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Mensonges et consentement

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Academic year: 2022

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REVUE MÉDICALE SUISSE

WWW.REVMED.CH 16 juin 2021

1188

BLOC-NOTES

Mensonges et consentement

e qui se passe dans l’actualité du Covid résume, par une sorte de parabole, ce qui va arriver avec les pesticides et le climat. Dans la dernière votation, nous, les Suisses, avons obéi aux jeux de pouvoirs, travestisse- ments du réel et arrangements politiques plutôt que de nous confronter à la réalité biologique et environnementale et d’oser repenser le monde. Et le moment n’est pas loin où, ayant abandonné la science, nous succomberons non pas au rêve, mais à des affrontements entre hordes d’individus dopés à la testosté- rone, se moquant d’être les consommateurs finaux du monde et de leur propre égoïsme.

Par quelle accumulation de manipulations et constructions de fausses évidences en est- on arrivé à penser que les économies faites aujourd’hui valent mieux que la misère de demain ?

À propos du Covid, donc, plane ces temps une forme de malaise scientifique. La curieuse impression, pour ceux qui ont cherché le vrai, proposé les attitudes les plus raisonnables, de se trouver en accusation. Il ne s’agit pas d’abord du désamour des politiciens envers les task force ou autres comités de suivi. Ce désa- mour, on le voit dans tous les pays et pour beaucoup de sujets. Il s’agit surtout de la popu- lation qui se montre lasse de la science et des scientifiques. Perdue dans une confusion entre cause et effet, elle en veut à ceux qui ont pensé et agi. Ils auraient exagéré. Ils auraient construit leur pouvoir sur le catastrophisme. La population ne voit pas que, si ce qui est arrivé a été moins pire que prévu, c’est davantage une preuve d’efficacité qu’un signe d’erreur. Comment reprendre pied dans cette confusion et la défiance qu’elle suscite ? Il faudrait faire un bilan intermédiaire. Expliquer de quelle manière le savoir s’est construit, mais aussi pourquoi les scientifiques se sont trompés, dévoiler l’envers du décor, avouer franchement que oui, la science est aussi faite de drôles d’individus narcissiques ou vendus, ou encore qu’elle n’est pas indemne, loin de là, de jeux et de liens avec les pouvoirs de l’époque. Il faudrait par exemple éclaircir les raisons pour lesquelles les autorités sanitaires ont – en Suisse bien plus qu’ailleurs et malgré l’accumulation des preuves et les documents de la task force – irrationnellement retardé la prise en compte des aérosols comme voie principale de transmission du Covid. Ont- elles été maraboutées par quelque scientifique alternatif ?

C’est en grande partie l’absence de bilan et de transparence intelligente qui font que les gens ne croient plus à grand-chose, ou croient en des récits fictifs. Il n’y a pas de démocratie sans principe de réalité. Et pas de science sans enquête permanente sur la pratique scienti- fique. Pour le moment, la pandémie reste un récit non clarifié, où le savoir côtoie les omis- sions volontaires, mensonges et manipulations qui rendent sablonneuse la pratique scienti- fique et dangereuse la tâche de ceux qui cherchent un chemin de raison.

Prenez aussi cet abîme d’incertitudes qu’est l’origine du Covid. Une année et demie après, le brouillard est encore plus épais qu’aux premiers jours. La thèse de la zoonose, avec la séquence chauve-souris-pangolin, a longtemps dominé, voire a stérilisé les autres hypothèses.

Que le virus du Covid puisse émerger d’un laboratoire, on le savait, bien sûr. Pour les scientifiques, l’idée n’a jamais été complète- ment écartée. Mais que signifie « pour les scientifiques » ? Très tôt, certaines voix « auto- risées » (mais en science, on ne s’autorise que des faits) ont fermé cette piste. Dès mars 2020, étrangement, et indûment, à la suite d’une lettre publiée dans le Lancet (lettre dont l’auteur, on le sait maintenant, avait un évident conflit d’intérêts), la recherche explorant l’hypothèse d’une fuite du laboratoire est déclarée inepte, en particulier par l’OMS.

Et pourtant, ces fuites sont courantes, même si, pour la plupart, elles ne résultent pas d’un complot mais d’erreurs humaines. Surtout qu’au laboratoire de Wuhan, les coronavirus de chauve-souris n’étaient pas manipulés au niveau p4 (le maximum de sécurité), mais p2- p3. Enfin, il apparaît que la recherche sur ces virus, à Wuhan, a été en partie financée par les États-Unis. Il est peu probable que ce lien – étrange et surtout gênant pour les deux puis- sances impliquées – favorise la compréhension de ce qui s’est réellement passé.

À cela s’ajoute qu’après plus d’une année de recherche, des dizaines de milliers de prélè- vements, pas le moindre hôte intermédiaire n’a été identifié. Bref, la certitude de la zoo- nose se craquelle. Dans une correspondance au ton solennel, publiée jeudi 13 mai par la revue Science, une vingtaine de scientifiques de haut niveau demandent que soit sérieuse- ment explorée l’hypothèse d’une fuite de labo- ratoire. Ce qui suppose d’investiguer et donc d’affronter les intérêts qui s’y opposent. On en est donc là. Pour accéder aux données, à la réalité, la science ne peut plus se passer de formes ou d’autres d’enquêtes, d’infiltration, de contre-espionnage.

Mais attention à ne pas confondre ce rôle avec celui que se donnent les acteurs permanents de ce théâtre politico-scientifico-stratégique : les complotistes. Eux-mêmes sont des sous-produits des mensonges de l’époque, des spécialistes de la production du faux à un moment où le faux domine. Leur mérite, cependant, et il n’est pas petit, consiste à nous obliger à démontrer en quoi « nous » ne sommes pas « eux ». Ce qui suppose une grande rigueur épistémologique, si nous ne voulons pas à notre tour tomber dans un complotisme qui consisterait à en voir un derrière toute critique. Ne pas tuer l’esprit critique est crucial. Aucune science appliquée ne peut exister, désormais, sans d’abord enquêter sur ses sources – hypothèses et données – tout en se méfiant des intérêts qu’elle pourrait déranger. Le récit scientifique est devenu le lieu où s’exerce la puissance moderne.

Un petit mot sur les pesticides. Depuis longtemps, les industriels ont infiltré et con trôlent en partie les agences censées les contrôler.

Cela au détriment de l’environnement et de la santé, et en rendant quasi impossible tout débat démocratique éclairé. Un même phéno- mène s’observe d’ailleurs pour les perturba- teurs endocriniens, les particules fines ou les polluants atmosphériques. En réalité pour tous les polluants. Et, bien sûr, pour l’extraordinaire gravité des conséquences du changement cli- matique. À quelques exceptions près (comme le GIEC), règne un manque de sérieux, ou plutôt une malhonnêteté, ou une corruption, des grandes agences éco-sanitaires. Dernier exemple : un rapport du réseau d’ONG Pesticide Action Network épinglait la semaine passée l’Autorité européenne de sécurité des aliments : au fil des années, cette agence a autorisé la mise sur le marché de 12 pesticides potentiel- lement mutagènes. Mais surtout, ils l’ont fait en masquant certaines données, en utilisant des méthodes inadéquates, en changeant les conclusions et en niant les risques. Pas juste tendancieux, les experts de l’agence. Faux- monnayeurs de preuves, plutôt.

L’erreur serait de croire que les intérêts commerciaux ou stratégiques, ayant peur de la vérité, cherchent à passer en force. Mais non.

Leur modèle n’est pas là. Il se joue dans le soft power. Le pouvoir ne veut pas de violence : il étouffe les résistances en créant ce que les gens estiment vrai. Comme le dit Barbara Stiegler, la grande tâche que s’assigne le néolibéralisme, c’est de fabriquer notre consentement. Celui de chacun et celui des démocraties.

C

Bertrand Kiefer

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