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Retour sur une démarche de prospective territoriale : la charte du Parc Naturel Régional de Camargue. Perspectives pour une pédagogie du projet de territoire.

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Retour sur une démarche de prospective territoriale : la charte du Parc Naturel Régional de Camargue. Perspectives pour une pédagogie du

projet de territoire.

Auteur : Stéphane VILLEPONTOUX, Géographe, CRISES-UM3

Comment réussir à concilier développement économique et social, héritages culturels et préservation des ressources du milieu ? Le développement durable qui s‟énonce comme une réponse évidente ne poserait-il pas en fait une équation impossible à résoudre ? A moins qu‟il ne s‟agisse d‟une question de méthode, ou plus particulièrement d‟un accompagnement au changement ?

Construit humain, support et matière de nos existences passées, présentes et futures, le territoire est au cœur de cette bataille. Que faut-il entendre par « territoire viable », « vivable »,

« acceptable » ? Quelle place pour l‟humain ? La course effrénée à la labellisation pour la

« qualité territoriale » et à la protection des espaces annonce-t-elle véritablement une nouvelle ère de la « qualité de vie » ? Et dans l‟affirmative, quels sont les outils méthodologiques les plus à même d‟accompagner ce nouvel âge des territoires ?

Face à ces interrogations toujours plus actuelles, l‟intuition de fond qui nous guide nous invite à questionner encore plus avant les démarches et les méthodes engagées au service du développement durable des territoires. Selon nous, une des clés de la réussite de ce vaste effort de refondation des rapports entre l‟homme, la société et son milieu de vie, repose sur une pédagogie de l‟action concertée. Pour cheminer dans ce sens, nous proposons de revenir sur une expérience d‟élaboration d‟un projet de territoire à partir d‟une démarche de prospective territoriale : celle mise en œuvre pour la révision de la charte du Parc Naturel Régional de Camargue (PNRC).

Depuis sa création en 1970, le projet de territoire du PNRC reposait sur la volonté de l‟Etat et des acteurs locaux de protéger et de mettre en valeur le patrimoine naturel et culturel de la Camargue. Ce fut l‟objet de la première charte (adoptée en 1998) arrivée à échéance en février 2008. L‟exercice de révision sonnait alors l‟heure du premier grand bilan tout en posant en même temps les enjeux pour l‟avenir.

En appui à la démarche de révision - procédure au demeurant bien réglée - les responsables du PNRC ont exprimé le besoin d‟une approche plus participative censée faciliter l‟appropriation du projet par un large public. Provoquer l‟adhésion supposait une mobilisation, un positionnement partagé, l‟expression d‟un désir de territoire. Ce fut le sens de l‟appel fait à la prospective présentée comme une démarche d‟animation, une solution innovante d‟accompagnement et de co-construction du dessein territorial. Mais qu‟est-ce au juste que la prospective ? Quelles sont ses méthodes et comment s‟adapte-t-elle au contexte territorial du PNRC ? Comment les enjeux ont-ils été posés, interprétés, et quels furent les résultats de ce travail ? Nous nous attacherons à le précisez en détail.

Perçue comme une démarche ouverte et participative, propre à générer du consensus social pour le développement durable, la prospective semble constituer un cadre méthodologique fécond. Pour autant, chercher à identifier le meilleur scénario d‟avenir suffit- il pour inscrire le territoire dans un projet durable ? A priori non, et c‟est ce que semblent montrer les premiers éléments d‟évaluation que nous avons pu recueillir. Le scénario n‟est

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qu‟une étape. Nous supposerons que la prospective appelle certainement des prolongements, et notamment un véritable effort d‟évaluation et de suivi des actions, comme également la mise en œuvre d‟un dispositif d‟information et de participation permanente, mais aussi des perspectives de formation continue des acteurs, autant d‟extensions logiques qui peuvent selon nous permettre, d‟engager le territoire dans un véritable processus de transformation durable.

1. Que faut-il entendre par « prospective » ?

Au sein de l‟important arsenal méthodologique de l‟analyse territoriale, la prospective fait figure d‟« indisciplinée ». Non pas qu‟elle soit moins rigoureuse, mais parce qu‟elle invite à s‟extraire des carcans du présent pour lever les yeux et tenter de se projeter dans l‟avenir.

Longtemps cantonnée au domaine réservé de la planification stratégique d‟état (cf. travaux de la DATAR), la prospective a été introduite depuis une dizaine d‟années dans les processus d‟élaboration des projets de territoires. Cela tient à son caractère « innovant » et à la valeur ajoutée qu‟elle apporte à l‟approche « classique » du type diagnostic-préconisations.

Néanmoins, suffit-il de s‟engager dans une démarche de prospective pour que celle-ci soit réellement efficace ? Ce serait trop simple. Envisager l‟avenir ne suffit pas pour dépasser l‟urgence du présent. Faire de la prospective exige de la rigueur, du savoir-faire et des qualités d‟animation qui ne s‟improvisent pas.

Alors qu‟entendons-nous au juste par prospective ? Sans entrer dans l‟exploration approfondie des fondements théoriques et méthodologiques de cette démarche d‟analyse spécifique1, il nous paraît important de rappeler brièvement ici quelques éléments conceptuels qui permettent de mieux saisir la portée et l‟intérêt de cette approche, en précisant quels sont les attendus et les objectifs sous-jacents à sa mise en œuvre.

La prospective en deux mots, c‟est « voir loin ». C‟est ce regard que l‟on jette sur l‟avenir, sur ce que Pierre Massé considère comme « des idées et faits porteurs d’avenir2 » et qui nous aide à éclairer l‟action présente. C‟est l‟art de fonder la décision sur un faisceau d‟hypothèses plausibles, soit à partir d‟une étude rétrospective permettant de repérer les tendances lourdes, soit à partir d‟une analyse « exploratoire » pour isoler les facteurs de changement et/ou de rupture, soit encore de manière plus « normative » en définissant les règles permettant d‟atteindre un objectif voulu. D‟une manière générale, dés lors qu‟elles se présentent comme des anticipations au service de l‟action, ces différentes approches peuvent être considérées comme « stratégiques3 ». C‟est souvent le cas lorsque la prospective est mise au service du développement territorial. Il s‟agit alors d‟identifier des futurs possibles et d‟envisager en même temps les leviers d‟action possibles.

1.1 Qu’est-ce que la prospective territoriale ?

Comme l‟explique Aliette Delamarre de la DATAR, la prospective territoriale dérive de la prospective générale dont elle suit les principes et les méthodes. Appliquée au territoire, la prospective se distingue de la planification sans être pour autant prédictive. Elle se veut principalement un outil d‟aide à la décision, sur la base de scénarios exploratoires destinés à éclairer les acteurs sur les futurs possibles du territoire. Il s„agit souvent là d‟un exercice long et complexe qui nécessite de poser clairement un cadre temporel (le choix d‟un horizon) et spatial

1 Nous renvoyons ici le lecteur aux travaux théoriques de Gaston Berger ainsi qu‟aux écrits de Michel Godet, Hugues de Jouvenel et aux conférences d‟Edith Heurgon.

2 Massé P., 1965, Le Plan ou l’anti-hasard. Paris, Éditions Gallimard.

3 Godet M., 2007, Manuel de prospective stratégique, Éditions Dunod, collection Progrès du Management.

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(le choix du périmètre d‟étude) afin de circonscrire l‟analyse. Mais les difficultés sont nombreuses et de taille. Aliette Delamarre relève notamment « la pluralité des acteurs qui entrent en scène, la multiplicité des niveaux et des compétences qui interagissent, la diversité des points de vue4 »… Autant de données contextuelles qui rendent l‟exercice compliqué mais également d‟une grande richesse.

Pour être efficace, toute tentative de faire de la prospective doit donc être préalablement soumise à une volonté de tendre vers un but, un objectif clairement identifié : ici dans l‟exemple que nous décrirons plus loin, il s‟agissait d‟aider à construire une représentation partagée du futur du territoire du parc naturel régional de Camargue. Nous expliciterons plus avant les éléments du contexte territorial qui ont servi de points d‟appui à cet exercice.

1.2 Les grandes étapes de la démarche de prospective territoriale.

Tout d‟abord, il faut réussir à poser un questionnement prospectif de départ permettant de clarifier les objectifs visés : « que veut-on faire » ? « à quoi veut-on aboutir »? « quel est l‟horizon temporel visé » (moyen ou long terme) ? Suit la phase d‟étude et de diagnostic qui permet, à partir d‟un état des lieux des connaissances, de rassembler et d‟analyser les éléments d‟information nécessaires à une compréhension fine du contexte territorial local (atouts/faiblesses, opportunités/menaces, acteurs et stratégies, évolutions économiques, sociales, culturelles, attentes et besoins des habitants, etc.). Puis vient le travail d‟anticipation à proprement parler. Sur la base des éléments du diagnostic, il s‟agit de dégager les tendances lourdes qui influencent le territoire, de repérer les signaux faibles du changement (ou tendances émergentes), et d‟isoler les facteurs de rupture possibles.

A partir de là, un effort de représentation devient nécessaire. Il prend souvent la forme d‟une série de scénarios (cartographies et schémas) qui donnent à voir des visions possibles pour le territoire. La construction de ces fictions territoriales vise ainsi à décrire, à partir d‟un état initial, les états futurs que peut prendre le territoire suivant des lignes de forces bien identifiées.

Plusieurs types de scénarios sont envisageables en fonction des objectifs visés (tendanciels, souhaitables, contrastés, réalisables,…). Cette étape créative constitue un temps fort de la pensée collective qui bouscule les représentations et malmène les idées reçues. Une présentation et un débat public sont souvent ensuite nécessaires pour permettre une diffusion élargie et une lente appropriation des changements et des perspectives nouvellement énoncés.

1.3 La dimension participative.

Ajoutons aussi un mot à propos de la dimension participative qui confère à la prospective territoriale une légitimité particulière. Empruntée aux « sciences citoyennes », la participation est devenue une pratique de concertation courante qui traduit l‟idée que le projet de territoire n‟est pas simplement un projet d‟aménagement mais le projet d‟une société locale , conçu et construit par la société locale, dans et sur son territoire. A la fois enjeu informationnel et démocratique, la participation vise à associer à l‟élaboration du projet l‟ensemble des acteurs jugés « représentatifs » du territoire ou plus généralement la « population concernée5 ».

Au-delà du caractère subjectif et souvent hautement politisé de ces catégories, le principe visant à donner la parole à « l‟expertise citoyenne » est une bonne façon de prendre la

4 Delamarre A., 2002, La prospective territoriale, Paris, Éditions La Documentation Française.

5 Claeys-Mekdade C., 2001, « Qu'est-ce qu'une "population concernée" ? L'exemple camarguais », Géocarrefour, Vol. 76 , n° 76-3, p. 217-223.

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température des représentations et des logiques d‟acteurs à l‟œuvre sur un territoire. En ce sens, elle est souvent favorisée en prospective par la constitution de groupes de travail réunissant des acteurs multiples (institutions, associations, habitants,…), organisés en ateliers de discussion avec pour objectif de produire une synthèse des réflexions et des propositions des participants6.

La notion de participation est à bien des égards un concept engagé qui traduit l‟intention de vouloir replacer le dialogue et l‟ouverture au cœur du projet. Associé à la démarche prospective, il en précise à la fois le sens et la finalité et permet d‟apprécier l‟importance de la mobilisation et de l‟implication des acteurs dans la conduite du travail de prospective. C‟est cette forme de participation - à la fois outil de mobilisation et pratique collaborative - qui nous intéressera ici. En prospective, « faire participer » permet ainsi de positionner le débat en amont de la démarche, pour libérer la parole et faire émerger les confrontations afin d‟aboutir, du moins en théorie, à une meilleure compréhension du contexte territorial et de ses enjeux.

1.4 Les attendus et les objectifs.

Quel que soit le but visé, la prospective ne propose pas de réponses toutes faites. Elle reste avant tout un état d‟esprit. Loin d‟être un exercice de prédiction qui prétendrait

« dévoiler » l‟avenir, la prospective est d‟abord une philosophie, un état d‟esprit, une attitude.

L‟attitude qui considère l‟avenir comme ouvert, et le futur comme toujours à construire. En 1967, Gaston Berger précisait déjà le sens de cette démarche en expliquant que faire de la prospective c‟est d‟abord « apprendre à considérer l'avenir non comme une chose déjà décidée, mais comme une chose à faire, dont la nature dépendra à la fois de nos forces, de notre habileté, de notre courage et d'un certain nombre de circonstances que nous ne pourrons jamais prévoir dans tous leurs détails7 ». Il s‟agit de « réussir à prendre conscience des situations en formation quand elles sont encore modelables, avant qu’elles n’aient pris une forme impérieusement contraignant 8 » complète Hugues de Jouvenel. La prospective est donc principalement une démarche qui vise la connaissance et dont la finalité est l‟action.

Nécessairement pluridisciplinaire, « c’est une démarche de stimulation de l’intelligence collective qui essaye d’articuler les expertises et les expériences pour faciliter l’action collective9 ». En conclusion de cette rapide présentation théorique, disons que l‟attendu de la prospective répondrait donc au besoin de connaissance d‟un groupe humain sur les perspectives d‟évolutions possibles de sa situation présente. Cette quête de visibilité est une démarche de recherche-action mobilisant non seulement les connaissances existantes mais également les intentions et les motivations des acteurs qui participent à la réflexion. En cela, elle s‟affirme comme un outil méthodologique majeur au service du développement durable des territoires.

2. Le contexte d’expérience : le PNR Camargue

Appliquée à un territoire, entendu comme l‟espace-projet des sociétés, la démarche prospective semble prendre tout son sens : il s‟agit en effet de créer les conditions d‟une réflexion collective sur l‟avenir d‟un espace de vie commun. En France, depuis une quinzaine d‟année, de multiples expériences de prospective ont été conduites à des échelles et dans des

6 Bootz J-P et Monti R., 2008, « Proposition d'une typologie des démarches de prospective participative pour les entreprises », Management & Avenir, vol. 5, n° 19, p. 114-131.

7 Gaston B., 1967, « L‟attitude prospective », in Darcet J. (dir.), Les étapes de la prospective, Paris, PUF, p.33.

8 De Jouvenel H., 1999, « La démarche prospective. Guide méthodologique », Revue futuribles, n° 247, p.6 9 Goux-Baudiment F., Heurgon E., Landrieu J. (coord.), 2001, Expertise, débat public : vers une intelligence collective, Cerisy, Éditions de l‟Aube, collection Prospective.

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contextes territoriaux différents10. Si l‟échelle régionale est souvent privilégiée (Aquitaine 2005, Pays-Basque 2010, Midi-Pyrénées 2010, Limousin 2017, Wallonie 2020) en perspective d‟un schéma régional d‟aménagement ou de la préparation d‟un contrat de plan Etat-région, la prospective s‟est aussi mise au service des projets urbains, notamment à l‟échelle des agglomérations et des métropoles (Grenoble, Nantes, Lyon, Lilles). Les enjeux de la gouvernance des territoires urbains imposent en effet la capacité des acteurs d‟intégrer et de concilier les impératifs d‟aménagements et de développement durable avec les exigences d‟une culture plus participative de la décision. Selon Guy Loinger et Claude Spohr, en proposant la construction d‟une vision à long terme, la démarche de prospective répond assez bien à cette exigence en matière d‟élaboration des politiques publiques11.

Cet intérêt s‟inscrit aussi dans un contexte territorial qui voit la complexification croissante des jeux d‟acteurs dans la mise en œuvre des politiques de développement local pour lesquelles la diversité des intervenants, des logiques d‟intérêts, des cultures et des postures politiques tendent à accroître la temporalité du processus de négociation. Les collectivités sont en effet en demande de solutions, d‟outils et de méthodes de travail collaboratives capables de concilier ces intérêts et ces enjeux multiples. En témoigne pour exemple, l‟effort pédagogique des travaux du CERTU, autour notamment des ouvrages didactiques de Fabienne Goux- Baudiment, qui pour répondre à cette attente, se proposent d‟expliciter, de démocratiser et de rendre accessibles une démarche éprouvée permettant aux décideurs de forger une vision d‟avenir fondée sur une démarche collective12.

A l‟échelle d‟un parc naturel régional, territoire contractuel par essence, recourir à la prospective peut apparaître quelque peu anachronique tant la gestion de ces espaces protégés se veut le fruit d‟une longue expérience de la démarche de projet associant les intérêts parfois contradictoires des acteurs locaux dans une double perspective de préservation et de valorisation des ressources tant naturelles que culturelles. Néanmoins, face aux évolutions tant environnementales, qu‟économiques et sociales que connaissent les territoires aujourd‟hui (mobilités, tourisme vert, chômage,…), la fédération des PNR a anticipé en 2007 la création d‟un Conseil d‟orientation, de recherche et de prospective (CORP). Dans une note de 201113, le CORP se saisit alors de la question de l‟avenir des parcs régionaux en réinterrogeant l‟objectif prioritaire. En effet, héritier d‟une culture d‟un territoire système, où s‟expérimente en vase clos depuis près de 50 ans, l‟intégration de projets pour la préservation et la valorisation d‟une diversité tant naturelle que culturelle, l‟évolution rapide des logiques résidentielles (proximités urbaines), l‟attractivité des espaces ruraux et de nature, l‟accroissement de la population, et les disparités de revenus remettent en cause la pérennité de ce modèle et font poindre le risque d‟une forme de banalisation. Faces à ces évolutions des questions émergent et interrogent la conception

« identitaire » des PNR : espace de résidence et de travail, espace de pratiques récréatives, faut- il réinterroger le concept d‟espace « naturel » et intégrer des composantes « urbaines » ? A l‟heure de la mutualisation des savoirs et des ressources, la dimension « régionale » reste-t-elle pertinente ? Les périmètres n‟ont-ils pas nécessité d‟évoluer ?

Alors que de nombreux parcs s‟engagés dès 2007 dans les démarches de renouvellement de leurs chartes de territoires, c‟est dans ce contexte de questionnement sur les enjeux et les

10 Cf. DIACT, Prospective des territoires. Territoires 2030 n°3, 2006. 180 p

11 Guy Loinger et Claude Spohr, Planification et prospective territoriales. Etat des lieux et propositions. Revue Travaux de recherche de prospective, DATAR, n°24, février 2005, p.27/198

12 Cf. Fabienne Goux-Baudiment et al., Quiz pour conduire un exercice de prospective territoriale, CERTU, 2008

13Conseil d‟orientation, de recherche et de prospective, quel avenir pour les PNR ?, note de synthèse, sept 2011

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perspectives d‟avenir impulsé par la fédération des PNR que la démarche de prospective allait prendre tout son intérêt. L‟analyse du cas du PNR Camargues nous en livre un bon exemple.

En effet, émanant directement des acteurs en charge de la gestion et de l‟animation du parc, l‟appel à la prospective intervient à un moment clé, celui du renouvellement de sa charte et donc questionne la pérennisation de son statut même de PNR. Il s‟agit alors de reposer les bases d‟une vision d‟avenir. En filigrane se dessine l‟enjeu complexe d‟une gestion partagée capable de réussir à ménager contraintes naturelles, société locale et développement économique.

Dans ce vaste territoire de delta du Rhône de 120 000 ha. entre terre et mer, l‟exploitation humaine et les aménagements pour domestiquer la nature ont produit un territoire singulier. Un territoire de contrastes, à la fois riche et fragile, sauvage et fortement approprié.

Un territoire produit, objet culturel et symbolique, d‟une société locale qui revendique son identité tout en semblant peiner à élaborer une vision partagée du développement durable. A cela s‟ajoute l‟inquiétude profonde qui hante les habitants face à la perspective d‟abandon de cette vaste étendue d‟espace artificialisé, inquiétude liée au risque majeur de submersion marine qui semble se confirmer. L‟invention du futur est ici marquée par cette réticence au changement qui refuse l‟idée d‟une nature qui reprendrait ses droits. Et ce malgré un contexte économique fragilisé depuis plusieurs années où le riz se vend moins, où l‟eau douce coûte plus cher et alors même que la Compagnie des salins du midi ferme le plus grand site salinier d‟Europe.

À une époque où, de surcroît, le tourisme peine à se structurer, où le foncier aiguise l‟appétit des promoteurs immobiliers, où la ressource naturelle est elle aussi menacée par les pompages, le tourisme de masse et les chasses privées, toutes choses constituant de lourdes menaces pour l‟avenir du territoire et créant des interrogations essentielles justifient l‟importance qu‟il y a de donner du sens au projet de territoire. Mais comment la charte pour le développement durable peut-elle permettre d‟y répondre ?

2.1 Les attendus supposés de la prospective dans la procédure de planification.

Dans la cadre de la procédure décentralisée de révision de sa charte, l‟organisme de gestion du PNRC s‟est engagé dès 2005 autour d‟une volonté forte d‟élaborer un projet cohérent capable de répondre aux exigences du cadre de référence des projets territoriaux de développement durable (charte-agenda). Suivant un protocole bien cadré, le déroulé comporte une phase de diagnostic et une phase d‟évaluation articulées par un travail de concertation et d‟animation de la participation visant à déboucher sur la rédaction d‟un avant-projet de charte.

Tout commence donc par un « état des lieux » du territoire élaboré par les chargés de mission du Parc. L‟objectif de ce premier effort de diagnostic étant de permettre une première mobilisation et une « mise sous tension des acteurs ». Comme l‟expliquent Piveteau et Lardon, se prépare ici

« le changement dans les comportements des acteurs et dans les transformations de l’espace, dans une perspective de développement territorial14 ». Concrètement, les membres du Conseil de Parc, du Comité syndical, des services de l‟Etat et d‟autres partenaires ont pu échanger leurs avis et leurs interrogations lors de journées-débats organisées en mai et juin 2006. Ce premier travail de concertation sur « l‟état et l‟évolution du territoire camarguais » a servi ensuite de support aux discussions des ateliers thématiques qui portaient cette fois sur les enjeux d‟une possible élaboration collective d‟une vision prospective du territoire. La question suivante fut alors posée : « quelle Camargue voulons-nous pour 2020 ? ».

14 Sylvie Lardon et Vincent Piveteau, « Méthodologie de diagnostic pour le projet de territoire : une approche par les modèles spatiaux », Géocarrefour, vol. 80/2 | 2005, 75-90.

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C‟est à ce stade que la prospective fut pressentie comme une méthodologie « innovante » supposée capable d‟identifier les dynamiques d‟évolution à long terme pour mieux donner du sens au projet. Derrière cette ambition s‟exprimait aussi la volonté d‟opérer un « changement de culture » dans les systèmes de décision et de gestion alors souhaités plus participatifs.

Ainsi, avant même de faire véritablement l‟objet d‟une définition précise, la prospective est attendue ici comme une approche ouverte, à même de compléter la procédure de planification stratégique. En témoigne, la formulation des attendus à la fois très précis et très généraux, qui déroulent un flot de questions complexes traduisant les inquiétudes et les souhaits des porteurs du projet : « Comment mieux appréhender les dynamiques en cours sur ces territoires complexes, aussi bien sur le plan humain que sur le plan physique ? Comment identifier les priorités stratégiques dans les multiples « chantiers » que permet d’ouvrir la charte, en prenant en compte l’horizon du moyen/long terme ? Quel sens donner à ce projet de territoire pour qu’il soit porteur de la spécificité et de l’identité d’un parc naturel régional ? Comment faire de l’élaboration de la charte un processus au service de la dynamique de changement de gouvernance ? Comment enrichir et accompagner le processus d’élaboration de la charte pour qu’il soit un facteur d’innovation et d’apprentissage de nouveaux équilibres territoriaux ? 15 ».

Derrière cette suite d‟interrogations, c‟est toute une pensée renouvelée du territoire qui est attendue. Si l‟intention semble louable, l‟exigence faite à la prospective peut, à certains égards, apparaître quelque peu disproportionnée, voire peu réaliste, surtout lorsque celle-ci est convoquée dans l‟urgence. Cette surestimation de son efficience traduit en sus une méconnaissance de la démarche qui s‟élabore par étapes, dans une vision du temps long.

Néanmoins, le pas semble franchi. Au mieux, la prospective aidera à refonder le projet et à ouvrir des pistes fécondes, au minimum, elle permettra de prendre la mesure des tensions qui nouent le territoire et créera la nécessité de réinterroger les grands facteurs de son évolution future.

2.2. L’interprétation de la commande

En 2008, le syndicat mixte de gestion du PNRC confie à un prestataire externe la mission d‟élaborer l‟avant-projet de charte agenda du PNRC. Au cœur de ses préoccupations, le cahier des charges insistait sur un attendu spécifique mettant en avant la dimension « concertée et participative » du projet. Avancé comme le « fil rouge » de la démarche, ce principe visait à associer le plus largement possible les différents acteurs du territoire concernés dans le but de favoriser l‟appropriation et la définition les plus pertinentes possibles des objectifs et de la stratégie future de gestion partagée du PNRC.

Pour le bureau d‟étude en charge de l‟accompagnement du projet, cet impératif devait trouver une traduction concrète dans la conduite des études. Cela supposait de réussir à concilier expertise savante et expertise habitante : un enjeu méthodologique pour le moins difficile surtout lorsque le temps est compté. La solution retenue consista à mettre en place un dispositif participatif ad hoc constitué de cinq groupes de travail thématiques (composés d‟élus, de représentants des collectivités locales, des services de l‟Etat, d‟associations et d‟habitants), sortes de grands témoins permanents, associés aux discussions à chaque étape de l‟avancement du projet.

15 Syndicat mixte de gestion du PNRC, 2008, cahier des charges pour l‟élaboration de l‟avant projet de charte agenda du parc naturel régional de Camargue, http://www.parc-camargue.fr, consulté le 29/03/2012.

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2.3 Proposer un cadre méthodologique

Afin de prendre en compte à la fois les besoins, les contraintes et les attentes du territoire, la proposition méthodologique retenue présentait une grille d‟expertise en trois grands volets : un volet « évaluatif » dressant le bilan des actions menées, un volet « rétrospectif » visant à analyser l‟évolution du territoire durant les dix dernières années, et un volet

« prospectif » prenant appui sur des scenarii plausibles dans le but de dégager les lignes directrices qui guideraient la rédaction de la nouvelle charte.

Parmi les attendus de cette mission, le cabinet d‟étude mandaté devait notamment proposer « un dispositif de participation des acteurs et habitants du territoire et élaborer des scénarios prospectifs devant permettre d’encadrer les décisions politiques, et de dégager des lignes de forces pour le nouveau projet. Cette démarche prospective sous forme de scénarios devait être mise en débat auprès des groupes de travail de la charte, afin de construire une vision partagée des futurs possibles à l’horizon 2020 de la Camargue16 ».

La mise en œuvre de cette phase prospective représentait pour le comité de pilotage un des points forts de la démarche engagée : il s‟agissait en effet de proposer une approche nouvelle et innovante de co-production du projet de territoire. La prise de risque était importante, notamment dans le cadre d‟une procédure de révision de PNR où les diagnostics présentés dans les chartes de pays, projets d‟agglomérations, voire les Agendas 21 se limitent souvent à un « état des lieux préconisant », sorte de diagnostic stratégique sans réelle mise en perspective historique ni interrogations sur les évolutions possibles17.

Le premier effort du groupe d‟experts mobilisés pour ce travail fut de préciser la portée et l‟ambition de l‟exercice de prospective au regard des attendus formulés par le comité de pilotage du projet. Il s‟agissait d‟emblée de poser clairement les bases de la démarche en prenant appui sur des éléments théoriques et expérimentaux divers, notamment les travaux de Gaston Berger et Michel Godet mais aussi les retours d‟expériences des ateliers de prospective organisés par le Pôle Prospective Languedoc Roussillon18.

Pour l‟exercice de révision, la prospective fut définie avant tout comme un « outil de réflexion (basé sur des faits, mais aussi des tendances possibles) fortement dépendante du degré d’implication des acteurs locaux19 ». Sa finalité n‟étant pas de prédire l‟avenir mais de d‟aider à le construire. Ce faisant, elle constituait un moyen de s‟y préparer (les réflexions déjà menées localement sont associées à ce travail dans le but de définir la stratégie d‟action future du PNRC). On peut reconnaître ici la volonté des acteurs de se doter d‟une méthodologie de recherche-action territoriale, c‟est à dire d‟opérer suivant une démarche qui invite les forces vives d‟un territoire à réfléchir ensemble sur le devenir du territoire dans le souci de dégager les leviers qui permettront par la suite d‟agir ensemble.

2.4 Faire appel à l’imaginaire pour bousculer les représentations

À partir de cette définition de la démarche, quels pouvaient être les grands enjeux pour la prospective du PNRC ? Deux prévalurent : d‟une part construire (ou aider à construire) une

16 Ibid.

17 Alors que la totalité des régions françaises ont réalisé un ou plusieurs exercices de prospective au cours de ces dernières années, les projets de territoires faisant état d‟une démarche de ce type sont encore rares (Cf. La lettre du développement local, N°52, janvier/février 2008).

18 Villepontoux, S., 2007, « une démarche de prospective régionale », in Villepontoux S. et Fabre S, Futurs possibles et impacts sur les territoires, Cahiers du pôle Prospective Languedoc-Roussillon, PUCA, n°1, p. 17-28

19 EDATER, Note méthodologique pour la préparation de l‟avant projet de charte du PNRC, juin 2008

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représentation partagée du futur et, d‟autre part, tenter de peser sur lui. Il ne s‟agit donc pas uniquement de s‟imaginer la Camargue de demain, mais également d‟envisager des propositions pour l‟action collective. Ce travail de réflexion avait donc comme ambition d‟offrir à tous les partenaires associés, l‟occasion de définir et de s‟accorder ensemble sur les grandes lignes directrices qui guideraient ensuite la rédaction du nouveau projet de charte. Mais pour structurer les débats et les discussions, un guide d‟analyse était nécessaire. Celui-ci a été proposé sous forme d‟une série de questions simples faisant appel à l‟imagination et permettant de guider la réflexion des participants dans le sens du travail de prospective : - Que peut-il advenir de la Camargue ? Quels futurs possibles ? Que pouvons-nous faire pour appréhender et agir sur d’éventuelles contraintes ou opportunités ? Qu’allons-nous faire compte tenu du champ des possibles ? Et comment le faire ?

Cet effort d‟imagination et de projection exploratoire s‟est déroulé en trois temps. Un premier temps de réflexion spécifique qui a réuni un groupe d‟experts dont le travail consista à identifier et extraire les grands facteurs influents du fonctionnement territorial. Parmi ceux-là, le climat, ses aléas et ses évolutions possibles (travaux du GIEC20, crues du Rhône, évolution des températures, montée du niveau de la mer,…), le système économique et ses dépendances à l‟égard de la demande locale et internationale (la concurrence économique notamment concernant les productions agricoles, prix du riz,…), et enfin les populations et les modes de vie afin de prendre en compte les spécificités d‟un « habiter Camarguais » (héritages, pratiques socio-culturelles, mais aussi systèmes d‟élevage, évolutions de l‟emploi local,…). A partir de ces premiers éléments d‟interprétation, il s‟est alors agi d‟élaborer des scenarii possibles en s‟appuyant sur les résultats de l‟analyse-diagnostic et sur les éléments du bilan-évaluation.

L‟idée directrice consista à faire évoluer les facteurs-clés préalablement identifiés dans deux ou trois directions (stabilité, progression, régression) pour imaginer les avenirs possibles et leurs conséquences supposées.

Vint enfin le troisième temps du travail au cours duquel les scenarii furent présentés et mis en débat lors d‟un séminaire réunissant les cinq groupes de travail thématiques associés à la démarche. L‟objectif de cette dernière phase visait à malmener les représentations structurantes du territoire en mettant les participants en face de conjectures extrêmes mais néanmoins possibles. L‟analyse des réactions et des propositions devait alors permettre de préciser les champs d‟intervention prioritaires afin d‟infléchir les tendances d‟évolution non-souhaitées et de mieux se préparer à la probabilité de certains évènements. Au bout du compte, il s‟agissait de faire émerger les pistes de réflexion capables de constituer un socle solide pour la construction d‟une vision partagée du futur de la Camargue.

2.5 Cinq scenarii pour le futur de la Camargue

Nous présentons ici, sans les commenter, les résultats du travail de construction des scénarii d‟évolution pour le futur du PNRC. Parmi les « visions du territoire » camarguais construites à partir d‟hypothèses d‟évolution considérées comme plausibles, cinq seulement furent retenues et débattues21. Elaborés sous forme de modèles graphiques dynamiques sur fond de carte du territoire, chaque scénario représente une sorte de fiction possible du futur la Camargue à l‟horizon 2020. Ni tendanciels, ni souhaitables, les modèles proposés sont des exagérations qui poussent au maximum l‟un ou l‟autre des curseurs d‟évolution des grands

20 Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat

21 Scénario1 : « Intensification de l‟activité touristique de loisir et de la pression urbaine », Scénario 2 : « Un territoire de transit », Scénario 3 : « L‟augmentation des pressions agricoles », Scénario 4 : « Un territoire d‟éco- production industrialisée », Scénario 5 : « Un espace qui retourne à la nature ».

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champs d‟inquiétude retenus comme des facteurs de rupture possible (la pression urbaine, la question agricole, les changements climatiques,…). Le parti pris délibéré de l‟équipe de pilotage consista à imaginer les conséquences d‟une emprise sur-déterminée de l‟un ou l‟autre des facteurs identifiés afin de présenter une perspective d‟évolution « critique » sans retour en arrière possible.

Cette posture prospective n‟est pas neutre. Il s‟agit de frapper les esprits et de susciter des réactions vives et des prises de position affirmées. Ainsi se traduit l‟intention des responsables de créer un effet de choc dans le but de bousculer les représentations jugées trop

« stabilisées », pour réussir à remettre en question les positionnements partisans et obliger les acteurs à prendre conscience d‟enjeux plus globaux dont la maîtrise leur échappe. C‟est cette prise de conscience qui est attendue par les porteurs du projet de territoire du PNRC parce que seule capable à leurs yeux d‟inverser le processus auto-centré et d‟engager le territoire dans une gestion durable et contractuelle. C‟est sur la construction de cette capacité de discernement que semble se jouer l‟avenir du territoire.

Pour chacun de ces scenarii sont systématiquement rappelées les tendances lourdes (ou hypothèses d‟évolution retenues), les facteurs d‟accentuation locale (ou « effets de contexte »), les conséquences probables pour le territoire, ainsi que les conséquences supposées pour les principaux acteurs impliqués dans sa gestion, sa pratique et/ou son exploitation. Pour chaque scénario, un titre volontairement « choc » et sans concession a été choisi afin de frapper l‟esprit du lecteur et d‟orienter la réflexion autour des enjeux d‟une perspective d‟évolution spécifique (pression urbaine, territoire de transit, pressions agricoles, retour à la nature,…). Un scénario pourra cependant être considéré comme quelque peu atypique dans cet ensemble, il s‟agit du scénario 4 qui, contrairement aux autres, propose une perspective moins dramatique mais plus en phase avec une possible « reconversion performative » du territoire, en phase avec les enjeux du développement durable.

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3. Premiers éléments d’évaluationde la démarche de prospective

Alors que la charte du PNRC a été renouvelée pour 10 ans en février 2011, notre curiosité scientifique nous a conduit à chercher à savoir ce qu‟il restait aujourd‟hui de cette démarche de travail originale. Quatre ans après ce travail d‟expertise, l‟appel fait à la prospective a-t-il eu un réel impact sur la manière dont les acteurs du parc pensent aujourd‟hui le devenir de la Camargue ? Qu‟est-ce qui a changé et quelles sont les principales critiques formulées à son égard ? Comment l‟inscription de la prospective dans le suivi du projet est-elle pensée ? Cela pose en filigrane une question de méthode : comment peut-on évaluer le rôle de la prospective, son caractère efficient ? Nous n‟aurons pas la prétention de répondre à cette question mais nous essaierons simplement de fournir quelques éléments de compréhension qui mettent en évidence les errements comme les points forts de la démarche engagée22.

Dans la perspective choisie, évaluer consiste surtout à réinterroger les objectifs : entendons les « ambitions » préalablement exprimées lors du diagnostic et auxquelles la démarche de prospective s‟est proposée d‟apporter des éléments de compréhension. Mais c‟est aussi porter un regard critique sur la démarche elle-même, sur sa mise en oeuvre, ses apports, ses lacunes et sa pertinence en tant que démarche d‟accompagnement du projet dans la poursuite du processus de gestion du territoire du PNRC.

3.1 Sur les objectifs

A la question, « d’après vous tous les objectifs annoncés ont-ils globalement été atteints au cours de ces journées de travail » ? La réponse est plutôt positive mais avec des nuances.

L‟exercice de participation qui visait à faire émerger les représentations d‟une vision projetée de la Camargue révèle surtout les inquiétudes des acteurs. Face à des scenarii d‟évolution volontairement « provocateurs » - bien que plausibles -, la plupart des participants n‟ont pas pu, su (ou voulu) prendre le recul nécessaire pour réagir de manière constructive face aux modèles proposés. Se sont surtout exprimés des positionnements de rejet ou d‟indifférence vis-à- vis des

22 Nous prendrons ici appui sur des éléments d‟observation et d‟analyse, ainsi que quelques entretiens menés auprès d‟acteurs du projet, dont un dialogue approfondi avec un responsable clé de la mise en œuvre de la démarche de révision au sein de l‟observatoire du PNRC (mars 2012). En sa qualité d‟organisme de gestion, la forte implication du Parc le rend attentif à l‟efficience comme à la performativité de la démarche. Bien conscient de la limite de ce travail d‟évaluation, nous ne livrerons ici qu‟une représentation partielle de la réalité.

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perspectives présentées, manifestant principalement « ce qu‟on ne voudrait pas voir arriver » (surpeuplement, périurbanisation résidentielle, dénaturation des paysages,…). Il semble que les acteurs aient eu des difficultés à prendre conscience de la dynamique du territoire. Très peu ont finalement su émettre des souhaits en faveur d‟une Camargue désirée. Seuls quelques anciens, souvent mieux conscients des évolutions et des changements en cours, se sont montrés soucieux d‟affirmer une posture plus conservatrice (ou protectrice) face au devenir de leur espace de vie.

L‟attachement sensible au territoire allant de pair avec la volonté de pérenniser le développement économique et touristique déjà engagé.

Pour les responsables du Parc, si d‟une manière globale, les objectifs énoncés restent toujours d‟actualité, ce constat d‟un positionnement frileux des participants face aux enjeux que soulèvent les évolutions possibles du territoire, a semble-t-il influé sur la rédaction de la nouvelle charte. Il s‟est opéré un redéploiement des priorités de manière à affirmer plus fortement des préoccupations23 d‟ordre environnementales et climatiques comme devant faire l‟objet d‟axes d‟intervention forts (gestion du complexe deltaïque, biodiversité). Suivent immédiatement après les impératifs de solidarité territoriale, de cohésion sociale et d‟ouverture (notamment aux coopérations méditerranéennes). Au-delà de la stratégie, ce qui peut apparaître comme un « repli environnemental » donne en fait la mesure de la difficulté pédagogique qu‟il y a à opérer la symbiose opérationnelle - et communicante - entre les moyens et la fin.

Quoiqu‟il en soit, au regard de ces ambitions, la réflexion prospective a donné à voir la prégnance de certains choix au regard des exigences du développement durable du territoire du parc. C‟est du moins ce qui semble transparaître dans la recherche d‟une meilleure adéquation entre les orientations des activités humaines en résonnance avec les grands facteurs de ruptures repérés (changement climatique, biodiversité, pression anthropique). L‟attention se porte notamment sur les perspectives de développement conjointes des activités agri- environnementales et éco-touristiques. On peut supputer ici que l‟exercice de prospective a contribué à la réaffirmation de l‟acuité de la problématique homme/milieu en Camargue.

Comment ménager nature et culture sur un territoire d‟une grande richesse environnementale mais également d‟une grande sensibilité et d‟une grande fragilité ? Comment notamment mieux répartir l‟activité humaine sur le territoire et opérer un repli stratégique vers l‟intérieur des terres ? L‟énoncé de propositions concrètes sur ces enjeux fondamentaux invite à reporter l‟attention sur l‟analyse des éléments de contexte, notamment à partir des données disponibles (RGA, fréquentation touristique,…). L‟existence et l‟accessibilité à des données précises et actualisées sur ces questions constituent d‟emblée un enjeu connexe pour lequel il n‟est pas exclu d‟envisager des modalités de collecte plus participatives associant notamment l‟expertise habitante.

L‟évaluation se poursuit ensuite en questionnant les difficultés qui sont apparues (et/ou les zones d‟incertitude qui demeurent) et les nouveaux problèmes qui ont émergé. A ce niveau, l‟enseignement de la démarche a mis à jour le hiatus entre les grandes ambitions du diagnostic, et l‟adhésion superficielle des participants qui n‟ont pas laissé véritablement émerger les valeurs d‟attachement ni livré leurs aspirations profondes pour ce territoire. Bien qu‟il faille différencier entre les formes d‟intervention, les degrés d‟implication des acteurs (en fonction des catégories d‟appartenance des personnes (association ou collectivité) ou de leur statut professionnel (agriculteur, entrepreneur,…)), il semble finalement que la démarche de prospective n‟ait pas été réellement « comprise », du moins « appropriée » par les participants comme un véritable outil de requalification du territoire. L‟interrogation existe par conséquent de savoir si la démarche de prospective n‟est pas arrivée trop tard, ou du moins qu‟il n‟est pas été suffisamment pris le

23 Cf. brochure de communication publique réalisée par l‟Observatoire du PNRC suite au renouvellement de la charte pour la période 2010 – 2022.

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temps de débattre, d‟échanger, de confronter les avis, les remarques ou les réactions des participants. En cherchant à « faire entrer » le temps du débat dans le déroulé de la procédure administrative de validation, n‟est-on pas in fine passé quelque peu à côté de l‟exercice ? La prospective peut-elle constituer une simple « étape » dans l‟avancement d‟un projet de territoire

? Apparemment, la pédagogie de la démarche semble être le point faible de ce travail.

Intervenue tardivement dans l‟élaboration du projet, la participation n‟en a pas moins joué un rôle révélateur du caractère instable et volatile des positionnements des acteurs face aux desseins possibles du territoire. Pour les responsables du comité de révision, ces manifestations témoignent de la persistance d‟un certain nombre d‟incertitudes mêlées de résistances culturelles, souvent doublées d‟une tendance à évacuer les problèmes par le truchement d‟une posture refuge derrière les espoirs mis dans le progrès technologique. Cette dimension fut notamment mise en évidence lors de la présentation des scenarii tendanciels. Parmi ces projections, deux modèles ont permis de prendre la mesure de la volatilité des représentations et de la persistance d‟un certain nombre d‟incertitudes. Il s‟agit d‟abord du scénario de « retour à la nature », s‟appuyant notamment sur les conclusions des travaux du G.I.E.C. qui pronostiquent la montée des eaux marines et l‟érosion du trait de côte. Cette perspective, bien qu‟énoncée depuis plusieurs années, a été très mal accueillie notamment de la part des acteurs impliqués dans l‟animation et le développement de la façade maritime du PNRC. Certains refusant catégoriquement de reconnaître une telle éventualité. Ce scénario catastrophe ferait-il peur à tel point qu‟il ne puisse pas être considéré comme crédible ? D‟emblée, la plupart des participants ont préféré adopter une posture de rejet en se réfugiant derrière les solutions techniques déjà proposées pour enrayer - ou du moins - freiner ce processus naturel (aménagement de comblements, enrochements, urbanisation sur pilotis,…).

Un autre scénario a également retenu l‟attention. Celui qui, à l‟inverse du précédent, présente l‟évolution possible du territoire comme cédant finalement à la pression des enjeux économiques. Ce modèle propose l‟image d‟une « Camargue routière ou de transit » qui mettrait en balance le caractère fragile et remarquable du territoire au regard des exigences de la société de la mobilité et du transport. Actuellement objet d‟un contournement routier par le nord (Arles, Nîmes), l‟espace camarguais constitue en effet un obstacle physique aux logiques de transit entre les grands espaces économiques du sud-est de l‟Europe. Si ce scénario fait également l‟objet d‟un rejet massif, il entrait en même temps en résonnance avec la volonté de mieux relier le PNRC aux territoires limitrophes (projets d‟un pont sur le Rhône au niveau de Salin de Giraud, projet du contournement d‟Arles). Pourtant, il semble qu‟aujourd‟hui ces projets ne soient plus portés localement. Est-ce le fait d‟avoir entrevu certains revers possibles d‟une ouverture plus large d‟un territoire « de nature » sur un espace régional en proie à des logiques métropolitaines fortement concurrentielles ? Ou bien s‟agit-il d‟une période de latence décidée par les porteurs du projet pour se donner plus de temps et laisser mûrir encore leurs propositions ? Ou bien est-ce là une réalité complètement indépendante des travaux de prospective ? Difficile de répondre de manière tranchée mais les faits sont là.

3.2 Sur la prospective :

Porter un regard réflexif sur la démarche permet de réinterroger l‟apport de la démarche prospective dans ce projet ? A-t-elle répondu aux attentes ? Etait-elle adaptée à la situation ?

Pour les porteurs du projet, le principal apport de la démarche de prospective engagée est d‟avoir permis d‟attirer l‟attention sur l‟importance de la dimension participative dans la construction du devenir d‟un territoire commun. Participer, c‟est mettre en partage par le débat, c‟est faire réagir les acteurs et les mobiliser encore davantage sur le projet. En matière de pilotage, la prospective a ainsi constitué une approche très novatrice. Dépassant les crispations

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par une posture d‟écoute et de dialogue, la prospective participative a confirmé l‟intérêt d‟un accompagnement des propositions et de leur mise en œuvre dans le temps long. Son principal apport est d‟avoir permis de justifier pleinement la phase actuelle d‟évaluation et de suivi des actions en cours.

Construire le présent en interrogeant le futur invite à un repositionnement permanent.

Dans l‟ensemble, les participants l‟ont bien compris. Seuls les élus ont adopté parfois une position plus critique quant aux bienfaits de la démarche, traduisant par là certaines craintes de voir surgir - ou resurgir – des divergences d‟intérêts. Mais cette réaction n‟est pas surprenante. Il n‟est pas rare que les conclusions des travaux d‟évaluation pointent du doigt les errements de la décision politique. Indépendamment des facteurs exogènes (changement climatique, résidentialisation,…), les facteurs de ruptures internes au territoire sont en effet souvent inhérents à des choix politiques (par exemple l‟autorisation accordée de construire en zone inondable qui accroît la pression sur le milieu naturel tout en fragilisant la viabilité durable des constructions).

L‟énoncé d‟une argumentation critique constitue une des attentes fortes du travail d‟évaluation. Dans cet ordre d‟idées, il est logique de s‟interroger ensuite sur les aspects positifs et les aspects négatifs qui ont caractérisé la démarche de prospective ?

La principale réserve formulée insiste sur l‟appréciation de la « valeur temps ». La prospective s‟inscrit dans le temps long, celui de l‟évaluation mais aussi surtout celui de la nécessaire déconstruction/reconstruction des représentations. Les participants ont donc besoin de temps pour assimiler et digérer les informations produites et prendre du recul vis-à-vis des scenarii proposés. A cet effet, il semble que la restitution du travail en atelier se soit faite de manière trop rapide. La synthèse présentée « à chaud » n‟a pas permis de prendre de la hauteur et d‟apporter des éléments avérés pour la rédaction d‟un scénario du « plausible » et du souhaitable. Ce travail aurait sans doute mérité que soit accordé un temps plus important à la maturation des idées et à la portée des remarques qui ont pu être formulées. L‟enjeu de cette nécessaire « distance critique » est de permettre d‟affiner les propositions et les prises de position dans la perspective d‟une restitution plus construite, capable de remettre le projet en perspective à l‟occasion d‟une présentation publique.

L‟autre critique met en avant la qualité du travail d‟expertise réalisé (notamment la construction des scénarios) et la bonne participation aux ateliers. La mise en place de petits groupes de travail mixtes (différents types d‟acteurs) a en effet permis de valoriser l‟échange et l‟écoute entre des composantes très diverses du territoire. Ce réel effort de collaboration a renforcé l‟adhésion au projet.

La question de l‟animation de la démarche prospective continue quant à elle d‟interroger.

Quels doivent être le rôle et la position de l‟animateur ? Doit-il être nécessairement un expert du territoire ou au contraire une personne extérieure aux problématiques locales ? La méthodologie mise en œuvre reposait sur un encadrement de la participation par des experts extérieurs. Mais ces derniers ont eu souvent besoin de prendre appui sur les acteurs déjà impliqués pour « faire entendre » certaines tendances d‟évolution (exemple : l‟érosion du trait de côte). Face à l‟affirmation de ces « blocages », la méthode employée n‟a semble-t-il pas donné pleine satisfaction. A nouveau, la question du temps donné à la démarche semble déterminante. L‟idée d‟utiliser la prospective pour dépasser les résistances suppose assurément que puissent être menés conjointement une analyse de fond sur les positionnements des acteurs impliqués ainsi que sur leur capacité d‟acceptation des facteurs d‟évolution. C‟est ce travail d‟immersion et de rencontres préalables qui permet de distinguer l‟ancrage et la ténacité des résistances culturelles

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au changement et d‟envisager du même coup les modalités d‟accompagnement spécifiques à chaque groupe ou profil d‟acteur.

Ces remarques sont-elles de nature à remettre en cause le caractère « innovant » de la démarche ? Fait-on de la prospective plutôt à des fins « justificatives » ou se donne-t-on réellement par là la capacité d‟envisager l‟évolution future du territoire ?

La question interroge ici sur la légitimité du recours à la prospective. Quelle prospective pour quel projet de territoire ? C‟est là une des attentes légitime du travail d‟évaluation qui doit prolonger toute stratégie d‟action. Dans notre étude de cas, l‟enjeu de la prospective se posait notamment au regard de la volonté affichée de « faire admettre » aux acteurs locaux l‟existence de facteurs de rupture potentiels, capables d‟enrayer les dynamiques d‟évolution du territoire hérité (exemple : la montée des eaux marines). A nouveau il semble que la démarche soit arrivée trop tard dans le déroulement du processus de révision de la charte. Pour les responsables du projet, il aurait été profitable que le travail de réflexion prospective débute dès la phase de diagnostic afin de donner plus de temps au débat et de permettre d‟intégrer, plus en amont, le poids des facteurs de rupture annoncés. Par ailleurs, le processus d‟administration de la révision semble manquer de souplesse et peine à intégrer les changements d‟ordre représentationnels ou posturaux qui peuvent surgir des confrontations entre les résultats d‟expertise et les attentes des acteurs. Cela tient probablement au caractère très normatif de son fonctionnement qui procède par une série d‟étapes appelant à chaque fois un temps de validation. Confrontée à ce protocole, la démarche de prospective participative se pose en contre-pied dans la mesure où, empreinte d‟incertitude à cause de l‟objet même qu‟elle questionne - le futur -, elle se plie difficilement à l‟exercice de confirmation systématique des propositions qu‟elle formule.

Finalement, il est regretté « l‟effet de lissage » opéré par le cadrage administratif qui a conduit à écarter nombre de réflexions et d‟idées que le travail de prospective a permis de faire émerger. Il en résulte le sentiment amer d‟une somme de « déchets de matière grise » qui auraient sans doute mérité un effort de valorisation plus poussé (manque d‟éclairages).

D‟une manière générale, la démarche participative (séminaire et groupes thématiques) a- t-elle permis une plus grande implication (voire adhésion) des acteurs au projet de territoire ?

Il semble que ce soit effectivement là le point fort de ce travail qui, conformément à la volonté et aux attentes préalables, visait à impliquer un plus grand nombre d‟acteurs dans la construction du projet. En témoigne le nombre des participants mobilisés (environ 800 personnes) contre une quinzaine seulement lors de l‟exercice précédent en 1998. Sollicités à des degrés divers et suivant des modalités de concertation différentes (focus group, débats publics, ateliers thématiques, enquête téléphonique,…) les participants ont manifestement fait preuve d‟une assiduité sans faille durant toute la durée du travail. Cela a indéniablement donné un sens concret à la volonté de mieux communiquer sur l‟exercice de la construction de la charte.

Aujourd‟hui, le sentiment domine qu‟une large partie des acteurs du territoire du PNR Camargue est sensibilisée à cette démarche contractuelle et perçoit mieux le rôle et les missions du Parc. Ce travail doit être par la suite consolidé afin de favoriser la participation permanente au projet. La prospective a contribué à cet effort notamment en apportant de la matière à débattre. Le travail sur les scenarii présentés a permis des remises en question et des projections dans le temps qui sont source de changement dans les pratiques et les mentalités mais qu‟il faut continuer d‟encadrer pour faciliter leur accompagnement.

Pour autant, malgré le foisonnement des propositions, beaucoup reste à dire. L‟effet prospective est ici aussi intéressant par son caractère révélateur des frustrations et des non-dits

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