FACULTÉ
DEMÉDECINE
ET DE PHARMACIE DE BORDEAUXANNÉE 1897-1898 h, •
DES
IMPULSIONS
et en particulier des Obsessions impulsives
(ÉTUDE HISTORIQUE)
THÈSE POUR LE DOCTORAT EN MÉDECINE
présentée et soutenue publiquement le 8 Décembre 1897
PAR
Jules LE
GROIGNEC
Né à Lorient (Morbihan), le 3 avril 1874.
Élève du Service de Santé de la Marine
professeur Président.
professeur....I
agrégé j Juges.
chargéde cours'
Le Candidat répondra aux questions qui lui seront faites sur les diverses parties de l'Enseignement médical.
BORDEAUX
IMPRIMERIE DU MIDI — PAUL CASSIUNOL
91 — RUE PORTE-DIJKAUX — 91 1897
/ MM. MORACHE Examinateurs de la Thèse :
)
JeTm^tào
bADliAZilib( RÉGIS
Faculté de Médecine et de Fliarinacie de Bordeaux
M. PITRES Doyen.
I»ItOEISSEltltS
MM. M1CÉ )
AZÀM > Professeurs honoraires.
DUPUY MM.
P1. . . . \ PICOT.
Clinique interne ) PITRESPITRES.
DEMONS.
LANEdONGUE.
N.
Clinique externe....
Pathologie interne..
Pathologie et théra¬
peutique générales. YERGELY.
Thérapeutique ARNOZAN.
Médecine opératoire. MASSE.
Clinique d'accouche¬
ments MOUSSOUS.
Anatomie pathologi¬
que COYNE.
Anatomie BOUCHARD.
Anatomie générale et
histologie VIAULT.
AGIlÉCilfiS* KHI
■skction de médecine(Patholog
MM. MESNARD.
CASSAET.
AUCHu.
MM.
Physiologie JOLYET.
Hygiène LAYET.
Médecine légale MORACHE.
Physique BERGON1É.
Chimie BLAREZ.
Histoire naturelle ... GUILLAUD.
Pharmacie FIGUIER.
Matière médicale.... de NABIAS.
Médecine expérimen¬
tale FERRÉ.
Clinique ophtalmolo¬
gique BADAL.
Clinique des maladies chirurgicalesdes en¬
fants P1ÉCHAUD.
Clinique gynécologique BOURSIER.
te interneet Médecinelégale.) MM. SABRAZÈS.
Le DANTEC.
sectionde chiuuugie et accouchements
Pathologieexterne Accouchements. \MM. RIVIERE.
■'/ CHAMBRELENT
Anatomie...
MM. YILLÀR.
BINAUD.
BRAQUEHAYE
section des sciences anatomiqi'es etphysiologiques
JMM. PIUNCETEAU | Physiologie MM. PACHON.
CANNIEU. Histoire naturelle BEILLE.
sectiondessciences physiques
Physique MM. SIGALAS. | Pharmacie... M. BARTHE.
Chimieet Toxicologie DEN1GES. |
cousis €»ii a»li k.11k a t a i s& ■<:s
Clinique interne des enfants
Clinique des maladies cutanées etsyphilitiques Clinique des maladies des voies urinaires Maladies du larynx, des oreilles etdu nez Maladies mentales
Pathologie externe Accouchements Chimie
Le Secrétaire de la Faculté
.. MM. MOUSSOUS.
DUBREUILH.
POUSSON.
MOURE.
RÉGIS.
DENUCÉ.
RIVIÈRE.
DEN1GES LEMA1RE.
Par délibération du 5 août1879, la Faculté aarrêté que les opinions émises dans les Thèsesqui lui sont présentées doivent êtreconsidérées commepropres àleurs auteurs,et qu'Ole n'entendleur donner niapprobation ni improbation.
A MON PÈRE
A MA MÈRE
A MA SŒUR
Témoignage de vive affection
A MONSIEUR W. JENKYNS JONES
PASTEUR
Témoignage de reconnaissance et de vénération.
A MONSIEUR LE DOCTEUR E.
RÉGIS
CHARGÉ DU COURS DES MALADIES MENTALES A LA FACULTÉ DE MÉDECINE
DE BORDEAUX OFFICIER D'ACADÉMIE
A mon Président de Thèse
MONSIEUR LE DOCTEUR MORACHE
PROFESSEUR DE MÉDECINE LÉGALE A LA FACULTÉ DE MÉDECINE
DE BORDEAUX
COMMANDEUR DE LA LÉGION D'HONNEUR
INTRODUCTION
Obsédés etimpulsifs ont été
longtemps
confondus dans le groupe des monomanies, qui, sous toutes leurs formes : maniehomicide,maniesuicide, pyromanie,kleptomanie,etc., furentconsidérées comme autant d'entités morbides.L'observation et
l'analyse
des faits ne tardèrent pas à dé¬montrer que loin de constituer des entités, les monomanies n'étaient que les manifestations symptomatiques d'états morbides très divers.
Peu à peu, de l'ancien groupe des monomanies instinc¬
tives ou
idiopathiques,
sedétachèrent,
avec leurs caractères différentiels, les monomanies symptomatiques. C'est ainsi quel'obsession impulsive se sépara des autres impulsions, et, par une sorte d'élimination, prit rangà part dans le cadre nosologique. L'existence d'impulsions conscientes, irrésis¬tibles contre lesquelles la volonté lutte avecangoisse et suc¬
combe parfois, fut, en effet,
longtemps
méconnue, contestée et même combattue avec violence : « Il n'y a point dans la pathologie mentale, dit Foville, de question qui soit pluscontroversable ni qui ait été l'objet d'un plus grand nombre de discussions. »
L'intérêt du sujet tient à son importance sociale, et les questions morales, psychologiques et médico-légales qu'il soulève ontpassionné philosophes, magistrats et médecins.
Dans un premier chapitre nous esquisserons cette évo¬
lution.
Comme conclusion à cet historique, il nous a semblé lo-
CHAPITRE PREMIER
Historique
Pinel créa l'expression de « manie sans délire » pour dé¬
signer un état, alorsappelé dans les hôpitaux « folie raison¬
nante» et caractérisé par des « impulsions aveugles à des actes de violence ou même de fureur, sans qu'on puisse assigneraucune idéedominante, aucune illusion de l'imagi¬
nation qui soit la cause déterminante de ce funeste pen¬
chant » sans « nulle altération de l'entendement, la percep¬
tion, le jugement, la mémoire, etc...
(*)
».Il considère cetétat comme dû à une lésion des facultés affectives.
Avant lui, Michel Ettmùller (1736) avait distingué une forme spéciale de mélancolie
(Melancholia
sinedelirio)
dans laquelle il fait rentrer plusieurs cas d'obsession du meurtre, rapportés par Plater(1614
2).
Dubuisson(1812) noussemble le premier qui nota la cons¬
cience et l'angoissede certains impulsifs. « Ces malheureux, dit-il, connaissent toute l'horreur de leur état, ils en con¬
damnent les dangereux effets et ne peuvent cependant résis¬
ter à la violence de leur impulsion
(3)
».Fodéré
(1817)
préfère l'expression de « fureur maniaque » pour désigner cette « perversion temporaire dans les fonc-(1) Pixel, Traitésurlamanie, p. 149, An IX.
(2) Ladame, L'obsessiondu meurtre(Congrèsd'Anthrop. criminelle,Brus., 1892).
(3) J. Dubuisson, Dissertation surla manie(1812).
tions affectives, véritable rage périodique, manie
lupine
desAnciens
(d)
». Il la regarde comme l'effetd'une nature brute, combattue, mais non suffisamment asservie par l'exercicedes devoirs de la religion et de la morale.
Esquirol
(1818) développa
les idées de ses prédécesseurs:généralisant,
il admit que les trois facultés : « Intelligence, Sensibilité, Volonté »indépendantes,
pouvaient être lésées isolément. Il désigne tous les délires partiels parla dénomi¬nation de monomanies. Il en distingue trois
espèces,
corres¬pondant chacune à une faculté
(2).
1° Monomanie intellectuelle ou désordre limitéde l'intelli¬
gence ;
2° Monomanieaffective ouperversion des affections et du caractère;
3° Monomanie instinctive. La volonté est lésée, le malade hors des voies naturelles est entraîné à des actes que la rai¬
son ou le sentimentne déterminent pas, que la conscience réprouve, que la volonté n'a plus de force à réprimer; les ac¬
tions sont involontaires, instinctives, irrésistibles.
Parlant des maniaques de cette dernière catégorie, il dit :» Ces infortunés ont conscience de leur état, ils
déplo¬
rent leur situation, ils avertissent de se garerde leur fureur
ou de les mettre hors d'état de nuire
(3)
».C'est ainsi quela « manie sans délire » devient une variété de la monomanie
d'Esquirol.
Esquirol n'était pas cependant, en 1818, très ferme, très absolu dans ses opinions ; il ajoute que « presque tous les faits de manie sans délire appartiennent à la manie ou à la
lypémanie.
Ces déterminations automatiques semblent êtreindépendantes
de la volonté; cependant, dit-il, elles tiennent le plus souvent à des motifs dont l'aliéné et ceux qui l'obser¬vent peuvent,jusqu'à un certain point, se rendre compte.
(1) Fodéré, Traité du délire (1817).
(2) Esquirol, Traitédes maladies mentales(T. II,p. 2, 1827).
(3) Esquirol, loc. cit., p. 94.
De nouveaux faits, de nouvelles
observations,
le firent re¬venir sur sa première manière de voir.
En 1827, il admet, en dehors des aliénés trompéspar le dé¬
lire, les
hallucinations,
lesillusions;
des idiots qui tuent par imitation; d'autres monomaniaquesqui tuentpar impulsion instinctive. Il met en relief d'une façon saisissante l'an¬goisse de certains états.« Quelquefois,dit-il, lesmonomania¬
ques sont agités par une lutte intérieure entre
l'impulsion
au meurtre et les motifsqui les en éloignent. La violence de cette lutte estcomposée en raison de la force de
l'impulsion
etdu degré d'intelligence et de sensibilité. Chez quelques-
uns,
l'impulsion
est plus énergique, et il s'établit une lutte intérieure qui trouble, agite le malade et le jette dans des angoisses affreuses. Chez un petit nombre, l'impulsion estsi violente, si instantanée, qu'il n'y a point de lutte et que l'ac¬tion suit immédiatement
Q)
».Telles sont les premières assises de cette grande question des monomanies. La majorité des aliénistes de
l'époque
se rallièrent à la nouvelle doctrine ; Broussais, qui trouvait la doctrine en harmonie avec ses opinionsphrénologiques, l'adopta,
et enfin Georget, Calmeil, Aubanel, Marc, déve¬loppèrentles idées de leur maître et les portèrent sur le ter¬
rain médico-légal.
La question desmonomanies ne devaitpas, en effet, rester purement théorique,elle devaitbientôt avoirsesapplications judiciaires. « Avant Pinel et Esquirol, la folie pourle monde, pour les magistratset pour
beaucoup
de médecins se résu¬mait en deux types, les furieuxetles grotesques. Tous ceux
qui
déliraient
sur un point et paraissaient raisonner surd'autres étaient invariablement envoyés à la mort
(2)
».Aussi, dit Delasiauve, une sensation immense fut produite dans la magistrature et le monde par la désignation d'Es-
fi) Esquirol, loc. cit., t. II, p. 104.
(2) A. Brierre de Boismont, De l'état des facultés dans les délirespartiels
oumouomauie(Ann. méd. psych. 1853).
_ u —
-f-
quirolQ). Plusieurs
causes célèbres(H.
Cornier, Jobard, Pa- pavoine) furent l'objet de rapports, de consultations mé¬dico-légales et même de travaux particuliers
(2).
Les avocats se servirent à tout propos de la nouvelle doc¬
trine pour sauver leurs clients ; l'aliénation mentale fut allé¬
guée comme un moyen de défense dans les affaires crimi¬
nelles. Léger, Felatman, Lecouffle, Jean-Pierre et Papa-
voine
(3).
On accusa les médecins de complaisance, on leur reprocha
do vouloir trouverpartout des fous, et de chercher, par leurs théories, à excuser le crime. Le discrédit netarda pas à cou¬
vrir la doctrine des monomanies.
Beaucoup de magistrats furent ouvertement hostiles à la nouvelle doctrine. Un célèbrejurisconsulte, Dupin, écrivait :
« La monomanie est une ressource moderne, elle seraittrop
commode tantôt pour arracher le coupable à la juste sévé¬
rité deslois, tantôtpourpriver arbitrairement un citoyen de
la liberté. Quandonne pourrait pas dire : « Il est coupable», on dirait : « Il est fou », et bientôton verrait Charenton rem¬
placer la Bastille. »
En 1866 même, Morel racontele fait d'un président decour d'assises
prévenant
le jury contre la théorie de la monoma¬nie du vol et ajoutant : « Si le médecin vous dit que
l'inculpé
a la monomanie du vol, ayez la monomanie de le condam¬
ner».On contesta mêmeaux médecins leurcompétencedans les affaires d'aliénation. Reprenant l'idée de Kant, déjàcom¬
battue par Metzger et Hoffbauer, Dupin prétendait que les médecins « sont moins aptes que les Facultés de philosophie déjuger
l'aliénation
mentale, parce qu'ils sont imbus des principes de l'Ecole. »Unjeune avocat, Elias Regnault
{%
soutintaprès le Dr Ur-(!) Delasiauve, De la monomanie aupoint de vue psychologique et légal (Ann. méd.psych., 1853).
(2) Parrot(H.), Sur la monomanie homicide (thèseParis, 1833;.
(3) Georgiït, Examen médical des procès criminels.
(*)Compétence desmédecins dans les questions judiciaires relatives aux aliénations mentales.
— 15 —
bain Coste que le bon senssuffisait pourjuger si un homme est fou ou non. « Dans la monomanie homicide, disait-il, ce n'est que la volonté de tuer qui
remporte
sur la volonté d'obéirauxlois. Lorsqu'il y a conscience, il y a liberté, la liberté exclut la folie ». Un magistrat ajoutait : « Si la mono¬manie est une maladie, il faut, lorsqu'elle porteà des crimes capitaux, la soigner en placede Grève. »
Toutes cesattaquesne restèrentpas sans
réponse,
Georget, Leuret, Marc(*) défendirent
avec ardeur et talent, et leur doctrine etleurcompétence, reprochant à leurs adversaires de n'avoirjamais vu unaliéné, et de parler de choses qu'ilsne connaissaient pas. De nombreux magistrats prirent part à ces discussions, avec d'autant plus de facilité et de compé¬
tence apparente queles débats se
plaçaient
sur le terrain psychologique. *Cesattaques étaienten partie justifiées par le désaccord absolu qui régnait entre les aliénistes de cette époque ; les
uns admettant, les autres rejetant l'existence de folies par¬
tielles.Aussi, les médecins s'efforcèrent-ils de s'entendre et de préciser leurs doctrines. «Si, limitée à la sphèremédicale, cette divergence est fâcheuse, dit
Delasiauve;
la question est plus grave encore lorsqu'on la place sur le terrain judi¬ciaire
(2).
Les idées de Pinel, d'Esquirol etleurs élèvesfurent d'abord acceptéespresque universellement. Cependantilne tardapas à seproduire une réaction.
Déjà Falret père,dans sa thèse inaugurale
(1819),
avait misen doute l'existence d'une perversion affective sans lésion de l'entendement : « Soit que j'examine, dit-il, les caractèresgé¬
néraux que Pinel assigne à la manie sans délire, soit queje pèseles diverses circonstances des faits rapportés à l'appui
de cetteopinion, je demeureconvaincuqu'une lésion del'en-
(1) Traité de la folieconsidérée dans sesrapports avec les questions mé¬
dico-légales, 1840.
(2) Delasiauve, loc. cit.
tendement coïncide dans tous les cas avec une perversion
des facultés affectives. »
Il ne cessera dèslors de
développer
dans ses cours publicsla doctrine de la solidarité des facultés : «Toutesles facultés, dit-il, participent à des degrés divers au désordre de l'enten¬
dement ». Adversaire déclaré et convaincu des monomanies, il porte le défi, en pleine Académie, deluien montrer unseul
cas et reproche aux partisans de cette doctrine d'ignorer le
fond maladif toujours préexistant sur lequel se
développent
et seperpétuent lesidées prédominantes.
Morel reprit
l'opinion
deFalret et la soutint avec talent. Ilne limite pas ses attaques aux folies instinctives, il prend corps à corps toute la doctrine des monomanies. « Au point
de vue psychologique, dit-il,
l'indépendance
absolue des idées n'est pas possible, les notions nepeuvent vivre isoléesau sein de l'âme ». Il pense que l'existencede la monomanie
ne peut être compatibleavec leprogrès des sciences médico-
psychologiques
et médico-légales. Il ne la fait point figurerdans sa classification des maladies mentales, et soutint que ces actes qu'on avait trop isolés du phénomène principal
n'en étaient que les
conséquences.
« Les actes homicides peu¬vent êtrerapportés àun élément maladifou à un motif qui
s'appuie
sur un délire prédominant.» La théorie de la maniehomicide, dit-il, n'avaitpas besoin de s'étayer sur le fait d'un instinct aveugle, sur quelque
chose d'indéfinissable qui porte à tuer. »
Bariod, son élève,
développe
les idées de son maître et s'ef¬force, par une analyse critique des observations
publiées
jus¬qu'alors, de montrer qu'il n'existe pas une seule observation concluante en faveur de la monomanie, « que ces actes mal¬
faisantsne sont pas le résultat de l'excitation morbide d'un penchantau milieu d'une intelligence saine, et n'ont qu'une importance secondaire dans la symptomatologie de la folie.
Il divise ces actes malfaisants entrois catégories :
1° Ceux qui sont le résultat de conceptions délirantes
(dé¬
lire de persécution, par
exemple);
4
— 17 —
2° Ceux qui se produisent au milieu d'un trouble général
(manie);
3° Ceux qui coïncident avec une débilité intellectuelle.con¬
génitale ou acquise
(idiotie, démence).
L'état mental au milieu duquel ils se manifestent devant surtout faire l'objetdes recherches de l'observateur. Quant
aux observations qu'il ne peut ranger dans aucune catégo¬
rie, il les envisagecomme incomplètes, ou comme douteu¬
ses
Q).
L'obsession impulsive est alors complètement méconnue par les auteurs. D'autresaliénistes, bien que faisant des res¬
trictions, sont moins affirmatifs.
Foville admet des monomanies dans sa classification, il fait remarquer « que toutes ces formes peuvent bien n'être qu'une seule et même maladie »; il ajoute qu'il n'a vu que deuxmonomaniaques méritant rigoureusement ce nom, et
encore ces deux malades éprouvaient par intervalle un dé¬
lireplus ou moins étendu. La monomanie pure est pour lui
un mythe.
Brierre de Boismond, dès 1829, avait aussi émis quelques
doutes surl'indépendance del'esprit quandune desesfacul¬
tésest entamée. « Est-il possible, dit-il, de circonscrire le cercle d'action dans lequel une idée dominante doit exercer ou a réellement exercéson influence. »
Vingt ansaprès
(1849)
il dit encore: « Le délire des mono¬manies n'est presquejamais aussi circonscrit qu'on l'a pré¬
tendu ». 11 admet cependant l'existence des monomanies.
« La vraie monomanie, dit-il, est très rare », et il cite l'ob¬
servation d'un véritableobsédé : « Un ancien
fonctionnaire,
très instruit, croit qu'il a commis une action indélicate et
qu'ilest perdu. Cette idée le désespère, il a déclaré qu'il se détruirait. »
Nous avons vu que ce désaccord et ces divergences d'opi¬
nion donnaient une apparence de justification aux attaques
(9 Bariod, Etudesurlesmonomanîes instinctives(th. Paris, 1852),
b. G.
dont les aliénistes étaient l'objet. M.
Troplong, premier pré¬
sident de la Cour de cassation, croyait
pouvoir affirmer
que« la médecine légale n'avait ajouté aucun
progrès
auxdoc¬
trines reçues et ne
devait
enrien les modifier.
»Aussi le besoin dese mettre d'accord et d'élucider définiti¬
vement la question des monomanies
suscita
en1853 et
en 1854 de nombreux travaux. Deux mémoires : l'un de Dela-•siauve « Dela monomanieau point de vue
psychologique et
légal », l'autre, deBaillarger «Essaisur uneclassification des
différents genres de folie» furent l'occasion de
discussions
très importantes au sein de la
Société médico-psychologique.
Adversaires et partisans des monomanies
exposèrent leurs
doctrines et leurs arguments. Dans toutes ces
discussions,
biendes exemples d'obsessions impulsives sont
signalés,
mais sontconfondus aveclesimpulsions d'autres états mor¬
bides. L'obsession est totalement méconnue.
Il s'agit de l'existence ou de la nonexistence des monoma¬
nies. La discussion s'égara sur le terrain psychologique et métaphysique, traitant la solidarité des facultés ouleur indé¬
pendance,
voiremême
des rapportsde l'âme
etdu
corps.Cette discussion fut stérile et la question
n'avança
pasd'un
pas, et chaque adversaire resta dansson opinion. Aussi
plu¬
sieurs auteurs allemands, Damerow et Jessen
gourmandè-
rent-ilsce qu'ils appelaient la logomachie française.
Dans cette lutte entrepartisans et adversaires de la mono¬
manie jaillit cependant peu à peu la lumière. Les faits sontanalysés, les observations discutées, les conclusions critiquées. Les disciples de Pinel et d'Esquirol admettaient
l'indépendance
desfacultés
et soutenaient qu'elles pouvaient êtrelésées isolément. « On considérait que les monomanies résultent de lésions fonctionnelles des facultés que Gall et Spurzheimqualifient
de fondamentales. Tantôt c'est le pen¬chant de l'amour physique, de
l'amour
filial, de la destruc¬tion, du couragequi semblaient être simultanémentouisolé¬
ment affectés». Il y aurait ainsi
des
organes encéphaliques qui, dans certainscas, porteraientau vol ou au meurtre.Méconnaissantl'évolutionet lasymptomatologie de
certains
états morbides tels que la paralysie
générale, l'épilepsie,
etc..., ils les considèrent commedes troubles secondaires ou consécutifs à l'idée fixe, délirante. D'un autre côté, dansl'im¬possibilité d'englober
dans
une mêmeclasse les impulsions
avec leurs caractères variés, ils s'efforcent de perfectionner
le détail et distinguent les impulsions conscientes et non consciente, consécutives à une idée
délirante, à
uneillusion,
à unehallucination. Le caractère obsédant de certainesim¬
pulsions est alors signalé. «Parfois, dit le Dr
Pinel
neveu (1836), le monomaniaque nesuccombe qu'après des luttes
nombreuses et incessantes, la raison a pu se défendre pen¬
dantun certain temps. Qui pourrait dépeindre
les angoisses
cruelles, laprofondeet noire mélancolie dumonomaniaque. I
Les adversaires des monomanies, au contraire, prenant pourbase psychologique la solidarité
des facultés,
serefu¬
sent à admettre l'existence d'impulsions, de
déterminations,
d'idéesfixes semaintenant isolées au milieu d'une intelli¬
gencesaine. Considérant toutes lesimpulsionscomme symp- tomatiques, ils s'efforcent de faire rentrer tous
les faits,
tou¬tes les observations dans le cadre des maladies mentales alors connues. Morel range les unes dans la
manie
sys¬tématisée, les autres dans la folie des actes, les autres dans
la folie héréditaire. Les impulsions
épileptiques, les impul¬
sions de la paralysie générale sont
étudiées.
Le groupedes-
monomanies ainsi morcelé vit de plus en plus se
restrein¬
dre sondomaine. 11 vécutquelquetemps,
subissant des alter¬
nativesvariées defortune, changeant de nom,
de définition,
d'acception avec les auteurs.
En 1866, D. Falret pouvaitdire : « Tous les
médecins
nous semblent d'accord aujourd'hui pourreconnaître
quela folie
raisonnante ne peutêtreconsidérée
ni
comme uneespèce,
ni commeune variété spéciale de
maladie mentale.
»Ici s'arrête lapremière période de
l'histoire des impulsions.
La doctrine des monomanies a vécu ; en vain
quelques alié¬
nâtes éminents comme Pinel, Baillarger
(monomanie
avecconscience);
Delasiauve(pseudo-manie)
s'efforcent-ils de dé¬fendre en les modifiant les idéesde Pinel et d'Esquirol. La conception
symptomatologique
des impulsions est adoptéepar la plupart des médecins de l'époque.
La même évolution
s'accomplissait
en Allemagne. La réa¬lité d'une folie sans délire futd'abord admise par les méde¬
cins aliénistes, tels que Reil, Heinrolh, Hauffbaûer, etc.
Henke
(1822)
commençaà
réagir contre la doctrine ré¬gnante. La lutte fut vive ; mais l'opinion de Henke devint à
son tour dominante.
Le professeur Griesinger en 1866 proclame qu'il n'y a pas de foliesans lésion de l'entendement.
Cependant «les faits d'obsessions et
d'impulsions
homici¬des que Bariod avait jetés par-dessus bord, et qui étaient tombéspendant un tempsdansl'oubli, avecl'écroulement de monomanies, n'en existaient pas moins, et l'observation cli¬
nique devait tôt ou tard les mettre en relief
(*).
Jules Falret et Morel furent les premiers qui
tracèrent
lavoie véritablement scientifique.
J. Falret
(2)
combattant les critériums théoriques des phi¬losophes,
des magistrats qui opposent la raison comme un être abstrait à la folie, maladie uniqueayant des caractères généraux, pour les distinguerl'une de l'autre, invite à aban¬donner le terrain psychologique: « Lemédecin, dit-il, doit chercher son critérium pour le diagnostic de la folie dans la pathologieet non dans la psychologie. Il définit une maladie mentale : « Un état pathologique constitué par des symptô¬
mespsychiques et par une marche déterminée dans l'ordre de succession de ces symptômes ». Appliquant cette défini¬
tion, il distingue dans la folie raisonnante 9catégories : 1° Exaltation maniaque, caractérisée par la surexcitation générale des facultés; il la considère comme un stade de la folie à double forme
(folie circulaire);
(q Ladâme, Congrès de Bruxelles.
(•-) Discussionsurla folie raisonnante (Ann. mêd. psycho'l., 1886).
— 21 —
2° Périodeprodromique
de la paralysie générale
; 3« Folie hystérique;4° Hypocondrie
morale
avecconscience de
sonétat. Il si¬
gnale dans cette
catégorie
:des phobies,
«des impulsions in¬
volontaires au suicide, à l'homicide, à commettre
des actes
violents; les impulsions,
dit-il,
seproduisent surtout chez
eux, au momentoù ilsles redoutent
le plus
»;5°Aliénation mentale avec prédominance
dans la crainte
du contactdesobjetsextérieurs
(délire du toucher);
G0 Le délire de persécution ;
7° Exaltation maniaque
simple,
nonsuivie d'une période
mélancolique:
8°Folie héréditaire de Morel ;
9° Manies instinctives, accès très courts,
folie transitoire.
Morel, à la même époque, indique
la méthode à adopter
dans l'étude et le diagnostic des maladies
mentales. Il
ap¬pelle
l'attention
surle
«caractère différentiel des actes
pro¬pres aux
aliénés, selon la différence de lésion cérébrale ou
de la maladie dont ceux-ci sont affectés. »
Leprincipe
des relations intimes qui existent entre les
ca¬ractères des actes des aliénés et la cause génératrice doit
faire le fond de toute expertise
médico-légale.
11 tire cette conclusion: «étant signalé un actejusticiable
des tribunaux avecdes détails précis sur
la manière dont
cet acte a été
perpétré,
il est,le plus ordinairement, facile à
un médecin expert de remonter
à l'origine pathologique de
cet acte et de le distinguer d'un actelibre et
responsable.
» Il indiquealors lescaractères
propres auvol dans la
para¬lysie générale, dans la démence, l'hystérie, l'épilepsiô.
Il enest demême, dit-il, pourles actes
homicides, suicides,
incendiaires, immoraux. La nature de
l'acte suffit le plus
or¬dinairement pour amenerle
médecin enfin à la connaissance
de la nature de la maladie.
La netteté
du'diagnostic
impliquecelle du pronostic.
La même année, Morel décrit le délireémotif
(Morel,
« Dudélireémotif, névrose du
système
nerveuxganglionnaire
»,— 22 —
(Arch. gén.
de méd.,1866),
auquel se rattachent les obses¬sions.
« Ce délire émotif, dit-il, se compose de faits
d'imprêssion-
ndbilitè et d?êmotivité avec prédominance de certaines idées
fixes,
de certains actesimmoraux,
mais sans qu'on puissearguer dans tous les cas de la compromission forcée, abso¬
lue des facultés intellectuelles ». Il en fait une névrose de
l'appareil
nerveux ganglionnaire.« Un des caractères
pathognomoniques
essentielest la faci¬litéavec laquelle les malades subissent une
impression
d'un ordre déterminé et y conforment soudainement leurpenséesans que le raisonnement et
l'expérience
leurviennent enaide pour rectifierdes impressions et chasser les terreurs vaines qui les
assiègent.
»Comme le remarque Ladame, parmi les causes qui pous¬
sent lesaliénés aumeurtre,Morel ne parlepas de l'obsession
pathologique. Cependant
il ne semble pas méconnaître cesimpulsions;
en 1870, traitant encore du délire émotif, il parle des actes anormaux, on ne peut plus ridicules et excentri¬ques, quand toutefois ils ne sont pas dangereux
(Ann.
médico-psych., 1870).
Nous avons vu que l'obsession
impulsive
criminelle était méconnue. Même en 1878 le Dr Blanc, dans un travail « Des homicides commis par les aliénés », ne fait pas mention de l'obsession du meurtre. Ne sachantcommentinterpréter
ces faits étranges et à quelle forme morbide les rattacher, on les contestait. Cependantbeaucoup
d'aliénistes se laissaient convaincre par l'évidence des faits. Dagonet semble avoir eu, l'un des premiers, une idée nette des obsessions. Il est vrai qu'il les range dans la folie instinctive avec d'autres formesd'impulsions,
mais en décrit les caractères avec uneprécision remarquable.
« Lesmalades, dit-il, dontnous rapportons
l'observation,
raisonnentjustement; ils comprennent leur triste
situation,
ils en ontconscience; les
impulsions
qui les dominent leur fonthorreur, ils en saisissent et l'atrocité et les conséquen-ces; ils
luttent énergiquement contre elles, ils fuient le lieu
où elles semblent
s'accroître, ils évitent toutes les occasions
qui
pourraient les faire succomber. Ces individus sont très
malheureux, ils
consultent les médecins et cherchent par
tousles moyens
à
sedébarrasser des suggestions auxquelles
ilssont en butte. La
persévérance de leurs efforts est elle-
même la preuve
des sentiments honnêtes qui les animent,
desidées saines qu'ils
conservent
»(.Ann. méd. psych., 1870).
Son travail est
rempli d'observations des plus intéres¬
santes.
EnAllemagne,
Westphall (séance de la Société médico-psy¬
chologique de
Berlin, 5
mars1877) étudie les mêmes phéno¬
mènes sous le nom
d'idées obsédantes, il définit l'obsession :
« Toute idée qui,
l'intelligence étant intacte (et sans qu'il
existe un étatémotifou
passionnel), apparaît à la conscience
ets'y impose
contre
savolonté, ne se laisse pas chasser,
empêche
et traverse le jeu normal des idées, et qui est tou¬
jours reconnue par
le malade comme anormale, étrangère à
son moi. »
Cette définition fut
le point de départ de discussions et
de travaux
importants (Brosius et Welle), et, comme le re¬
marque
Ladame, dans aucun de ces travaux il n'est fait
mention deY
obsession homicide.
Le D1'Sander fut leseul
qui mentionna occasionnellement
lesidées demeurtre
parmi
ungrand nombre d'autres obses¬
sions, chez une femme
de vingt
ans,atteinte de la folie du
doute et du délire du
toucher.
Dès lors, de nombreux
travaux parurent en France et
à l'étranger
(Buccola, Meynert, Morselli, Luys, Tamburini)
et, au
Congrès international de médecine mentale de 1889,
Falret traça
les caractères généraux des obsessions qui
furent acceptés. «
Tout le monde reconnaît aujourd'hui,
dit-il,
qu'il existe
un assezgrand nombre de cas d'aliénation
mentale,surtout
caractérisés
pardes idées, des émotions ou
des
impulsions qui s'imposent à l'esprit d'une manière pa¬
thologique ou
irrésistible. Elles constituent la base de ce que
— 24 -
Morel a décrit sous le nom de délire émotif, de ce que d'au¬
tres ont étudié sous lenom de folie avec conscience, de folie du doute, de délire du toucher, ou de folie instinctive ou im-
pulsive. »
Ses conclusions sont les suivantes:
« 1° Elles sont toutes accompagnées de la conscience de l'étatde la maladie.
2° Elles sont toutes héréditaires.
3° Elles sont toutes rémittentes,
périodiques
et intermit¬tentes.
4° Elles ne restent pas isolées dans
l'esprit
à l'état monomaniaque, mais ellesse propagent à une sphère plus étendue del'intelligence
et du moral et sont toujours ac-co'mpagnées d'angoisse et d'anxiété, de luttes intérieures, d'hésitation dans la penséeet dans les acteset de symptômes
physiques
de nature émotive plus ou moins prononcés.5° Elles ne présentent jamaisd'hallucinations.
6° Elles conservent les mêmes caractèrespsychiques pen¬
dant toute la vie des individus qui en sont atteints, malgré
desalternatives fréquentesetsouvent très prolongées de pa¬
roxysme et de rémission, etne se transforment pas en d'au¬
tres espèces de maladie mentale.
7° Elles n'aboutissentjamais à la démence.
8° Dans quelques cas rares elles peuvent se compliquer de délire de persécution ou de délire
mélancolique
anxieux, àune période avancée de la maladie, tout en conservant leur caractère primitif. »
L'obsession prenait définitivement rang dans le cadre no-
sologique.
Nous
n'entreprendrons
pas l'énumération des divers tra¬vaux qui parurent depuis sur cette question en France età
l'étranger.
On peut endistinguerdeux groupes. Les uns qui,avecMorel, font de l'obsession un trouble à base émotive, les autres qui,commeWestphall,en fontun trouble à base idéa- tive, et considèrent l'émotion comme un trouble consécutif, toujours secondaire
(Pitres
et Régis).L'attention des aliénistes se porta spécialement, comme dans la première partie du
siècle,
versl'obsession crimi¬
nelle; M. Ladame et M. Magnaii
firent
unecommunication
au Congrès d'anthropologie
criminelle de Bruxelles (1893)
: le premiersur l'obsession du meurtre,le second
surl'obses¬
sion criminelle morbide. Ladame conclut qu'il faut
distin¬
guer parmi les aliénés
homicides
ceuxqui sont poussés
par les obsessions pathologiques. Ildivise les obsédés homicides
en deux classes:
I. Ceux dont 'les obsessions restent théoriques et n'abou¬
tissent pas à l'acte homicide.
II. Ceux qui font des
tentatives de meurtre
ouqui
com¬mettent des homicides à la suite de leurs
obsessions impulsives.
Quant à Magnan il
décrit les principales formes d'obses¬
sions criminelles:
1° Obsession et impulsion
morbides à l'homicide.
2° Obsession morbide du vol, kleptomanie,
kleptophobie.
3° Obsession morbide du feu,
pyromanie, pyrophobie.
4° Obsession morbide sexuelle.
Enfin, nous ne nous arrêteronspas à cause de sa
récente
publication, surlacommunication de MM. Pitres et Régis
au Congrès de Moscou(1897) «Séméiologie des obsessions et des
idées fixes », dernier travail d'ensemble sur
la question.
En résumé, nous avons pu
constater
quel'histoire des
impulsions est intimement liée à
l'histoire même de la méde¬
cine mentale. A mesure que se
précisaient les différentes
formes d'aliénation mentale, le champ de
l'ancien
groupedes
monomaniesse rétrécit.
Les impulsions de la
paralysie générale, de l'alcoolisme
aigu etchronique, de la folie
circulaire (Baillarger Falret père),
dudélire de persécution (Lasègue 1852), de l'épilepsie (délire épileptique, épilepsie larvée) furent séparées les unes
des autres et nettement différentiées.
Lesdoctrines de Pinel et
d'Esquirol, après avoir servi de
guide à troisgénérations successives préoccupées,
commedit Falret, à en perfectionner le détail sans chercher à
ébranler les bases sur lesquelles elles reposaient, furent
enfin combattues et abandonnées. Quelques
aliénistes
cepen¬dant continuèrent à admettre l'existence
d'impulsions
avec conservation des facultés morales et intellectuelles; et les faits d'obsessionsimpulsives, confondus avec les autres im¬pulsions,
survécurent
sous les noms de monomanie ins¬tinctive, impulsive
(Marc),
de délire des actes, folie d'actions (Brierre de Boismond), de manie de caractère (Scip.Pinel),
de lypémanie raisonneuse
(Bellot), de folie lucide (Trélat),
pseudo-manies(Delasiauve),
de folieavec conscience, etc...L'obsession fut le dernier terme de cette évolution: par une sorte d'élimination, les faits d'obsessions subsistèrent et constituèrent un groupe qui eut sa place nettement déter¬
minée dans le cadre nosologique.
CHAPITRE II
Des
principales formes d'impulsions.
Comme conclusionà cet historique, il nous a paru
logique
d'esquisser les
caractères des Impulsions dans les princi¬
paux états
morbides.
Les impulsions
revêtent, ainsi
que nousl'avons vu, des
caractères
particuliers suivant l'état mental
aumilieu duquel
ils se produisent. «
L'alcoolique, l'épileptique, le persécuté
tuent, mais chacun à sa
façon, et l'attentat commis comporte,
en lui-même uncachet
particulier qui le fait reconnaître (1)».
La conscienceou l'inconscience, le souvenir ou
l'amnésie,
la soudaineté oula
préméditation, les motifs, les caractères
de l'acte, la conduite
consécutive à la perpétration permet¬
tent souvent, parl'examen
des circonstances qui accompa¬
gnent l'acte
même, de remonter à l'état morbide dont il
est la manifestation.
Au point devue
médico-légal, cette question est de la plus
grande importance.
Combien nombreuses sont encore-les
erreurs judiciaires !
Combien de malheureux, véritables ma¬
lades, dignes à tous
égards de la sollicitude de la société, en
sont les victimes etsubissent un
châtiment immoral,
caril
est injuste. De
nombreux travaux ont jeté un jour sombre
sur ces faits. Le DrVingtimer, en
1853, publiait
unmémoire
(Des
aliénés dans les
prisonset devant la justice) dans lequel
il relève 262 aliénés
condamnés. 116 signalés
commetels
par(i) Pèlegry,
Ce l'homicide chez le persécuté (Th. Paris, 1886).
— 28 -
les médecins, ont été
acceptés
par lajustice;
82 ont été con¬damnés sans consultation ou malgré l'avis des médecins.
Plus
récemment,
MM. Magnan et Garnier ont relevé, de 1886 à 1890, 255 condamnés, reconnus aliénés seulement après leur condamnation, soit une moyenne de 50 par an pour le seul département de la Seine.En 1894-, M. Monod fit une enquête dans les asiles pour connaître lenombre d'aliénés internés auxquels une exper¬
tise
médico-légale
eût pu éviter unecondamnation,
la mala¬die mentale étant la cause indiscutable de l'acte incriminé.
Sur 30.000 aliénés, il relève 271, qui se
répartissent
ainsi :Paralysiegénérale , .. 58
Démence ,.. 20
Alcoolismechronique....... 4
Imbécillité .. . 8
Idiotie o
Alcoolisme ... 7
Débilité mentale
Délire depersécution 10 Manie, excitation maniaque 10
Lypémanie 12
Epilepsie, hystérie 21 Dégénérescence mentale... 46 Délire chronique 2
Non classés 30
M. Pactet observe dans
l'espace
dequelques mois, à l'infir¬merie du Dépôt, à Paris, 35 cas d'aliénés méconnus et con¬
damnés.
M. Thibaud
(Les
Aliénés devant lajustice,
thèse Paris, 1895-96) a relevé de1891 à 1896 un total de 117 aliénés, entrés à Sainte-Anne sousle coup d'une condamnation. Ceschiffres sont assezéloquents
par eux-mêmes et n'ont pas besoin d'être commentés.Malheureusement,
les magistratssontquelquefois
réfrac- taires auxconstatations de la science et se refusent à admet¬tre l'aliénation et
l'irresponsabilité
de bien des délictueuxou des criminels. Le Mesle (Les
Irrresponsables
devant la loi, thèse Paris, 1895-96) a relevé uncertain nombre de cequ'il appelle« leserreursintentionnelles» de la justice.
Cependant, il faut le reconnaître,
beaucoup
demagistrats, dès qu'un acte leur paraît bizarre, anormal, et fait soupçon¬ner un désordremental, n'hésitent pas spontanément à faire appel aux lumières d'hommes compétents. En tout cas,
quelle
quesoit leur vigilance, la perspicacité des magistrats
se trouve souvent en défaut. Et la
quantité d'aliénés mé¬
connus et condamnés mérite d'appeler
l'attention
surla
nécessité de l'examen médico-psychique
obligatoire des pré¬
venus. LeMesle évalue à 140 la moyenne
annuelle des délits
amenant une révision morale du
procès.
Il ne s'agitpas
ici d'une confusion de pouvoirs, ni de subs¬
tituer le médecin au magistrat
Chacun d'eux
a sonrôle bien
défini. Le médecin doit se borner
à
unesimple constatation.
Il recherche dans
quelle forme d'aliénation, à quelle période
de l'affection rentrent les actes
morbides
surlesquels il est
appelé
à
seprononcer.Il évalue, dans la mesure du possible,
ledegré de
responsabilité. Au magistrat de juger et d'appli¬
quer
la loi
: «C'est
unaxiome de droit moderne que, chaque
fois que la cause
à juger comporte
uncôté scientifique, la
magistraturene
peut
se prononcer qued'après l'avis des
hommes de science, seuls compétents »
(Barbier, Congrès
de médecinementale, 1889).
1° Folies symptomatiques
Etats
physiologiques.
—Nous passerons rapidement sur
les
impulsions qui accompagnent les troubles psychiques de
certainsétats
physiologiques.
La puberté,
la menstruation, la
grossesse,l'accouchement,
l'allaitement, la ménopause,
surtout chez les héréditaires,
peuvent
faire éclater des troubles mentaux, revêtant diffé¬
rentes formes
(manie, lypémanie, etc.) et
setraduisant fré¬
quemment
pardes impulsions morbides au vol, à l'incendie
ou au meurtre.
La sénilitése manifeste souvent par des
actes portant le
cachetde la démence. «Ce sont
des vols absurdes et enfan¬
tins, comme ceux
des paralytiques généraux, mais plus
niais encore; des
emportements subits et
sansmotifs, des
tentativesridicules et