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ÉCHECS DE LA CURE ANALYTIQUE ET RÉSISTANCES À LA GUÉRISON

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Academic year: 2022

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ÉCHECS DE LA CURE ANALYTIQUE ET RÉSISTANCES À LA GUÉRISON

Jean-Michel Porret

Médecine & Hygiène | Psychothérapies

2005/1 - Vol. 25 pages 29 à 37

ISSN 0251-737X

Article disponible en ligne à l'adresse:

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http://www.cairn.info/revue-psychotherapies-2005-1-page-29.htm

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Pour citer cet article :

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Porret Jean-Michel, « Échecs de la cure analytique et résistances à la guérison », Psychothérapies, 2005/1 Vol. 25, p. 29-37. DOI : 10.3917/psys.051.0029

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ÉCHECS DE LA CURE ANALYTIQUE ET RÉSISTANCES À LA GUÉRISON

Jean-Michel PORRET

1

REMARQUES INTRODUCTIVES

En portant un regard très général sur la littérature psychanalytique post-freudienne, on s’aperçoit que celle-ci contient peu de travaux centrés principale- ment sur l’étude des échecs de la cure analytique.

Quand on dirige son intérêt sur ce qui peut causer l’échec d’une cure analytique, on est amené à isoler un certain nombre de résistances à la guérison qui opèrent au sein de cette même cure. Le problème est que le repérage de ces résistances doit éviter de cher- cher à désigner soit le patient, soit l’analyste comme étant l’unique responsable de l’échec de la cure.

Celle-ci est avant tout l’affaire du couple analytique : analysant-analyste. L’un et l’autre sont le plus fré- quemment impliqués ensemble bien qu’à des titres divers dans l’impossibilité de surmonter les obstacles à la guérison ou plutôt à l’amélioration du patient. A la suite d’A. Green, un des rares auteurs francophones à avoir écrit sur la question (cf. le chapitre 5 de son ouvrage Le travail du négatif(1993) et plus particuliè- rement la section B : « Considérations sur les échecs du traitement psychanalytique », pp. 137-144), nous devons reconnaître comme stériles deux attitudes extrêmes que l’analyste peut être tenté d’adopter en ce cas. La première est l’auto-accusation dépressive (« Tout est de ma faute, parce que je suis un analyste incapable ») teintée d’autosadisme et/ou d’autodéva- lorisation narcissique. La deuxième est l’accusation persécutoire ou rabaissante de l’analysant (« C’est un mauvais patient, il ne mérite pas l’analyse », etc.).

Cependant, l’analyste ne saurait pas davantage s’en tirer avec l’idée du partage des responsabilités de l’échec entre lui et le patient ou en invoquant le mal- heureux hasard d’une non-rencontre entre eux, quand la cure s’est poursuivie malgré sa patente inefficacité.

Parmi les résistances à la guérison décrites par Freud, il en est une qui s’avère particulièrement redou- table, la réaction thérapeutique négative. D’elle, il ne sera pas question dans cet article, car elle doit être dis- tinguée des échecs de l’analyse. Elle est au plus un cas très particulier de ces derniers. Freud est très explicite quant à ce qu’il désigne par réaction thérapeutique négative. Une cure qui a bien commencé et qui a déjà apporté au patient un soulagement certain, tourne mal

1 Psychanalyste, membre titulaire du Collège International de Psychanalyse et d’Anthropologie (Paris), privat-docent à la Faculté de biologie et de médecine de Lausanne, médecin- adjoint au Service Universitaire de Psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent à Lausanne.

Résumé

Cet article étudie les formes les plus radicales d’échecs de la cure analytique et les résistances qui y conduisent. Il insiste sur le fait que ces résistances ne sont le plus souvent pas prévisibles avant que la cure soit engagée. Est réaffirmée la nécessité de faire une dis- tinction entre les échecs de la cure et les réactions thérapeutiques négatives, dont les bases ne sont pas abordées ici.

Summary

This paper studies the most extreme forms of miscarriages of the psychoanalytic treatment and the resistances that induce them. The fact that these resistances are most frequently unforeseeable before the beginning of the treatment is emphasized. We reaffirm the necessity to distinguish between these miscarriages of treatment and negative therapeutic reactions the fundamentals of which are not discussed here.

Mots-clés

Echecs de l’analyse – Résistances – Impasses transférentielles et contre-transférentielles – Fixations objectales – Fixations narcissiques.

Key-words

Miscarriage of psychoanalysis – Resistance – Stalemate in trans- ference and in countertransference – Object fixation – Narcissistic fixation.

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à partir de ce moment-là. Le patient ne tolère pas cette amélioration et encore moins qu’elle soit reconnue, validée, confirmée par l’analyste. Il remet alors en vigueur ses symptômes ou son malaise et s’accroche à la plainte de leur persistance. Une telle description est immédiatement accessible à l’expérience clinique.

Plus profondément et plus obscurément, la réaction thérapeutique négative pose le problème de sa rela- tion avec divers types de masochisme et avec les pul- sions de destruction. Nous n’en dirons pas davantage.

L’échec de la cure analytique ne comporte pas un tel revirement de situation. Il renvoie au constat que la cure, parfois ardemment demandée par le patient et en tout cas décidée par les deux partenaires, a des dif- ficultés à s’engager, à évoluer, à progresser, qu’elle échoue à produire la moindre transformation des modalités pathologiques du fonctionnement psychique de l’analysant dans une direction favorable, voire qu’elle aggrave plutôt l’état psychique du patient à plus ou moins long terme. On voit qu’il existe deux grands types d’échec de la cure, l’un par absence de transfor- mation, l’autre par modification aggravante, le second étant peut-être plus rare que le premier. Les exemples d’échec de la cure ne manquent pas sous la plume de Freud. On mentionnera la cure de Dora et celle de l’Homme aux loups.

Il faut préciser, pour éviter tout malentendu, que mon propos ne concerne pas les contre-indications au traitement psychanalytique. Il se situe au-delà. Il vise les échecs de la cure qui obligent à relativiser après coup la valeur et l’efficacité des indications à la cure analytique, sans la prétention de rendre caduques ces dernières. Il cherche à insister sur l’apparition, au cours de la cure, de facteurs qui sont imprévisibles avant l’instauration de celle-ci et qui font obstacle à son bon déroulement.

Je conserverai l’expression « résistance à la guéri- son » parce que c’est celle que Freud a utilisée et mal- gré l’inconvénient que représente indéniablement le terme de guérison sur plusieurs plans. J’emploierai sans leur accorder de distinction significative les deux expressions de « résistance à la guérison » et de « résis- tance à l’amélioration ». Il y a à cela trois raisons prin- cipales que je me contenterai seulement d’esquisser.

D’abord, le concept de guérison en psychanalyse pose de gros problèmes de définition. Il ne se laisse pas enfermer dans des critères opérationnels, objectifs et objectivables. Inutile de signaler qu’il ne saurait équi-

valoir à la disparition des symptômes, même les plus gênants. Ensuite, guérison et normalité psychique sont deux concepts difficilement cernables qui ne peuvent qu’être référés à un idéal asymptotique d’ordre fiction- nel. Mais surtout, l’une et l’autre cohabitent très mal.

La guérison ne consiste pas forcément à trouver un état de normalité psychique. Et cela, d’autant plus qu’on sait qu’il existe une normalité psychique patholo- gique. Enfin, certaines formes de guérison peuvent être elles-mêmes des résistances à la guérison ou à l’amélioration significative et véritable du fonctionne- ment psychique. Il n’est que de citer la guérison par le transfert. En outre, l’expression « résistance au change- ment » me paraît être la source de la plus grande confusion, puisque le changement peut intervenir aussi bien dans le sens de l’amélioration que dans celui de l’aggravation.

GÉNÉRALITÉS SUR LES ÉCHECS DE LA CURE ANALYTIQUE

Il n’est pas aisé de regrouper en des unités cohé- rentes les différentes sortes de résistances directement en cause dans l’échec potentiel ou avéré de la cure. A des fins uniquement didactiques, nous les diviserons en trois grands groupes : les résistances en rapport avec le dispositif analytique, les résistances liées à la question du transfert et les résistances à rattacher à des modalités particulières du fonctionnement psychique.

Nous passerons rapidement sur le groupe des résis- tances qui concernent le dispositif analytique en rai- son de leur caractère évident, au moins en apparence.

Il faut indiquer en premier lieu l’arrêt prématuré de la cure, quelle qu’ait été la durée de celle-ci jusque-là.

Cette résistance est mise en œuvre par l’analysant, mais aussi par l’analyste, quand elle n’est pas la résul- tat d’un commun accord entre eux. Deuxièmement, entre en ligne de compte la fréquentation irrégulière des séances. Là encore l’analysant et l’analyste peu- vent en être la cause. Les psychanalystes « à temps par- tiel » trouvent toujours dans leurs autres activités, psy- chiatriques notamment, des raisons impératives pour renvoyer ou annuler les séances ou encore pour chan- ger sans cesse les horaires de celles-ci ! Et ils sont plus nombreux qu’on le pense. Troisièmement, il est par- tiellement justifié de faire figurer dans ce groupe le défi du patient face à la supériorité de l’analyste, résis- tance à la guérison citée par Freud à plusieurs reprises.

Psychothérapies, 2005, N° 1 30

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Ce défi constitue une sérieuse menace pour la réussite de la cure. Il tire son origine soit d’une persévérance du narcissisme dans l’érotisme anal, soit d’une reven- dication exacerbée du narcissisme phallique.

Nous accorderons davantage de place aux deux autres groupes de résistances.

LES RÉSISTANCES LIÉES À LA QUESTION DU TRANSFERT

Nous en retiendrons cinq sortes directement res- ponsables d’un échec de la cure.

L’absence de transfert clairement identifiable

Si le transfert est une résistance, son absence n’en est pas moins une. Le problème de l’absence de trans- fert clairement identifiable se pose autant du côté de l’analyste que du côté de l’analysant.

Il est possible que l’analyste ne sache pas repérer le transfert et ses manifestations chez le patient ou qu’il ne veuille rien en savoir. Il peut refuser d’accueillir la déri- vation de certaines motions pulsionnelles du patient ou d’endosser certaines représentations imagoïques proje- tées sur lui par l’analysant. Si c’est constamment le cas, l’échec de la cure pointe à l’horizon.

L’analysant est susceptible d’opposer des résis- tances opiniâtres à l’établissement du transfert. Cela se traduit par le fait que l’analyste n’est jamais impliqué de manière directe ou déguisée dans les productions de l’analysant. Il n’apparaît ni dans les fantasmes, ni dans les rêves, et avec l’enfant ni dans les jeux, ni dans les dessins. Ou bien, s’il apparaît directement, cette figuration est rendue non significative ou déniée dans l’après-coup.

En somme, dans les deux éventualités, la voie qui permet l’analyse de la névrose du transfert ou celle des modalités non névrotiques de transfert est barrée.

L’utilisation du transfert de frayage comme résistance

Comme j’ai déjà abordé ce problème dans mon ouvrage Temps psychiques et transferts(2000), je ne reprendrai pas dans les détails les propositions de Freud qui, dans l’article de 1912 « Sur la dynamique de transfert », autorisent le dégagement du concept de

transfert de frayage. Je me limiterai à avancer qu’il existe dans la pensée de Freud les ingrédients propres à légitimer l’affirmation suivante : dans le cas du transfert névrotique, un transfert de frayage composé de motions tendres, inhibées quant au but, vient ouvrir la voie au transfert de résistance formé de motions pul- sionnelles érotiques refoulées. Le terme « frayage » est à entendre ici dans deux sens que possède le verbe

« frayer » : 1) tracer son chemin par le passage, ouvrir la voie ; 2) fréquenter quelqu’un, entretenir une relation suivie avec lui. Ce transfert de frayage doit être consi- déré comme la condition de possibilité, nécessaire, mais non point suffisante, pour qu’un transfert érotique de résistance puisse se déployer. Il en va là de la qualité du transfert : un processus transférentiel n’est en mesure de se développer que si s’installe un transfert de frayage, espèce de doublure ou de toile de fond rela- tionnelle sur laquelle peut prendre place un transfert névrotique de résistance constitué par toute la panoplie des désirs érotiques infantiles, inconscients et refoulés.

Le transfert de frayage sert à amener la résistance au niveau du transfert érotique. Il est l’opérateur discret apte à transformer la résistance contrele transfert éro- tique en une résistance parle transfert érotique.

Or il arrive que le transfert de frayage soit détourné de son rôle usuel et qu’il n’exerce plus sa fonction de faciliter l’émergence du transfert érotique de résistance.

Il se manifeste alors indépendamment d’une telle émer- gence, n’étant plus la doublure du transfert érotique de résistance. Il s’ensuit que la double signification attri- buée auparavant au terme « frayage » se réduit ici à celle d’entretenir une relation suivie avec quelqu’un.

De facilitant qu’il est habituellement, le transfert de frayage s’est mué en un transfert de résistance.

Cliniquement, cela se traduit par le fait que le patient vient très régulièrement à ses séances, qu’il adopte vis-à-vis de l’analyste une attitude amicale, empreinte de sympathie, sans tendresse excessive. Il témoigne ainsi de son attachement à l’analyse et/ou à l’analyste, mais rien dans son discours, ni éventuelle- ment dans son comportement, ne permet d’entrevoir l’existence d’un transfert de résistance comportant la résurgence d’éléments érotiques infantiles refoulés.

Soit le transfert érotique de résistance n’a jamais lieu, soit il faut attendre longtemps avant qu’il apparaisse par bribes successives entrecoupées d’intervalles sou- vent longs où peu de choses se passent.

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En devenant dans cette situation un transfert de résistance, le transfert de frayage a été suborné et a pris le rôle de résistance par le transfert joué à l’ordinaire par le transfert érotique.

La mise en place d’un transfert de frayage suborné se rencontre surtout chez des sujets qui présentent une organisation narcissique et qui ont une véritable hor- reur des conflits intrapsychiques et interpersonnels.

Pour eux, l’évitement de tout conflit et le maintien d’une situation aconflictuelle sont impératifs, vitaux pour ainsi dire. Le transfert de frayage suborné est une cause particulièrement redoutable d’échec de l’ana- lyse. Et l’analyste ne s’en sortira pas, s’il ne parvient pas à introduire progressivement, à dose homéopa- thique pour qu’elle soit acceptable pour l’analysant, une conflictualisation intrapsychique et interperson- nelle. C’est par le biais de cette dernière que pourront émerger d’autres variétés de transfert narcissique : transfert par agrippement, transfert en miroir, transfert par projection de l’objet narcissique qui à la fois séquestre le moi et est séquestré par lui, etc.

L’amour de transfert inébranlable

On sait que cette situation a été mentionnée par Freud dans « Observations sur l’amour de transfert », article publié en 1915. L’amour de transfert est de qua- lités diverses et se produit à différents degrés. L’inten- sité de sa résistance doit être évaluée selon une grada- tion. Lorsqu’il s’impose sans nuance, massivement, l’amour de transfert est une menace considérable pour l’avenir et la réussite de la cure. A un premier degré, il est très proche de la conviction délirante. Il s’approche encore bien plus du délire passionnel que l’état amou- reux de la vie courante, lequel nous fournit la preuve de l’existence de l’anormalité dans la normalité. En effet, Freud avait vu juste en estimant que l’état amou- reux de la vie courante était le prototype normal des délires passionnels des psychotiques et qu’il contenait déjà quelque chose de ceux-ci. L’amour de transfert pathologique est révélé par le fait que le patient affirme avec certitude que la solution à ses troubles ne se trouve pas dans la cure, mais en dehors de celle-ci, dans le fait de vivre une relation amoureuse avec l’analyste. A un degré supérieur, l’amour de transfert prend une teinte érotomaniaque, il s’accompagne de la conviction inébranlable d’être aimé passionnelle-

ment par l’analyste à l’insu de celui-ci, alors que lui, le patient, le sait. D’ailleurs, cette allégation du patient n’est pas obligatoirement dénuée de tout fondement, car il se peut que l’analyste participe de façon plus ou moins consciente à l’établissement d’une telle situa- tion et qu’il soit en proie à un aveuglement dans son attitude contre-transférentielle.

Remettons en mémoire les trois points sur lesquels Freud insiste à propos de l’amour de transfert et qui assurent à ce dernier une place à part :

a) C’est la situation analytique qui provoque l’amour de transfert.

b) La résistance intensifie encore l’amour de transfert, en exploitant quelque chose qui est créé par la situation analytique, donc sans qu’elle le cause de toute pièce.

c) L’amour de transfert tient peu compte de la réalité et s’avère plus déraisonnable, moins soucieux des conséquences, plus aveugle dans l’appréciation de l’être aimé que ce que nous attendons d’un amour normal, rappelant par ailleurs les phénomènes anormaux.

L’installation persistante d’un transfert négatif

Il est évident qu’un transfert négatif peut se faire jour dans toute cure sur une ou plusieurs périodes. Il est même souhaitable qu’il se manifeste afin de don- ner prise à son analyse et à son interprétation et afin que soit ainsi évitée sa mise en réserve ou son exclu- sion du champ de la cure, ce qui constitue un préju- dice pour l’amélioration de l’état psychique du patient. Indépendamment des variétés de transfert négatif, il arrive que ce dernier s’installe durablement dans la cure et qu’il devienne une résistance insur- montable. Ce qui est ici caractéristique et imprévisible avant le début de la cure est que tous les efforts de l’analyste pour en venir à bout s’avèrent vains. Non seulement l’essai de dégager et d’interpréter les mani- festations du transfert positif qui se tiennent parfois cachées derrière le transfert négatif n’a aucun effet de transformation sur ce dernier. Mais aussi et souvent, l’interprétation du transfert négatif ne fait que l’ali- menter davantage. En quoi consiste exactement ce transfert négatif récalcitrant ? Il englobe une dérivation Psychothérapies, 2005, N° 1 32

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et une expulsion sur l’analyste de pures motions de haine, de motions pulsionnelles sadiques-anales fai- blement érogénéisées ou de motions pulsionnelles de destruction non intriquées. Il est l’écueil auquel on se heurte avec une partie des patients qui présentent des organisations névrotiques ratées ou des organisations- limites. Ces sujets ont subi dans leur enfance de graves atteintes narcissiques de la part des objets parentaux.

Leur narcissisme violemment malmené laisse persister des plaies béantes, non cicatrisables, excluant toute possibilité de restauration ou de compensations nar- cissiques significatives. Dans la cure, ils ne cessent d’accuser l’analyste de les rejeter, d’être malveillant à leur égard, de leur infliger des frustrations pour son bon plaisir, d’être totalement insensible à leur souf- france. Ils cherchent visiblement à rendre l’analyste coupable, ils lui reprochent de ne pas leur dispenser le traitement adéquat qui viendrait apaiser leur souf- france, de les laisser sombrer dans celle-ci, en fin de compte de ne pas être différent des autres objets aux- quels ils se sont heurtés au cours de leur vie et qui n’ont fait que provoquer ou aggraver leurs blessures narcissiques. Réussir à sortir au moins temporairement de cette situation de transfert négatif est l’un des enjeux majeurs de la cure des patients dont la problé- matique correspond à celle des organisations-limites.

Cela nécessite un gros travail psychique du côté de l’analyste, lequel est en proie aux réactions contre- transférentielles bien connues : le découragement, la dérobade, jusqu’au pire : le rejet du patient considéré comme étant inanalysable. Car, quelque part, le patient n’attend que ce rejet, il présume qu’une fois de plus lui sera confirmée son expérience antérieure.

Depuis Winnicott, on sait que l’analyste se donne le plus de chance d’ébranler ce transfert négatif en tenant le coup dans la durée, tout le temps qu’il faudra et sans exercer de représailles, devant les attaques et les accu- sations de l’analysant. Le fait de faire front et de survivre aux attaques destructrices que le patient entreprend contre l’analyste est le complément indis- pensable à l’effritement du transfert négatif auquel l’interprétation seule ne saurait parvenir. Mais, pour l’analyste, déjouer la conséquence principale de ces attaques, c’est-à-dire que le patient finisse par rompre le lien avec lui, n’est pas toujours possible, et d’autant moins lorsque s’ajoute une autre résistance dont nous nous occuperons plus loin, l’omnipotence dans l’auto- destruction.

La guérison par le transfert

Elle a été repérée par Freud au moins dès 1906 où il la mentionne dans sa lettre du 6 décembre à Jung. Elle a été un des points de désaccord avec ce dernier. Freud en reparlera encore dans ses écrits sur la technique psy- chanalytique, surtout dans « Les voies de la thérapie psychanalytique » (1919). Cette résistance s’observe dans certaines formes d’hystérie où la guérison par le transfert est en fait un mode de résistance à la guérison.

Il s’agit d’une fuite dans une guérison prématurée.

L’analysant utilise sa capacité de déplacer sa libido en retirant à ses symptômes leur rôle de satisfaction substi- tutive pour reporter celle-ci dans la cure et plus parti- culièrement pour l’attacher à la relation de transfert.

Les symptômes gênants disparaissent rapidement au profit d’un investissement transférentiel de résistance qui devient la source d’une satisfaction substitutive, mais qui échappe à une véritable analyse, à celle des déterminants infantiles qui se trouvent à la base de ce transfert. Même si l’analyste ne se laisse pas leurrer par cette amélioration factice, il peut se heurter à l’impossi- bilité de convaincre ces patients que les modifications de leur état psychique sont superficielles et que le risque de rechute pointe à l’horizon. En outre, l’ana- lyste est souvent pris de court, car l’analysant ne tarde pas à transférer le transfert sur une personne extérieure à la cure, n’attendant plus que de cette nouvelle rela- tion amoureuse l’achèvement de sa guérison.

LES RÉSISTANCES LIÉES À DES MODALITÉS INTRAPSYCHIQUES SINGULIÈRES

Quatre types de résistances concourent à l’échec de la cure.

La ténacité des fixations libidinales objectales

C’est l’une des résistances qui poussent à relativiser la valeur des indications à la cure analytique, car sa présence n’est le plus fréquemment pas détectable avant l’engagement de cette même cure.

Les fixations libidinales objectales, qu’elles soient prégénitales ou œdipiennes, peuvent s’avérer d’une redoutable solidité. Il faut se rendre à l’évidence, et

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c’est un paradoxe, que si les névroses représentent l’indication par excellence à la cure psychanalytique, certaines d’entre elles sont difficiles à analyser et à améliorer en raison du facteur économique susmen- tionné. Elles sont plus difficiles à améliorer que cer- taines organisations-limites qui ne rentrent pas en principe dans les indications classiques à la psychana- lyse, quand elles ne sont pas considérées par un bon nombre d’analystes comme de foncières contre-indica- tions. Le paradoxe est donc que ce qui se situe aux limites de l’analysable se révèle être parfois plus ana- lysable que ce qui est tenu pour être au centre de l’analysabilité.

Les fixations libidinales objectalo-érotiques opé- rant dans les névroses authentiques peuvent se révéler indéracinables et leur force peut être telle que le contrepoids qu’offre la cure avec l’analyse du transfert et des résistances est en fin de compte insuffisant pour provoquer des transformations intrapsychiques pro- fondes. Le résultat se solde alors par un échec patent de l’analyse.

Il est important d’insister sur ce point : ce n’est pas tellement la prédominance des fixations prégénitales sur les fixations génitales œdipiennes qui est l’indica- teur de la gravité de la névrose, mais plutôt le facteur économique qui réside dans la vigueur de la force œuvrant à la base de la fixation.

L’opiniâtreté des fixations narcissiques

Ce qu’on appelle fixation narcissique renvoie actuellement à diverses problématiques. Là aussi la force joue un rôle décisif.

Il en allait autrement du temps de Freud, qui avait tendance à tout rassembler sous un seul type de résis- tance qu’il considérait comme assez radical : l’inac- cessibilité narcissique (die narzisstische Unzugänglich- keit). Selon lui, celle-ci siégeait au cœur des névroses narcissiques (dont la mélancolie était le prototype) et des psychoses. Elle était responsable du fait que ces affections constituaient des contre-indications majeures au traitement psychanalytique, puisqu’elle érigeait un obstacle insurmontable à l’établissement d’un trans- fert (objectal), ressort essentiel de la cure. On rejoint ici le point précédent qui traitait de l’absence de trans- fert clairement identifiable. Notons en passant qu’il est surprenant que Freud ait énoncé en 1923, dans « Le

moi et le ça », que l’inaccessibilité narcissique était un obstacle moins infranchissable que celui de la réac- tion thérapeutique négative. Y avait-il là une sorte de prescience de ce dont on s’est aperçu par la suite, à savoir que certains aspects du narcissisme étaient transférables et qu’il existait des transferts narcissiques analysables ?

A l’heure actuelle, les fixations narcissiques, qui ren- dent certains sujets très peu accessibles à l’influence du psychisme de l’autre sur leur propre organisation psy- chique, paraissent relever de trois catégories différentes.

La première catégorie se rapporte à ce que Freud a nommé « narcissisme absolu » ou « narcissisme illi- mité », moyennant une réinterprétation partielle de ces concepts. Il s’agit d’une fixation au narcissisme pri- maire érotique infantile. Cette fixation précoce se pro- duit avec le concours de l’objet maternel primaire et se traduit par la domination de l’autosuffisance du moi. Toutefois, si le moi se suffit à lui-même, il ne va pas jusqu’à nier ou négliger l’existence des objets externes, mais ceux-ci n’acquièrent pas pour lui une importance significative, relative notamment aux par- ticularités psychiques individuelles qu’ils possèdent.

Le moi habité par un narcissisme érotique absolu n’a pas besoin des autres, ou plus exactement il n’en a besoin que dans la mesure où ceux-ci servent ses propres besoins. Ce qui est surinvesti significativement par le moi se réduit à l’amour de soi. Cette position ne doit pas être confondue avec un repli narcissique, car ces sujets ont souvent une vie sociale très développée.

Ils font fonctionner habilement et sans scrupule leur réseau social dans le sens où ils savent mieux que qui- conque utiliser les autres et en tirer profit pour obtenir des satisfactions narcissiques. La moindre reconnais- sance à l’égard d’autrui n’existe pas chez ces sujets, car ils finissent toujours par s’attribuer les mérites issus de la contribution des autres ou par minimiser, par dénier la valeur de l’apport de ces derniers. De toute façon, c’est le triomphe de l’autosuffisance. Il est évi- dent que la radicalité d’une telle position est impropre à l’installation du transfert et débouche inéluctable- ment sur une résistance inamovible au traitement psychanalytique. Au mieux ces sujets attendent-ils de celui-ci un effet magique rapide ou une recette magique que l’analyste leur transmettrait confidentiel- lement et qui leur permettrait de parfaire encore leur autosuffisance ou d’assurer définitivement la péren- nité de celle-ci.

Psychothérapies, 2005, N° 1 34

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La deuxième catégorie de fixation narcissique se réfère au narcissisme primaire mortifère, autodestruc- teur. Là intervient majoritairement la défaillance de l’objet primaire, puis celle de l’ensemble des objets parentaux. Plus que haineux ou malveillants, les objets parentaux ont été insuffisants, indifférents, reclus dans une sphère inaccessible à l’enfant. Ont fait défaut leur aide pour favoriser l’intrication pulsion- nelle du côté de l’enfant et leur soutien dans l’amour que celui-ci se voue à lui-même. Par là était tracée la voie conduisant à l’établissement durable du narcis- sisme primaire autodestructeur. L’enfant a perçu l’insuf- fisance des objets parentaux comme une autosuffi- sance relevant de leur omnipotence. Il n’en a été que confirmé et confiné dans son impuissance radicale à provoquer chez eux n’importe quelle réaction aussi bien sur le plan psychique que dans le domaine de l’acte moteur. Même la déflexion sur eux de la des- tructivité interne n’aurait pu les atteindre. Dès lors, l’enfant n’a pas eu d’autre ressource que celle de s’en- fermer symétriquement dans une autosuffisance néga- trice de toute influence possible des objets externes sur lui-même. La claustration dans le narcissisme mortifère est le moyen le plus sûr d’y accéder, puisque l’omnipotence dans l’autodestruction procure de manière assurée l’autosuffisance recherchée. Non seulement l’autodestruction la plus consciemment préparée, mais aussi celle qui est le plus aveugle à l’individu, s’accompagnent d’une jouissance narcis- sique certes frelatée, quoique extraordinairement éle- vée, et qui est liée à l’accomplissement des souhaits de toute-puissance. L’enfermement dans le narcissisme autodestructeur octroie la certitude de pouvoir réduire à néant toutes les tentatives de l’analyste pour modifier la situation. Il fournit à l’analysant une position de totale impénétrabilité vis-à-vis des influences exercées par les objets externes. A moins que l’analyste ne verse dans des besoins de réparation qui relèvent d’une omnipotence en miroir et qui ont plutôt pour effet de renforcer la position de l’analysant, il doit se résoudre à regret à jeter l’éponge et dans certains cas à ne pas pouvoir empêcher que le patient se suicide à petit feu ou d’un seul coup.

La troisième catégorie de fixation narcissique est celle qui concerne le narcissisme négatif. Je propose de faire une distinction entre celui-ci et le narcissisme autodestructeur. Avec le narcissisme négatif domine la haine de soi, et non pas les désirs ou comportements

autodestructeurs. La perturbation paraît se situer au niveau du narcissisme anal, au niveau de la phase anale qui, notamment par le biais de l’acquisition de la capacité de maîtrise, joue un rôle déterminant dans la poursuite de la structuration du narcissisme, après la formation du narcissisme primaire érotique. Ouvrons une parenthèse pour signaler que l’analité réussie implique non seulement l’intégration de l’ambivalence objectale, mais encore celle de l’ambivalence narcis- sique qui oppose l’amour et la haine que le moi éprouve à l’égard de lui-même. Alors que l’ambiva- lence objectale est archiconnue, l’ambivalence nar- cissique a, semble-t-il, peu retenu l’attention. On n’en parle pratiquement jamais. Et pourtant, pour ne prendre que cet exemple, l’ambivalence narcissique est aisé- ment repérable à l’adolescence, même chez les ado- lescents indemnes de tout trait psychopathologique avéré. Ceci dit, fermons cette parenthèse pour revenir au raté de l’analité. Celui-ci peut s’exercer à divers degrés et entraîner une difficulté, voire une impossibi- lité d’intégrer l’ambivalence narcissique et d’assurer la prévalence de l’amour de soi sur la haine de soi, autre- ment dit la domination du narcissisme positif. Dans le cas qui nous intéresse, l’échec de l’analité ne contri- bue pas seulement à exacerber et à rendre indépas- sable le conflit d’ambivalence narcissique. Il va jus- qu’à provoquer le basculement de ce conflit en faveur de la haine de soi qui occupe alors une position basale et centrale dans le moi. Pour éviter certaines confu- sions, il est important de préciser que la haine de soi s’écarte ici des deux situations suivantes où elle est aussi concernée. Elle n’est pas une couverture qui sert à dissimuler une forme sélective d’amour de soi, celle qui renvoie au fait que le sujet s’aime lui-même préfé- rentiellement dans la position passive du masochisme érogène qu’il adopte vis-à-vis de l’objet aimé et élu à ce titre pour son aptitude à procurer la souffrance recherchée, celle-ci étant la source d’un plaisir éro- tique. Elle n’est pas non plus le résultat d’une identifi- cation à valeur défensive avec un objet parental haï ; le moi qui ne supporte pas de haïr l’objet finit par s’iden- tifier avec celui-ci, ce qui lui assure une protection défensive contre la haine objectale, mais en l’échan- geant contre une haine narcissique. Les choses se pré- sentent différemment dans cette troisième catégorie de fixation au narcissisme négatif. A la haine de soi se joint le masochisme moral qui, comme Freud l’a bien vu, a relâché ses liens avec Eros, n’est jamais pleinement

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érogène, mais toujours partiellement non intriqué ou désintriqué. Cette coexistence du narcissisme négatif et du masochisme moral offre une résistance redoutable à tout essai pour en venir à bout et on se rapproche de ce qui est en jeu dans l’une des configurations de la réac- tion thérapeutique négative. Se haïr soi-même trouve son écho dans le fait d’être humilié, rabaissé narcissi- quement par tout un chacun, puisque le masochisme moral fait primer la souffrance sur la spécificité de l’objet qui l’inflige. L’humiliation obtenue de la part d’objets désobjectalisés, c’est-à-dire d’objets dont les qualités propres ont perdu toute importance pour le patient, vient cautionner la haine de soi.

La culpabilité narcissique

Elle aurait déjà pu être évoquée au paragraphe pré- cédent puisqu’elle est liée au masochisme moral à la base de la réaction thérapeutique négative. Là, elle gagne à remplacer ce que Freud avait désigné comme besoin inconscient de punition. Mais elle se déploie dans un champ beaucoup plus large. C’est pourquoi il faut lui accorder une place à part.

La culpabilité narcissique opère à l’arrière-plan de plusieurs situations où elle peut représenter une sérieuse menace pour la réussite de la cure, surtout bien entendu si elle n’est pas repérée, analysée et inter- prétée. C’est bien elle qui est à l’œuvre derrière la fon- cière intolérance à la louange et aux compliments, que Freud ne fait que citer au passage en 1923, mais dont il a perçu la présence chez certains patients qui réagis- sent régulièrement aux compliments que leur adresse l’analyste concernant le travail analytique et les pro- grès qu’ils ont accomplis dans la cure par une aggrava- tion de leur état et par une réapparition de leurs symp- tômes. Bien qu’à un moindre degré, c’est encore cette même culpabilité narcissique qui se tient derrière les propos qu’il n’est pas rare d’entendre surtout au début de la cure. L’analysant exprime son malaise à se consa- crer à lui-même et à ce que l’analyste lui consacre beaucoup de temps pour son mieux-être, alors que d’autres personnes en auraient assurément plus besoin que lui. Une telle résistance peut être fugace, mais aussi persistante de façon plus ou moins occulte.

La culpabilité narcissique ne se laisse pas ramener en dernier ressort à ce qu’inculque la morale de la reli- gion chrétienne qui ordonne d’aimer les autres et qui

considère que l’amour de soi est un pêché majeur, sinon mortel, parce qu’il est antagoniste de l’amour pour autrui. Elle doit être rapportée à une dimension singu- lière du surmoi qu’on rencontre chez un bon nombre de sujets qui n’ont subi aucune influence religieuse. Elle est le résultat d’une forte tension conflictuelle entre le moi et le surmoi qui s’acharne à condamner l’amour de soi bien davantage que l’amour pour l’objet œdipien.

On aura compris que nous tenons le maintien de son action occulte pour responsable d’un certain nombre d’échecs de la cure analytique qui ne s’expliquent pas apparemment. Il va de soi que l’analyste ne saurait être exempté de toute complicité dans ce cas.

La transaction narcissique implicite

Le problème ne se situe pas au niveau de la capa- cité de développer un transfert, mais plutôt au niveau du mode de réaction du patient aux interprétations de l’analyste, que celles-ci concernent le transfert ou qu’elles soient extratransférentielles. L’analysant adopte vis-à-vis d’elles une attitude de soumission qui fait penser à ce que Winnicott a décrit comme étant à l’origine de la formation du « faux self » chez le nour- risson lorsque celui-ci se soumet totalement aux désirs de sa mère. En règle générale, il ne corrige ou ne com- plète que rarement les interprétations de l’analyste, mais surtout son acquiescement ne débouche pas sur la libération d’un contenu d’associations d’idées attes- tant que l’interprétation a touché juste et qu’elle a per- mis une levée du refoulement. De quelque façon qu’elle soit formulée, l’interprétation est reçue par le patient comme un constat duquel il n’y a rien à (re-) dire. Il est souvent difficile de savoir si cette soumis- sion est réelle ou si elle est seulement feinte, l’analy- sant se réfugiant alors dans la position du « cause tou- jours ». Dans cette seconde éventualité, la soumission n’est qu’apparente, car elle camoufle en fait son contraire qui est le défi face à la supériorité de l’ana- lyste, autre type de résistance à la guérison dont Freud a parlé. Quoi qu’il en soit, le patient cherche à éviter toute confrontation, tout conflit avec l’analyste. Il suit et paie régulièrement ses séances, ne crée pas de tur- bulences dans la cure, ne recourt pas aux passages à l’acte ni à l’extérieur, ni à l’intérieur des séances. Il ne se plaint plus des symptômes ou des inhibitions pour lesquels il est venu en analyse, ceux-ci ayant disparu.

Psychothérapies, 2005, N° 1 36

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Il apporte encore des rêves de confirmation des inter- prétations et des constructions de l’analyste et parfois des rêves de guérison, les uns et les autres n’étant que des rêves de complaisance et de commodité « boitant à la traîne de l’analyse » (Freud, 1923c).

Avec cet ajustement aconflictuel à l’interprétation, le patient escompte qu’en se montrant conciliant avec l’analyste, il va se concilier celui-ci. L’enjeu semble être de maintenir un équilibre immuable, statique, entre le narcissisme de l’analyste et celui de l’analy- sant. On a affaire à une transaction narcissique impli- cite. En ménageant le narcissisme de l’analyste flatté de tomber toujours juste, de voir ses intuitions sans cesse confirmées, l’analysant attend en retour d’être épargné de tout déséquilibre, de toute atteinte narcissiques.

Le danger est bien entendu que l’analyste soit dupe de cette situation, qu’il souscrive au contrat narcis- sique implicite. Mais même quand l’analyste ne s’en- gage pas dans cette voie, il peut échouer à modifier la situation. La cure s’arrête alors que rien ne s’y est vrai- ment passé, sans avoir produit aucun effet sur les couches profondes de la psyché. Ce type d’échec de la cure se rencontre surtout dans les analyses dites de for- mation conduites avec des sujets qui, dans le fond, n’auraient pas entrepris un tel traitement si celui-ci ne reposait pas sur leur projet de devenir psychanalyste ou sur un objectif de formation prescrit du dehors.

Pour terminer cette exploration, signalons que, si nous avons dû laisser de côté la question des réactions thérapeutiques négatives, il en va de même pour une autre sorte de résistance à la guérison : l’accrochage du patient aux bénéfices procurés par la maladie. Un tel accrochage a été mentionné par Freud dès le début

de son œuvre et son expression sémantique pourrait laisser croire qu’il fait partie des réactions thérapeu- tiques négatives. Mais il n’en est rien.

Bibliographie

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PORRETJ.-M. (2000) : Temps psychiques et transferts. Paris, L’Harmattan.

WINNICOTTD.W. (1971) : Jeu et réalité. Paris, Gallimard, 1975.

Adresse de l’auteur : Dr Jean-Michel Porret Service Universitaire de Psychiatrie de l’Enfant et de l’Adolescent 23A, rue du Bugnon CH-1005 Lausanne E-mail : Jean-Michel. Porret@hospvd.ch

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