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@Home - Analyse et coulisses du projet

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Academic year: 2021

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Texte intégral

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HAL Id: halshs-02177738

https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-02177738

Submitted on 9 Jul 2019

HAL is a multi-disciplinary open access archive for the deposit and dissemination of sci-entific research documents, whether they are pub-lished or not. The documents may come from teaching and research institutions in France or

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Jeanne Drouet

To cite this version:

(2)

@Home

Analyse et coulisses du projet

-Jeanne Drouet

Publié en ligne sur

http://www.projet-athome.net/

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Sommaire

Présentation du projet

... 3

Visite guidée du laboratoire @Home ... 3

Le protocole d'expérimentation :...3

Pourquoi Facebook ?...4

Pourquoi le site "@home - la fiction" ?...5

Regards d'adolescents sur Facebook ... 6

Les entretiens...6

Faire le tri...6

D'autres « façons de dire »...7

Notes et citations ...7

Un jeu de rôle sur Facebook ... 12

« Présentation de soi » et déguisements dans l'@home ...12

Le modèle du jeu de rôle...14

Facebook ou la « carte d'identité enrichie » ...15

Notes et citations ...16

L'image du quartier à travers la fiction ... 23

Le décor virtuel d'@home...23

Le réseau virtuel : une scène du quotidien ?...24

Quelles techniques pour se représenter l'espace ?...25

Notes et citations ...25

Quelles sociabilités dans le réseau ? ... 29

L'aventurier solitaire...29

Le « récit collaboratif en ligne » ...30

Facebook à l'épreuve d'une expérience de coopération...32

Notes et citations ...33

Techniques, écritures et médium ... 36

L' immersion...36

Écriture et lecture dans l'@home...37

Médium et nouvelles écritures du Web...39

Notes et citations ...40

Facebook à l'épreuve de l'approche artistique ... 45

Facebook mis en abîme dans @home...45

La posture des Webwalkers : les incitateurs ...46

« S'exprimer d'une autre façon » ...47

Notes et citations ...47

Webliographie ... 51

Auteurs, équipe et partenaires : ... 53

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Présentation du projet

Entre septembre et décembre 2011, 4 artistes et 12 adolescents de Mermoz participent à une expérience inédite : détourner le réseau social facebook, pour y écrire une fiction multimédia à 32 mains. Voici, en quelques lignes, la présentation de ce projet.

La partie "fiction" de ce site n'est que la partie émergée de l'iceberg : le rendu d'une démarche collective qui a mêlé artistes, professionnels et amateurs pendant plusieurs mois. Il vous présente un récit virtuel prenant racine sur un territoire réel : le quartier Mermoz à Lyon. Cette fiction a pour point de départ la question suivante : "Si vous vous reveilliez un matin et que vous êtiez seul... complètement seul... que feriez-vous ?"

Cette question a été posée à 12 jeunes, adolescents de 11 et 17 ans, habitant Mermoz. La conjonction de leurs imaginaires a produit ce texte, illustré, multimédia, écrit à la fois seul mais à plusieurs, en réseau, en 10 semaines. Chacune des productions, qu'elle soit textuelle, visuelle ou sonore, a été réalisée individuellement par les participants, avec le support d'artistes professionnels. Le site "@home – la fiction" vous invite à vous plonger dans cette histoire oscillant entre science-fiction et réflexion sur l'incursion bien réelle des technologies dans notre quotidien.

Le site "@home - les coulisses" propose un retour d'expérience complet, de la part des artistes-intervenants, des porteurs de projet ainsi que des participants dont vous pourrez lire quelques bribes de témoignages. Les autres billets de ce site sont également consacrés à une analyse anthropologique des enjeux repérés en termes de pratiques numériques / réseaux sociaux / rapport au territoire. Vous y trouverez unwebliographie des ressources et références mobilisées pour la conception et la réalisation du projet. Enfin, pour les plus curieux, la méthodologie du projet

@home est également détaillée dans ce site "coulisse".

Visite guidée du laboratoire @Home

Le projet @home est une expérimentation artistique sur un territoire donné, autour des usages numériques et d'internet : une aventure virtuelle sur le territoire de Mermoz une aventure réelle sur le réseau Facebook.

Le protocole d'expérimentation est ici présenté.

Le protocole d'expérimentation :

Le projet a mobilisé :

- 12 ados / pré-ados, les participants.

- 1 animateur de structures de proximité, participant également.

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- 1 scénariste (qui encadre le déroulement de l'aventure)

- 1 observatrice (anthropologue) ayant à la fois un rôle de personnage-guide dans la fiction (Jutta Grim)

Cet échantillon d'individus s'engage dans une aventure à travers Facebook. Chaque protagoniste s'y créé une identité virtuelle, imaginaire et réaliste : création d'un compte, invention d'un avatar personnel, un personnage idéalisé et virtuel, dont les caractéristiques sont imaginées par chacun. Les 18 personnages ainsi créés sont alors impliqués dans une aventure à travers laquelle ils vont être invités à communiquer, échanger, collaborer entre eux, à travers des échanges en ligne et la production des micro-formes littéraires, sonores ou visuelles.

L'aventure s'est déroulé pendant 8 semaines, qui représentent 8 journées dans la fiction. La première étape s'est faite en plusieurs petits groupes, rassemblés physiquement dans les espaces multimédia des structures de proximité (Centre Social Mermoz, Antenne Mermoz Nord). Ensuite, les protagonistes ont participé à l'aventure lors de Rendez-vous individuels donnés chaque semaine entre un artiste-intervenant et un participant. Lors de ces RV, les artistes et participants, ont conçus en binôme des éléments de textes et une production audio ou visuelle permettant de rendre compte de ce que vivent leurs personnages. Ces éléments sont publiés et partagés entre tous les protagonistes via Facebook. Les productions d'un RV illustrent la journée d'un personnage.

Entre ces rendez-vous, les interactions entre les personnages de la fiction ont lieu via les « chat » (salon de discussion en ligne), messages privés, messages publics, murs, et tissent des liens, des connexions, des affinités entre des personnes qui ignorent leurs identités réelles respectives. Les participants n'ont pas ou peu d'échanges physiques. Les relations qui se tissent entre les personnages sont donc virtuelles et ont lieu en ligne.

Enfin des rendez-vous collectifs et physiques sont donnés, proposant à tous les protagonistes de se rencontrer IRL (« in real life », dans la vraie vie). Le premier à eu lieu la 5e semaine (Jour 5) lors duquel les participants ont enfin pu deviner qui se cache derrière quel personnage. Le dernier a eu lieu lors de la dernière semaine (jour 8) et a permis de mettre en commun toutes les informations récoltées par chacun des personnages au cours de la fiction, en vue d'écrire une fin commune.

Pourquoi Facebook ?

Le réseau social Facebook, par son appropriation massive par les jeunes, constitue une entrée directe pour appréhender les pratiques multimédia de ce public. Cette plateforme, parfois recensée comme leur seule porte d'entrée sur internet, est également au centre de l’intérêt et des craintes de nombreux parents. Facebook cristallise donc l'essentiel des enjeux que nous souhaitions travailler (lien parent-enfants, pratiques multimédia des jeunes, identité virtuelle, production de contenu...). Facebook propose également un support technique idéal puisqu'il permet la création d'identité(s) en ligne / l'isolement d'un groupe défini, permettant une étude des interactions / la publication et la mise en partage de contenus au sein du groupe.

Le détournement de cette plateforme permet d'en approcher par la pratique les codes, limites et dérives d'utilisation. Le scénariste impose au cours de l'aventure plusieurs « cas de figure » qui les mettent en évidence.

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Pourquoi le site "@home - la fiction" ?

L'ensemble des interactions, messages, publications et productions intègrent un site ouvert à tous, un objet artistique en ligne donnant à lire le projet expérimental sur deux niveaux.

Le site est avant tout une retranscription interactive de la fiction vécue et créée par l'ensemble des participants. Les contenus générés durant l'aventure en ligne (photos, textes, vidéos, commentaires, corpstextes...) sont extraits de facebook. Ils ont ensuite été réintégrés au sein d'un environnement permettant aux visiteurs de découvrir la fiction par différents modes de navigation et de réprésentation (chronologique, géographique, hypertexte, etc). L'internaute peut alors suivre l'un des personnages du début à la fin de son aventure, ou bien découvrir tous les événements et productions réalisés à un instant T, ou produits dans un lieu précis...

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Regards d'adolescents sur Facebook

De septembre à décembre 2011, 12 adolescents ont vécu une aventure sur Facebook dans le cadre du projet @Home. Quelques jours après la fin de l'expérience, j'ai pu m'entretenir avec chacun d'entre eux. Lors de ces entretiens menés « à chaud », ils m'ont livré leurs regards sur le célèbre réseau social. En voici quelques extraits (colonne de droite), mis en valeur dans cet espace du site coulisse dans lequel l'analyse cède la place à une présentation succincte de la méthode mise en place pour mener ces entretiens.

Les entretiens

Les entretiens que j'ai menés avec les 12 participants d'@home se sont déroulés dans deux Centres sociaux du quartier de Mermoz (Lyon), une semaine après la fin de l'aventure. Ils se sont alors retrouvés seuls face à une adulte qui leur proposait d'enregistrer une discussion un peu plus formelle de celles qu'ils avaient coutume d'engager... Voilà un exercice que certains ont eu l'air de trouver bien étrange, mais auquel ils se sont tous prêtés de manière volontaire. Ces entretiens ont duré en moyenne 30 minutes. Pour enclencher la discussion, j'avais préparé une série de questions (un guide d'entretien) que j'ai bien souvent complètement abandonnée à mi-parcours quand mes interlocuteurs semblaient avoir trouvé une aisance suffisante pour laisser libre cours à leur parole. Cela dit, à la différence des interlocuteurs adultes avec qui j'avais pu m'entretenir jusque là, j'ai rapidement remarqué que les adolescents étaient bien souvent artistes en matière de concision. La parole s'est donc équitablement répartie entre eux et moi, c'est pourquoi la retranscription de ces échanges prend toujours la forme d'un dialogue. Au préalable, j'ai dû préciser avec beaucoup d'insistance que je ne souhaitais pas « vérifier leurs acquis » mais plutôt recueillir leurs avis sur l'expérience qu'ils venaient de vivre. Mais comment rapporter ensuite leurs paroles le plus fidèlement possible ?

Faire le tri

J'ai ici sélectionné quelques extraits représentatifs des propos que j'ai pu entendre. Ils témoignent tous de la vision de ces adolescents vis à vis des pratiques et usages sur Facebook, en dehors de l'aventure @Home et font particulièrement écho à l'étude menée par leCentre d'évaluation des choix technologiques Suisse TA-SWISS

en 2011 auprès d'une centaine d'élèves âgés de 15 à 18 ans. En voici un petit extrait :

« Ils estiment qu'il y a encore, bien entendu, des choses plus importantes dans la vie […] ils connaissent les dangers que les nouveaux médias peuvent receler – notamment l'étiolement des contacts sociaux, la nocivité des contenus diffusés ou le risque de développer une dépendance maladive -, même si c'est plutôt par ouï-dire que par expérience personnelle. […]

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D'autres « façons de dire »

Une fois ce tri opéré, quelle place donner à ces propos dans le site coulisse ? Les chercheurs en sciences humaines et sociales font bien souvent preuve d'une légère paranoïa à l'égard des discours des « acteurs » qu'ils interrogent (parfois ré-équilibrée par une certaine empathie selon les termes de François Laplantine). Il s'agit alors d'évaluer l'écart entre ce que l'on peut dire de sa pratique et les manifestations concrètes de celle-ci. Plus proches de cet esprit, les autres espaces de ce site présentent des analyses qui s'articulent autour d'extraits d'entretiens et de descriptions des pratiques observées dans l'@Home. Mais le discours de l'analyste est parfois étouffant c'est pourquoi cet espace donne la part-belle à d'autres « façons de dire » que vous pourrez lire et apprécier à votre guise.

Notes et citations

Extrait de l'entretien avec O (Chloé Trafic) :

– Jeanne : Est-ce que tu utilises différemment Facebook dans le jeu @Home par rapport à d'habitude ?

- O : Bah, sur Facebook, c'est pas du tout la même chose. Parce que le faux Facebook, c'est une aventure qu'on fait. On va dans des lieux, on essaie de trouver des indices, tout ça. On essaie de résoudre une énigme. Alors que Facebook normal, y'a rien du tout. Tu vas sur les comptes d'autres gens, tu parles et puis voilà.

- J : Hum.... Et ça te sert à quoi ton « vrai » Facebook ?

- O : Bah, j'ai des amis qui ont Facebook aussi, donc je peux leur parler. Ouais... Je peux parler à des potes.

[...]

- J : Tu utilises Internet pour t'informer ou apprendre, des fois ? Je sais pas, par exemple, tu vas voir Wikipédia ?

- O : [rires] Non ! - J : Jamais ?

- O : Ah, si... Bah, l'année dernière, j'avais fait un exposé, et on a été sur Wikipédia. Et en fait, on a recopié ce qui était sur Wikipédia. Et quand on a rendu le dossier, le prof nous a dit que c'était bien fait, mais que toutes les dates étaient fausses, en fait.

Extrait de l'entretien avec H (Shiriane Shershepaa) :

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général ?

- H : Je vais sur Youtube ! - J : Tu y vas souvent ?

- H : Ouais, trop, j'écoute tout le temps de la musique. Mais maintenant, y'a Youtube sur ma télé.

- J : Et sinon, est-ce que tu utilises Internet au collège ?

- H : Ouais. Nous, la plupart du temps, c'est pour trouver des définitions. - J : Tu vas sur Wikipédia, par exemple ?

- H : Tut, tut ! Ah, non, Wikipédia, c'est trop long, y'a trop d'informations ! [...]

- J : Dans @home, y'a eu des petites histoires entre les personnages... - H : Ah ! Ceux qui se sont mis en couple, et tout !

- J : Et tu en penses quoi ?

- H : Ah, ça, c'est Facebook normal !

Extrait de l'entretien avec S et H (Georges Malhanie et Maroua Masaoud) :

– Jeanne : Vous pensez quoi du vrai Facebook ? Est-ce que les gens se présentent honnêtement ?

- S : Non, pas tout le temps, y'en a qui mentent sur leur âge, pour euh... Bah, par exemple les garçons mentent sur leur âge pour attirer de plus grandes femmes. Et les femmes mentent sur leur âge pour attirer de plus grands hommes.

- J : Ce sont des relations de séduction ?

- H : Ouais... Bah, maintenant notre génération, c'est plus amical, c'est plutôt, bah je vais sortir avec toi, ou des trucs comme ça. Mais en fait, moi c'est pour ça que j'ai pas voulu en avoir un [un compte Facebook] jusqu'à l'année dernière, parce que ça m'intéressait pas. Je préférais que ce soit en vrai.

Extrait de l'entretien avec M (Adouche Babouche) :

– Jeanne : Du coup, tu penses que les gens vont sur Facebook pour quelles raisons ?

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et tout, pourquoi on ne les aime pas. Et des fois, ils parlent entre eux et on sait que... qu'il y a quelque chose qui va pas.

- J : Hum. Et ça tu trouves que c'est, que ça ressemble à ce que tu as fait, là [dans l'@Home]?

- M : Non, pas trop.

- J : C'est quoi, pour toi, la différence ?

- M : Et bah, ici, on parle pas trop ensemble... y'a pas de discussion instantanée et tout ça. Et c'est mieux... comme on sait pas qui on est...

Extrait de l'entretien avec N (Jean-Pierre Bernart) :

– N : Sur Facebook, y'a un peu de tout, on peut communiquer. Après faut voir comment il est utilisé, aussi. Si on l'utilise correctement, bon, bah...

- J : Et une bonne utilisation, c'est quoi, pour toi ?

- N : Quand la personne, elle est correcte, elle se comporte bien.

Extrait de l'entretien avec H (Shiriane Shershepaa) :

– Jeanne : Tu penses quoi de Facebook, en dehors du jeu ?

- H : Bah, ça dépend, y'en a qui ont Facebook et qui vivent leur vie aussi. Mais y'en a, Facebook, c'est carrément leur vie !

- J : Tu connais des gens comme ça ?

- H : Ouais ! Ouais, j'ai une copine, elle raconte toute sa vie. - J : Elle passe beaucoup de temps dessus ?

- H : Ah ! Trop !

Extrait de l'entretien avec S et H (Georges Malhanie et Maroua Masaoud) :

– S : Moi en fait, Facebook ça me plaît pas trop, même si j'en ai un. Parce que la plupart des gens, ils connaissent toute ta vie dedans. C'est pour ça...

- H : Mais, moi, ils connaissent pas toute ma vie ! (…) Je mets pas ce que j'ai fait toute la journée. Par exemple, je mets : « Aujourd'hui c'est le brevet, j'ai vu ça, ça, ça... ». Et c'est tout.

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- H : Ouais, y'en a. Par exemple, hier soir, y'avait La Belle et la Bête [à la télévision]. Y'en a qui marquent : « Je regarde La Belle et la Bête ».

- J : Et vous en pensez quoi, de ça ?

- S : Bah, je m'en fous de ta vie ! T'a regardé La Belle et la Bête, c'est cool ! Parce que maintenant, ils mettent toute leur vie alors que ça sert à rien ! Et le pire, c'est dans leurs amis, y'a des gens qu'ils ne connaissent pas, des gens qui sont sur Facebook...

[…]

- J : Et vous pensez qu'il faut l'utiliser Facebook, du coup ?

- H : Moi, je dis qu'on peut l'utiliser, mais sans mettre des photos, sans raconter sa vie, quoi. - S : Moi, je dis, on peut l'utiliser, mais sans confondre la vraie vie et Facebook. (…) Donc, ouais, d'un côté c'est bien parce que ceux qui peuvent pas, qui ne savent pas parler avec les gens en face, et bah... ça les libère en fait. Et d'un autre côté, bah c'est pas bien parce qu'après on a plus aucun lien avec la réalité.

Extrait de l'entretien avec M (Adouche Babouche) :

– Jeanne : Et tu veux pas dire pourquoi [tu ne te rends plus beaucoup sur Internet] ?

- M : Non, c'est pas ça, j'ai pas beaucoup de raisons, en vrai.... Aussi, ça nous prend notre temps et tout. On va sur Facebook, on va parler avec les autres et en même temps quand on reste trop sur l'ordinateur, après on a plus envie de sortir et tout, on a plus envie de rien faire.

Extrait de l'entretien avec S (Chaim Rayan) :

– Jeanne : Et tu racontes les mêmes choses à tes « amis Facebook » que si tu les croises en vrai ?

- S : Bah... Non.

- J : Et c'est quoi la différence, alors ? - S : Bah, je mens, sur Facebook !

- J : Tu mens. Et tu ne mens pas en vrai ? - S : Non, j'ai jamais menti, en vrai ! - J : Et tu mens vraiment, sur Facebook? - S : Non, des petits bobards !

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– Jeanne : Et tu penses que dans le vrai Facebook, on fait un peu pareil que dans le jeu, c'est à dire qu'on fait un peu semblant ?

- S : Bah, y'en a qui le font, ça dépend des gens. Y'a des gens qui racontent une autre vie, pas leur vraie vie. Comme ça, les autres vont dire : « Bah, lui, il a de la chance. » Par exemple, si y'en a un qui dit : « Moi j'ai une grande maison ». Bah, celui qui a un appartement, il se dit que l'autre a la chance !

- J : Et tu penses que du coup ça empêche de communiquer, ça ?

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Un jeu de rôle sur Facebook

Dans la semaine du 21 au 27 novembre 2011, Adouche Babouche, joueur de foot, Médina Du Surjait, policière, et Marc Labiche, vétérinaire retraité, deviennent tous « amis » du « groupe Facebook » intitulé Centre commercial. Sur le « mur » du groupe, Marc Labiche déclare : « Médina, Adouche et moi, nous avons réfléchi. Nous trois, nous n'avons pas de Wifi tandis que les autres ont des Wifi, du coup, les autres ont été digitalisés ». Hors contexte, le déroulement de ces actions peut surprendre et interpeller. On peut par exemple se demander s'il s'agit de la description d'une scène « ordinaire » sur Facebook ou d'une scène de jeu vidéo. Derrière ces trois noms se cachent des adolescents. Comme neuf autres jeunes habitants du quartier Mermoz (Lyon), ils ont inventé un profil Facebook pour pouvoir participer à un jeu sur le réseau social. A partir de septembre 2011, ils ont mené une enquête en ligne en compagnie de quatre artistes. Poussés par ces derniers à s'immerger dans un univers de fiction (intitulée @home), ils ont eu toute la liberté d'imaginer leurs avatars. Quelles stratégies et tactiques ont-ils élaborées pour construire et faire évoluer ce personnage ? Comment ont-ils mis en scène leur présence dans l'@home, avec comme plateau de jeu Facebook ? Quelles marges de manœuvre ont-ils pu avoir et se sont-ils autorisés à prendre avec leur « identité civile » ?

« Présentation de soi » et déguisements dans l'@home

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le caractère, le métier. Pour la majorité des participants, l'avatar représentait une image d'eux-mêmes un peu améliorée : moi, plus âgé (souvent autour de la vingtaine), moi, sans certains de mes défauts. .C'est par exemple le cas de S (Médina du Surjait), S (Chaim Rayan) ou encore de M (Adouche Babouche)

Cette envie et possibilité de donner la meilleure image de soi n'est ni réservée aux pratiques ludiques, ni réservées aux pratiques en ligne. Elle renvoie à beaucoup de comportements que l'on adopte quotidiennement en société. Erving Goffman les a décrits avec beaucoup de finesse, analysant la vie sociale comme une scène de théâtre, notamment dans les ouvragesLa mise en scène de la vie quotidienne (1959), Les rites d’interaction (1967) etFaçons de parler (1981). Il y dépeint les stratégies et rites de présentation de soi (facework ou figuration) qui se manifestent lors des interactions. Il définit d'ailleurs l'interaction comme une « coprésence mutuelle, confrontation et définition de soi revendiquées et attribuées, subtil dosage de spontanéité et de calcul, de ruse et de déférence, manifestation d’un respect mutuel. » Les références à ses travaux se sont d'ailleurs multipliées depuis que les chercheurs étudient le Web 2.0. On y transpose souvent ses analyses des conversations et interactions « ordinaires » sur les échanges se manifestant dans les réseaux sociaux. La difficulté, dans un cas comme dans l'autre, étant de « savoir comment tenir son rôle » le plus judicieusement possible, que ce soit au cours d'une discussion autour d'un café et de cigarettes (comme dans le film de Jim Jarmusch) ou en faisant une enquête en ligne, sur un réseau social virtuel. Pour nos joueurs dans l'@home, la tâche est devenue plus ardue quand les interactions avec les autres joueurs se sont intensifiées . Les risques d'être démasqués (ce qui signifiait parfois « perdre la face ») se démultipliaient. Comme Tom Waits et Iggy Pop dansCoffee and Cigarettes (2003), la difficulté pour N (David Ghettae) et O (Chloé Trafic) quand ils ont conversé en ligne 3

s'est manifestée à trois niveaux :

– se glisser dans la peau d'un personnage (devenir acteur)

– savoir interpréter ce personnage quand il est en situation d'interaction (être un bon comédien)

– négocier avec subtilité la proximité établie entre ce personnage et leur propre personnalité (jouer (avec) son propre rôle)

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réseau, il faut donc affirmer sa présence. Petit à petit, les artistes-intervenants ont pu sensibiliser les adolescents à une série de savoir-faire permettant de ruser sur le réseau (truquer des photos, inventer un récit...). Le souci était alors de s'exposer tout en se dissimulant. Une des participantes, S, a conjugué avec talent ces deux pratiques apparemment contradictoires6. Pour ce faire, elle a construit un personnage adulte, du sexe opposé au sien (Georges Malhanie). Par la suite, elle s'est sentie libre d'agir sur le réseau, par exemple en commentant les indices découverts par les autres. Le jeu @home a donc incité les participants à développer une « identité-écran » leur permettant de prendre une distance, un recul réflexif sur leur « identité civile ». Autrement dit, leurs avatars, transposant dans un jeu des aspects de leur personnalité, leur ont permis, comme me l'a dit C (Sooléne Martinez) de « s'inventer une vie ». Cité par Perea, Serge Tisseron (2009) 7 rapproche ce phénomène du carnaval ou du bal masqué. Le défilé, dans lequel les uns et les autres se sont « autorisés à dire des choses que l’on ne s’autorise pas habituellement » s'est donc déroulé dans un espace bien particulier : l'interface de Facebook.

Mais jusqu'où les participants sont-ils allés ? Quels masques se sont-ils inventés ? Et surtout, de quelles vies ont-ils rêvé ? Ici aussi, des règles ou des cadres ont limité les fantaisies : ceux de l'imaginaire et de la culture. Leur imagination a puisé dans le répertoire culturel qu'ils ont à disposition et s'est déployée autour d'une focale, une vision du monde bien particulière.Arjun Appaduraï (1996) décrit bien ce « travail de l'imagination » quand il raconte l'influence qu'a pu avoir sur lui le cinéma américain, alors qu'il n'était qu'un jeune homme et résidait en Inde. Il nous rappelle que les rêves doivent être nourris, ne peuvent se créer sans ancres ou repères. Au sujet du Web,Appaduraï (Forum d'Avignon, 2010) propose un diagnostic : « C'est dans le cadre de la culture que les gens expérimentent une sorte de fossé grandissant entre le moi vu sur écran et le moi réel, quotidien. ». S'il est délicat d'affirmer que ce fossé est ressenti par les joueurs de l'@home, on peut néanmoins relever quelques-unes des références qui les ont inspirés. Deux joueuses ont précisé qu'elles avaient fait leurs études à l'Université Harvard, un joli clin d’œil (involontaire ?) quand on sait que Facebook a été créé par des étudiants de cette même Université. S (Médina du Surjait) s'est inspirée de lasérie télévisée NCIS (un polar) qui lui a donné l'idée pour le métier de son personnage : policier scientifique8. C'est aussi le métier que S souhaite faire plus tard. Par la suite, au cours du jeu, elle a décidé de faire faire des emplettes à son personnage. Médina du Surjait a donc virtuellement acheté les mets et vêtements les plus chers des magasins et s'est installée dans une maison. S a ainsi vécu, par procuration, à un niveau de vie probablement plus élevé que le sien. Au détour du jeu, les artistes-intervenants ont parfois saisi une occasion pour faire découvrir des musiques ou d'autres types de productions artistiques aux participants qu'ils accompagnaient. Mais ils les ont surtout incités à s'emparer d'un rôle et à enclencher leur imagination. @home est donc un jeu basé sur le simulacre, autrement dit, un jeu de rôle.

Le modèle du jeu de rôle

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Dans les jeux de rôles, qu'ils soient ou non pratiqués en ligne, la première étape du jeu est la création de l'avatar (comme dans @home). C'est aussi, en quelque sorte, la première étape pour entrer dans le réseau social Facebook (la création du profil). Facebook n'est pas à proprement parler un jeu de rôle, pourtant l'un et l'autre se ressemblent étrangement parfois et certains usagers s'en emparent comme tel. L'@home est un jeu qui pousse à son comble certains usages que l'on peut avoir avec les identités et les profils sur ce réseau social. C'est en quelque sorte un Facebook exagéré, parodié. Certains participants ont d'ailleurs nuancé les propos de K, Simon et S en précisant qu'il existait des différences entre l'@home et les jeux de rôle en ligne : dans l'@home, par exemple, il n'y a pas d'images animées, le personnage ne « prend pas vie ». Pour O, « c'est plutôt un fake » qui a été élaboré dans l'@home. Le « fake » est un compte Facebook dans lequel on se présente sous des traits bien éloignés de ce que l'on est (l'identité civile totalement masquée par l'identité écran). Enfin, d'après Pierre, coordinateur du projet et artiste-intervenant, si l'on peut rapprocher l'usage de Facebook dans l'@home avec les usages « ordinaires » du réseau, c'est aussi parce que la dimension ludique n'est pas la première chose recherchée dans ce projet. La priorité pour l'équipe d'intervenants était de rendre les joueurs « acteurs de leur participation » à Facebook, en les invitant à prendre du recul sur « l'outil » réseau social.

L'important n'était donc pas de jouer, mais plutôt de se jouer de Facebook ou « jouer des cadres », pour faire écho à un articled'Evelyne Lasserre, Axel Guïoux et Jérôme Goffette (2011) qui font eux-même écho à un article d'Hans Christian Arnseth : « Ce sont ces cadres qui structurent à la fois l'expérience et l'apprentissage du jeu mais peuvent aussi en retour être modifiés, donc appropriés, par les joueurs. Pour reprendre l'expression de Hans Christian Arnseth (2006), il s'agit d' "apprendre à jouer tout en jouant pour apprendre "». L'un (apprendre à jouer) dans l'autre (jouer pour apprendre) : voilà une combinaison qui résume bien l'intention de l'équipe d'intervenants sur @home. S (Georges Malhanie) fait partie des participants qui se sont appropriés cette idée dès le début de l'aventure. Elle m'a dit pendant l'entretien avoir « joué avec le jeu », ce qui lui a permis d'interroger sa réalité quotidienne et la traduction qu'elle pouvait en faire dans Facebook13. Pierre, qui l'a accompagnée tout au long de l'aventure, m'a rapporté les nombreuses ruses qu'elle a pu mettre en œuvre pour relier le jeu à la réalité14. Si pour beaucoup de joueurs cela n'a pas été évident de faire le pont entre leur quartier dans le jeu et leur quartier au quotidien , cela n'a pas été le cas de S. Il peut paraître contradictoire, de prime abord, que S soit à la fois une joueuse qui s'est glissée dans la peau d'un personnage virtuel et qui a pu jouer avec la réalité. Dans ce cas, peut-on encore opposer le virtuel au réel ? Evelyne Lasserre, Axel Guïoux et Jérôme Goffette qui ont interrogé des joueurs de World of Warcraft, mentionnent dans leur article une joueuse dont le comportement ressemble à celui de S dans l'@home suite à quoi ils proposent de remplacer le mot virtuel (car connoté) par le terme procuration15. En effet, dans ces jeux, les joueurs ne sont pas coupés de la réalité, mais entretiennent plutôt un lien ténu avec celle-ci.

D'autres participants au jeu @home ne se sont pas véritablement coulés dans la peau d'un personnage. N (Jean-Pierre Bernard), par exemple, ne « voulait pas tricher » 16. Or, le fait de ne pas oser rêver, imaginer un personnage revient aussi à accepter les cadres proposés par Facebook. Mais quelles marges de manœuvre le réseau social laisse t-il réellement à ses usagers ?

Facebook ou la « carte d'identité enrichie »

Adopter Facebook comme plateau de jeu a eu des conséquences.François Perea (cité plus haut)

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apparemment pas été conformes à d'autres modalités de « comportements » en ligne prescrite par Facebook. De ce fait, leur compte fut automatiquement bloqué à plusieurs reprises pendant l’aventure, et de même quelques semaines après la fin du projet. Facebook demandait alors les numéros de téléphone portable personnels pour délivrer l’accès aux comptes. Pour y remédier, les porteurs de projets ont donc acquis autant de carte SIM temporaires que de compte ouverts pour l'aventure. Cet espace numérique impose donc des cadres rigides, réifiant les identités virtuelles (l'obligation d'informer son profil oblige en quelque sorte à « concrétiser » son existence numérique). Il est alors de plus en plus difficile « de se cacher » derrière un pseudonyme, comme le précise Simon18. Le modèle identitaire du réseau s'apparente à celui d'une carte d'identité étoffée : l'existence, la présence d'une personne est d'abord caractérisée par les quelques lignes de l'identité civile. Se détacher de ce modèle peut avoir pour conséquence d'être expulsé du réseau. Les fantaisies de figuration sont interprétées par les programmes comme des comportements déviants. Une étude menée par leCentre de recherche Images, Cultures et Cognition (2008), résultant d'une approche sémiotique et statistique de Facebook, est passionnante à cet égard. Elle nous montre que l'existence sur le réseau social se centre sur ce que les chercheurs nomment l' « identité déclarative », c'est à dire les informations « renseignées directement par l'utilisateur » (âge, sexe, ville, biographie, centres d’intérêt…). Si la déclaration permet de passer la frontière et d'accéder au territoire de Facebook, l'utilisateur est ensuite conduit à agir dans cet espace : « Facebook attire l’attention sur le geste de « prendre soi-même existence » à l’écran et d’y maintenir sa représentation vivante. Ce faisant, Facebook stimule les comportements compulsifs : il s’agit de se manifester sans cesse pour continuer d’exister et maintenir son réseau social. » Les traces de ces actes sont calculées par le système, comme une sorte de milice automatisée.

L'usage de Facebook dans @home allait à l'encontre du modèle canonique de présentation de soi sur le réseau. Comme le dit O, (déjà citée plus haut), le projet les incitait à fabriquer un « faux compte » (fake) pour pouvoir mener une enquête en ligne. Or, certains participants étaient déjà experts en la matière, deux participantes nous l'ont confié dès le premier atelier 19 : pour elles, inventer un pseudonyme et se créer un faux compte permettait d'ouvrir sa sphère d'amis et d'assouvir leur curiosité sans être repérée. Mes notes de terrains retracent la manière dont l'échange s'est déroulé. Ces deux joueuses se sont montrées par la suite assez à leur aise pour inventer une nouvelle identité.

@home est donc une aventure qui a permis de détourner Facebook, mais du point de vue des usages, pas du point de vue programmatique (comme le précise Pierre) 20. Et si certains usagers connaissaient déjà ces chemins de traverses, il n'a pas été vain de les ré-explorer avec eux.

Notes et citations

1. Extrait de l'entretien avec O (Chloé Trafic) :

– Jeanne : Tu voulais que le personnage te ressemble, dans le jeu ?

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- J : Tu aimes affronter les difficultés ? - O : Ouais, voilà.

2. Extrait de l'entretien avec N (Jean-Pierre Bernart) :

– N : Mon personnage, il s'appelait Jean-Pierre Bernart. Mais... je lui ai donné le même métier que moi, cuisinier.

- Jeanne : Tu apprends à être cuisinier ?

- N : Oui. Mais sinon, il n'a pas la même nationalité... Ni la même adresse que moi. - J : Il avait quel âge, ton personnage ?

- N : Il doit avoir la vingtaine, je crois.

- J : 20 ans. Et du coup, c'est pas très loin de toi, quand même ! - N : Non, non.

- J : Et pourquoi tu as voulu que ce soit pas très loin de toi, comme ça ? - N : Bah... Il faut au moins que je me reconnaisse un petit peu !

4. Extrait de l'entretien avec O (Chloé Trafic) :

– Jeanne : Et, tu as trouvé facilement qui était qui dans le jeu ? - O : Oui, tout de suite, ouais.

- J : Avec les images [de profil] ? - O : Ouais, les images !

6. Extrait de l'entretien avec S et H (Georges Malhanie et Maroua Masaoud) :

– S : Moi c'était Georges, Georges Malhanie. Et pour de vrai, je m'appelle S. Et, je suis un garçon dans le jeu alors que pour de vrai, je suis une fille.

- Jeanne : Et pourquoi tu as choisi un garçon ?

- S : Parce que comme ça, ça change un peu. Comme ça, c'est plus drôle. - J : T'avais envie qu'on ne te reconnaisse pas ?

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- J : Et vous avez trouvé ça bien de jouer avec un personnage, que ce ne soit pas vous, en vrai ?

- S : Oui, comme ça on pouvait faire ce qu'on voulait, en fait ! Sans que... Sans qu'ils sachent que c'est nous.

- H : Comme ça, on n'affiche pas trop notre vie !

7. Serge Tisseron, "Entretien avec Philippe Quéau", 2009

"Nous vivons dans une culture où l’apparence n’est plus censée refléter l’identité, mais simplement une facette de cette identité. De la même façon, dans un monde virtuel, l'avatar choisi ne nous ressemble pas forcément fondamentalement, mais il constitue une facette de nous-mêmes qu’il nous plaît de donner à un moment précis. Les mondes virtuels n’ont pas créé cette tendance, ils l’ont banalisée en en faisant un mode généralisé de rencontre avec l’autre. C’est un bal masqué permanent, on y rencontre des marins, des sorcières, des fées. N’oublions pas que les fêtes masquées étaient très importantes dans les sociétés traditionnelles. Cela permettait de faire de nouvelles rencontres imprévues. Les mondes virtuels renouent en quelque sorte avec la tradition du carnaval, en s’autorisant à dire des choses que l’on ne s’autorise pas habituellement, parce qu’on est masqué."

8. Extrait de l'entretien avec S (Médina Du Surjait) :

– Jeanne : Pourquoi tu as choisi la police scientifique [pour le métier de son avatar] ? Qu'est-ce qui t'as donné Qu'est-cette idée ?

- S : NCIS ! [série TV]

- J : Ah, d'accord ! Tu aimes bien la série ? - S : Oui !

[…]

- S : À la Galerie [nom d'une zone du jeu], j'en ai profité pour acheter des trucs plus chers. Parce que mon personnage, il n'allait pas s'habiller toujours pareil ! Alors mon personnage a pris les habits plus chers que tous les autres. A Kasino [nom d'une zone de jeu], j'en ai profité pour ramener à manger, le plus cher aussi. En fait, j'en ai profité pour tout prendre ! [rires]. Et aussi, j'ai volé une maison à quelqu'un, je ne sais pas à qui, mais maintenant, c'est la mienne ! Bah, oui, je n'allais pas rester dans un appartement ! Le personnage, il est tellement connu, qu'il n'allait pas rester dans un appartement quand même ! [rires] - J : [rires] Tu ferais ça, en vrai ?

- S : Non ! Je ne vais pas prendre une maison qui est à quelqu'un d'autre, hein ! Et, je vais pas acheter des habits qui coûtent hyper-cher !

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– Simon : Je fais beaucoup de jeux de rôles et d'expérience, je sais que quand tu interprètes quelqu'un, tu ne l'interprètes pas vraiment, en fait. Soit il a tes propres goûts et tes propres convictions, soit il a des convictions et des goûts stéréotypés qui ne veulent plus rien dire. Il n'y a pas d'entre-deux. Soit tu stéréotypes quelque chose qui est complètement caricatural... Le gros méchant... Soit il a, au final, ce sont un peu tes convictions personnelles.

[…]

J'ai essayé de leur redire tout le temps : qu'est-ce que ton personnage ferait ? Ce n'est pas quelque chose de facile, peut-être que l'on n'a pas assez appuyé là-dessus. […] Enfin, je n'ai pas une image de l'ensemble de leurs actions faites sur Facebook... Mais sur Facebook, tout le monde joue aussi un rôle, tout le monde a une vie parfaite ! Tout le monde ne met que le meilleur de soi...

10. Extrait de l'entretien avec S (Médina du Surjait) :

– Jeanne : Tu trouves que ça ressemble à un jeu vidéo, @home ?

- S : Oui, parce que moi, avant, je jouais à LABO et je me mettais dans la peau d'un personnage.

- J : C'est quoi ce jeu ?

- S : C'est un jeu où il y a beaucoup d'adolescents et ils font ce qu'ils veulent, y'a pas leurs parents...

- J : Et le but, c'est de résoudre une enquête ?

- S : Oui, on peut faire ça. En fait, on est des adultes, on peut avoir des boulots, on peut s'amuser, on peut... ce qu'on veut !

11. Extrait de l'entretien avec K (Marc Labiche) :

– K : J'ai dit à Martin, c'est pareil, comme dans les Sims ! Tu peux créer le visage, choisir ses habits, s'il est gros, maigre, avec des biscotos... Tu choisis sa couleur de peau. Tu choisis son travail, s'il est cuisto... et tout le reste !

12. Extrait de l'entretien avec Pierre, coordinateur et artiste :

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13. Extrait de l'entretien avec S et H (Georges Malhanie et Maroua Masaoud):

– Jeanne : Et vous avez pu jouer avec la réalité ?

- S : Moi en fait, je jouais avec le jeu. Je m'en foutais du reste, je voulais m'amuser, c'est tout.

- J : Et tu as réussi à le faire ?

- S : Oui, moi je jouais, j'écrivais tout ce qui m'arrivait, des choses bizarres. - J : Tu as dis que tu jouais avec le jeu...

- S : Oui, c'est pour ça que j'étais un garçon dans le jeu, pour aller le plus loin possible.

14. Extrait de l'entretien avec Pierre, coordinateur et artiste :

– Pierre : Par exemple S, pour chercher ses parents, elle est allée dans une barre d'immeuble [dans la fiction] dans laquelle elle habite probablement dans la réalité. Elle y est allée et a émis l'hypothèse : les gens étaient partis pour habiter dans des habitats plus confortables et mieux équipés technologiquement. Donc, naturellement, elle est allée dans un quartier pavillonnaire, mieux équipé dans la réalité. Et dans la fiction, elle a fait le choix d'aller là-bas, en disant : là-là-bas, c'est un quartier, riche, plus récent. En gros dans la réalité, il y a des piscines dans les jardins, donc dans la fiction il y a du matos high-tech dans les maisons !

15. Evelyne Lasserre, Axel Guïoux et Jérôme Goffette, « Dynamiques ludiques : dialectique intrinsèque du virtuel au réel », in Anthropologie et Sociétés, n°spécial : Cyberespace et anthropologie : transmission des savoirs et des savoir-faire, 2011

« Le rapprochement conceptuel du virtuel et du réel a lui aussi ses limites puisque Sara [une joueuse de World of Warcraft] a pertinemment conscience d'être dans une situation non-naturelle, d'être à la fois dedans et dehors, d'être dans un autre monde et de jouer. »

16. Extrait de l'entretien avec N (Jean-Pierre Bernard) :

– Jeanne : Et tu as trouvé intéressant d'agir comme ça, dans une fiction ? - N : Pas trop.

- J : Pourquoi ?

- N : J'aime mieux être réaliste, en fait.

- J : T'aurais bien aimé te présenter toi-même ? - N : Ouais.

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- N : Moi, j'aime pas trop parler d'une autre personne, vaut mieux être soi-même. - J : T'as pas envie de tricher ?

- N : Non !

17. François Perea, "L’identité numérique : de la cité à l’écran. Quelques aspects de la représentation de soi dans l’espace numérique", in Les Enjeux de l’information et de la communication, 2010

« Il faut noter que les internautes emploient l’identité civile dans les sites sociaux ouverts sur le monde réel : ainsi, ils sont fréquents sur Facebook où l’identifiant demandé prend la forme [prénom] [nom] (une détection automatique lors de l’inscription détecte et refuse les formes non conformes à cette attente). Cela n’est guère surprenant puisque ce site, conformément à son objectif premier inspiré des annuaires d’étudiants américains, est largement utilisé comme support

d’exposition et de publicité de soi dans une perspective professionnelle .»

18. Extrait de l'entretien avec Simon, coordinateur du projet :

– Simon : C'est la nouvelle idée d'Internet : tu as une identité humaine, tu as une identité sur Internet. On va vers le fait qu'on ait plus à se cacher, en fait. On a droit de cacher des choses de nous, mais on a pas droit de se cacher sur Internet. Google avait fait ça au début par rapport au nom, si tu avais un pseudonyme, il te supprimait ton nom (…) Si ce n'était pas un nom crédible, ils t'appelaient.

19. Notes de terrain, prises pendant le premier atelier à Mermoz, au centre social Mermoz Nord :

Pierre [coordinateur du projet] demande aux participants : « On sait que vous connaissez FB, mais vous avez un compte ? »

Les participants présents (6 adolescents) ont tous un compte, et 2 filles en ont même plusieurs : un « vrai » compte, un « faux » compte (les fake, prononcé « fac » par l'une d'entre elles, même si elle sait « qu'on ne le dit pas comme ça »). Sur le faux compte, elles disent avoir une petite vingtaine d'années...

Pierre veut en savoir plus : « Pourquoi ce faux compte ? »

Réponse des deux participantes : pour filouter, pour que certaines personnes acceptent d'être amis avec elles « parce que certains acceptent plus facilement d'être nos amis quand on se présente sous une autre identité », dit l'une des jeunes filles.

Quelques instants plus tard, lors de la création du profil, elles précisent : « On a déjà créé une autre identité, donc on sait bien comment faire ».

Elles expliquent que dans leur « faux compte », pour leur photo de profil, elles utilisent des photographies trouvées sur le Web.

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Elle répondent toutes deux : « Non. », sans explication supplémentaire sur les « vraies raisons ». Elles ajoutent un peu plus tard que de cette manière, elles peuvent voir les photographies des autres et avoir plus d'amis.

20. Extrait de l'entretien avec Pierre, coordinateur et artiste :

– Pierre : Je pense que dans détournement, dans le terme même, il y a quand même une utopie du hacker... du libertaire qui prend le contrôle sur un objet. Je pense que dans le projet on n'a pas pris le contrôle sur Facebook, mais le détournement a eu lieu dans le sens où on a réussi à suffisamment intégrer et comprendre les mécanismes de Facebook pour être en mesure de les dominer, de les adapter à nos besoins qui étaient quand même assez éloignés des

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L'image du quartier à travers la fiction

« Vous vous réveillez un matin et vous êtes seul dans votre

quartier, complètement seul, que faites-vous ? » C'est au

travers de cette question que l'aventure @home démarre pour les 12 participants, âgés de 11 à 17 ans, tous domiciliés dans le quartier de Mermoz, à Lyon1. Le seul « outil » dont ils disposent pour évoluer dans la fiction est le réseau social Facebook au travers duquel ils vont devoir se frayer un chemin virtuel dans le quartier. Mais leur lieu d'habitation s'est métamorphosé pour l'occasion, il apparaît dans le jeu comme un quartier fantôme, vidé de ses occupants, et les différents lieux ou structures que pourront visiter les joueurs prennent des allures de décors de blockbusters : des « petits crépitements dans l'air » se font entendre dans les immeubles ou les cours d'écoles, les supermarchés sont vides... Nos douze participants ont-ils pu retrouver leurs repères d'habitants dans ces espaces dépourvus de présence humaine ? Leurs actions ou déplacements peuvent-ils nous informer sur la vie du quartier ? L'aventure en question peut-elle être révélatrice des représentations sociales que ces adolescents se font de leur espace de vie ?

Le décor virtuel d'@home

Le décor de l'aventure a été élaboré par l'équipe d'intervenants de l'AADN à partir d'un travail d'écriture. L'équipe, dans laquelle je me suis immiscée, souhaitait proposer des descriptions de lieux qui soient propices à l'immersion dans l'univers fictif d'@home 2. Cet univers devait être suffisamment intriguant pour que les participants se « prennent au jeu » et s'autorisent à utiliser Facebook différemment. Au final, si certains décors désertiques d'@home évoquent des ambiances bien éloignées de celles que l'on observe quotidiennement dans le quartier, ils rappellent aussi ces « non-lieux » décrits par Marc Augé (1992) ou encore le travail de Raymond Depardon dans son

« Errance » photographique (2000), autant de « zones intermédiaires » qui se multiplient de nos jours dans les périphéries des villes. Chacune des descriptions se réfère au moins à un élément du quartier réel, on y retrouve les principales infrastructures de Mermoz (par exemple, les deux centres sociaux et la Mairie de l'arrondissement). Grâce à ces éléments d'ancrages, les participants ont parfois établi un lien entre leur lieu d'habitation et l'espace du jeu, mais cela s'est mis en place progressivement.

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fait de reconnaître le lieu, m'a t-elle dit, rendait l'intrigue « encore plus angoissante ». De son côté, H (Shyriane Shershepaa) a été la seule participante à jeter le trouble entre le quartier de Mermoz « In Game » et le quartier de Mermoz « In Real Life » 4. Cette dernière s'est plu à jouer des écarts entre réalité et fiction par le biais des décors qu'elle a décrit au fil de son parcours, tandis que d'autres se sont autorisés dans le cadre du jeu (sous couvert d'une autre identité) à adopter des comportements « hors normes ». Ainsi, si pour H le quartier constituait un élément duquel on pouvait jouer, cela n'a pas été de l'avis des autres participants. Le quartier de Mermoz est resté pour eux un décor « familier » plongé dans un univers bien décalé avec leur quotidien.

Le réseau virtuel : une scène du quotidien ?

Les coordinateurs du projet souhaitaient également que les divisions sociales de l'espace (notamment la frontière symbolique séparant le nord et le sud du quartier) soient redéfinies au travers du réseau social virtuel5. Ainsi, par le biais du jeu sur le réseau, les adolescents de « Mermoz nord » rencontreraient ceux de « Mermoz sud ». Au lieu de s'intéresser à la faculté de Facebook de mettre en relation des personnes physiquement éloignées, le projet bousculait une fois de plus les codes en utilisant le réseau social pour activer des relations de proximité. Les témoignages des participants à propos de leur pratique habituelle du réseau social (en dehors de cette aventure) laissent effectivement penser que les « amitiés » dans Facebook se réfèrent directement aux relations sociales qu'ils entretiennent avec leur entourage : très peu de jeunes sont « amis Facebook » avec des inconnus. Avec le projet @home, 3 jeunes de « Mermoz nord » ont rencontré 9 jeunes de « Mermoz sud », ce qui a réjouit unanimement les uns et les autres. Néanmoins, ce lien s'est tissé dans le cadre d'une rencontre « en chair et en os » dans un centre social, lors du premier atelier collectif. Auparavant, il n'y a eu, dans l'espace du réseau social virtuel, que très peu d'échanges significatifs entre les différents participants. Et le peu de fois où cela s'est produit, les « véritables » lieux de provenance des uns et des autres n'ont pas été mentionnés puisqu'ils constituaient des détails insignifiants pour faire avancer la prospection. Ainsi, dans l'@home, le quartier est apparu comme un décor de jeu plutôt que comme une pièce maîtresse de l'intrigue.

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Quelles techniques pour se représenter l'espace ?

Les artistes-intervenants m'ont permis de mieux comprendre ce phénomène quand ils sont revenus, quelques temps après la fin de l'aventure, sur la méthodologie qu'ils avaient mise en œuvre dans les ateliers . L'un d'entre eux, Martin, m'a expliqué qu'il lui a fallu redoubler d'efforts afin d'immerger les adolescents dans la fiction7. Pour se glisser dans l'histoire, certains participants ont éprouvés un réel besoin d'établir une coupure entre la « vraie vie » et le jeu. Plusieurs d'entre eux auraient préférés que les décors de l'@home « ressemblent à ceux des jeux vidéos » dans lesquels les lieux et déplacements des personnages sont représentés par le biais d'images de synthèse. Un décor animé, comme au cinéma, les aurait aidé à imaginer plus facilement les scènes. Pour Edgar Morin, l'expérience du cinéma, est un « phénomène étonnant où l'illusion de réalité est inséparable de la conscience qu'elle est réellement une illusion, sans pourtant que cette conscience tue le sentiment de réalité. » (Morin, 1956). Dans l'espace de Facebook, l'immersion était apparemment moins aisée, chaque action sur cette plateforme renvoyant les joueurs à leur usage habituel du réseau social. De plus, les joueurs étant eux-mêmes producteurs de la fiction (le récit d'@home se construisant au fur et à mesure), il était bien difficile de se positionner comme un spectateur dans une salle de cinéma. Les participants ont rencontré une autre difficulté vis à vis des représentations iconiques de l'espace urbain qui leur étaient proposées. Pour circuler dans le jeu, ils devaient choisir un itinéraire en se référant à la carte du quartier. Mais la lecture d'une carte n'est pas une pratique à laquelle ils étaient familiarisés, comme en témoigne Simon8. Il est effectivement bien difficile de « concevoir ou utiliser une technique sans se la représenter » (Flichy, 2006). Cela explique que Mermoz « In Game », présenté sous forme de carte, et Mermoz « In Real Life », soient restés pour la plupart des joueurs deux domaines bien distincts.

Pour approfondir cette réflexion, on peut aussi se demander quels sortes d'interfaces ou dispositifs le réseau social Facebook nous laisse à disposition pour parler ou évoquer le lieu, le territoire ou le quartier. Pour se rendre dans les zones de jeu, les participants ont dû se « brancher » dans des « Groupes Facebook », c'est à dire sur des interfaces standardisées et prévues initialement pour regrouper des « amis » autour d'une thématique ou d'un sujet de préoccupation qu'ils ont en commun. Quant aux itinéraires des joueurs, il a fallu les retracer par une série de publications sur leurs « murs » respectifs. Le participant inscrivait alors dans un premier message les raisons de son déplacement vers un lieu et dans un second les raisons de son départ de ce lieu pour en rejoindre un autre. Dans le site restituant la fiction @home, l'interface est toute autre, puisque la carte du quartier est située au cœur de la page, et les tracés des itinéraires viennent animer la navigation dans le site. La suite de l'aventure @home, en prenant comme nouveau point de départ le site de la fiction, aura sûrement un tout autre discours à tenir sur Mermoz, qui occupe désormais le centre de la page !

Notes et citations

1. Texte d'introduction de l'aventure @home

Le réveil de votre téléphone sonne, comme d'habitude. Vous vous levez, les yeux encore a demi clos, comme d'habitude. Vous prenez la direction de la cuisine ou de la salle de bain, comme d'habitude. Mais ce matin n'a rien d'habituel. Vous êtes seul-e, tout-e seul-e. Vos proches, vos amis, votre famille, plus personne n'est là : ils ont tous disparu pendant la nuit, laissant toutes leurs

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tentez d'appeler des amis ou de la famille plus éloignés mais personne ne répond. Vous branchez la télé et votre ordinateur pour regarder les informations, rien ne semble fonctionner. Par désespoir, mais aussi par habitude, vous consultez votre page Facebook.

2.La description du lieu n°12 (École Louis Pasteur)

Dans la cour de récréation, des cartables traînent par terre, des parties de billes sont abandonnées et dans les salles de classes, les bureaux sont jonchés de cahiers, livres et trousses. Tout est resté en plan, comme si tout le monde avait disparu au milieu d'un cours. Sur le bureau de la maîtresse, un petit ordinateur est toujours allumé mais semble avoir buggé sur une page internet. Cette page ressemble à un réseau social : @home ?

3. Extrait de l'entretien avec M (Adouche Babouche) :

– Jeanne : Et le fait que le jeu se passe à Mermoz, tu as trouvé ça comment ?

- M : C'est bien, parce qu'on vit ici, on sait comment c'est. On est déjà allé pas exemple à la MJC, au centre social, à la piscine, on est déjà allé partout !

4. Extrait de l'entretien avec H (Shyriane Shershepaa) :

– H : Je marchais dans mon bâtiment, comme si c'était mon ancien bâtiment. Après, je suis partie dans la mission du 8e et comme je savais qu'avant c'était une maternelle, j'ai fait comme si, avant, c'était mon ancienne maternelle […] Et quand je suis partie dans la rue Joseph Charlier [il s'agit du lieu d'habitation de H, en dehors du jeu], j'ai dit : « Y'a des draps par la fenêtre », y'a tout le temps plein de draps, dans mon bâtiment ! Ça m'a fait marrer. - Jeanne : Et si le jeu s'était passé dans un endroit imaginaire, tu aurais trouvé ça aussi intéressant ?

- H : Non, je crois pas. Parce que moi, je me suis plus mise dans le jeu parce que je connaissais. Sinon, j'aurais pas trop réussi.

5. Extrait de l'entretien avec Simon, coordinateur du projet :

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fictive des gens qui ne se connaissaient pas pour qu'ils se rencontrent réellement au bout d'un moment. L'idée c'était d'arriver vraiment à sortir du virtuel pour que les gens se rencontrent : faire que deux quartiers - qui soient proches et éloignés à la fois - se

rencontrent. Là, c'est Mermoz Nord et Mermoz Sud et avant, il y avait une autoroute entre les deux parties du quartier.

[…]

Ça revient à notre première idée qui, je trouve, était une belle idée aussi, à garder... C'est le réseau social à l'échelle micro-locale. Avec le réseau social, tu peux être en connexion avec toute la planète, mais c'est aussi intéressant d'utiliser un réseau social pour être en connexion avec tes voisins, pour partager d'autres choses avec eux. Parce que... je pense qu'on peut être le voisin de quelqu'un et ne pas le connaître.

6. Extrait de l'entretien avec Pierre, artiste-intervenant et coordinateur du projet :

– Pierre : Je pense que leurs déplacements étaient très liés au fait qu'ils connaissaient les lieux. La plupart ont fait le choix d'aller, d'évoluer, de vivre dans la fiction, dans les endroits qu'ils connaissent. [...]

Par exemple S, en cherchant ses parents dans la fiction, elle s'est rendue dans une barre d'immeuble ou elle habite probablement dans la réalité. Elle y est allée et a émis l'hypothèse que les gens étaient partis pour habiter dans des habitats plus confortables et mieux équipés technologiquement. Donc, naturellement, elle est allée dans un quartier pavillonnaire, mieux équipé. Dans la fiction, elle a fait le choix d'aller là-bas, en se disant : « Là-bas, c'est un quartier, riche, plus récent ». En gros dans la réalité, y'a des piscines dans les jardins, donc dans la fiction, y'a du matos high-tech dans les maisons.

7. Extrait de l'entretien avec Martin, artiste-intervenant :

– Martin : Alors, je me souviens d'une phrase que l'un d'entre eux m'a sorti justement sur le fait qu'on travaille sur Facebook. Il m'a posé une grosse question : « est-ce que c'est la vraie vie ? Est-ce que, même si c'est des personnages, c'est la vraie vie ?». Je lui ai dit, mais non, mais c'est bon, on s'en fout, de toute façon, c'est vide, c'est de la fiction. Et il m'a dit : « Mais, non, mais, ça aurait été ailleurs qu'à Mermoz, OK, mais là on est chez nous. Là, tu nous proposes une fiction, mais moi je vis tout le temps dedans et quand je vais quitter l'atelier, bah, y'aura des gens ». Est-ce que si on avait inventé une ville dans un endroit particulier, est-ce que ça aurait été différent ? Peut être, je sais pas.

[…]

Du coup, moi je les ai toujours tanné, en disant : « Non, là, c'est de la fiction ! ».

8. Extrait de l'entretien avec Simon, coordinateur du projet :

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Quelles sociabilités dans le réseau ?

Un nombre incalculable de jeux se basent sur l'esprit d’aventure. Chasses au trésor, jeux de rôles ou jeux vidéos en réseau : beaucoup d'entre eux nous invitent à nous mettre en quête. Et bien souvent, celle-ci est menée collectivement, parfois dans un esprit de coopération. La tournure prise par le jeu dépend donc en partie de la qualité des relations qu'établissent les joueurs entre eux. Pour l'aventure @home qui comptait 12 participants (âgés de 11 à 17 ans), la plateforme du jeu ne manquait pas d'originalité : il s'agissait du réseau social Facebook. Les joueurs étaient aidés en ligne par quatre personnages : les « Webwalkers ». Le jeu s'est déroulé du mois de septembre au mois de décembre 2011 dans les espaces informatiques de deux Centre Sociaux du quartier de Mermoz, à Lyon. Dans le cadre d'ateliers, quatre artistes ont accompagné chaque semaine les adolescents. Comment ont-ils conduit des jeunes à mener une aventure collective sur un réseau social ? Quels modes d'échanges, de communication se sont tissés au fil du jeu pour parvenir à écrire un « récit collaboratif en ligne » ? Qu'apprend-t-on sur la logique de Facebook quand on l'utilise comme plateforme de jeu ?

L'aventurier solitaire

Dans la fiction d'@home, les personnages se trouvent dès le départ dans une situation bien inconfortable. Ils sont seuls, isolés, dans un quartier désert 1 . Sur leur page Facebook ils n'ont aucun « ami », mais la réception du message d'une certaine Jutta Grimm les invite à espérer que la situation peut changer. Que faire ? Une première piste tombe sous le sens : il faut utiliser le réseau social pour tenter de retrouver des contacts humains.

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des adolescents présents, le réseau ne servait pas à se faire de nouvelles connaissances, mais plutôt à retrouver les membres de leur entourage.

Passé le premier atelier, les participants se sont progressivement plongés dans l'aventure. Il s'agissait alors de naviguer dans des zones du quartier (représentées sous forme de « groupe Facebook ») à la recherche d'indices. Petit à petit, ils pouvaient découvrir que certaines zones avaient déjà été visitées. Et comme tout visiteur d'une zone devait devenir « ami du groupe », il était assez facile de rentrer en contact avec d'autres participants à partir du troisième atelier. Pourtant, à ce stade du jeu, les joueurs se sont montrés très peu avides d'échanges. L'un des artistes intervenants, Martin, a supposé que c'est la teneur de l'intrigue qui les incitait à penser « en mode solo » 2 comme dans certains jeux vidéos.

Ainsi, les premiers indices glanés (badge électronique, lettre d'un prêtre, carte d'une zone Wifi...) ont fait l'objet de très peu de discussions en ligne. Les principaux outils de mise en réseau offerts par Facebook (chat, messagerie...) se seraient pourtant montrés bien utiles pour formuler les premières hypothèses sur les causes de la désertion du quartier. Ces outils ont été mobilisés par les participants uniquement après l'organisation de leur rencontre « en chair et en os » au Centre Social Mermoz, lors de la cinquième semaine de jeu (qui correspond au cinquième jour de la fiction). Le jeu a alors pris une nouvelle tournure, le « mode multijoueurs » s'est en quelque sorte enclenché réhabilitant au passage l'usage de la messagerie et du chat de Facebook. Les adolescents ont retrouvé certains de leurs réflexes « d'abonnés » au réseau et se sont amusés à jouer avec leurs identités virtuelles en s'inventant par exemple des relations de parenté 3. Les réactions de ces 12 participants nous indique clairement que pour la majorité d'entre eux, Facebook est habituellement utilisé comme « sur-couche » du réseau social réel. Sur cette plateforme, ils ne sont pas habitués à jouer l'aventurier solitaire mais se plaisent à jouer des écarts entre leur présence à l'écran et leur vécu quotidien.

Le « récit collaboratif en ligne »

Après l'atelier collectif, certains adolescents se sont donc autorisés à utiliser le chat de Facebook, mais ils ne l'ont pas tout de suite mobilisé comme moyen d'échanges autour des indices trouvés dans le jeu. Normalement, chaque participant devait rencontrer seul, chaque semaine, son artiste référent. Pourtant, en raison de contraintes horaires, les artistes ont souvent dû accueillir ensemble, dans la même pièce, 2 ou 3 participants4. Le chat remplaçait alors le petit mot que l'on se passe en classe et servait à discuter et faire des blagues sur la situation d'atelier. Comme dans le cadre du bavardage en ligne (aussi appelé clavardage) observé parPastinelli (2006), l'intérêt était de se réjouir du fait d'être ensemble bien plus que d'échanger quelconques informations. Ainsi, ces échanges ont parfois permis aux uns et aux autres de mieux se couler dans la peau de leur personnages, mais n'ont pas fait avancer l'aventure (du moins à ce stade du jeu, sauf à quelques rares exceptions). Parfois, les discussions étaient même complètement extérieures au jeu, comme l'échange établi entre David Ghettae et Chloé trafic, le 4e jour de la fiction 5, qui fait vaguement référence à l'équipement de la salle informatique.

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des pratiques amateurs sur le Web (2010) a pu guider la rédaction du projet par l'association AADN. On peut par exemple lire dans ce dossier que « c'est au contact des pratiques et des savoir-faire des autres que l'on découvre de nouveaux usages » (ici, « les autres » englobent artistes et participants). Au terme de l'aventure, un des participants, M (Adouche Babouche) m'a effectivement confié que cette expérience l'avait incité à « ne pas faire le radin »6, ce qui modifiait l'attitude qu'il adoptait le plus souvent en ligne dans le cadre des jeux vidéos.

Afin de proposer cette nouvelle logique de comportements en ligne, une méthodologie a été pensée par les artistes et les coordinateurs du projet. J'ai moi aussi participé à la réflexion, qui a d'abord porté sur la mise en place de l'atelier collectif. Après avoir fait le constat du manque d'échanges entre les joueurs jusqu'au quatrième atelier, nous avons élaboré un dispositif pour la mise en commun des indices, lors de la rencontre collective des participants dans un des Centre Sociaux. Pour commencer, nous avons prévu un temps durant lequel les uns et les autres pourraient prendre plaisir, de visu, à échanger sur leur identité virtuelle et faire « tomber les masques ». Puis, nous avons proposé aux participants de se réunir en petit groupe pour synthétiser les indices accumulés jusque-là. Ils pouvaient alors inscrire une légende sous une photographie de leur production, matérialisant ainsi l'indice trouvé en ligne. Toutes ces photographies ont ensuite été fixées sur une grande carte représentant l'espace du jeu (le quartier de Mermoz, découpé en zones)7. Enfin, tous réunis autour de la table face à cette carte, ils ont pu élaborer une stratégie commune pour faire avancer l'intrigue.

Le résultat de cet atelier s'est traduit à l'écran par l'image de la carte jonchée d'indices et par la retranscription (sous forme de dialogue) du débat final. La structure de ce dialogue nous montre vraiment comment la réflexion commune s'est déroulée, et comment les discussions autour des indices trouvés dans le jeu s'est montrée particulièrement fertile 8.

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d'@home s'est créée chemin faisant).

Pour parvenir à élaborer cette écriture commune d'un récit, d'une histoire, d'autres consignes avaient été données dès le début du jeu aux participants. Ces derniers devaient, dans chacune des zones traversées, laisser un texte composé de 3 éléments : la raison de leur venue dans ce lieu, la réaction face aux indices découverts (réaction souvent illustrée ou même énoncée dans la production multimédia) et le prochain lieu choisi pour la suite du parcours. Par ce biais, on pouvait aisément reconstituer le fil et la logique de l'histoire. La logique du cheminement, du récit pouvait ainsi être ré-introduite dans une interface non prévue à cet effet : celle de Facebook. Le ton donné à ces quelques lignes laissées dans les zones de jeu se rapprochent des écrits lisibles sur certains blogs ou sites commeVie de Merde : écrits à la première personne, ils s'adressent directement aux futurs lecteurs et retracent un parcours vécu. Ils sont à ce titre les « petits récits » qui composent l'histoire collective narrée dans l'@home.

Au delà des écrits, les productions audio ou vidéo ont elles aussi permis la mise en commun et la construction collective du récit. Lors des derniers ateliers, plusieurs participants ont fait la demande de réaliser des productions multimédia en commun. Ils se sont donc retrouvés à raconter ensemble (par petits groupes de 2 ou 3), en images et en sons, les dernières étapes de l'histoire 10. Présenter l'aventure @home comme un récit collaboratif en ligne n'est donc pas un abus de langage !

Facebook à l'épreuve d'une expérience de coopération

Suite à cette aventure, les adolescents ont pu comparer l'usage de Facebook dans l'@home à leur usage ordinaire du réseau social. Plusieurs éléments sont ressortis de ces retours sur expérience, notamment au sujet des modes d'échanges et de la nature des interactions sur le réseau. S (Georges Malhanie), H (Maroua Masaoud) et H (Shyriane Shershepaa) ont insisté sur le fait qu'elles ne « racontaient pas autant leur vie » sur leur Facebook «normal». Le fait qu'elles agissent au nom d'un personnage fictif, que la sphère d'amis soient largement limitée (et protégée) dans l'@home, et qu'elles soient accompagnées tout au long par des adultes les a autorisées à être plus expansives qu'à l'accoutumée. On peut aussi penser que cette expérience leur a permis de s'interroger sur ce qu'il faut dire ou ne pas dire de soi sur Facebook, leurs réactions au sujet de l'identité virtuelle peuvent en témoigner. Pour S (Chaim Rayan), l'@home « c'est comme Facebook normal », avec une énigme « à la Sherlock Holmes » en plus11. Ce qui signifie que la réflexion, notamment lors des discussions sur le chat, doivent être plus stratégiques, mieux réfléchies dans l'@home. Beaucoup d'autres commentaires des participants nous montrent qu'ils ont pu, à l'issue du jeu, s'interroger sur leur pratique ordinaire de Facebook.

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