2154 Revue Médicale Suisse – www.revmed.ch – 2 novembre 2011
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Automne ;
Il arrive un matin, ce toxicomane en cure de méthadone de longue date, comme à son habitude la casquette vissée sur le crâne.
J’ai envie de lui faire part de mon agacement mais me ravise à sa mine défaite, son visage émacié.
La gorge nouée, il m’annonce la métasta- tisation de son mélanome découvert, au cuir chevelu précisément, en 2004 ; on lui a dit au CHUV qu’il n’en avait plus pour longtemps, quelques mois peut-être, qu’il ne sait pas comment le dire à sa fille de 10 ans dont il s’occupe avec amour comme père au foyer.
Il pleure et se reprend prestement, il n’a pas envie de s’éterniser ce jour-là malgré la bonne entente tissée au fil des ans entre nous. On se quitte sur un au revoir incertain, un pro- bable adieu.
Je reste un moment interdit, persuadé de n’avoir pas été à la hauteur sur le moment.
Elle n’est jamais acquise l’attitude exacte pour l’annonce d’une mauvaise nouvelle (cf. l’émis- sion 36,9° sur la TSR du mercredi 19 octobre) mais pas sûr qu’on sache mieux la recevoir et les années de route n’aident guère. L’im- puissance, c’est vrai, s’entache trop souvent de culpabilité.
Et si, comme le suggère le professeur An- sermet dans ladite émission, nous étions complices et tissions avec nos patients ce ri- deau d’illusions qui nous cache la réalité de notre finitude ?
Je n’ai pas attendu longtemps pour me con- fier au premier collègue rencontré ce jour-là.
Ce début d’automne a été, pour ceux qui comme moi ont pu en profiter, d’une grande générosité. Petits moments volés (Stolen Mo- ments dans la version d’Oliver Nelson au sax ténor). La montagne ou le lac, puissants inhi- biteurs de la recapture sournoise de ma sé- rotonine m’auront accompagné comme ja- mais. S’immerger dans les couleurs subtiles que le coucher de soleil concède aux eaux froides du Léman, se refroidir les pinceaux de peur de se les mélanger, se sentir vivant, se laver de ces lourdes émotions qui sédi- mentent désormais au fond du lac, plus que jamais faire le vide qui permet de recevoir encore.
Les arbres dorent leurs feuilles, certains staphylocoques les imitent, les frimas appor- tent leur premier lot de miasmes et ma boîte de mouchoirs se dépoussiérise.
Le vent du nord inaugure la saison des femmes sans cou.
Turbulences et marées d’équinoxe, ciels gris… mais que provoque la pluie sur ces trop nombreux patients qui me demandent plutôt le beau temps !
Comment trouver des contre-attitudes et, tel Georges Brassens et son vendeur de pa- ratonnerres, se réjouir du mauvais temps qui calfeutre les corps et noircit les âmes.
Je peine à saisir les mécanismes de la mé- téo sur les organismes, je les constate une fois de plus cet automne (le 30e !) mais que dire alors de moi qui, de façon si ostentatoire, a cherché à retenir l’été. Vaincus au petit ma- tin, après avoir tant lutté, comme la brave chèvre de monsieur Seguin ?
Mais bon il n’y a pas que la nature qui me ressource. En vrac d’autres éclaircies com- me le concerto de Chopin joué par Samson François que j’écoute en ce moment sur Mezzo, la lecture d’un polar de Henning Man- kell, les rubriques ô combien pertinentes et féroces du toutologue Philippe Meyer à 7h56 chaque matin sur France Culture (réécou- table sur le site de Radio France) comme cette réflexion à propos de la lecture d’un livre : «nous sortons de cette lecture éton- nés de notre désir de savoir, surpris de pré- férer discerner à juger, épatés de découvrir notre goût pour le nuancé, le subtil, le fra- gile».
Et si cela s’appliquait à nous médecins ? Alors, chers auditeurs qui savez auditer, comme le chroniqueur se plaît à chaque fois de conclure, en citant Molière (Tartuffe) : «Que le ciel vous tienne en joie !»
carte blanche
Dr Georges Conne 4, avenue de la Gare 1030 Bussigny
D.R.
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