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Archives, documents, données: problèmes et définitions

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Archives, documents, données: problèmes et définitions

MÜLLER, Bertrand

Abstract

La double historicité des sciences sociales implique un statut particulier de l'archive dans les sciences sociales: l'archive en effet y est document historique et demeure intrinsèquement donnée scientifique. L'argument peut toutefois être lu différemment selon que l'on est producteur/utilisateur de données ou gestionnaire/utilisateur d'archives. Le producteur de données ne se préoccupe pas ou rarement de la pérennité des informations qu'il recueille au cours de ses enquêtes, pas plus d'ailleurs que l'archiviste ne se prononce sur l'usage de documents dont il s'efforce de maintenir durablement l'accès possible.

MÜLLER, Bertrand. Archives, documents, données: problèmes et définitions. Gazette des archives, 2008, no. 212, p. 35-45

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:25442

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Archives, documents, données:

problèmes et définitions

Bertrand MÜLLER

Le document n'est plus un objet enclos dans une enveloppe cachetée) pas plus que l'âme ne s'enferme dans un tonneau1.

Dans une étude récente, j'ai tenté d'interroger la « double historicité» des sciences sociales, liée d'une part à leur objet - les sociétés humaines qui sont, par nature, historiques - ainsi qu'à leur propre statut: des activités humaines situées dans des contextes mouvants et par conséquent également his toriques2

Cette double historicité implique me semble-t-il un statut particulier de l'archive dans les sciences sociales: l'archive en effet y est document historique et demeure intrinsèquement donnée scientifique. L'argument peut toutefois être lu différemment selon que l'on est producteur/utilisateur de données ou gestionnaire/utilisateur d'archives. Le producteur de données ne se préoccupe pas ou rarement de la pérennité des informations qu'il recueille au cours de ses enquêtes, pas plus d'ailleurs que l'archiviste ne se prononce sur l'usage de documents dont il s'efforce de maintenir durablement l'accès possible.

Archiver des documents est une opération complexe, qui consiste à transposer des documents d'un espace de production vers un espace de conservation.

Cette transposition n'est pas une opération neutre pour le document lui-même

1 MELOT (Michel) « Préface », dans PÉDAUQUE (Roger T.), Le document à fa lumière du numérique, Caen, C&F Édition, 2006, p. 1.

2 MÜLLER (Bertrand) (éd), « Archiver les sciences sociales », Genèses. Histoire et sciences sociales, 2006, n063.

MÜLLER (Bertrand), « À la recherche des archives de la recherche. Problèmes de sens et enjeux scientifiques », Genèses. Histoire et sciences sociales, 2006, n063.

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Bertrand LVIüI/er

puisqu'elle en transforme le statut, conditionne des usages nouveaux, en modifie finalement la nature « épistémique». Cette transformation peut se résumer à un parcours qui fait passer le document « vivant» à un document

« historique ». Une conception du temps lui est associée et a été théorisée par les archivistes avec la notion de « cycles de vie» du document. De son côté, le

« scientifique» n'est pas un simple consommateur de données: il en est le créateur. C'est bien évidemment le cas lorsqu'il élabore une enquête par questionnaire, lorsqu'il enregistre des entretiens, lorsqu'il consigne des observations. Il produit des documents diversement complexes. C'est le cas encore lorsqu'il récolte des données, ou des informations pour constituer son corpus documentaire et compléter le cas échéant son enquête. Ces données ont, elles aussi, un cycle de vie qui ne se superpose pas nécessairement au temps de l'archive. Toutefois, même archivées, ces informations accumulées demeurent des données et non seulement les traces d'une activité.

L'ethnologue lorsqu'il consigne dans son journal ou sur ses fiches ses observations fabrique sa propre archive qui est en fait d'abord une documentation. L'historien se sert d'archives déjà constituées pour élaborer un corpus documentaire spécifique qui deviendra lui aussi potentiellement une nouvelle archive. Aucune contradiction fondamentale dans cette différence aussi longtemps que nous nous situons dans un « régime documentaire» qui est globalement celui de l'imprimé: les notions d'archives, de documents et de données sont à peu près identifiables dans leurs spécificités. La « révolution numérique» a profondément affecté ce « régime documentaire» en imposant de nouvelles pratiques, en offrant de nouveaux usages, en altérant la signification même des notions. Ainsi sur Internet, la sauvegarde d'informations diverses est assimilée à un archivage sans que soit pensée la question de la durée de conservation ou celle de l'organisation du classement, de l'accès ou de l'usage des archives. Les archivistes qui ont su assimiler la révolution technologique de l'Internet en recourant plus systématiquement à des logiciels pour gérer les fonds, ont glissé de l'archive à la banque de données.

Enfin, au cours de ces deux décennies, toutes ces notions ont fait l'objet d'un travail de sémantisation et de normalisation très poussé. Ces débats ont mis en évidence une transformation majeure, liée à l'informatique et à la révolution internet: le passage d'un « reglme documentaire» à un « reglme informationnel». Dès lors, une discussion qui interroge la signification de l'archive, du' document et de la donnée, ne peut faire l'économie de la question

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Archives, doCtlments, dotmées : problèmes et définitions

de l'information!. Sur ces questions, une littérature très abondante est produite, mobilisant des compétences dans des domaines clivers, et je. n'ai pas la prétention ni même l'ambition ici d'en faire un état des lieux. Le programme ARSHS a vocation à confronter des expenences et des réflexions interclisciplinaires, et sa réussite repose en particulier sur le partage des notions et de la formulation des problèmes. Dans ces conclitions, engager une cliscussion sur les questions terminologiques n'est pas un effort inutile, dès lors que chacun a également tendance à poser les mêmes questions en apparence dans des conditions historiques et clisciplinaires particulières. Toutefois, de même que changent les rapports entre dispositifs techniques, organisation des informations et lisibilité du texte, les conclitions pour poser ces questions se déplacent, rendant nécessaire un travail de réajustement sémantique qui est devenu aujourd'hui non seulement un enjeu intellectuel entre professions clifférentes concernées par l'archive mais qui s'inscrit surtout dans une entreprise de très forte normalisation internationale.

Du document...

En définissant les archives comme « l'ensemble des documents, quels que soient leur date, leur lieu de conservation, leur forme et leur support, produits ou reçus par toute personne physique ou morale et par tout service ou organisme public ou privé dans l'exercice de leur activité», la loi sur les archives fournit ainsi un instrument général qui permet de prendre en compte la cliversité des documents indépendamment de la variété des supports matériels ou immatériels, sans se prononcer sur les contenus. Le Conseil international des archives complète cette définition en articulant support et information: un document est un « ensemble constitué par un support et par l'information qu'il porte, utilisable à des fins de consultation ou de preuve ».

La numérisation et la production gigantesque de données sous toutes les formes ont redéfmi les pratiques mais aussi les terminologies. Qu'est-ce qu'une archive? Un document? Une donnée? Chacun de ces termes a fait l'objet d'un intense travail sémantique et conceptuel dans des domaines d'ailleurs très

1 COUTURE (Carole), Les jonctions de l'archimstique contemporaine, Sainte Foy, Presses de l'Université du Québec, 2003; ainsi que de la même auteure : «Le concept de document d'archives à l'aube du troisième millénaire »,AI'chives, 27, 1996, 4: 3-19.

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Bertrand Müller

divers, mais en particulier parmi les spécialistes et les experts des archives et de la documentation. La dématérialisation a, en effet, fait éclater la définition du document comme association d'un contenu et d'un support.

En France, une « communauté épistémique », rassemblant des spécialistes des sciences et techniques de l'information et de la communication, s'est réunie pendant plusieurs années sous le pseudonyme de Pédauque pour tenter de redéfinir de nouveaux critères stables du document. Ce réseau de chercheurs du CNRS a ainsi repris la question du document sous l'angle d'une

« redocumentarisation du monde ».

« S'il ne peut être "vu" ou repéré, "lu" ou compris, "su" ou retenu, un document n'est d'aucune utilité. Dans la mesure où il s'agit d'un artefact, on peut même dire qu'il n'existe pas comme réalité textuelle, mais seulement et éventuellement comme trace iconique1 Le document ne se définit plus simplement comme le rapport d'un fonds et d'une forme, mais d'un fonds et d'une structure (langage informatique), à la fois comme forme (ensemble de données organisées selon une structure stable), comme signe (un texte analysable), comme médium enfl11 (la trace de relations sociales reconstruite par les dispositifs informatiques). L'intérêt de cette définition est de resituer le document dans le processus complexe de sa production et de ses usages. La lecture d'un document n'est plus garantie par la matérialité d'un support mais par une chaîne matérielle et logicielle associant le support, le logiciel de codage et les outils de lecture et de restitution. Cette redéfinition nous rappelle que pendant longtemps le document a été construit comme un objet et, sous sa forme la plus banale, comme un objet papier, où étaient « entrelacés outils,

. 2

sav01rs et statuts» .

La perte de la stabilité matérielle du document et sa transformation en un processus construit est l'une des manifestations les plus évidentes des changements récents qui n'affectent pas seulement la construction du document informatique mais aussi la définition du document « traditionnel» ; l'un et l'autre ne sont pas indépendants et sont liés à la longue chaîne des transformations de l'écriture, du texte, de l'imprimerie, de l'évolution des formes, de l'iconographie, du développement aussi des pratiques documentaires dont ils demeurent de part en part l'expression et la trace. Or, aujourd'hui la documentarisation généralisée de nos activités multiplie les entrelacements des formes documentaires (fragments manuscrits, imprimés

1 PÉDAUQUE (Roger T.), La redocu1?Iwtar7sation dt/monde, Toulouse, Cépuadès-Editions, 2007, p.17.

2 Ibidem, p. 30.

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et/ou informatisés) et des supports matériels (feuillet, fiche, cahier, flyer, etc.).

Les savoir-faire documentaires se recentrent vers le développement de compétences critiques, d'analyses des contenus, de compétences pour pouvoir par exemple décrypter la manière dont les formes éditoriales contraignent le discours. « Plus que sur le document, il convient de mettre l'accent sur la documentarisation généralisée de nos activités, de notre vie sociale» 1 .

... à l'infonnation

Dans cette nouvelle configuration du document dématérialisé et démultiplié, où contenu et contenant, texte et support ne sont plus inséparables, c'est aussi le lien entre document et archive qui est remis en cause. La numérisation redistribue la différenciation des catégories documentaires2 : entre imprimé et manuscrit, image et texte, son et écriture sur laquelle s'était établie une division intellectuelle et institutionnelle des stratégies patrimoniales, qui n'a d'ailleurs jamais été parfaitement dessinée. L'imprimé pour les bibliothèques, les manuscrits aux archives, les sons et les images pour les médiathèques, les objets pour les musées, catégories autour desquelles se sont organisés des métiers et des usages, aujourd'hui en pleine transformation.

La « grande conversion numérique»3 oblitère une autre redistribution à l'œuvre entre document et information qui l'a d'ailleurs produite en grande partie.

L'archive s'est construite comme un processus de réification de l'information:

en privilégiant la conservation et l'accès elle a pour tâche d'assurer la sauvegarde matérielle et l'accès physique au document, valorisant ainsi le contenant Oe support et la forme), réservant le contenu O'information) à d'autres usages. Les fondements de l'archivistique moderne n'ont cessé de consolider cette différence en élaborant des règles impérieuses : respect de la provenance et de l'intégrité du fonds dans sa matérialité. La notion de cycle de vie4 inscrit ce processus dans une durée qui consacre la priorité de la forme sur

1 PÉDAUQUE (Roger T.), Le doct/ment à la lumière du numérique, Caen, C&F Edition, 2006, p.162.

2 CHABIN (Marie-Anne), Archiver, et après?, Paris, Djakarta, 2007.

3 DOUEIHI (Milad), La Grande Conversion numénrjlle, Paris, Éditions du Seuil, 2008 (La librairie du XXJe siècle).

4 RIETSCH Oean-Marc), CHABIN (Marie-Anne) et CAPRIOLI (Éric), Dématélialisation et

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le fond. L'archive courante (ou vivante) désigne encore cet état du document qui superpose la forme et le contenu, contenu encore disponible pour le producteur du document. U ne étape est franchie avec l'enregistrement du document dans les archives intermédiaires qui sanctionne et fractionne la valeur d'usage de l'information. EnfIn, l'archive historique consacre la primauté de la forme sur le fond mais en ouvrant également de nouveaux usages potentiels pour l'histoire. Plus globalement, ce processus marque aussi le déplacement d'un usage, l'information, à un autre, la mémoire. La théorie des cycles de vie est une construction rétrospective élaborée dans un régime documentaire qui indissocie mais distingue précisément une information stable et généralement identifIable et un support matériel durable.

La transition vers une société d'information change la nature de ce lien modifIant le rapport entre information et mémoire. L'information ne se réduit pas à un message ni à un acte communicationnel qu'elle présuppose, elle est aussi en tant que médiatrice de connaissances, relative à un ensemble de signifIcations partagées dans le cadre notamment d'une organisation1 et engendre un système qui a sa complexité propre. L'information est un moyen d'accéder à la connaissance et c'est aussi pour y faire éventuellement référence qu'une organisation accumule des connaissances. Un dispositif informationnel tire son effIcacité de sa capacité à articuler une masse documentaire aux besoins de l'organisation elle-même, réduisant l'archive aux rebuts inertes, à un ensemble de ressources non reconvertibles pour et par les acteurs eux-mêmes.

Cette perspective favorise en tout cas un autre rapport à la trace mémorielle et à la gestion de la documentation qui maintient la durée de vie du document dans le cadre de l'organisation elle-même, supposant également une gestion de son cycle de vie relativement à la valeur du contenu qu'il porte. Les systèmes informationnels sont sujets à une double contrainte corrosive: l'entropie qui se manifeste par une dégradation matérielle et cognitive, démonétarise les connaissances, les rend obsolètes, archaïques; et les parasites et les « bruits» de toute nature qui altèrent la communication, affectent et détériorent l'information. Pour survivre et parer à l'érosion des connaissances, les organisations investissent des ressources pour rationaliser et contrôler leur production documentaire, en adaptant les connaissances aux contextes variables, en régénérant les contenus et les contenants, en recyclant, triant, voire créant de nouvelles connaissances. À la différence du fonds d'archives

archivage électronique. Mise en œuvre de J'ILM (InfomJation Lifecycle Management), Paris, Dunod, 2006.

1 «Le concept d'organisation », écrit Edgar Morin dans le tome premier de L:t Méthode (<< La Nature de la Nature », Paris, Éditions du Seuil, 1977), « est le concept fondamental qui rend l'information intelligible ».

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ouvert qui peut être complété, un système d'information n'est jamais clos et toujours réactualisé. Pour être une connaissance signifiante, une information se rapporte aux significations du présent, à un contexte, des actes, des opérations du présent qui ne préjugent pas par ailleurs de sa qualité également historique 1.

Archives, documents, données

Les sciences humaines et sociales produisent des documents qui sont l'expression d'opérations intellectuelles complexes: journal de terrain, notes de lectures, carnets d'observation, questionnaires d'enquête, données quantitatives ou qualitative s, enregistrements sonores et vidéos, transcriptions d'enregistrement, etc., consignés sur des supports multiples, et formalisés à des degrés très divers.

Ces masses produites forment tout à la fois des archives, des documents et des données. Ce sont les usages qui paraissent déterminer l'appartenance à chacune des catégories, mais aussi leur formalisation. Des distinctions semblent aujourd'hui s'imposer dans les choix de conservation. En particulier, la distinction quantitatif! qualitatif qui implique des choix de conservation et de traitement particuliers et qui a des conséquences sur la requalification des données: données et métadonnées par exemple. La conservation des données s'inscrit dans une logique et dans des dispositifs dont le modèle est la banque de données. Aussi, sans préjuger des choix pragmatiques qui ont été faits, il importe assurément de revenir sur ces distinctions et de les réinterroger.

Au cours de ces dernières décennies, le traitement et la conservation des données d'enquêtes ont fait également l'objet d'investissements considérables de ressources à un niveau largement international. C'est le cas notamment des données produites dans le cadre de la recherche universitaire. Aujourd'hui, un organisme européen coordonne les efforts développés dans le cadre d'initiatives nationales: le Cessda (Council of European Social Science Data Archives2) qui a pour objectif de fédérer et d'optimiser l'ensemble du réseau de données produites par les sciences humaines et sociales depuis les années 1970.

1 CARDIN (Martine), Archivistique. Information, organisation, mémoire. L'exemple du Mouvement cooPératif Desjardins 1900-1990, Sillery, Les éditions du Septentrion, 1995.

2 http://www.cessda.org/about/ (consulté le 10 mars 2009).

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Bertrand Müller

Parmi ses tâches, fournir des données internationales et européennes en récoltant ou en favorisant les données d'enquêtes, de sondages d'opinion, des statistiques publiques ou des recensements gouvernementaux. Aujourd'hui, le réseau couvre 21 pays européens et regroupe plus de 15 000 collections de données issues d'enquêtes diverses produites par plus de 20 000 chercheurs 1.

Dans ce contexte, une donnée est une information numérisée mais pas nécessairement une donnée quantitative. UKdata2, l'un des plus anciens centres d'archives de la recherche, créé en 1967 en Angleterre et rattaché à l'université d'Essex, conserve des données quantitatives (micro données, macro données, données agrégées), des données formatées par l'intermédiaire de logiciels (SPSS), des données qualitatives (entretiens approfondis, journaux, notes de terrain anthropologiques, réponses de questionnaires) déposées sous d'autres formats informatiques (Excel, Word et RTF), mais aussi des données multimédia (images, photographies et clips) et des données non numérisées (documents papier: photos, rapports, questionnaires, transcriptions; des enregistrements audio ou audio-visuels).

L'option du tout numérique qui prévaut ici est un choix pragmatique qui autorise des stratégies de conservation sans mobiliser de ressources immobilières excessives, mais il repose également sur des choix épistémologiques et patrimoniaux: une intervention sur la production des données et leur standardisation internationale. Le processus peut intervenir à deux moments de la recherche: à la fin et cela suppose un travail considérable de retraitement des données, de leur conversion, et de leur exportation/importation dans des systèmes informatiques « interopérables » ; au début, mais cela exige un travail de normalisation et de codification partagé.

Ces dispositifs s'apparentent bien plus à la gestion documentaire des organisations qu'à la collecte des archives, et les procédures mises en place, encouragées et contrôlées par une expertise internationale, sont les procédures du « records management» qui impliquent effectivement une intervention précoce sur la prise de données de manière à assurer non seulement le respect des normes au niveau des format des données mais aussi de la documentation, du format du contenu et des métadonnées. Le cycle de vie du document n'est pas ici rétrospectif mais il est prospectif et gère la chaîne documentaire depuis la conception des données jusqu'à leur dépôt et leur stockage susceptible d'en assurer le partage et le réemploi.

1 La France y est représentée par le réseau Quételet: http://www.centre.quetelet.cnrs.fr/

2 SCOT (Marie), «Les archives britanniques des sciences sociales. Deux études de cas: UI<

Data Archive (UI<DA) et Qualidata », Genèses, 2006, nO 63, p. 46-65.

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Arcbive!; doCttment!; données: problème!" et déftnitiol1S

La standardisation à l'œuvre, également sensible dans la gestion des archives

« classiques », repose sur une expertise méthodologique préalable qui légitime l'autorité d'experts intervenant non seulement en aval sur l'archivage mais en amont comme de véritables acteurs de la recherche. La frontière qui séparait nettement créateurs et usagers devient floue mais surtout c'est la valeur de preuve qui est déplacée. L'archive n'est plus à elle seule porteuse de la preuve:

elle devient une manifestation de la scientificité des savoirs qui la produisent La gestion documentaire agit sur la conception même de l'activité scientifique:

elle participe à l'élaboration des données elles-mêmes et mobilise de nombreuses ressources de formation méthodologique. Ce dispositif privilégie la stabilisation et la pérennisation dans une perspective scientifique: la circulation et le partage des données. L'archive y est ici reléguée à une fonction marginale. Et cela de deux manières au moins: d'une part, le partage papier/numérique délimite une frontière historique qui confine les données consignées sur papier, non aisément reconvertibles, à un usage « archivistique»

et réserve aux données numérisées le traitement scientifique. D'autre part, la standardisation sanctionne l'inclusion ou l'exclusion des données d'un «bon usage» scientifique réduisant le « reste» des matériaux à l'étude des contextes.

La validation scientifique des données prime sur leur contextualisation documentaire qui en garantit surtout un usage durable.

Pourtant, si elle semble échapper à une logique patrimoniale, la pratique scientifique n'exclut pas les ressources mémorielles 1. La production de données est le résultat d'activités scientifiques qui s'inscrivent dans des institutions, des organisations, des disciplines auxquelles se rattache prioritairement la mémoire scientifique2 L'archive se rattache dès lors prioritairement à l'institution scientifique elle-même et relève à la fois de la patrimonialisation des activités administratives de la recherche et de l'élaboration qui contribue à l'identité collective de ses membres en fixant souvent a posteriori les mémoires, qui sera autant la consécration de « la geste des héros» que la mise en récit des obstacles de tous ordres qu'ils ont dû affronter. Que ce soit sous la forme d'une mise en relief des grands textes fondateurs ou d'une mise en récit des épisodes décisifs ou des grands ancêtres, la mémoire disciplinaire est pleinement un enjeu de l'institution et de la discipline3 : elle est en soi une

1 MüLLER (Bertrand), « Le passé au présent. Tradition, mémoire et histoire dans les sciences sociales », Les Annuelles, 1997, nO 8, p. 173-190.

2 CAZENAVE (Christine) et GIRARD (Françoise), Comervatiorl et valOiisation du patrimoine des organismes de recbercbe, Saint Etienne, Publications de l'Université de Saint-Etienne, 2007.

3 BLANCKAERT (Claude), «La discipline en perspective. Le système des sciences à l'heure du

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institution qui favorise une mise en reclt qui genere une production documentaire spécifique sous la forme de monographies, de biographies des pères fondateurs ou des « grands savants », de chroniques, de synthèse, de récits commémoratifs, de discours nécrologiques, etc., qui sont autant de

« conservatoires officiels» de la mémoire institutionnelle. Ces masses documentaires ainsi conservées ont un rôle particulier par rapport à l'activité scientifique en lui fournissant des références historiques. De manière symétrique, le potentiel scientifique des données découle du travail de la mémoire qui rend possible la réactualisation des données.

Ainsi, si elles renvoient à des séries documentaires et des exigences spécifiques de mise en archive, l'institution scientifique se dote de moyens propres de conservation documentaire pour survivre et progresser et par la construction mémorielle assure l'intégrité du cadre de référence qui sous-tend son identité.

Ces remarques limitées à un cadre un peu succinct devraient inciter chercheurs et archivistes à poursuivre ensemble le débat sur la spécificité des archives des sciences humaines et sociales en maintenant la tension entre intérêt scientifique et valeur mémorielle d'archives qui entrelacent de multiples sphères d'activités, de lieux, de pratiques, de ressources documentaires où l'archive est alternativement utilisée comme preuve, outil ou témoignage.

Bertrand MÜLLER ARSHS, Université de Genève

spécialisme

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e siècle)), dans BOUTIER Gean), PASSERON Oean-C1aude) et REVEL Oacques) (éds.), Qu'est-ce qu'une discipline?, Paris, Éditions de l'École des hautes études en sciences sociales, 2006, p. 117-150.

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