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Patients : pouvez-vous patienter encore un peu ?

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Patients : pouvez-vous patienter encore un peu ?

JUNOD, Valérie

JUNOD, Valérie. Patients : pouvez-vous patienter encore un peu ? Revue médicale suisse, 2006, no. 89

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:43028

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Patients : pouvez-vous patienter encore un peu ?

Valérie Junod

Rev Med Suisse 2006; volume 2. 2383

En mai 2006, la Cour d'appel américaine du District of Columbia a reconnu le droit constitutionnel des patients souffrant d'une maladie mortelle et ayant épuisé tous les traitements médicaux disponibles sur le marché à avoir accès, moyennant l'avis de leur médecin, à des médicaments non approuvés.a Cette décision a eu un grand retentissement dans la presse juridique et médicale américaine. A ce jour, elle a peu intéressé les commentateurs européens, quand bien même les problèmes qu'elle soulève pourraient s'y poser de manière semblable.En effet, le droit consacré par cette Cour découlait des droits universellement reconnus à la vie et à l'autodétermination. Pour les patients n'ayant plus de chance de survie grâce aux médicaments commercialisés, l'accès aux médicaments encore au stade expérimental représente l'unique espoir. C'est pourquoi la plupart des pays ont introduit des procédures visant à accélérer la disponibilité des médicaments, en particulier ceux destinés aux patients souffrant de maladies mortelles. A ce titre, la Suisse connaît, outre les autorisations de mise sur le marché traditionnelles (AMM), les autorisations délivrées en procédure accélérée, les autorisations d'une durée limitée délivrées en procédure simplifiée, les autorisations spéciales pour un patient donné, et les importations en petites quantités de médicaments disponibles seulement à l'étranger (pour un aperçu des normes suisses, voir le tableau 1). En principe, les patients menacés dans leur vie peuvent accéder à un médicament dénué d'AMM au plus tôt lorsque l'autorité compétente – Swissmedic en Suisse – dispose de preuves cliniques d'une certaine efficacité du médicament. Dans le contexte hautement émotionnel de patients en fin de vie, favoriser l'accès à des médicaments éventuellement bénéfiques semble légitime et digne d'une protection constitutionnelle. De prime abord, qui pourrait s'opposer à la liberté de décision de patients pleinement conscients et n'ayant apparemment plus rien à perdre ? A y regarder de plus près, les choses sont pourtant loin d'être aussi simples.Bien que la Cour d'appel américaine ait analysé le cas assez schématiquement – en se focalisant essentiellement sur les précédents judiciaires pouvant impliquer un droit à accéder, sans interférence de la part des autorités publiques, à des médicaments dénués d'autorisation de mise sur le marché –, les faits en cause étaient plus subtils.Cette décision de la Cour est intervenue suite au refus de la Food and Drug Administration (FDA) d'accorder la requête de deux plaignants aux intérêts a priori bien distincts : d'une part, une association représentant des patients souffrant de maladies mortelles et leurs proches (Abigail Alliance), d'autre part, la Washington Legal Foundation (WLF), think- thank conservateur ayant déjà attaqué en justice plusieurs règles de la FDA restreignant la liberté des entreprises pharmaceutiques.Devant la FDA, ces deux groupes s'étaient plaints des procédures actuelles d'accès aux médicaments encore expérimentaux (en réalité, plusieurs possibilités d'usage différentes, regroupées sous la désignation «compassionnelle» et abrégée en anglais compassionate use (CU)). Ils les considéraient insuffisantes, et ce pour au moins deux raisons.La première tient à ce que les programmes CU ne sont actuellement autorisés qu'après que les premiers essais cliniques sur le médicament aient apporté la preuve d'un début d'efficacité. Cette preuve apparaît en principe au terme de la phase 2 des essais cliniques, étant précisé qu'un essai de phase 1 typique consiste en un test sur une cinquantaine de volontaires destiné à dégager une première impression de la sécurité du médicament. Par comparaison, un essai de phase 2 compte quelques centaines de patients et un essai de phase 3 souvent quelques milliers. Nombreux sont cependant les patients souffrant de maladies mortelles et ayant épuisé les alternatives thérapeutiques qui mourront avant que le médicament n'ait achevé sa phase 2 de développement.La seconde raison invoquée par les plaignants a trait aux motivations des sociétés pharmaceutiques : même après l'étape clinique de phase 2, ces sociétés renoncent

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souvent à créer des programmes de CU. Selon l'Abigail Alliance et la WLF, les entreprises n'y voient pas d'intérêt car elles ne peuvent faire payer aux patients que le coût du médicament sans la moindre marge bénéficiaire.L'Abigail Alliance et la WLF ont dès lors requis de la FDA deux changements réglementaires majeurs : autoriser les programmes de CU dès la fin de la phase 1 d'essais cliniques et permettre aux entreprises pharmaceutiques de facturer à leur guise les médicaments expérimentaux. Autrement dit, ce que réclamaient ces deux groupes, devant la FDA puis devant les tribunaux, n'était pas une reconnaissance abstraite d'un droit d'accès à des traitements expérimentaux. En effet, ce droit figure déjà implicitement dans la réglementation mise en place depuis les années 80-90 sous la pression d'activistes atteints du sida. Ce que demandaient les plaignants était une modification radicale des conditions existantes afin de supprimer les barrières restantes – ou garde-fous dans la perspective de la FDA, au demeurant soutenue par plusieurs autres groupes de patients.Requalifiées de la sorte, les deux revendications de l'Abigail Alliance et de la WLF apparaissent sous un autre jour. Les arguments en faveur du choix laissé aux patients sans alternative thérapeutique doivent être fortement tempérés par les nombreux risques qu'emportent les changements proposés.Premièrement, dans l'optique du patient mourant, l'achat de médicaments dont il ignore tout des risques et des bénéfices n'est pas nécessairement dans son intérêt. Si les exigences de l'Abigail Alliance et de la WLF étaient adoptées, des entreprises disposées à effectuer l'investissement assez faible requis par les tests précliniques et l'essai de phase 1 pourraient abuser du nouveau système pour commercialiser des produits de toute sorte ; plusieurs de ces produits provoqueraient des réactions douloureuses, voire mortelles, sans offrir en échange le moindre bénéfice ; ni les patients ni les médecins, qui les conseillent, n'auraient de moyens tant soit peu fiables pour déterminer quels médicaments seraient bénéfiques, puisque l'information disponible à ce stade serait limitée aux données de l'essai de phase 1 ; ces patients dépenseraient le temps qui leur reste à vivre et leur argent pour acheter une succession de produits inutiles dans 90% des cas, ce pourcentage correspondant au taux d'échec actuel des médicaments expérimentaux en phase 1 d'essais cliniques.Deuxièmement, même si l'on admettait que le droit à l'autodétermination du patient en fin de vie doit primer, que sa décision soit ou non dans son intérêt, les changements exigés risqueraient fort de nuire aux autres patients souffrant de maladies graves. Aujourd'hui, grâce aux exigences universellement strictes des autorités publiques, tous les patients et leurs médecins ont des garanties solides – même si elles ne sont pas infaillibles – que les médicaments disponibles sur le marché sont sûrs et efficaces.

A cet égard, les essais cliniques randomisés conduits en double aveugle sur des milliers de patients (essais de phase 3) sont indispensables pour prouver que les bénéfices du médicament excèdent ses risques. Or, pour toutes les maladies graves, les propositions faites par les plaignants mettent en danger ce système bien rodé. Si les patients ont la possibilité d'acheter les médicaments expérimentaux qu'ils désirent, pourquoi accepteraient-ils encore – sauf nécessité financière liée au prix d'achat rarement remboursé – de participer à des essais cliniques ? Pour les patients, la participation aux essais cliniques implique des contraintes indéniables : le patient n'est plus suivi directement par son propre médecin, mais par un médecin-investigateur, souvent basé dans un centre hospitalier plus ou moins éloigné de son domicile ; les modalités de son traitement sont étroitement dictées par le protocole de l'essai clinique, et non plus par des décisions prises d'un commun accord avec son médecin traitant ; le patient doit se soumettre à davantage de tests et de contrôles ; surtout, il n'est pas assuré de recevoir le médicament expérimental étudié puisqu'il peut être attribué à son insu au groupe qui reçoit le produit de comparaison, voire même un placebo. Dans ces conditions, il serait naturel que les patients choisissent en masse les programmes de CU plutôt que les essais cliniques. Or, sans un nombre suffisant de patients acceptant les sacrifices liés à la participation aux essais cliniques, il sera plus long, voire impossible, d'obtenir la preuve de la sécurité et de l'efficacité du médicament.

A terme, tous les patients atteints de maladies graves souffriront des conséquences d'un moindre

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nombre de médicaments reconnus comme sûrs et efficaces.Troisièmement, les propositions de l'Abigail Alliance et de la WLF pourraient bien ne pas déployer l'effet attendu sur l'industrie pharmaceutique. D'abord, la perspective pour l'entreprise de pouvoir facturer son médicament expérimental dispensé dans un programme de CU ne suffira pas forcément à contrebalancer les inconvénients qui y sont liés. En effet, un tel programme est lourd à gérer, puisqu'il implique la fabrication à large échelle du médicament et l'aménagement d'un réseau de distribution, le tout à un stade très précoce de la recherche et du développement. De plus, l'entreprise pharmaceutique peut redouter que des effets secondaires constatés chez des patients participant aux programmes de CU soient pris en compte pour refuser ou retarder l'approbation finale du médicament, cela quand bien même ces effets secondaires seraient en réalité dus à d'autres facteurs que l'entreprise ne peut identifier dans le contexte de tels programmes (par exemple la prise concurrente et non déclarée d'autres médicaments). A l'inverse, d'autres entreprises pourraient être fortement attirées par la perspective de vendre leurs médicaments avant approbation et préférer bénéficier le plus longtemps possible de ce régime spécial, plutôt que de prendre le risque de se voir refuser l'approbation finale du médicament si les essais cliniques devaient finalement établir l'absence d'efficacité ou l'existence de risques excessifs.

L'expérience a d'ailleurs montré que les entreprises auxquelles la FDA a accordé, sur la base de preuves réduites (mais comprenant au moins des essais de phase 2 et souvent aussi un essai phase 3), le droit de commercialiser leurs médicaments ne respectent pas toujours l'engagement donné en contrepartie de conduire des essais cliniques additionnels après AMM.Bien que tous ces arguments – et d'autres encore – aient été présentés en détail par plusieurs groupes d'intérêts lors de la procédure de consultation initiale devant la FDA, la cour d'appel ne les a guère examinés. Elle a axé son examen sur une analyse étroitement juridique de la jurisprudence. Elle a toutefois renvoyé la cause à la cour inférieure afin que celle-ci détermine s'il existe des motifs impérieux justifiant le refus de la FDA d'adopter les propositions de l'Abigail Alliance et de la WLF. Comme la cour d'appel a érigé en droit constitutionnel la revendication des patients (atteints de maladies mortelles, capables de discernement et sans autre alternative thérapeutique), toute restriction à ce droit doit faire l'objet d'une justification extrêmement rigoureuse et donc particulièrement difficile à apporter.C'est pourquoi la FDA a aussitôt demandé à la cour d'appel de reconsidérer sa décision, adoptée à la majorité de deux juges contre un. Si la cour accepte, sur une base discrétionnaire, la reconsidération, ses neuf juges seront alors appelés à revoir le cas. Il faut espérer qu'ils saisiront cette occasion pour peser plus finement l'intérêt de tous les patients.a Arrêt : Abigail Alliance for Better Access to Developmental Drugs v. von Eschenbach (FDA), 445 F.3d 470 (D.C.Cir. May 2, 2006).

Références

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