ne figure dans cette ordonnance aucune disposition relative à l’audition libre d’un mineur.

Aussi, l’audition libre d’un mineur est possible dans les conditions prévues par l’article 61-1 du CPP. La Cour de cassation a d’ailleurs relevé que « le mineur de 16 ans qui se présente sans contrainte au service de police où il est convoqué, peut, au cours d’une enquête préliminaire, être entendu sur les faits qui lui sont imputés, avant d’être placé en garde à vue »26.

Dans un arrêt du 6 novembre 2013, la chambre criminelle de la Cour de cassation a précisé toutefois que « le mineur, conduit par les policiers auprès d’un officier de police judiciaire pour être entendu sur une infraction qu’il était soupçonné d’avoir commise, se trouvait nécessairement dans une situation de contrainte et devait bénéficier des droits attachés au placement en garde à vue »27. Ce faisant, la Cour de cassation a limité le champ de l’audition libre en retenant une conception large de la contrainte. Cette décision a pu ainsi être commentée : « Cette solution est parfaitement logique. On conçoit, en effet, qu’un mineur puisse se sentir, davantage qu’un majeur, contraint par la présence de policiers ou gendarmes, venus le chercher pour une audition, et que la liberté de l’audition se trouve, à l’égard d’un mineur, considérablement amoindrie. En outre, il convient de rappeler qu’un mineur est, en principe, sous l’autorité de ses parents ou, comme en l’espèce, du service auquel il a été confié, de sorte qu’il n’est pas juridiquement libre d’aller et venir, ni avant d’être confié aux policiers, ni a fortiori après »28.

Néanmoins, cette décision a été rendue alors que l’article 73 du CPP prévoyait l’absence d’audition libre si la personne a été conduite par la force publique devant l’officier de police judiciaire, les termes « sous contrainte » ayant été ajoutés postérieurement.

b. – Un régime spécifique à venir

Le régime de l’audition libre des mineurs devrait évoluer très prochainement puisque celui-ci est réformé par le projet de loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice adopté le 18 février 2019.

Modifié par un amendement de M. Stéphane Mazars29 , son article 94 insère un

26 Cass. crim., 25 octobre 2000, n° 00-84.726.

27 Cass. crim., 6 novembre 2013, n°13-84.320.

28 Philippe Bonfils, Adeline Gouttenoire, Droit des mineurs, Dalloz 2014, p. 1787.

29 Amendement n° 1080 rect. adopté en séance par l’Assemblée nationale, en première lecture, le 23 novembre 2018.

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article 3-1 à l’ordonnance du 2 février 1945, prévoyant que :

« Lorsqu’un mineur est entendu librement en application de l’article 61-1 du code de procédure pénale, l’officier de police judiciaire doit en informer par tout moyen les parents, le tuteur, la personne ou le service auquel le mineur est confié.

« […]

« Lorsque l’enquête concerne un crime ou un délit puni d’une peine d’emprisonnement et que le mineur n’a pas sollicité l’assistance d’un avocat en application des mêmes articles 61-1 et 61-3, cette demande peut également être faite par ses représentants légaux, qui sont alors avisés de ce droit lorsqu’ils sont informés conformément aux dispositions des deux premiers alinéas du présent article. Lorsque le mineur ou ses représentants légaux n’ont pas sollicité la désignation d’un avocat, le procureur de la République, le juge des enfants, le juge d’instruction ou l’officier de police judiciaire doit informer par tout moyen et sans délai le bâtonnier afin qu’il en commette un d’office, sauf si le magistrat compétent estime que l’assistance d’un avocat n’apparaît pas proportionnée au regard des circonstances de l’espèce, de la gravité de l’infraction, de la complexité de l’affaire et des mesures susceptibles d’être adoptées en rapport avec celle-ci ».

En nouvelle lecture à l’Assemblée nationale, la dernière phrase a été complétée par les termes suivants : « , étant entendu que l’intérêt supérieur de l’enfant demeure toujours une considération primordiale »30.

Par ailleurs, ce même article, dans sa rédaction résultant de l’amendement précité de M. Mazars, ajoute également à l’ordonnance de 1945 un article 6-2, suivant lequel :

« I. – Le mineur suspecté ou poursuivi en application des dispositions de la présente ordonnance a le droit :

« 1° Que les titulaires de l’autorité parentale reçoivent les mêmes informations que celles qui doivent lui être communiquées au cours de la procédure ;

« 2° D’être accompagné par les titulaires de l’autorité parentale : […]

« b) Lors de ses auditions ou interrogatoires si l’autorité qui procède à cet acte estime qu’il est dans l’intérêt supérieur de l’enfant d’être accompagné et que la présence de cette personne ne porte pas préjudice à la procédure ; au cours de l’enquête, l’audition ou l’interrogatoire peut débuter en l’absence de cette personne à l’issue d’un délai de deux heures à compter du moment où celle-ci a été avisée.

« II. – L’information n’est toutefois pas délivrée aux titulaires de l’autorité parentale

30 Amendement n° CL116 de Mme Cécile Untermaier.

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et le mineur n’est pas accompagné par ceux-ci lorsque cette délivrance ou cet accompagnement :

« 1° Serait contraire à l’intérêt supérieur du mineur ;

« 2° N’est pas possible, parce que, après que des efforts raisonnables ont été déployés, aucun titulaire de l’autorité parentale ne peut être joint ou que leur identité est inconnue ;

« 3° Pourrait, sur la base d’éléments objectifs et factuels, compromettre de manière significative la procédure pénale.

« III. – Dans les cas prévus au II, le mineur peut désigner un adulte approprié, qui doit être accepté en tant que tel par l’autorité compétente, pour recevoir ces informations et pour l’accompagner au cours de la procédure. Lorsque le mineur n’a désigné aucun adulte ou que l’adulte désigné n’est pas acceptable pour l’autorité compétente, le procureur de la République, le juge des enfants ou le juge d’instruction désigne, en tenant compte de l’intérêt supérieur de l’enfant, une autre personne pour recevoir ces informations et accompagner le mineur. […] ».

L’exposé des motifs de l’amendement indique que celui-ci a pour objet de mettre l’ordonnance de 1945 en pleine conformité avec les exigences de la directive 2016/800/UE du 11 mai 2016 relative à la mise en place de garanties procédurales en faveur des enfants qui sont des suspects ou des personnes poursuivies dans le cadre des procédures pénales31. À cet effet, « il convient de prévoir, dans un nouvel article 3-1 de l’ordonnance, l’assistance obligatoire d’un avocat en cas d’audition libre, de tapissage, de reconstitution, même en l’absence de demande d’avocat formée par le mineur ou ses parents, sauf dérogations exceptionnelles décidée par un magistrat » et « l’information des titulaires de l’autorité parentale, et l’accompagnement du mineur par ceux-ci, et, en cas de carence de ces titulaires, leur remplacement par un adulte approprié, qui pourra notamment être un administrateur ad hoc ».

B. – Origine de la QPC et question posée

Dans le cadre d’une enquête menée à la suite d’un vol de véhicule, M. Berket S., âgé de 14 ans, s’est présenté volontairement à la gendarmerie et a été entendu en audition libre. Il a par la suite été mis en examen par le juge des enfants du chef de recel de vol et de conduite d’un véhicule à moteur sans permis de conduire. Son avocat a déposé devant la chambre de l’instruction d’Angers, le 11 juillet 2018, une requête en annulation de son audition libre. Il a concomitamment déposé une question

31 Pour les dispositions citées, il s’agit de transposer les article 5, 6 et 15 de la directive.

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prioritaire de constitutionnalité ainsi rédigée :

« Les dispositions de l’article 61-1 du code de procédure pénale entraînent-elles une discrimination injustifiée entre, d’une part, un mineur auditionné librement et, d’autre part, un mineur auditionné en garde à vue (application de l’article 4 de l’ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante), en n’assurant pas aux mineurs des garanties égales, notamment quant au respect du principe des droits de la défense et ce, en ce qu’elles ne prévoient pas les droits et garanties suivants :

« 1. l’obligation pour un officier de police judiciaire d’aviser les parents, le tuteur, la personne ou le service auquel est confié le mineur,

« 2. l’obligation pour le procureur de la République ou le juge chargé de l’information de désigner un médecin qui examine le mineur de seize ans,

« 3. l’obligation pour un officier de police judiciaire d’aviser les représentants légaux du mineur de plus de seize ans de leur droit de demander un examen médical lorsqu’ils sont informés de l’audition libre,

« 4. l’obligation pour un officier de police judiciaire d’informer immédiatement le mineur qu’il doit être assisté par un avocat,

« 5. l’obligation pour un officier de police judiciaire, lorsque le mineur n’a pas sollicité l’assistance d’un avocat, d’aviser ses représentants légaux de ce droit lorsqu’ils sont informés de l’audition libre,

« 6. l’obligation pour un officier de police judiciaire, le procureur de la République ou le juge chargé de l’information, lorsque ni le mineur, ni ses représentants légaux n’ont désigné un avocat d’informer par tout moyen et sans délai le bâtonnier afin qu’il en commette un d’office,

« 7. l’obligation d’enregistrement audiovisuel de l’audition libre du mineur ? ».

Par arrêt du 12 septembre 2018, la QPC a été transmise à la Cour de cassation.

Celle-ci a estimé que « la question posée présente un caractère sérieux, en ce que, lorsqu’un mineur, à l’égard duquel il existe des raisons plausibles de soupçonner qu’il a commis ou tenté de commettre une infraction, fait l’objet, au cours d’une enquête pénale, d’une audition libre, le législateur n’a pas institué d’autres garanties que celles prévues pour les personnes majeures ; qu’il n’a pas prévu en particulier l’information par l’officier de police judiciaire des parents, du tuteur ou de la personne ou service auquel est confié le mineur, l’assistance obligatoire par un avocat, même pour les mineurs de 16 ans, le droit du mineur ou de ses représentants de demander la désignation d’un médecin, et l’enregistrement audiovisuel des interrogatoires ; que si le mineur interrogé dans le cadre d’une audition libre ne fait pas l’objet d’une contrainte assimilable à la garde à vue, il appartient cependant au Conseil constitutionnel de dire si les garanties du mineur entendu sous le régime

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prévu par l’article 61-1 du code de procédure pénale sont suffisantes au regard du principe fondamental reconnu par les lois de la République du droit pénal spécial et protecteur des mineurs intégrant leur vulnérabilité ».

Par sa décision précitée du 27 novembre 2018, la Cour de cassation a transmis la QPC au Conseil constitutionnel.

II. – L’examen de la constitutionnalité des dispositions contestées

Faisant état de l’absence de garanties conférées au mineur dans le cadre d’une audition libre, les arguments développés par le requérant s’articulaient autour de deux griefs : d’une part, la méconnaissance du principe d’égalité devant la procédure pénale, compte tenu de la différence de traitement entre les mineurs placés en garde à vue et ceux auditionnés librement ; d’autre part, la violation du principe fondamental reconnu par les lois de la République en matière de justice des mineurs.

Le Conseil constitutionnel s’est prononcé uniquement sur le second de ces griefs, celui-ci justifiant la censure des dispositions contestées.

1. – La jurisprudence constitutionnelle en ce qui concerne le contrôle des mesures pénales applicables aux mineurs

* Les décisions rendues par le Conseil constitutionnel relatives à la justice pénale des mineurs ont essentiellement été rendues au regard du principe fondamental reconnu par les lois de la République (PFRLR) consacré en 2002 et, auparavant, de l’article 9 de la Déclaration de 1789.

– Cet article 9 dispose : « Tout homme étant présumé innocent jusqu’à ce qu’il ait été déclaré coupable, s’il est jugé indispensable de l’arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s’assurer de sa personne doit être sévèrement réprimée par la loi ».

Depuis sa décision n° 2004-492 DC du 2 mars 2004, le Conseil fait découler de l’article 9 de la Déclaration de 1789, relatif à la présomption d’innocence, le principe suivant lequel « nul n’est tenu de s’accuser »32. Le Conseil constitutionnel a ensuite

32 Décision n° 2004-492 DC du 2 mars 2004, Loi portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité, cons. 110.

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reconnu expressément qu’il découlait du droit de ne pas s’accuser le droit de se taire 33.

– Le principe fondamental reconnu par les lois de la République relatif à la justice des mineurs a été dégagé par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2002-461 DC du 29 août 2002 (cons. 26)34. Ce principe résulte notamment de trois lois républicaines : la loi du 12 avril 1906 modifiant les articles 66 et 67 du code pénal, 340 du code d’instruction criminelle et fixant la majorité pénale à l’âge de dix- huit ans, la loi du 22 juillet 1912 et, enfin, l’ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante.

Ce principe a un double contenu : atténuation de la responsabilité pénale et nécessité de rechercher le relèvement éducatif et moral des enfants délinquants par des mesures adaptées à leur âge et à leur personnalité, prononcées par une juridiction spécialisée ou selon des procédures appropriées. Toutefois, ce principe n’implique pas pour autant que les mesures contraignantes et les sanctions devraient toujours être évitées au profit de mesures purement éducatives.

Depuis cette décision, le Conseil a eu à faire application de ce principe à différentes reprises.

Le plus souvent, le PFRLR a été invoqué pour critiquer des dispositions qui renforcent la sévérité ou la célérité de la justice des mineurs. Pour examiner la conformité à ce PFRLR de telles dispositions, le Conseil procède à un contrôle de proportionnalité particulier dont l’intensité varie en fonction de plusieurs critères : l’âge, la gravité des faits, l’existence d’antécédents, l’existence de garanties spécifiques entourant la mesure et sa place plus ou moins subsidiaire dans le dispositif de la justice pénale des mineurs. L’âge et la gravité constituent les deux

33 Décision n° 2016-594 QPC du 4 novembre 2016, Mme Sylvie T. (Absence de nullité en cas d’audition réalisée sous serment au cours d’une garde à vue), paragr. 8.

34 Décision n° 2002-461 DC du 29 août 2002, Loi d’orientation et de programmation pour la justice : « l’atténuation de la responsabilité pénale des mineurs en fonction de l’âge, comme la nécessité de rechercher le relèvement éducatif et moral des enfants délinquants par des mesures adaptées à leur âge et à leur personnalité, prononcées par une juridiction spécialisée ou selon des procédures appropriées, ont été constamment reconnues par les lois de la République depuis le début du vingtième siècle ; que ces principes trouvent notamment leur expression dans la loi du 12 avril 1906 sur la majorité pénale des mineurs, la loi du 22 juillet 1912 sur les tribunaux pour enfants et l’ordonnance du 2 février 1945 sur l’enfance délinquante ; que toutefois, la législation républicaine antérieure à l’entrée en vigueur de la Constitution de 1946 ne consacre pas de règle selon laquelle les mesures contraignantes ou les sanctions devraient toujours être évitées au profit de mesures purement éducatives ; qu’en particulier, les dispositions originelles de l’ordonnance du 2 février 1945 n’écartaient pas la responsabilité pénale des mineurs et n’excluaient pas, en cas de nécessité, que fussent prononcées à leur égard des mesures telles que le placement, la surveillance, la retenue ou, pour les mineurs de plus de treize ans, la détention ; que telle est la portée du principe fondamental reconnu par les lois de la République en matière de justice des mineurs » (cons. 26).

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paramètres variables principaux : moins les faits à l’origine de la poursuite sont graves ou plus l’âge ouvrant droit à la mesure en cause est bas, plus les exigences du PFRLR sont fortes.

Ces exigences se déploient autour de deux axes.

Le premier est le principe de spécialité de la justice des mineurs : le Conseil relève constamment les règles spécifiques assurant un traitement particulier des mineurs délinquants, qu’il s’agisse de conditions plus restrictives pour les mesures de contrainte (en particulier pour le quantum de la peine encourue permettant d’y recourir35 ), des garanties assurant la protection de leur fragilité (examen médical systématique en garde à vue36) et de l’intervention d’acteurs spécialisés du système judiciaire (présence d’un personnel éducatif pendant la détention provisoire37). Cette spécialité couvre l’ensemble de la chaîne pénale, de l’enquête jusqu’à l’exécution de la sanction.

Le second est relatif à la finalité éducative de la justice pénale des mineurs : cette finalité n’a pas pour effet d’interdire que des mesures de contrainte ou des sanctions puissent être prises. Toutefois, le Conseil veille à ce que l’instauration de telles mesures de contrainte ou de telles sanctions ne conduise pas à rendre impossible la recherche du « relèvement éducatif et moral des mineurs délinquants »38.

* Les décisions relatives à la justice des mineurs rendues par le Conseil constitutionnel concernent pour une large part des dispositions relatives aux modalités de poursuite et de jugement des mineurs devant les juridictions pénales ainsi qu’aux peines et sanctions pouvant être prononcées à leur encontre. Elles procèdent donc à une balance distincte de celle effectuée dans la présente affaire, qui supposait d’examiner les contraintes pouvant être imposées aux mineurs et les garanties devant leur être apportées dans le cadre du recueil des preuves. Sur ce plan, les décisions du Conseil les plus proches étaient celles relatives à la garde à vue.

Ainsi, dans sa décision n° 93-326 DC, sur le fondement de l’article 9 de la Déclaration de 1789, le Conseil a jugé que « si le législateur peut prévoir une procédure appropriée permettant de retenir au-dessus d’un âge minimum les enfants

35 Décision n° 2007-553 DC du 3 mars 2007, Loi relative à la prévention de la délinquance, cons. 16.

36 Décision n° 2004-492 DC du 2 mars 2004, Loi portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité, cons. 39.

37 Décision n° 2002-461 DC du 29 août 2002 précitée, cons. 43.

38 Cf., pour une réserve d’interprétation imposant la conciliation entre cet objectif et la nécessité d’identifier les auteurs d’infraction, s’agissant du maintien des mineurs dans les fichiers d’antécédents judiciaires : décision n° 2011-625 DC du 10 mars 2011, Loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure, cons. 11.

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de moins de treize ans pour les nécessités d’une enquête, il ne peut être recouru à une telle mesure que dans des cas exceptionnels et s’agissant d’infractions graves ; que la mise en œuvre de cette procédure qui doit être subordonnée à la décision et soumise au contrôle d’un magistrat spécialisé dans la protection de l’enfance, nécessite des garanties particulières ; que le régime de la garde à vue du mineur de treize ans, même assorti de modalités spécifiques, ne répond pas à ces conditions »39. En revanche, dans cette même décision, le Conseil constitutionnel n’a pas censuré les dispositions relatives à la garde à vue des mineurs de plus de treize ans, laquelle comportait comme garanties : l’obligation d’informer les parents, le tuteur ou la personne à qui est confié le mineur ; le caractère obligatoire de l’examen médical pour les mineurs entre treize et seize ans ; la possibilité d’un entretien avec un avocat dès le début de la mesure pour le mineur de seize ans ; l’obligation de présentation du mineur au magistrat en cas de prolongation de la mesure.

Par ailleurs, dans une décision du 20 janvier 1994, le Conseil a déclaré conforme à la Constitution la retenue des mineurs de 13 ans en relevant notamment, au titre des garanties, l’assistance d’un avocat dès le début de la retenue40.

Lorsqu’il s’est prononcé sur les garanties accordées au mineur en garde à vue dans le cadre des enquêtes relatives à des faits entrant dans le champ d’application de l’article 706-73 nouveau du code de procédure pénale, dans sa décision précitée du 2 mars 2004, le Conseil constitutionnel a relevé « que ne sont pas remises en cause les dispositions protectrices de l’ordonnance du 2 février 1945 susvisée ; que son article 4 exclut de la garde à vue les mineurs de moins de treize ans et subordonne celle des autres mineurs à des conditions particulières ; que le mineur placé en garde à vue fait l’objet d’un examen médical, a le droit de demander à s’entretenir avec un avocat à la première heure de sa garde à vue et ne peut voir celle-ci prolongée sans présentation préalable au procureur de la République ou au juge chargé de l’instruction ; que, par ailleurs, ses interrogatoires font l’objet d’un enregistrement audiovisuel ; que, eu égard à l’ensemble de ces conditions, la mesure critiquée, qui ne concerne que les mineurs de plus de seize ans impliqués dans des faits graves, ne porte pas atteinte aux exigences constitutionnelles propres à la justice des mineurs »41 . Le Conseil a ainsi explicitement jugé que le PFRLR avait des implications non pas seulement dans l’appréciation de la responsabilité des mineurs et le prononcé de la peine, mais également dans les mesures de procédure pénale dont

39 Décision n° 93-326 DC du 11 août 1993, Loi modifiant la loi n° 93-2 du 4 janvier 1993 portant réforme du code de procédure pénale, cons. 29.

40 Décision n° 93-334 DC du 20 janvier 1994, Loi instituant une peine incompressible et relative au nouveau code pénal et à certaines dispositions de procédure pénale, cons. 23 à 25.

41 Décision précitée n° 2004-492 DC du 2 mars 2004, cons. 39.

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ils peuvent faire l’objet (ce dont rend compte la référence aux « procédures appropriées » dans l’énoncé du PFRLR).

Confirmant ce dernier point, le Conseil s’est, plus récemment, prononcé sur les dispositions régissant la garde à vue des mineurs avant la loi du 4 janvier 199342. Dans sa décision n° 2018-744 QPC du 16 novembre 2018, prenant acte de l’absence de « garantie légale afin d’assurer le respect des droits, notamment ceux de la défense, de la personne gardée à vue, majeure ou non » et de l’absence d’« âge en dessous duquel un mineur ne peut être placé en garde à vue », le Conseil a constaté que les dispositions contestées permettaient que « tout mineur soit placé en garde à vue pour une durée de vingt-quatre heures renouvelable avec comme seul droit celui d’obtenir un examen médical en cas de prolongation de la mesure »43. Il en a déduit que « d’une part, le législateur, qui n’a pas assuré une conciliation équilibrée entre la recherche des auteurs d’infractions et l’exercice des libertés constitutionnellement garanties, a alors méconnu les articles 9 et 16 de la Déclaration de 1789. D’autre part, il a alors contrevenu au principe fondamental reconnu par les lois de la République en matière de justice des mineurs »44.

2. – L’application à l’espèce

Dans la décision commentée, le Conseil constitutionnel a d’abord rappelé sa formulation de principe relative au PFRLR en matière de justice des mineurs, en l’allégeant de la référence aux lois dans lesquelles il trouvait notamment son expression (paragr. 3).

Le Conseil a ensuite exposé le régime de l’audition libre applicable aux personnes à l’égard desquelles il existe des raisons plausibles de soupçonner qu’elles ont commis ou tenté de commettre une infraction, tel qu’il résulte du dispositif contesté. Il a rappelé les garanties prévues par le législateur : « L’audition ne peut avoir lieu que si la personne y consent et si elle n’a pas été conduite, sous contrainte, devant l’officier de police judiciaire. En outre, la personne ne peut être entendue qu’après avoir été informée de la qualification, de la date et du lieu présumés de l’infraction, du droit de quitter à tout moment les locaux où elle est entendue, du droit d’être assistée par un interprète, du droit de faire des déclarations, de répondre aux questions ou de se taire, de la possibilité de bénéficier de conseils juridiques dans une structure d’accès au droit et, si l’infraction pour laquelle elle est entendue est

42 Loi n° 93-2 du 4 janvier 1993 portant réforme de la procédure pénale.

43 Décision n° 2018-744 QPC du 16 novembre 2018, Mme Murielle B. (Régime de la garde à vue des mineurs), paragr. 15 et 16.

44 Ibid., paragr. 16.

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un crime ou un délit puni d’une peine d’emprisonnement, du droit d’être assistée au cours de son audition par un avocat. Elle peut accepter expressément de poursuivre l’audition hors la présence de son avocat » (paragr. 4).

Toutefois, le Conseil a constaté que les dispositions en cause s’appliquent également aux personnes mineures entendues, quel que soit leur âge, sans que le législateur n’ait alors prévu des garanties spécifiques (paragr. 5). Or, le Conseil a estimé que les garanties précitées « ne suffisent pas à assurer que le mineur consente de façon éclairée à l’audition libre ni à éviter qu’il opère des choix contraires à ses intérêts » (même paragr.).

En effet, le régime de l’audition libre n’a de sens que si la personne à laquelle il s’applique a consenti de manière effective à être entendue dans ce cadre. Or, comme cela a pu être relevé, l’immaturité et la suggestibilité d’un mineur « sont d’autant plus fortes dans les locaux de police ou de gendarmerie où le poids de l’autorité et de la force publique, même sans coercition, peuvent être de nature à impressionner le mineur et à vicier la véracité de ses déclarations »45. En l’espèce, le législateur n’avait en outre fait aucune distinction entre les mineurs, les dispositions contestées s’appliquant également à un mineur de treize ans. Aussi le Conseil constitutionnel a jugé que des garanties spécifiques devaient être prévues pour que le consentement de la personne mineure soit éclairé et de nature à lui permettre de faire des choix conformes à ses intérêts. Le Conseil constitutionnel n’a pas souhaité indiquer quelles garanties devaient être apportées dès lors que le législateur dispose de plusieurs solutions pour remédier à l’inconstitutionnalité constatée et que, comme il le rappelle souvent, le Conseil ne dispose pas du même pouvoir d’appréciation que le législateur.

Le Conseil en a déduit que le législateur, en ne prévoyant pas de procédures appropriées de nature à garantir l’effectivité de l’exercice de ses droits par le mineur dans le cadre d’une enquête pénale, a contrevenu au PFRLR en matière de justice des mineurs (paragr. 5).

Par conséquent, il a déclaré l’article 61-1 du code de procédure pénale contraire à la Constitution, sans qu’il soit besoin d’examiner le grief tiré de la méconnaissance du principe d’égalité devant la justice (paragr. 6).

Cette décision s’inscrit dans la lignée de la jurisprudence antérieure du Conseil.

En effet, d’une part, dans sa décision du 18 novembre 2011 précitée, lorsque le

45 Olivier Lambert, « L’audition hors garde à vue des mineurs mis en cause », Semaine juridique, 8 juillet 2013, p. 1411.

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Conseil a validé le principe de l’audition libre, il a indiqué notamment que l’absence de garanties autres que celles relatives à la connaissance des faits objet de l’enquête respectait la Constitution dans la mesure où la personne avait consenti à être entendue librement. Cette condition ne pouvait s’entendre que d’un consentement effectif.

D’autre part, le Conseil constitutionnel prend en compte la vulnérabilité particulière de certaines personnes dans son appréciation des garanties nécessaires au respect des droits constitutionnels. Ainsi, s’agissant des majeurs protégés, le Conseil constitutionnel a récemment censuré, dans sa décision n° 2018-730 QPC, des dispositions « ne prévoyant pas, lorsque les éléments recueillis au cours de la garde à vue d’une personne font apparaître qu’elle fait l’objet d’une mesure de protection juridique, que l’officier de police judiciaire ou l’autorité judiciaire sous le contrôle de laquelle se déroule la garde à vue soit, en principe, tenu d’avertir son curateur ou son tuteur afin de lui permettre d’être assistée dans l’exercice de ses droits »46. Il a notamment pris en compte, à cet égard le fait que, « dans le cas où il n’a pas demandé à ce que son curateur ou son tuteur soit prévenu, le majeur protégé peut être dans l’incapacité d’exercer ses droits, faute de discernement suffisant ou de possibilité d’exprimer sa volonté en raison de l’altération de ses facultés mentales ou corporelles. Il est alors susceptible d’opérer des choix contraires à ses intérêts, au regard notamment de l’exercice de son droit de s’entretenir avec un avocat et d’être assisté par lui au cours de ses auditions et confrontations »47. Même si, en l’espèce, il s’agissait d’une mesure de garde à vue, comportant donc une contrainte, le Conseil a estimé, s’agissant de l’audition libre d’un mineur, que des garanties spécifiques devaient être apportées pour garantir l’effectivité des droits ouverts par la loi lorsque la personne en bénéficiant n’est pas à même de faire un choix éclairé.

S’agissant des effets de sa décision, prenant acte du fait que l’abrogation immédiate des dispositions contestées aurait eu pour effet de supprimer les garanties légales encadrant l’audition libre de toutes les personnes soupçonnées, majeures ou mineures, et aurait ainsi entraîné des conséquences manifestement excessives, le Conseil a décidé de reporter au 1er janvier 2020 la date de l’abrogation des dispositions contestées (paragr. 8).

Il doit être relevé que, même si le régime de l’audition libre d’un mineur devrait être modifié lors de l’entrée en vigueur de la loi de programmation de la justice, le législateur devra en tout état de cause intervenir à nouveau s’il souhaite encadrer l’audition libre des majeurs. En effet, cette loi modifie l’ordonnance de 1945 et non l’article 61-1 du CPP abrogé par la présente décision. En l’absence de nouvelle

46 Décision n° 2018-730 QPC du 14 septembre 2018, M. Mehdi K. (Absence d’obligation légale d’aviser le tuteur ou le curateur d’un majeur protégé de son placement en garde à vue), paragr. 9.

47 Même décision, paragr. 8.

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intervention législative, l’entrée en vigueur de cette loi n’empêchera donc pas cette abrogation de prendre effet le 1er janvier 2020.

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