Master
Reference
Acteurs de la formation de base : une identité professionnelle en question
COQUOZ, Vanessa
Abstract
Ce travail de recherche vise à comprendre les processus en jeu dans la construction de l'identité professionnelle des actrices et acteurs de la formation de base. Il s'appuie sur l'analyse d'entretiens compréhensifs à caractère biographique, réalisés auprès de formatrices, formateurs, responsables de formation, et bénévoles travaillant dans ce domaine. Cette analyse permet de repérer les différentes étapes de leurs trajectoires biographiques, significatives dans la construction de leur identité professionnelle, et les principales valeurs agies issues de leur pratique. Les résultats mettent en lumière l'importance de la formation, de la pratique réflexive et des compétences relationnelles dans le maintien et le développement de leur identité professionnelle.
COQUOZ, Vanessa. Acteurs de la formation de base : une identité professionnelle en question. Master : Univ. Genève, 2014
Available at:
http://archive-ouverte.unige.ch/unige:35815
Disclaimer: layout of this document may differ from the published version.
Acteurs de la formation de base : une identité professionnelle en question.
MEMOIRE REALISE EN VUE DE L’OBTENTION DE LA
MAITRISE EN SCIENCES DE L’EDUCATION, ORIENTATION FORMATION DES ADULTES
PAR
Vanessa Coquoz
DIRECTEUR DE MEMOIRE
Jean-‐Michel Baudouin
JURY
Samra Tabbal Amella Christopher Parson
Genève, février 2014 UNIVERSITE DE GENEVE
FACUTLE DE PSYCHOLOGIE ET DES SCIENCES DE L’EDUCATION SECTION SCIENCES DE L’EDUCATION
RESUME
Ce travail de recherche vise à comprendre les processus en jeu dans la construction de l’identité professionnelle des actrices et acteurs de la formation de base. Il s’appuie sur l’analyse d’entretiens compréhensifs à caractère biographique, réalisés auprès de formatrices, formateurs, responsables de formation, et bénévoles travaillant dans ce domaine.
Cette analyse permet de repérer les différentes étapes de leurs trajectoires biographiques, significatives dans la construction de leur identité professionnelle, et les principales valeurs agies issues de leur pratique. Les résultats mettent en lumière l’importance de la formation, de la pratique réflexive et des compétences relationnelles dans le maintien et le développement de leur identité professionnelle.
Remerciements
A Jean-‐Michel Baudouin, pour sa disponibilité, ses conseils avisés, et son accompagnement bienveillant tout au long du cheminement du mémoire,
A Chris Parson et Samra Tabbal Amella, pour avoir accepté de faire partie du jury de soutenance, et les entretiens accordés,
Aux professeurs qui ont marqué mon parcours universitaire, pour leurs enseignements,
Aux actrices et acteurs de la formation de base des adultes, sans qui cet humble travail de recherche n’aurait pas vu le jour, pour la confiance et le temps accordés,
A ma famille, à mes amis, pour leurs encouragements,
A Eric, pour son soutien constant et sa patience,
A Élie, pour m’avoir permis de donner la vie, Et pour tout ce que la maternité m’a appris,
A Debussy, pour l’apaisement et l’inspiration,
Je tiens à exprimer ici toute ma reconnaissance.
TABLE DES MATIERES
INTRODUCTION ... 6
1. CHOIX DE L’OBJET DE RECHERCHE ... 6
2. PROBLEMATIQUE, QUESTIONS DE RECHERCHE ET HYPOTHESES ... 8
CHAPTIRE 1 : APPORTS THEORIQUES ... 10
1.1 L’IDENTITE, CONCEPT AUX MULTIPLES FACETTES ... 10
1.1.2 L’IDENTITE SOCIALE : APPROCHES INDIVIDUELLES ET COLLECTIVES ... 10
1.1.3 AU-‐DELA DES DUALITES : LA CONSTRUCTION DE L’IDENTITE SOCIALE COMME PROCESSUS DYNAMIQUE INDIVIDUEL ET COLLECTIF ... 11
1.2 L’IDENTITE PROFESSIONNELLE ... 14
1.3 L’IDENTITE PROFESSIONNELLE DES FORMATEURS D’ADULTES, UNE « NEBULEUSE » ... 15
1.4 DES REPRESENTATIONS SOCIALES AUX REPRESENTATIONS PROFESSIONNELLES : LA PRATIQUE ... 22
1.5 ETHOS ET IDENTITE PROFESSIONNELLE ... 23
1.5.1 ELEMENTS DE DEFINITION ... 23
1.5.2 ETHOS PROFESSIONNEL ... 24
1.6 SYNTHESE INTERMEDIAIRE DES APPORTS THEORIQUES ... 25
CHAPTIRE 2 : APPORTS CONTEXTUELS ... 28
2.1 LA FORMATION DE BASE : DEFINITIONS, CONTEXTUALISATION, PROBLEMATIQUES, ENJEUX ... 28
2.1.1 POLITIQUES DE FORMATION EUROPEENNES ... 29
2.1.2 POSITIONNEMENT DE LA SUISSE FACE AUX PROJETS EUROPEENS ... 31
2.1.3 LA FORMATION CONTINUE EN SUISSE : ENJEUX SOCIO-‐POLITIQUES ET PROBLEMATIQUES LIEES AUX ... 31
COMPETENCES DE BASE ... 31
2.2 LES FORMATEURS DE LA FORMATION DE BASE DES ADULTES : QUELLES SPECIFICITES ? ... 34
2.2.1 UNE PROFESSIONNALISATION EN VOIE DE RECONNAISSANCE ... 34
2.2.2 UNE POPULATION CONTRASTEE ... 35
2.3 L’EDUCATION ACCESSIBLE AU PLUS GRAND NOMBRE: QUELQUES JALONS D’UNE HISTOIRE CONFLICTUELLE ... 38
CHAPTIRE 3 : METHODOLOGIE ... 42
3.1 DEMARCHE ET OUTIL ... 42
3.2 CONSTRUCTION DE L’INFORMATION ... 44
3.3 CHOIX DES PARTICIPANTS ... 45
3.4 PREPARATION DES ENTRETIENS ... 46
3.5 DEROULEMENT DES ENTRETIENS ... 47
CHAPITRE 4 : ANALYSE ... 49
4.1 MARIANNE, UN PARCOURS EMBLEMATIQUE ... 51
4.1.1 PREMIERS CONSTATS ... 58
4.1.2 VALEURS AGIES DE REFERENCE ... 60
4.2 OPHELIE ... 66
4.2.1 PREMIERS CONSTATS ... 71
4.2.2 VALEURS AGIES DE REFERENCE ... 73
4.3 CHRISTIANE ... 77
4.3.1 PREMIERS CONSTATS ... 80
4.3.2 VALEURS AGIES DE REFERENCE ... 81
4.4 SYNTHESE INTERMEDIAIRE DES RESULTATS ... 84
4.5 PORTRAITS ... 86
ELVIRE ... 86
ALICE ... 87
MARIE-‐CLAIRE ... 89
HELOÏSE ... 90
HERMIONE ... 91
RUEDI ... 92
ALAIN ... 94
4.6 SYNTHESE GENERALE DES RESULTATS ... 95
CONCLUSION ... 102
BIBLIOGRAPHIE ... 108
ANNEXES ... 111
ENTRETIEN AVEC MARIANNE ... 112
ENTRETIEN AVEC OPHELIE ... 141
ENTRETIEN AVEC CHRISTIANE ... 160
INTRODUCTION
1. Choix de l’objet de recherche
Il est des choix qui sont difficiles à faire… Celui du sujet de ce travail a été particulièrement épineux. Dans mes deux premières années d’études, je souhaitais traiter d’un sujet qui soit en lien avec ma passion : la musique, le chant en particulier. J’ai alors commencé à effectuer des recherches sur les liens entre pratiques artistiques au sens large et développement des compétences, sociales et langagières. Les années passant, mes intérêts pour d’autres sujets étudiés ont pris le pas sur cette première option. Ces recherches n’auront toutefois pas été vaines : d’autres graines ont été semées depuis.
En début de master, la question du choix du sujet a refait surface, et j’avais grand’ peine à faire le tri parmi toutes les thématiques qui m’intéressaient. En effet, les enseignements suivis à la FAPSE et les crédits libres pris en SES ont produit chez moi un vif intérêt pour les différentes problématiques liées aux migrations et aux questions interculturelles en formation. J’avais également été passionnée par la thématique des dynamiques identitaires en formation, et les questions liées à l’engagement des apprenants dans celle-‐ci, la pratique du séminaire d’histoires de vie en formation m’avait bouleversée, et les approches biographiques avaient particulièrement attiré ma curiosité, par ce que j’avais saisi de leur potentiel révélateur et formateur.
Suite à un entretien avec une de mes enseignantes, j’ai choisi un autre sujet de mémoire:
la formation « sous contrainte ». Le projet était de m’intéresser aux dynamiques d’engagement en formation de personnes contraintes à effectuer des formations de français pour des raisons administratives (l’obtention de la naturalisation, par exemple).
Assez rapidement, j’ai abandonné ce sujet, pour des raisons de faisabilité. Je souhaitais cependant traiter d’un sujet qui soit en lien avec les publics les plus fragilisés de la formation des adultes, en particulier les personnes issues de la migration.
D’autres enseignements, d’autres intérêts développés, d’autres choix possibles : les transactions sociales, l’analyse de l’activité, et les problématiques liées à l’alphabétisation et à la lutte contre l’illettrisme avaient nourri mes questionnements.
Après avoir terminé ma première année de master, et validé tous mes cours, il me restait le stage et le mémoire…le choix du sujet n’étant pas stabilisé, je me suis occupée de chercher un stage qui corresponde à mes attentes, que j’ai fini par trouver, non sans peine, au début de l’année 2012.
La perspective de la fin des études s’approchant, l’expérience du terrain de stage, les questionnements issus de l’articulation entre le terrain de stage et le séminaire d’accompagnement (du stage), suivi en parallèle à l’université, ont commencé à dessiner les contours de l’objet de cette recherche…qui avaient déjà trouvé leurs racines, au cœur même de mon cursus, dans l’articulation des apports théoriques issus des enseignements suivis, et de mes questionnements.
J’avais pu faire le constat de l’aspect composite de l’identité professionnelle des
formateurs d’adultes, et de la variété des représentations que renvoient leurs différentes insertions professionnelles, à travers le discours de mes enseignants, et les différents sujets étudiés. Par ailleurs, lorsque je tentais de me projeter dans un futur professionnel, je me sentais plus attirée par des structures de type associatif, que par de grandes
entreprises de formation.
C’est en suivant cette attirance que j’ai cherché et trouvé un terrain de stage : une association oeuvrant pour le développement de la formation de base et continue, par le biais de différents types de formations, destinés en priorité à des personnes allophones peu qualifiées, à Genève. Ma mission de stage a consisté à faire l’évaluation d’une des ces formations. J’étais entrée dans l’« univers » de la formation de base.
J’ai eu la chance de vivre une expérience de stage très réussie, où j’étais non seulement très bien accompagnée, mais où je me suis sentie reconnue dans mon travail et par mes compétences professionnelles en développement : cela a contribué à renforcer mon attirance pour ce domaine de la formation des adultes.
Pendant et après mon stage, les questionnements concernant la construction de ma professionnalité n’ont fait que s’intensifier. En regardant autour de moi, je voyais mes collègues de séminaire, mes amis évoluer ou tenter de s’insérer dans d’autres milieux professionnels que celui où j’avais fait mes premiers pas, et cela m’intriguait : comment s’y projetaient-‐ils ? En fonction de quels facteurs ? Leurs ambitions étaient-‐elles fondées sur des valeurs particulières ? des motifs économiques ? leur insertion sociale ? leur parcours biographiques ? un peu de tout cela à la fois ?
Après plusieurs entretiens avec mon directeur de mémoire, qui m’a aidé à finaliser ce positionnement, j’ai fini par opter pour un travail sur l’identité professionnelle des formateurs en formation de base. En faisant ce choix, je mobilisais à la fois les questionnements liés au développement de ma professionnalité, à mon intérêt pour les publics fragilisés de la formation des adultes, et les savoirs acquis lors de ma courte expérience de stage dans ce milieu de la formation des adultes. J’allais, par ce travail de recherche, essayer de comprendre comment ces personnes en étaient arrivées à exercer dans ce secteur de la formation, et avec ces publics.
2. Problématique, questions de recherche et hypothèses
Cette recherche s’intéresse aux processus relatifs à la constitution de l’identité professionnelle des formatrices et formateurs de la formation de base. Il s’agit de comprendre comment ces individus construisent leurs identités professionnelles, et ce qui motive leurs choix.
Cette problématique peut être déclinée en une série de questions, qui serviront de base à la mise en place des différentes étapes de ce travail de recherche.
-‐ Comment devient-‐on formateur ou formatrice en formation de base ? Cette question générale nous a amené à formuler les hypothèses suivantes:
1. Il existe des similitudes dans les trajectoires biographiques des formatrices et formateurs de ce domaine, qui les ont conduit vers cette activité.
2. Ces personnes ont en commun certaines valeurs, qui les ont conduit à exercer dans ce domaine.
Cette deuxième hypothèse introduit la dimension éthique de l’identité professionnelle : l’ethos professionnel. Il s’agit de savoir dans quelle mesure ces individus partagent des valeurs, des croyances, et dans quelle mesure celles-‐ci ont influencé la construction de cette identité professionnelle particulière.
Une fois ces hypothèses formulées, il nous fallait apporter des éléments de précision à la question générale de base, que nous avons transformée de la façon suivante :
-‐ Y-‐a-‐t-‐il des similitudes dans les trajectoires biographiques de celles et ceux qui exercent dans ce domaine de la formation des adultes ? Si oui, lesquelles ?
-‐ Y a-‐t-‐il un système de valeurs, de principes sociaux, de croyances particulières qui sont propres au groupe professionnel des formateurs et formatrices de la formation de base? Si oui, quels sont-‐ils ?
CHAPTIRE 1 : APPORTS THEORIQUES
1.1 L’identité, concept aux multiples facettes
Qu’est-‐ce que l’identité ? Vaste et complexe question, et l’une des plus grandes polémiques de l’histoire des idées philosophiques. Des philosophes de la Grèce antique aux psychiatres, psychologues et sociologues contemporains, nombreux sont ceux qui ont tenté de saisir le concept d’identité.
Etymologiquement, le terme identité est issu du terme de bas latin identitas,
« qualité de ce qui est le même », dérivé du latin classique idem, « le même ». Platon l’appelait à son époque l’essence, immuable et indivisible de ce qui existe, qui ne peut être connue par les sens, mais par l’esprit. Cette vision essentialiste, bien qu’elle ait subi certaines modifications au cours des siècles, est restée majoritaire durant près de deux millénaires.
A la fin du 19ème siècle, les sciences humaines et sociales commencent à être reconnues comme de véritables sciences, et l’identité personnelle peut devenir objet de recherche, pour autant que l’on puisse l’inscrire dans une histoire et un contexte précis, et l’étudier à partir de faits et d’actes concrets (Dubar, 2007).
1.1.2 L’identité sociale : approches individuelles et collectives
Dès les premières pages de son ouvrage consacré à l’identité socioprofessionnelle des formateurs d’adultes, Gravé (2002) met en avant la dualité exprimée par les recherches contemporaines sur l’identité : selon ses propos, « il n’existe pas d’identité individuelle sans identité sociale. Et réciproquement » (p.3). La plupart des approches ont en effet proposé la distinction entre identité individuelle et identité collective, chacune favorisant soit les aspects individuels de la construction de l’identité (identité pour soi), soit les aspects collectifs d’appartenance à une catégorie sociale, ou à un groupe (identité pour autrui).
Les approches centrées « identité pour soi » se basent sur les travaux de la psychologie et de la psychanalyse, et visent à saisir le psychisme profond des individus. Ce faisant, elle mettent en avant les mécanismes de la socialisation primaire des individus, au
détriment des dimensions sociologiques contextuelles qui voient naître les constructions et reconstructions identitaires.
Les approches centrées « identité pour autrui » s’appuient sur les facteurs sociaux de causalité à l’origine des constructions identitaires. Elles sont fondées sur l’observation des processus sociologiques de production et reproduction identitaires. Elles négligent cependant la dimension évolutive de l’identité individuelle, sa construction et reconstruction au fil du temps, ainsi que les processus psychologiques sous-‐jacents à ces mouvements identitaires.
Ces approches ont néanmoins un point commun : le fait que « l’identité n’est jamais donnée, ne se donne jamais à voir comme telle. Elle est toujours construite ou à reconstruire, objet de construction permanente par les sujets dans les contextes. » (p. 4)
1.1.3 Au-‐delà des dualités : la construction de l’identité sociale comme processus dynamique individuel et collectif
Quelques auteurs ont néanmoins tenté de dépasser cette dualité. Les travaux d’Erik Erickson sur le concept d’identité en font partie : en effet, celui-‐ci y a intégré une dimension psychosociale. Il part du principe que l’individu a conscience de sa spécificité, conscience qu’il nomme « sentiment d’identité », et qui permet d’établir une sorte de continuité dans l’expérience vécue.
Pour lui, l’identité est un processus qui se joue au sein des relations qu’entretient l’individu avec son groupe de référence. Pour simplifier son raisonnement et le rendre plus accessible, imaginons que l’individu fasse partie d’un groupe (il peut bien entendu faire partie de plusieurs groupes, mais pour simplifier l’explication, nous allons nous contenter d’un seul). Ce groupe a des valeurs de référence, et va porter des jugements sur les actions de l’individu, en fonction de celles-‐ci. L’individu va modifier ou ajuster son comportement en fonction des jugements du groupe et, dans le même temps, va juger la façon dont le groupe le juge, en fonction de ses propres valeurs de référence qui sont à notre avis liées à son sentiment d’identité.
Par ailleurs, dans le développement de sa théorie sociologique de l’identité, Dubar (1992) soutient que l’identité se construit au cours du processus de socialisation,
et peut être analysée en tant que résultat de l’intériorisation des conditions sociales antérieures des individus, mais aussi en tant qu’expression de leurs espérances les plus personnelles. Dubar (1991) met également en évidence la dualité présente au sein même de la définition de l’identité : identité pour soi et pour autrui sont pour lui « à la fois inséparables et liées de façon problématique » (p. 108). En effet, l’identité pour soi est indissociable du regard de l’autrui et d’une forme de reconnaissance. Nous ne pouvons nous construire et nous développer sans cela. D’autre part, et c’est l’aspect problématique relevé par Dubar, nous ne pouvons vivre directement l’expérience d’autrui, ce qui rend la communication indispensable pour comprendre comment nous sommes perçus par notre entourage, et ainsi forger notre identité pour nous-‐même.
Cette ambiguïté est accentuée par le caractère incertain des nos communications : nous ne pouvons en effet jamais être sûrs que notre identité pour nous-‐même corresponde à celle qu’autrui nous attribue. L’identité n’est donc « jamais donnée, elle est toujours construite et à (re)construire dans une incertitude plus ou moins grande et plus ou moins durable. » (p. 109)
Attentif à restituer la relation identité pour soi/identité pour autrui dans le processus de socialisation, il définit l’identité comme « le résultat à la fois stable et provisoire, individuel et collectif, subjectif et objectif, biographique et structurel, des divers processus de socialisation qui, conjointement, construisent les individus et définissent les institutions. » (p. 109)
Dans ses travaux sur l’identité en psychologie, le sociologue Lipiansky considère également l’identité comme un processus, qu’il qualifie de dynamique. « L’identité est à la fois individuelle et collective, personnelle et sociale ; elle exprime en même temps la singularité et l’appartenance à des communautés (familiales, locales, ethniques, sociales, idéologiques, confessionnelles) dont chacun tire certaines de ses caractéristiques. » (Lipiansky, 2008, p. 35) L’identité désigne donc à la fois la façon dont l’individu se perçoit et la façon dont il est perçu par son entourage, mais également ce dont il a hérité par ses origines et son vécu. Du point de vue subjectif, l’identité est ce qui permet à l’individu de dire qui il est, mais aussi à rechercher une forme de cohérence intérieure, et chercher à atteindre une forme d’épanouissement qui corresponde à ce que l’on souhaite être ou devenir. Ce processus commence à l’enfance et se poursuit tout au long de la vie : l’identité des individus est ainsi amenée à se transformer continuellement, et la stabilité de ce que l’on nomme « conscience de soi » n’est somme toute que relative. De
nombreux facteurs peuvent venir perturber cette stabilité et la sécurité qu’elle procure : un nouvel emploi, une rupture, un deuil, une rencontre, la maladie, l’adolescence, sont autant d’exemples.
Le sociologue Martuccelli a également décrit l’identité comme faisant référence aux aspects personnels et collectifs des individus (2008). Pour cet auteur, c’est l’articulation des ces deux niveaux qui rend possible et pertinente l’analyse de la notion d’identité, qu’il définit comme « l’articulation entre une histoire personnelle et une tradition sociale et culturelle » (2008, p. 2). Il soutient que l’espace dédié à l’étude contemporaine de l’identité se trouve précisément entre les dimensions sociales (relatives aux rôles fonctionnels des individus) et les dimensions personnelles (relatives à l’intime, au subjectif) des individus.
A partir de ces éléments, nous pouvons entrevoir l’étendue de la complexité liée aux questions d’identité, et ses aspects paradoxaux : entre recherche d’unicité et similitude, de la permanence au changement, des rapports entre société et individus, du subjectif à l’objectif… Nous pouvons également constater que l’identité n’est pas un état stable et immuable, mais qu’elle est au contraire multiple et changeante. Elle s’inscrit et évolue dans des contextes propres à l’histoire des sujets et de leurs interactions avec leur milieu.
1.2 L’identité professionnelle
Si l’identité est un objet d’étude polymorphe et fugace, il en est de même de l’identité professionnelle.
Sainsaulieu (1977) définit l’identité professionnelle comme « la façon dont les différents groupes au travail s’identifient aux pairs, aux chefs, aux autres groupes, l’identité au travail est fondée sur des représentations collectives distinctes ». Pour cet auteur, l’identité professionnelle serait un « processus relationnel d’investissement de soi » (investissement dans des relations durables, qui mettent en question la reconnaissance réciproque des partenaires), s’ancrant dans « l’expérience relationnelle et sociale du pouvoir ». Cette définition met en avant l’importance des interactions dans les communautés de pratiques dont il est ici question : en effet, pour s’identifier ou non avec celles-‐ci, les individus doivent pouvoir se sentir en adéquation avec les actions et les valeurs de leur pairs. La dimension éthique est bien entendu centrale dans les questions identitaires, nous approfondirons d’ailleurs cette question plus loin.
Dubar (1991), aborde l’identité professionnelle dans une perspective pluridisciplinaire, aux croisements de la sociologie, de la psychologie, de l’économie du travail et de la psychanalyse. Pour lui, « les identités professionnelles sont des manières socialement reconnues, pour les individus de s’identifier les uns les autres, dans le champ du travail et de l’emploi. » Dans la continuité de ce que nous avons vu plus haut au sujet de l’identité, il considère l’identité professionnelle comme une composante de l’identité sociale, et la définit comme une articulation de deux transactions : une transaction intra-‐individuelle (de l’individu avec lui-‐même) et une transaction extra-‐
individuelle, entre l’individu et les institutions, groupes ou individus avec lesquels il interagit, dans l’exercice de ses fonctions. Sa théorie de la double transaction met ainsi en relation les parcours biographiques des sujets et leurs processus relationnels, dans la construction de leur identité professionnelle.
1.3 L’identité professionnelle des formateurs d’adultes, une « nébuleuse » Comment appliquer ces conceptualisations au champ professionnel des formateurs d’adultes ? C’est la question à laquelle Gravé (2002) a tenté de répondre, par un travail de synthèse des études existantes, et par une mise à l’épreuve de la théorie de l’identité (socio-‐) professionnelle proposée par Dubar. La tâche n’est pas aisée : une des
caractéristiques principales du secteur de la formation continue est sans doute sa diversité ; aussi bien au niveau des organismes et des dispositifs, que des
professionnels qui y exercent.
Partant du fait que l’identité socioprofessionnelle est le produit de socialisations successives, Gravé souligne l’importance du développement des stratégies identitaires individuelles, dans la construction des identités professionnelles. Comment se construisent ces stratégies ? Quelles sont leurs composantes ? Afin de révéler ces stratégies, il convient pour l’auteur de s’interroger sur :
-‐ le lieu d’insertion professionnelle, l’origine sociale et professionnelle, le cheminement professionnel et la trajectoire de formation des formateurs,
-‐ les représentations qu’ont les formateurs de leur propre situation professionnelle, actuelle et future,
-‐ les représentations qu’ils se font de leur activité, de leurs compétences, de leur rôle, imposé ou investi,
-‐ la reconnaissance sociale et professionnelle qui leur est attribuée dans les organismes où ils exercent. (p.8)
Le point de départ de son analyse se situe au niveau de la formation des formateurs, qu’il considère comme un enjeu stratégique central pour la reconnaissance de cette identité professionnelle. Revoyons ensemble quelques aspects historiques de son développement, que nous développerons plus loin dans ce travail.
Cette étude révèle que dans les années 1970 en France, il n’existait pas de formation spécifique préparant les formateurs d’adultes à l’exercice de leurs fonctions.
La formation continue commence à se développer mais le groupe social « formateur d’adultes » n’est pas encore constitué. Les recherches et la littérature scientifiques sur les pratiques des formateurs sont quasi inexistantes. Par la suite, le contexte économique et social des années 1980 et du début des années 1990, de plus en plus exigeant, pousse les formateurs à acquérir de nouvelles compétences, en fonction de la diversité croissante des situations de formation : l’adaptation des pratiques pédagogiques, des pratiques d’analyse, par rapport aux contraintes liés aux contextes et aux différents publics, devient nécessaire. Les formations de formateurs se sont donc développées, conjointement aux besoins issus des changements socio-‐économiques.
Parallèlement, la formation professionnelle et continue devient un objet de recherche et les premiers travaux sur la question paraissent, s’appuyant sur les réflexions issues de l’évolution des pratiques de formation. Ces travaux s’intéressent notamment aux activités et aux qualifications des formateurs, aux aspects historiques et économiques de l’éducation des adultes, ou encore à la professionnalisation des formateurs, et aux différentes fonctions exercées par ceux-‐ci.
C’est à cette période que Marcel Pariat (1992) propose une typologie de formateurs d’adultes, qu’il situe « aux confluents de différentes fonctions : sociale, éducative et économique ». Historiquement, il distingue trois types de formateurs :
1.-‐ L’instructeur : il s’agit des premiers formateurs d’adultes, des instituteurs, qui offraient de transmettre leurs connaissances au peuple lors de conférences hebdomadaires en France, dès la fin du 18ème siècle. Les auteurs le décrivent comme une sorte de militant missionnaire de l’instruction.
2.-‐ Le bénévole et/ou militant : il s’agit des éducateurs chargés de l’éducation populaire, de la fin du 19ème siècle à nos jours. Pour la plupart instituteurs, ils sont mus par le désir d’agir en faveur des adultes les plus nécessiteux. Ce rôle, qualifié d’
« ambigu », oscille entre animation et éducation en fonction des buts recherchés : alphabétisation, formation professionnelle, culture générale ou éducation populaire.
3.-‐ Le formateur professionnel : ce type apparaît dans la France du début des années 1950, à la création de l’APFPA (Association Pour la Formation Professionnelle des Adultes), et s’est développé par la suite, notamment grâce à la loi de 1971 sur la formation professionnelle et continue qui permet à la formation des adultes de s’organiser et de créer des organismes spécialisés. Ces changements ont par ailleurs permis à l’espace social « formation continue des adultes » de se constituer.
Marcel Pariat (1992) dégage en outre trois profils de formateurs, trois champs d’activités distincts :
1. Les formateurs animateurs, ou formateurs éducateurs : ils transmettent leurs savoirs aux personnes en formation, et favorisent ainsi leur développement personnel. Ils ont également pour tâche d’analyser les situations de formation.
2. Les formateurs coordinateurs, ou formateurs de conception : ils sont en charge de l’accompagnement et de la conception des formations, et en élaborent les contenus.
3. Les formateurs intervenants : appelés par les organisations pour aider à résoudre des problèmes, ils proposent des solutions adaptées par le biais de formations sur mesure.
Afin de rendre compte des différentes stratégies identitaires utilisées par les formateurs d’adultes dans la construction de leur identité professionnelle, et problématiser l’identité professionnelle des formateurs d’adultes, à partir des travaux existants, Gravé (2002) propose une nouvelle approche, basée sur les travaux de Blin (1997) et de Dubar (1991).
Blin a développé un modèle qui se fonde sur l’articulation des représentations, des pratiques et des identités, en relation avec le contexte dans lequel les individus exercent leurs fonctions. L’identité professionnelle est pour cet auteur considérée comme un « sous-‐système des représentations sociales dans le champ professionnel » concerné. La question des représentations nous paraissant importante pour cette recherche, nous choisissons de la développer un peu plus loin.
De son côté, Dubar, dans son explication sociologique des identités professionnelles, considère la « division du soi » comme le reflet subjectif de la dualité du monde social, et de ses logiques d’action hétérogènes. Cette dualité s’exprime à travers différents mécanismes d’identification, permettant la construction de l’identité pour soi et de l’identité pour autrui, comme nous l ‘avons vu plus haut.
Autrement dit, l’explication sociologique propose d’articuler deux processus distincts : le premier permet aux individus d’anticiper leur avenir à partir de leur passé, le second est la façon dont ils entrent en interaction avec les « décideurs » des champs professionnels dans lesquels ils exercent. La fameuse théorie de la double transaction découle de l’articulation de ces deux processus :
-‐ une transaction dite « biographique », où l’avenir anticipé peut se trouver dans la continuité des (ou en rupture avec) les trajectoires de vie des individus.
-‐ une transaction dite « relationnelle », dont l’objectif est la reconnaissance (ou la non reconnaissance) de la légitimité des individus par les membre influents des institutions où ils exercent.
Ces deux transactions sont interdépendantes : la première est soumise aux jugements émis dans la seconde, l’issue de la seconde dépendra de la manière dont la première est mise en avant.
Un exemple simple pour illustrer cette théorie serait celui de l’entretien d’embauche. La transaction biographique du demandeur d’emploi avec lui-‐même lui permet de projeter un avenir professionnel dans une entreprise x. L’issue de la transaction relationnelle (l’entretien d’embauche) déprendra de la façon dont le demandeur d’emploi se sera présenté et aura mis en valeur son parcours, ou ses compétences pour le poste souhaité.
En outre, en fonction de la façon dont il sera apprécié par le responsable RH de l’entreprise, il pourra ou non anticiper un avenir possible au sein de l’institution ou du champ professionnel concerné.
Cette théorie de la double transaction démontre que lorsque nous parlons de socialisation professionnelle, il s’agit d’un mouvement conjoint des institutions et des individus dans la construction de leurs projets respectifs.
Dans sa tentative d’appliquer ce modèle au groupe professionnel des formateurs d’adultes, Gravé (2002) a mis en évidence ses limites. Il propose d’ajouter des dimensions subjectives dans l’identité pour autrui, car il ne peut concevoir que l’intériorisation des identités héritées n’en contienne pas. Dans le compromis entre l’identité héritée et l’identité visée, Gravé propose d’ajouter la dimension du présent, qui manque à l’explication sociologique de Dubar, dans le continuum passé-‐avenir. En effet, c’est dans le présent que l’individu a l’opportunité de faire le point, de se positionner par rapport à son vécu et d’envisager l’avenir en fonction des objectifs qu’il se fixe à court, moyen et long terme.
Comment rendre compte des aspects à la fois subjectifs et objectifs du processus de construction de l’identité professionnelle des formateurs d’adultes ? L’hypothèse proposée par Gravé pour répondre à cette question est :
L’identité professionnelle peut être considérée comme le résultat du produit d’un double compromis :
-‐ synchronique et relationnel entres les identités proposées dans les organismes de formation et les identités assumées par les formateurs dans ces contextes
-‐ biographique et individuel entre l’identité héritée, l’identité professionnelle investie dans le présent et l’identité visée des formateurs.
Autrement dit, l’identité professionnelle des formateurs d’adultes se construit à travers deux sortes de compromis :
-‐ celui que les individus font entre les identités proposées par leur contexte d’exercice ( régies par les normes en vigueur dans les institutions concernées) et la perception qu’ils ont eux-‐mêmes de leur propre rôle professionnel ( l’identité assumée)
-‐ celui qu’ils font individuellement, entre leur identité sociale héritée ( leur trajectoire sociale et origine sociale et professionnelle), la perception qu’ils ont de leur rôle professionnel actuel et de la façon dont ils envisagent leur avenir professionnel. De ce compromis peuvent émerger deux types de
mécanismes, selon Dubar : un mécanisme de continuité ou de rupture. Le premier conduit à reproduire les identités héritées, le second produit de nouvelles identités.
Les indicateurs retenus par Gravé pour repérer la façon dont les institutions reconnaissent l’dentité professionnelle des formateurs sont :
-‐ les pratiques de gestion du personnel pédagogique des institutions de formation (contrats, rémunération, formation continue,…)
-‐ les situations de travail du personnel pédagogique au sein des institutions de formation (répartition selon l’âge, le genre, l’ancienneté, le secteur d’origine professionnelle, le niveau de formation,…).
Ces éléments sont par ailleurs directement dépendants de facteurs comme la taille de l’institution, son chiffre d’affaire ou les publics auxquels elle s’adresse.
Les indicateurs servant à repérer le compromis individuel et biographique décrit plus haut seront repérables dans le discours des formateurs à travers le récit qu’il feront de leur identité sociale héritée ( âge, sexe, origine sociale, formation initiale, origine professionnelle), la perception qu’ils ont de leur situation professionnelle actuelle, et la façon dont ils anticipent leur avenir en fonction de leur trajectoire jusqu’alors.
L’objectif de la recherche de Gravé est une mise en lumière des pricipaux mécanismes en œuvre dans l’articulation des ces deux types de compromis, qu’il a schématisés de la façon suivante :
Les résultats de cette recherche ont mis à jour une pluralité d’identités professionnelles chez les formateurs d’adultes, pluralité mise en lien avec les modes de socialisation professionnelle antérieure (p.184). Ces travaux ont révélé différentes logiques identitaires, liées à plusieurs facteurs, dont :
-‐ la reconnaissance accordées aux formateurs dans les contextes structurels qui les voient évoluer (institutions, législation, …),
-‐ les trajectoires sociobiographies des formateurs,
-‐ les mécanismes d’articulation des aspects biographiques et structurels.
Figure 1, Gravé (2002), p.75
1.4 Des représentations sociales aux représentations professionnelles : la pratique Avec Jean-‐François Blin (1997), cité plus haut par Gravé (2002), nous considérons les représentations sociales « en tant que système d’interprétation régissant les relations au monde et aux autres, orientant et organisant les conduites et les communications sociales » (p. 70). Dès lors, nous pouvons déduire que les représentations sociales découlent des interactions des individus avec le contexte dans lequel ils évoluent, et les personnes qu’ils sont amenés à rencontrer. Une autre déduction possible est que ces représentations sociales évoluent avec le temps, à l’image des identités, en fonction des trajectoires biographiques individuelles.
Blin postule que les représentations professionnelles sont des représentations sociales spécifiques au contexte d’activité qui se construisent au cours des interactions professionnelles, et en définissent les contours. En outre, ses travaux mettent en lumière les processus de transformation des représentations professionnelles.
Il convient ici de différencier les représentations sociales des professions, et les représentations professionnelles. Les premières sont constituées de valeurs attribuées, de croyances et modèles plus ou moins figés, et font référence au sens commun en dehors de l’exercice de la profession. Les secondes sont issues de la transformation des premières, à travers l’exercice professionnel, et correspondent à la réalité de celui-‐ci.
Une rupture s’opère alors, entre les savoirs issus du sens commun d’avant la pratique, et ceux qui reposent sur l’implication et le sens donné par l’exercice professionnel. En ce sens, les représentations professionnelles sont dépendantes du contexte professionnel dans lequel elles s’inscrivent.
Par ailleurs, l’auteur précise qu’au sein d’un même champ professionnel, des groupes sociaux caractérisés par des statuts et des pratiques professionnelles différentes auront des représentations différentes de leur activité.
Les représentations professionnelles, telles que les présente Blin, remplissent quatre fonctions principales. Elles permettent la construction d’un savoir professionnel à la base des communications des acteurs concernés, leur permettant de résoudre les problèmes liés à leur activité. Elles définissent les identités professionnelles. Elles guident les pratiques professionnelles et en orientent les conduites, et permettent de justifier celles-‐ci a posteriori. (p. 94-‐95)
1.5 Ethos et identité professionnelle
1.5.1 Eléments de définition
Le concept d’ethos a été utilisé en sociologie classique afin de saisir et de caractériser les conduites sociales dans leur dimension éthique.
Ce terme est issu du grec ancien èthos (ou êthos) et a comme première signification le « séjour habituel, lieux familiers, demeure », ou « coutume, usage », « manière d’être ou habitudes d’une personne, caractère », « disposition de l’âme, de l’esprit », « caractère de la cité », ou « mœurs » (Bailly, 1950).
Max Weber a utilisé ce terme afin de désigner à la fois « le système de valeurs intériorisé, la conduite de vie et la morale pratique propres à un groupe social. » (Boudon, 2000) Pierre Bourdieu, quant à lui, a défini l’ethos comme « l’ensemble des règles et des croyances (ndlr: implicites) qui régissent la conduite des membres d’une société, » et qui « s’oppose à éthique [...] qui ne concerne que les règles explicites. » (Mendras, 1975)
Remy et al. (1978), à travers leur approche de la transaction sociale, apportent une dimension supplémentaire à ces définitions, en mettant en avant les facteurs collectifs qui créent l’ethos ou les différences d’ethos ; pour ces auteurs, ce sont les différences d’insertion des acteurs sociaux qui entraînent des différences dans leurs pratiques. Cela signifie qu’à chaque position de la stratification sociale correspond une disposition psycho-‐affective, cognitive et éthique à appréhender ce qui est possible, dans la norme, ou souhaitable : c’est le concept d’ethos de position.
Selon Marquis et Fusulier (2008), lorsqu’on s’intéresse à l’ethos, ce sont les aspects culturels, sociaux et affectifs, et la façon dont ils s’articulent dans l’engagement pratique des sujets que l’on considère. Il s’agit donc de prendre en considération l’existence d’une variété de milieux de socialisation situés et historiquement construits permettant, par l’expérience et l’apprentissage, l’intériorisation des valeurs et des principes éthiques qui influencent le rapport de l’individu au monde qui l’entoure.
Cette entrée par l’ethos présuppose « la présence d’un « espace déjà-‐là », qui imprègne avec plus ou moins de profondeur le système de personnalité de celui qui s’y insère durablement. » (Fusulier, 2011, p. 102)
Cette perspective nous permet d’envisager un groupe professionnel comme