DOSSIER
Antitumoraux &
populations particulières
G.S. Roth
Chimiothérapie chez le patient cirrhotique : quelles
précautions prendre ?
How to adapt anticancer treatments in cirrhotic patients?
G.S. Roth*, T. Decaens*
* Université Grenoble Alpes ; institut Albert-Bonniot, Inserm U823, Grenoble ; clinique universitaire d’hépato-gastroentérologie, pôle Digidune, CHU de Grenoble.
E
n 2012, dans le monde, 14,1 millions de nou veaux cas de cancer ont été diagnostiqués, et 8,2 millions de décès ont été attribués au cancer (1). La cirrhose a été responsable de plus de 1 million de morts dans le monde en 2010 (2).Si le carcinome hépatocellulaire (CHC) est le seul cancer dont la survenue est clairement associée à la présence d’une cirrhose, un certain nombre de cancers semblent également voir leur incidence augmenter dans un tel contexte. Dans une étude de cohorte, le risque de développer un cholangio- carcinome, un adénocarcinome pancréatique ou un cancer de l’œsophage, colorectal ou pulmonaire était augmenté en présence d’une cirrhose (3).
Ainsi, dans la pratique clinique, l’oncologue médical est régulièrement amené à prendre en charge des patients présentant une dysfonction hépatique.
Comment évaluer le niveau de gravité
d’une cirrhose et identifier les situations à risque ?
Il est tout d’abord essentiel d’identifier la cause de la cirrhose et son caractère actif ou non, à savoir : s’il s’agit d’une intoxication éthylique chronique, le patient est-il sevré ? S’il s’agit d’une cirrhose virale, l’hépatite est-elle guérie ou sous contrôle ? Une cause non traitée induit un risque important d’évolution défavorable de la dysfonction hépatique, qui doit être pris en compte dans la décision oncologique.
Ensuite, le niveau d’insuffisance hépatocellulaire doit être évalué par les scores de Child-Pugh et de MELD (Model for End-Stage Liver Disease). Ces derniers apportent des informations pronostiques qui permettent de statuer sur l’utilité ou la futilité d’instaurer un traitement chimiothérapeutique.
En effet, les patients atteints d’une cirrhose de score de Child-Pugh A ont une survie à 5 ans de 70 % et une survie médiane supérieure à 12 ans, alors que les sujets atteints d’une cirrhose de score de Child- Pugh C ont une survie à 5 ans de 20 % et une survie médiane inférieure à 2 ans (4). La place de l’ALBI score (Albumin-bilirubin) reste à démontrer, car sa supériorité sur les scores de Child-Pugh et de MELD n’est pas établie.
Très peu de données sont disponibles dans la littéra- ture concernant la prise en charge des cancers chez les cirrhotiques (figure, p. 474), car la plupart des études excluent cette population. Dans un certain nombre d’études, les propriétés pharmacocinétiques des molécules sont étudiées dans un contexte d’insuf- fisance hépatocellulaire consécutive à un envahisse- ment hépatique métastatique (5). Il semble toutefois clairement déraisonnable d’envisager un traitement chimiothérapeutique chez les cirrhotiques de score de Child-Pugh C, dont la survie sera surtout conditionnée par l’insuffisance hépatique. Concernant les cirrho- tiques de score de Child-Pugh A, même si le niveau fonctionnel hépatique semble proche de la normale, l’absence de données pharmaco dynamiques et pharmaco cinétiques implique que toute indication de chimiothérapie ne repose que sur un niveau de preuve extrêmement faible. Concernant les patients de score de Child-Pugh B, l’expérience du CHC nous enseigne que toute décision thérapeutique devra intégrer le niveau d’insuffisance hépatocellulaire, l’importance de l’hypertension portale, le degré d’hépatotoxicité des molécules envisagées, ainsi que des éléments plus classiques comme le niveau d’agressivité et d’exten- sion de la pathologie cancéreuse et les éventuelles autres comorbidités du patient.
L’hypertension portale doit être évaluée, notam- ment par la réalisation d’une endoscopie œsogastro- duodénale à la recherche de varices œsophagiennes, dont la présence peut être à l’origine de compli-
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Découverte d’un cancer chez un sujet cirrhotique Avis hépatologique spécialisé
Évaluation du degré d’insuffisance hépatocellulaire Bilan d’hypertension portale
Évaluation des comorbidités Statut OMS
Mesures associées
Dépistage ± prévention de la réactivation virale B Éviction de tout hépatotoxique (alcool, médicaments) Prise en charge nutritionnelle optimale
Prévention de la toxicité hépatique et rénale de la chimiothérapie
Surveillance
Évaluation clinico-biologique de la fonction hépatique (scores de Child-Pugh et MELD) avant chaque cure
Échodoppler hépatique tous les 3 mois (thrombose portale ?)
Recherche d’une complication de la cirrhose en cas d’anomalie biologique Adaptation des doses si nécessaire
Réévaluation précoce de l’efficacité et de la tolérance de la chimiothérapie Cirrhose compensée
et/ou score de Child-Pugh ≤ B7
Cirrhose décompensée et/ou score de Child-Pugh > B7
Soins de support exclusifs et prise en charge de la cirrhose
Traitements localisés à visée symptomatique envisageables Chimiothérapie antitumorale envisageable
selon les comorbidités et l’état général du patient
Figure. Schéma de la prise en charge d’un cancer chez le sujet cirrhotique.
cations hémorragiques en cours de chimio- thérapie, ainsi que par un échodoppler hépatique à la recherche d’une thrombose portale. La cirrhose et le cancer sont tous 2 des facteurs de risque majeurs de manifestations thrombotiques, dont la survenue peut aggraver l’insuffisance hépatique ou contre- indiquer certaines thérapies ciblées anti- angiogéniques. L’hypertension portale se traduit également par une thrombopénie consécutive à l’hypersplénisme, mais qui n’est pas associée à un surrisque hémorragique. Elle ne contre-indique donc pas la réalisation d’une chimiothérapie hémato- toxique, mais nécessitera une surveillance accrue.
En pratique, un traitement est envisageable en cas de cirrhose dite compensée, ce qui correspond à un
score de Child-Pugh inférieur à B7, et toute décision doit faire l’objet d’une concertation pluridisciplinaire avec avis hépatologique spécialisé.
Quels traitements semblent envisageables et quelles adaptations sont nécessaires en cas de dysfonction hépatique ?
En dehors des situations d’insuffisance hépato- cellulaire sévère (Child-Pugh C), où la plupart des traitements sont contre-indiqués d’office, l’effet de la dysfonction hépatique sur le métabolisme hépa-
» Il est raisonnable de traiter les cirrhotiques dont le score de Child-Pugh est inférieur à B7.
» Une surveillance accrue et une adaptation des doses sont à prévoir en fonction des molécules utilisées.
Insuffisance hépatocellulaire Toxicité hépatique
Highlights
»Every risk factor for liver diseases (alcoholism, dysme- tabolism, viral hepatites B and C) should be sought before any anticancer chemotherapy initiation.
»Cirrhosis severity should be assessed by Child Pugh and MELD clinico-biological scores.
»Gastroscopy must be performed on the lookout for esophageal varices.
»Anticancer treatments seem to be managable in Child < B7 patients only.
»Intensified follow-up and dose adaptations are frequently required.
Keywords
Cirrhosis
Anticancer chemotherapy Liver failure
Liver toxicity
DOSSIER
tique des agents thérapeutiques et leur élimination semble assez modeste, car l’activité de nombreux complexes enzymatiques est conservée. La biliru- binémie reflète la capacité d’éliminer la bilirubine libre du secteur plasmatique, en la conjuguant puis en l’excrétant sous forme hydrosoluble, et, cette fonc- tion étant longtemps conservée grâce à des méca- nismes compensatoires, l’hyperbilirubinémie est un bon marqueur de l’insuffisance hépatocellulaire (6).
Ainsi, les posologies d’un certain nombre de molé- cules seront adaptées selon le taux de bilirubinémie, comme l’indique le tableau (p. 476). Nous allons maintenant aborder les principales molécules utilisées à ce jour en oncologie et détailler leurs particularités en cas de dysfonction hépatique.
Taxanes
Le docétaxel est principalement éliminé par voies biliaire et digestive. L’hyperbilirubinémie semble associée à une diminution de sa clairance, à l’origine d’une hématotoxicité (neutropénie) et d’une toxi- cité muqueuse accrues. Dans une étude évaluant le docétaxel en cas de dysfonction hépatique, où les patients étaient répartis en 4 groupes selon leurs concentrations plasmatiques de transaminases et de bilirubine, 100 % des sujets du groupe dont la bilirubinémie était la plus élevée (2,5 fois la normale) présentaient une neutropénie de grade 4 (7). L’uti- lisation du docétaxel est donc déconseillée en cas de bilirubinémie supérieure à la normale, de ratio ASAT/ ALAT supérieur à 1,5 fois la normale et de concentration de phosphatases alcalines supérieure à 2,5 fois la normale (5).
Le paclitaxel, majoritairement métabolisé par le foie et éliminé par voie biliaire, est également responsable d’une importante myélotoxicité en cas de dysfonction hépatique. Sa dose doit donc être réduite en cas d’hyperbilirubinémie ou d’ASAT supérieures à 2 fois la normale (8).
Fluorouracil
Le fluorouracil est éliminé à 90 % par la dihydro- pyrimidine déshydrogénase (DPD), principalement localisée dans le foie et le tractus digestif. Néan- moins, une adaptation de dose ne semble pas nécessaire en cas d’hyperbilirubinémie, d’après une étude de phase I réalisée chez des insuffisants hépa- tiques (2 cohortes : bilirubine entre 25 et 85 μmol/l et bilirubine > 85 μmol/l) ou rénaux, qui a évalué
le fluorouracil dans le traitement de différentes tumeurs solides (9). Ceci a été confirmé par un modèle murin de ligature biliaire dans lequel les caractéristiques pharmacocinétiques du fluorouracil n’étaient pas modifiées grâce à l’activité conservée de la DPD (10). Lorsque la bilirubinémie dépasse 85 μmol/l, l’administration de fluorouracil semble cependant associée à une hépatotoxicité majorée et doit donc être dûment justifiée et surveillée (5).
Irinotécan
L’irinotécan est un inhibiteur de la topo-iso mérase I métabolisé au niveau hépatique et éliminé par voies biliaire et rénale. Une hyperbilirubinémie est, là encore, corrélée à une augmentation de la concentration plasmatique de cette molécule et de ses métabolites actifs, responsable d’événements indésirables hématologiques (neutropénie) et diges- tifs (diarrhée) de grade 4. La dose d’irinotécan doit donc être modifiée en fonction du taux de bilirubine, comme le détaille le tableau (p. 476).
Sels de platine
L’oxaliplatine est principalement éliminé par voie rénale et ne nécessite pas, en théorie, d’adapta- tion de dose en fonction du niveau d’insuffisance hépatocellulaire. Son utilisation est considérée comme raisonnable chez les sujets ayant une insuf- fisance hépatocellulaire minime à modérée (Child- Pugh < B7) [11]. Cependant, 2 problèmes se posent chez les sujets cirrhotiques :
➤ le premier est la neurotoxicité en cas de cirrhose d’origine éthylique, qui risque d’être rapidement limitante du fait de l’état neurologique périphérique souvent précaire dans ce contexte ;
➤ le second est le développement d’un syndrome d’obstruction sinusoïdale, qui peut être particuliè- rement délétère à moyen ou à long terme chez les sujets cirrhotiques. En effet, une étude prospective comparant LV5FU2 et FOLFOX en situation adju- vante dans le traitement du cancer colorectal chez des individus cirrhotiques a montré que la présence d’oxaliplatine multipliait la mortalité par 3, du fait d’un risque augmenté de développer des varices œsophagiennes, une ascite et une hypertension, sans qu’il y ait pour autant de baisse de la mortalité directement liée au cancer (12).
Le cisplatine et le carboplatine sont tous 2 éliminés par voie rénale, et aucune étude clinique n’a montré
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Tableau. Effets clinico-biologiques des principaux agents cytotoxiques utilisés en oncologie clinique, et adaptations thérapeutiques nécessaires.
Molécules Conséquences clinico-biologiques Conduite à tenir
en cas de dysfonction hépatique
Doxorubicine – Perturbations biologiques :
élévation des transaminases, hyperbilirubinémie – En cas d’hyperbilirubinémie :
majoration de la toxicité médullaire et muqueuse
– Bilirubinémie à 34-51 μmol/l : réduction de dose de 50 % (alternative : dose normale) – Bilirubinémie à 51-85 μmol/l :
réduction de dose de 75 % – Bilirubinémie > 85 μmol/l : contre-indication de la doxorubicine Étoposide (21) Majoration de la toxicité médullaire et muqueuse
en cas de dysfonction hépatique sévère et d’hypoalbuminémie (augmentation de la fraction d’étoposide libre)
Nécessité de réduction de dose en cas d’insuffisance hépatocellulaire et/ou d’hypoalbuminémie : absence de données quant aux seuils
Fluoropyrimidines
(fluorouracil, capécitabine) En cas d’hyperbilirubinémie ou d’hypertransaminasémie : absence de majoration de toxicité
Absence de réduction de dose nécessaire
Gemcitabine – En cas d’hypertransaminasémie :
absence de majoration de surtoxicité – En cas d’hyperbilirubinémie : majoration d’hépatotoxicité
– ASAT > N : absence de réduction de dose – Hyperbilirubinémie : réduction initiale de dose de 20 % et augmentation uniquement en cas de tolérance
Inhibiteurs de la topo-isomérase I
• Irinotécan
• Topotécan
– En cas d’hypertransaminasémie : absence de majoration de surtoxicité – En cas d’hyperbilirubinémie : toxicité médullaire (neutropénie) et digestive (diarrhée)
Absence de toxicité particulière
– ASAT > N : absence de réduction de dose – Adaptation des doses en fonction de la bilirubinémie
– Schéma irinotécan 125 mg/m2 hebdomadaire (22)
– Schéma irinotécan 350 mg/m2 toutes les 3 semaines
• bilirubine < 1,5 N : dose normale (350 mg/m2)
• bilirubine = 1,5-3 N : 200 mg/m2
• bilirubine > 3 N : contre-indication
Sels de platine
• Cisplatine, carboplatine
• Oxaliplatine
Absence de données publiées
Absence de majoration de la toxicité en cas d’hyperbilirubinémie et de ASAT > N ou de PAL > N
Absence de données
Absence de réduction de dose nécessaire
Taxanes
• Docétaxel
• Paclitaxel
Hyperbilirubinémie : majoration de la toxicité médullaire (neutropénie), muqueuse et de la mortalité
Majoration de la toxicité médullaire en cas de ASAT > N et d’hyperbilirubinémie
Hyperbilirubinémie et/ou ASAT/ALAT > 1,5 N et/ou PAL > 2,5 N : docétaxel non recommandé
Hyperbilirubinémie ou ASAT > N : réduction de dose nécessaire
Bilirubine ASAT/ALAT < 5 N ASAT/ALAT > 5 N
< 1,5 N 125 mg/m2 60 mg/m2
1,5-3 N 60 mg/m2 40 mg/m2
3,1-5 N 50 mg/m2 Non testé
DOSSIER
la nécessité d’adapter leur dose en cas de dysfonction hépatique. Cependant, la fragilité des sujets cirrho- tiques, notamment sur le plan rénal, encourage à une très grande prudence quant à l’utilisation du cisplatine (5).
Doxorubicine
La doxorubicine est une anthracycline dont l’excrétion est majoritairement biliaire. Elle peut provoquer une hypertransaminasémie ou une hyperbilirubinémie, mais est rarement à l’origine de lésions hépatiques. Néanmoins, l’hyperbiliru- binémie semble corrélée à une augmentation de la concentration plasmatique en doxorubi- cine, elle-même associée à une majoration de la myélo toxicité. Ainsi, une étude a recommandé une réduction de dose de 50 % dès 34 μmol/l de biliru- binémie, de 75 % à partir de 51 μmol/l et l’arrêt au-delà de 85 μmol/l (13). D’autres études n’ont pas confirmé la nécessité de réduire les doses de manière aussi stricte, mais il semble essentiel de surveiller de près la tolérance hématologique, ainsi que la tolérance cardiaque, chez tout patient ayant une dysfonction hépatique (14).
Gemcitabine
La gemcitabine est un antimétabolite analogue des pyrimidines métabolisé au niveau intracellulaire dans l’ensemble des tissus ; son élimination est exclusivement urinaire. Néanmoins, en présence d’une hyperbilirubinémie, elle est plus fréquem- ment associée à une dégradation de la fonction hépatique, raison pour laquelle il est recommandé de réduire initialement la dose de gemcitabine de 20 % en cas de bilirubinémie supérieure à la normale et de ne l’augmenter qu’en cas de bonne tolérance (15).
Antiangiogéniques
Les antiangiogéniques, avec en chef de file le bévacizumab, ne posent pas de problème parti- culier en cas d’insuffisance hépatocellulaire, et peuvent donc être utilisés chez les cirrhotiques dont le score de Child-Pugh est inférieur à B7.
L’utilisation de bévacizumab dans le traitement du cancer colorectal semble même prévenir le syndrome d’occlusion sinusoïdale consécutif à
l’oxali platine (16). Cependant, des varices œsopha- giennes ou une thrombose portale doivent être recherchées et traitées efficacement avant toute introduction de thérapies antiangiogéniques, en raison du risque hémorragique et thrombotique induit par ces traitements.
Anti-EGFR
L’erlotinib est un inhibiteur des tyrosines kinases de l’EGFR principalement métabolisé par le foie, dont la clairance diminue et la demi-vie augmente en cas de dysfonction hépatique, ce qui s’accom- pagne d’une majoration de sa toxicité. Ainsi, les conclusions d’une étude de phase I recommandent de commencer à 50 % de la dose habituelle, soit 75 mg, en cas de dysfonction hépatique, que les auteurs définissaient comme un taux d’ASAT supé- rieur ou égal à 3 fois la normale, avec ou sans hypoalbuminémie inférieure à 25 g/l, ou la présence d’une hyperbilirubinémie (17).
Le cétuximab est un anticorps monoclonal se fixant à l’EGFR et inhibant l’interaction entre l’EGF et son récepteur. Dans une étude de phase II qui l’a évalué dans le traitement du CHC chez des cirrho- tiques de score de Child-Pugh A (60 %) et B (40 %), aucune majoration de toxicité n’a été constatée, et le schéma classique a pu être suivi chez l’ensemble des patients sans modification de dose (18). Il n’y a donc pas d’argument pour une réduction de la dose de cétuximab en cas d’insuffisance hépato cellulaire.
Immunothérapie
L’ipilimumab, anticorps monoclonal dirigé contre le récepteur lymphocytaire CTLA-4 (Cytotoxic T- Lymphocyte-Associated protein 4), est responsable d’hépatites dysimmunitaires parfois de grade 3-4 réversibles à l’arrêt du traitement et sous cortico- thérapie (19). Ces données encouragent à une prudence accrue en cas de dysfonction hépatique, mais aucune donnée n’est actuellement disponible quant à la nécessité de modifier sa posologie.
Le nivolumab et le pembrolizumab, anticorps monoclonaux dirigés contre le récepteur PD-1 (Programmed cell Death 1), sont beaucoup mieux tolérés sur le plan hépatique, ce qui suggère qu’ils peuvent être utilisés en cas de dysfonction hépa- tique ; cependant, aucune étude n’a à ce jour été publiée concernant les cas d’insuffisance hépato- cellulaire (20).
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Particularités de la surveillance d’un traitement antitumoral en cas de dysfonction hépatique
Le peu de données disponibles dans la littérature concernant les cas de dysfonction hépatique, notam- ment de cirrhose, impose la plus grande prudence.
Ainsi, une évaluation complète de la fonction hépa- tique (scores de Child-Pugh et MELD) est nécessaire avant chaque cure chez tout patient cirrhotique recevant une chimiothérapie antitumorale. Par ailleurs, la réalisation régulière, soit environ tous les 2 à 3 mois, d’une imagerie hépatique (écho- doppler, tomodensitométrie avec temps portal) à la recherche d’une thrombose portale est essen- tielle. Ces examens doivent également être réalisés devant toute perturbation du bilan hépatique ou dégradation clinique inhabituelle. De même, il est primordial de réévaluer fréquemment le bénéfice d’un traitement antitumoral dans cette population,
au vu du faible niveau de preuve et du pronostic lié à la pathologie hépatique parfois plus péjoratif que le pronostic oncologique.
Conclusion
La cirrhose est une situation clinique complexe qui associe une insuffisance hépatocellulaire, à l’origine d’une augmentation de la toxicité d’un certain nombre de molécules de métabolisme hépatique ou d’élimina- tion biliaire, et une hypertension portale qui doit être évaluée précisément. Toute décision oncologique doit donc tenir compte du pronostic lié à la cirrhose, et tout traitement antitumoral doit être adapté au niveau d’in- suffisance hépatocellulaire afin de limiter la survenue d’événements indésirables graves. Seuls les patients de score de Child-Pugh inférieur à B7 dont la cirrhose est prise en charge de manière optimale peuvent bénéficier d’un traitement à visée antitumorale, dont le bénéfice doit être constamment réévalué. ■
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Références bibliographiques
G.S. Roth déclare ne pas avoir de liens d’intérêts.
T. Decaens n’a pas précisé ses éventuels liens d’intérêts.