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LETTRES ET BILLETS DE

MYTHOLOGIE de Bernard Fricker

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Avant-Propos

Lettres et billets de mythologie: ce titre m'a été inspiré par Georges Dumézil qui dans la Préface de son livre L'oubli de l'homme et l'honneur des dieux, paru chez Gallimard en 1985, écrit:

« ... je publierais sans doute encore une série de projets qui ne seront, si je ne puis mieux faire, que des 'croquis', des 'lettres', voire des 'billets' de mythologie» .

J'avais d'abord pensé à «croquis» de mythologie, puis m'arrêtais sur

«billets» ; sous ce dernier titre je me mis à l'œuvre. Mais comme certains

«billets» prenaient, si j'ose dire, de l'extension, je m'avisais que l'ensemble se justifierait mieux sous le titre de Lettres et billets de mythologie.

Lettres ou billets se présentent sous la forme de libres réflexions à partir de textes divers, qu'ils relèvent du mythe proprement dit ou s'en écartent, comme ils peuvent avoir pour source le rêve ou les rêveries personnels.

Songes d'une déjà assez longue vie qu'un jour, avant qu'il ne soit trop tard, il faut bien récapituler dans des «lettres» ou des «billets» qui sont autant de fils conducteurs à travers le labyrinthe d'une pensée qui depuis son lointain éveil n'a cessé de manifester sa curiosité et son intérêt pour le mythe, même si elle s'est laissé séduire parfois par d'autres fantômes ...

B.F.

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La grande pièce garnie de coussins, toute prête.

Le premier jour des Azymes, où l'on immolait la Pâque, ses disciples lui disent : "Où veux-tui que nous allions faire les préparatifs pour que tu manges la Pâque ?" Il envoie alors deux de ses disciples, en leur disant :

"Allez à la ville ; vous rencontrerez un homme portant une cruche d'eau.

Suivez-le, et là où il entrera, dites au propriétaire : Le Maître te fait dire : Où est ma salle , où je pourrai manger la Pâque avec mes disciples ? Et il vous montrera, à l'étage, une grande pièce garnie de coussins, toute prête;

faites-y pour nous les préparatifs". Les disciples partirent et vinrent à la ville, et ils trouvèrent tout comme il le leur avait dit, et ils préparèrent la Pâque (Marc, XIII, 5, 13).

Où aller? que faire? l'heure avance, l'heure vient et c'est maintenant, l'heure sonne, il faut ...

Que pèsent, que valent ici nos décisions, notre volonté propre, une.

volonté tellement insuffisante? Est-ce nous qui, par quelque acte ration- nel, réfléchi, allons choisir l'instant, provoquer la rencontre, la brève, la décisive rencontre, un scellement?

On en doutera.

Rien, en dépit des apparences, n'est, d'avance, convenu. Tout est sim- plement prêt, et, sans doute, depuis éternellement. Aussi s'étonnera-t-on de lire, dans l'édition par fascicules de la Bible de Jérusalem, unetelle note:"Il s'agit sans doute d'un signe convenu entre Jésus et le propriétaire du Cénacle", note qui prétend "expliquer" la rencontre en une ville sainte mais inconscIente encore des mobiles déroutants de sa consécration et où cependant tout soudain frémit et annonce car la veillée suprême est com- mencée, de l'homme à la cruche d'eau. C'est plat. C'est court quand on songe que c'est tout ce qu'on trouve à dire en présence du redoutable mys- tère de la chambre close, de la grande pièce garnie de coussins, toute prête. Manquerait-on à ce point du sens, même relatif, de l'insolite? Et n'a-

t-on point songé, ne serait-ce qu'un bref instant, à tout ce qu'une telle chambre laisse entendre, eu egard au monde, d'inconvenant? aux liens qui l'unissent à Eros, non point là à l'agapé ? aux chambres parées elles aussi de coussins, de tout un apparat nuptial que bien des mythes ou des contes décrivent?

Il est vrai qu'on ne sait plus guère ce qu'est une rencontre, le mythe

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seul en gardant le souvenir. La rencontre, aujourd'hui, s'éclipse dans des réunions, se ramène à des colloques. Seul, peut-être, ce qui vit en marge des courants "civilisateurs", de rares êtres en état de réel vagabondage, les derniers nomades, quelques aventuriers, en auraient encore la notion vraie. Les amants aussi qui n'ont pas besoin de convenir du port d'un fou- lard pour reconnaître immédiatement celle qui: le portera quand même.

Mais, aujourd'hui, l'explication qui tend, insidieusement, à se substituer à la signification c'est-à-dire au sens, se veut, de plus, "scientifique", conve- nable donc. Ce qui, autrefois, comme dans bien des mythes, brûlait et ter- rifiait, dès lors rassure. S'emparant des livres de feu que nous ont légués d'impitoyables incendiaires - Matthieu, Marc, Luc, Jean, auraient pu être cités parmi les plus enragés avant que le dogme les ait serrés à la gorge - éditeurs, interprètes, commentateurs s'empressent d'aller signer un enga- gement dans le corps des sapeurs-pompiers: ils n'ont de paix que leurs lances braquées sur le foyer et le noyant.

Quoi d'étonnant que soient alors qualifiés d'indications limitées, de notations banales, de souvenirs estompés, de très vagues choses en somme et juste bonnes pour "localiser" un récit, ces quelques mots, ces courtes phrases: "le long de la mer de Galilée", "monter et descendre de la mon- tagne", "en chemin", "partant de là", "dans la maison"l , expressions certes apparemment "ordinaires" mais combien significatives et chargées à bloc d'explosif pour qui a connu l'exil, erré, solitaire et songeant, sur les grèves, entre deux frontières égaré ses pas dans. un défilé, pour qui a été traqué sur la route, s'est réfugié la nuit dans une maison abandonnée, gîté en un lieu désert, le soleil à peine levé partant de là, fuyant toujours.

Voudrait-on nous persuader que l'Ecriture retient des mots inutiles? Si c'était, les témoins du Verbe, et sur le seul plan humain, seraient bien pauvres diseurs. Jusqu'à preuve complète du contraire reconnaissons-les voyants, à l'exemple de tous ceux qui dirent le mythe dès que le monde reposa sur la parole. Voyants au regard qui ne retient que, mais tout, de l'éclair et se fixe très au-delà d'une apparence extérieure qui, après tout, ne se rencontre d'abord que dans les endroits surpeuplés et dans le fais- ceau de lumière blème tombant du haut de certaines chaires professorales.

B.F.

1 En juge ainsi Xavier Léon Dufour: Les Evangiles Synoptiques, l'Euangile selon Saint Matthie.., dans Introdut:tion il lA Bible, Desclée et Cie, éditeur.

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Mythologie heureuse ou désenchantée?

Pur, heureux, tout de grâce nonchalante, est l'itinéraire de Gérard de Nerval dans Les Nuits d'octobre.

Un changement d'horaire de chemin de fer, quelques pas dans Paris, comme à regret d'abord, la rencontre inopinée d'un autre flâneur, une cau- serie au hasard des rues, et les souvenirs affluent, ils se pressent, des pré- sences se révèlent, Paris, bientôt, enfantera ses sortilèges, se pailletant de l'esprit du poète.

Le chapitre 1 des Nuits, "le réalisme", ne se lit pas aujourd'hui sans un secret serrement de cœur, comme se lisent les pages que Nerval a consa- crées au Valois et aux environs immédiats de Paris.· L'Ile de France, urba- nisée aujourd'hui à outrance, ne serait-elle pas devenue une Arcadie à jamais perdue? Le vieux domaine capétien, littéralement dés-enchanté?

Meaux, où Gérard décide de se rendre se serre encore en partie autour de sa cathédrale; dans le jardin attenant, dessiné en forme de mitre d'évêque, on peut encore voir l'oratoire où Bossuet se réfugiait la nuit pour écrire, revêtu l'hiver d'une peau d'ours.

Mais le pays Meldois où, à la veille de la première guerre mondiale un autre poète, Blaise Cendrars, s'occupait d'apiculture, ce pays, Blaise ne le reconnaîtrait qu'à peine, Gérard encore moins.

"[ ... ] Ces petites villes qui s'écartent d'une dizaine de lieues du centre rayonnant de Paris ... ", aimées par Nerval que je cite, ne sont plus des

"planètes modestes". Entre temps l'ambition leur est venue de rivaliser

avec les grandes métropoles. .

"Celui qui mobilise le sol le dissout dans la poussière", prophétisait, au XIXe siècle, le baron de Stein. Gérard, en 1852, avait vu la faille:

"Quelle triste route, la nuit, que cette route de Flandre qui ne devient belle qu'en atteignant la zone des forêts! Toujours ces deux files d'arbres monotones qui grimacent des formes vagues; au delà, des carrés de verdu- re et de terres remuées, bordées à gauche par les collines bleuâtres de Montmorency, d'Ecouen, de Luzarches. Voici Gonesse, le bourg vulgaire plein de souvenirs de la Ligue et de la Fronde ... ".

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On citera Baudelaire: Le Printemps adorable a perdu son odeur!

Le texte de Nerval cité ci-dessus se trouve dans Sylvie (p. 137 de l'édi- tion Folio-Gallimard, Les filles du feu, préface de Béatrice Didier). Il se poursuit ainsi:

"Plus loin que Louvres est un chemin bordé de pommiers dont j'ai vu bien des fois les fleurs éclater dans la nuit comme des étoiles de la terre [ ... ]"1.

Le Printemps retrouve son odeur - ses couleurs ... Sa magie. Le monde se ré-enchante. Comme dans un mythe. Mythologie heureuse, ici. Tout ainsi que dans bien des pages de Sylvie.

Je glane au hasard de ces pages:

" - Le cor et le tambour résonnaient au loin dans les hameaux et dans les bois ; les jeunes filles tressaient des guirlandes, et assortissaient, en chantant, des bouquets ornés de rubans - Un lourd chariot, traîné par des bœufs, recevait ces présents sur son passage, et nous, enfants de ces contrées nous formions le cortège avec nos arcs et nos flèches, nous déco- rant du titre de chevaliers, - sans savoir que nous ne faisions que répéter d'âge en âge une fête druidique, survivant aux monarchies et aux religions nouvelles" (p. 133 de l'éd. cit.).

"Là, comme à Ermenonville, le pays est semé de ces édifices légers de la fin du dix-huitième siècle, où des millionnaires philosophes se sont inspi- rés dans leurs plans du goût dominant d'alors. Je crois bien que ce temple avait dû être primitivement dédié à Uranie. Trois colonnes avaient suc- combé emportant dans leur chute une partie de l'architrave; mais on avait déblayé l'intérieur de la salle, suspendu des guirlandes entre les colonnes, on avait rajeuni cette ruine moderne - qui appartenait au paganisme de Boufflers ou de Charlieu plutôt qu'à celui d'Horace. La traversée du lac avait été imaginée peut-être pour rappeler le Voyage à Cythère de Watteau" (id. p. 138).

"La lune se cachait de temps à autre sous les nuages, éclairant à peine les roches de grès sombre et les bruyères qui se multipliaient sous mes pas. A droite et à gauche, des lisières de forêts sans routes tracées et tou- jours, devant moi, ces roches druidiques de la contrée qui gardent le souve- nir des fils d'Armen exterminés par les Romains !" (id. p. 140)

1 Comment ne pas rapprocher cette «image» de celle de l'arbre dont les fleurs éclatent en étoiles dans la Nativité des -Heures du Maréchal de Boucicaut., manuscrit conservé au Musée Jacquemart-André (f. 73).

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"Enfin, laissant le désert à gauche, j'arrivai au rond-point de la danse, où subsiste encore le banc des vieillards. Tous les souvenirs de l'antiquité philosophique, ressuscités par l'ancien propriétaire du domaine, me reve- naient en foule devant cette réalisation pittoresque de l'Anacharsis et de l'Emile" (id. p. 152).

Citations assez éloquentes pour inviter, je l'espère, mon "lecteur incon- nu" 2 à relire Sylvie. y découvrira-t-il, comme je lui souhaite, une mytholo- gie heureuse? Un ré-enchantement du monde par le souvenir? malgré le vers de Baudelaire : "Aux yeux du souvenir que le monde est petit !" (Le

Voyage). Nerval, lui, nous le rend grand comme le rêve, et par la nostalgie.

Par ses amours fanés, mais dont le bouquet, les guirlandes de fleurs jamais ne perdront leur fraîcheur. Comme garde leur fraîcheur un Valois de légendes, une mythologie, qui dans Sylvie ressuscite dans des atours charmants et désuets, revit dans un petit temple à colonnes, imité de l'antique. Quelque mode qu'elle puisse emprunter, la Fable, même teintée de rousseauisme, rarement perd son charme.

Dans ses souvenirs, Nerval mêle, avec discrétion comme avec profon- deur, une Grèce estompée par le temps et l'héritage celte qui ne cesse de nous hanter. La raison en est simple, comme il l'écrit dans Angélique:

"Les souvenirs d'enfance se ravivent quand on a atteint la moitié de la vie. - C'est comme un manuscrit palimpseste dont on fait reparaître les lignes par des procédés chimiques."

N'usons-nous pas des mêmes procédés dans nos études, notre recherche pour qu'apparaissent, si effacées qu'elles soient, les lignes du passé? Pour qu'en nous revivent les dieux anciens hors quoi leurs restes achèveraient de pourrir dans la glaise, sous les pluies d'hiver?

Dans cette lettre je ne parlerai pas d'Aurélia, me réservant d'en parler ailleurs, Aurélia où s'ouvre au fil du texte le plus enchanté et noir des abîmes. Simplement évoquerais-je Gérard, à une heure du matin désespé- rément seul, une nuit de carnaval, et voyant enfin "au-dessus de la rue Hauteville ... "se lever une étoile rouge entourée d'un cercle bleuâtre" dans laquelle il croit "reconnaître l'étoile lointaine de Saturne" (p. 357 de l'édi- tion Folio-Gallimard citée).

Gérard "l'un des fils de la Grèce" (Myrtho), aura vécu le plus féérique- ment, le plus douloureusement aussi, l'héritage antique, comme le celte et

2 On sait que le premier, Blaise Cendrars, dans L'Homme foudroyé, a rédigé ses Notes ·pour le Lecteur inconnu·.

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l'oriental, tamisés certes à travers les mailles des âges, mais présents enco- re dans la conscience romantique, comme ils continuent de hanter la nôtre.

A suivre l'itinéraire des Nuits d'octobre, à vagabonder avec Nerval dans le Valois et en ne-de-France, n'est-ce pas multiplier des entrelacs compa- rables aux entrelacs des manuscrits médiévaux irlandais, donc celtes, et dont la magie, elle aussi, procède du rêve?

Le rêve nervalien, je le comparerais à un feston, cet enroulement de feuillage et de fleurs en forme d'arc, que l'on suspend de distance en dis- tance comme décoration de fête. Feston où, chez Gérard, s'enroulent de dis- tance en distance mythologie heureuse et mythologie désenchantée.

Fête qui de la fin du XVIIIe siècle au milieu du XIXe prendrait son point de départ avec Watteau pour se terminer avec Delacroix. Entre temps les flots de sang venés par la Révolution et les guerres de l'Empire, et une génération pour le moins hagarde, sortie de ces cauchemars.

Fête heureuse chez Watteau, mais secrètement inquiète, illuminée par le rayon pâle d'un dernier bonheur. Fête combien plus sombre chez Delacroix, baignée cependant par la lumière d'un espoir nouveau, éclairant faiblement les ruines du passé. Un passé qui voudrait revivre, mais n'en trouve les raisons que dans ce qu'on pu appeler le roman noir, l'engoue- ment pour les édifices lézardés par le temps et les présences maléfiques qui les hantent.

Fêtes nervaliennes, elles, prenant place, avec leurs festons, entre deux des médaillons des Phares de Baudelaire, le septième et le huitième 3:

Watteau, ce carnaval où bien des coeurs illustres, Comme des papillons, errent en flamboyant, Décors frais et légers éclairés par des lustres Qui versent lafolie à ce bal tournoyant ; ...

Delacroix, lac de sang hanté des mauvais anges, Ombragé par un bois de sapin toujours vert, Où, sous un ciel chagrin, des fanfares étranges Passent, comme un soupir étouffé de Weber;

3 Le septième médaillon consacré à Goya. Goya 'cauchemar plein de choses inconnues", choses du 'Sommeil de la Raison (qui) produit des monstres", Monstres qÙi ne cessèrent de poursuivre Gérard; si l'on pense aux "vieilles au miroir", on songera aussi à ces miroirs fatals qui dans l'œuvre de Nerval mêlent leurs reflets aux reflets des rivières et des étangs du Valois.

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Gérard de Nerval s'embarque avec ses amis pour une île heureuse d'Ile- de-France, et compare ce départ sur l'eau calme au Voyage à Cythère.

Gérard de Nerval traduit le Faust de Goethe. Eugène Delacroix l'illustre.

Tentation orientale d'Eugène Delacroix, Femmes d'Alger, lions du désert, cavaliers arabes. Voyage en Orient de Gérard de Nerval; Nuits du Ramazan, Femmes du Caire, Druses et Maronites... Deux rêves, deux mythes.

Soudain, ces lignes :

"Un nouvel amour se dessine déjà sur la trame variée des deux autres. - Adieu forêt de Saint-Germain, bois de Marly, chères solitudes ! - Adieu aussi, ville enfumée qui t'appelais Lutèce et que le doux nom d'Aurélia remplit encore de ses clartés - Amor y Roma ! palladium sacré reste à jamais inscrit [barré: la tombe d'Artémis] sur sa tombe ... Je suis du sang . .. ". (Notes et variantes, La Pandora éd. Pléîade des œuvres de Nerval, I, p.

1215).

L'Arcadie rêvée elle-même n'est plus, la mythologie est dés-enchantée.

Cette Arcadie du tableau de Poussin conservée au Louvre, où les Bergers, penchés sur la pierre tombale, s'intriguent apparemment de l'inscription latine: Et in Arcadia ego, "La mort existe même en Arcadie"4 L'Arcadie que représenta pour Nerval le Valois est une "couronne de Paris", loin, à l'époque, d'être flétrie. Une Arcadie de félicité, où pourtant la Mort est sans cesse présente, seule exacte au rendez-vous qu'elle nous fixe; - "la Mort - ou la Morte" du sonnet Artémis des Chimères. Morte qui pour Gérard s'identifie avec Aurélia, comme Aurélia s'identifie avec Artémis, dans la révélation comme scellée des mots barrés.

Si "un nouvel amour se dessine déjà sur la trame des deux autres", ce sont amours liés, comme tout amour, à la Mort. Ne les vivons-nous pas en Arcadie, que nous parons de toutes les félicités, et les plus extrêmes, avant que le désenchantement s'empare de nous pour nous rappeler la présence de la Mort au sein même de la plus heureuse contrée dont nous puissions jamais rêver?

Qui, comme Nerval n'a "Un soir, vers minuit, (remonté) un faubourg où se trouvait (sa) demeure, lorsque, levant les yeux par hasard (il remarqua) le numéro d'une maison éclairé par un réverbère (nombre qui était celui de

4 Selon la traduction du roi d'Angleterre Georges III, fuite immédiatement par celui·ci devant un tableau de Sir Joshua Reynolds où sur une pierre tombale est également inscrite la même formule latine. Cf.

Erwin Panofsky, L'œuvre d'art et ses significations, Paris, Gallimard, 1972 , p. 279.

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son âge)". Et ne vit, "en baissant les yeux, devant (lui) une femme au teint blême, aux yeux caves" qui lui sembla avoir les traits de son amante, et s'était dit "C'est sa mort ou la mienne qui est annoncée 1"5

Et in Arcadia ego ...

Qui, comme Baudelaire, n'a pas entendu Qu'on cloue en grande hâte un cercueil quelque part et que ce bruit mystérieux sonne comme un départ? 6

N'est-ce pas alors ce même bruit mystérieux qui sonne comme un départ que depuis des temps immémoriaux nous renvoie en écho plus d'un mythe, fondant par là sa vérité?

5 Aurélia, p. 294 de l'édition folio·Gallimard citée.

6Chant d'automne

B.F.

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Décembre

Décembre, décembre désolé, espaces dépouillés ...

Décembre un panier sur le dos pour mettre ses engins de chasse porte sur l'épaule les bâtons enduits de glu qui lui ont servi à capturer le gibier.

Décembre est un jeune chasseur en tunique les jambes guêtrées, afin de traverser sans encombre les fourrés épineux.

Décembre tel qu'il figure sur de très vieux calendriers ...

Décembre morte-saison où les loups se vivent de vent, les loups, le loup du septentrion, le loup brun canis lycaon, le destructeur de reptiles, l'enne- . mi du serpent, l'adversaire de l'Adversaire, pas du tout en odeur de sainte- té toutefois, un voleur, lupus rapax, qui ravit et disperse les brebis du Seigneur, le loup, la louve romaine, la louve lascive, une putain, lupa, lupanaria, lupanars ! QueUe réputation malgré les évêques, en dépit des confesseurs qui prirent ce nom et le sanctifièrent par leur vie, Lupus, évêque de Châlons au VIle siècle, s'il appliquait son anneau d'or sur des yeux malades "leur donnait soulagement", les faisait revivre à la clarté, béni donc soit ce saint Loup et qu'il intercède en notre faveur, pour les hyperboréens le loup porteur de lumière, génie solaire à qui la constella- tion de la Grande-Ourse était consacrée, le loup blanc, l'albinos, le loup à la vue stupéfiante et à la stratégie de fuite déconcertante, le loup image de la liberté errante, l'animal qu'on ne saurait domestiquer quoiqu'on y ait parfois réussi, mon grand-père paternel y prétendait lui qui sur la fin de sa vie vécut en compagnie de chiens que d'aucuns de ses visiteurs trou- vaient singuliers, le loup qu'après en avoir fait un porte-lumière une tradi- tion nordique veut qu'il dévore, à la fin des temps, le dernier des jours et comment là ne pas songer au guépard cet autre beau fauve à qui la tradi- tion aztèque a dévolu un même rôle à cette différence que le guépard, en fin de cycle, égorge les derniers hommes mais c'est bien semblable, dans les deux cas il s'agit du Jugement, le justicier est le créateur en titre et en personne, il fit jaillir une flamme, il fera retomber les ténèbres, le loup, le loup gris fauve des régions méridionales et de nos contrées aussi, le loup

"commun", canis lupus v ulga ris , sa couleur gris hallier - gris loup ! - le pelage jaunâtre mêlé d~ noir qui, décembre venu, se confondait avec les fourrés, les brindilles sèches, les ronciers, dans la plaine avec les touffes déjà gelées, le loup génie diurne, voix rauque de la nuit ...

Décembre, décembre livide, gris ...

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Les campagnes s'assombrissent, elle se désertent, les campagnes bien- tôt n'existeront plus, Harloup ! Harloup ! depuis longtemps a sonné l'halla- li par terre pour la mort du dernier des loups, c'est le vide, un silence cruel.

Que guette pourtant décembre, temps de l'Avent? Quelle aveugle pré- sence rend muet le sourd espace? Qui peut encore s'annoncer à l'heure la plus tardive du tardif? Quels pas résonnent sous les arches ébranlées de l'Histoire? Quel héros indigène. attend la consécration du pays? Et pour- quoi la trompe pour appeler les gardes du pas ? Quand s'alanguit la der~

ni ère lumière des Saint-Martin nul dans cet ultime crépuscule n'est en mesure de prouver sa noblesse : si, peut-être, les récits qu'on groupe sous le nom de mythologie, récits que quelques cavaliers nomades, sinon funam- bules, nous ont transmis avec leurs dieux et leurs bestiaires (qui souvent ne font qu'un) - des cavaliers, des caravaniers, des marins, des rêveurs, des chasseurs, des bouviers, des forgerons, des éleveurs-agriculteurs, ces der- niers nous enseignant à ne jamais douter de la résurrection de la nature au printemps du temps cyclique et de ses éternels retours.

B.F.

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