Y
ANN
B
UGEAUD
Approximation simultanée par des nombres algébriques
Journal de Théorie des Nombres de Bordeaux, tome 15, n
o3 (2003),
p. 665-672.
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Approximation
simultanée
par
des
nombres
algébriques
par YANN
BUGEAUDRÉSUMÉ. Nous étudions
l’approximation
simultanée de nombrescomplexes
transcendants par des nombresalgébriques
dedegré
borné. Nous montrons que deux nombresqui
ne sont pas simul-tanément bienapprochables
sont tous deux très bienapprochables
par des nombres
algébriques
dedegré
borné.ABSTRACT. We
study
the simultaneousapproximation
ofcom-plex
transcendental numbersby algebraic
numbers of boundeddegree.
We show that two numbers which are notsimultaneously
well
approximable
are both very wellapproximable
by algebraic
numbers of bounded
degree.
1. Introduction
En
1961,
E.Wirsing
[11]
a montré que, pour tout nombrecomplexe
transcendant ~
et tout entier n >1,
il existe une infinité de nombres entiersH tels que
l’équation
le -
H-n~4,
en le nombrealgébrique
a,(1)
possède
une solution dedegré
auplus
égal
à n et de hauteur naïve(i.e.
le maximum des valeurs absolues des coefficients de sonpolynôme
minimal surZ)
bornée par H. Ces dernièresannées,
de nouveaux raffinements etgénéralisations
de(1)
ont faitl’objet
de nombreuxtravaux,
notamment ceuxde Y.
Bugeaud,
G.Diaz,
M.Laurent,
D.Roy,
O. Teulié et M. Waldschmidt[1-3, 5-7].
Nous nous proposons dans cette note d’examiner la version simultanée du
problème
deWirsing,
énoncée de la manière suivante. Peut-on trouverune fonction :
Z~a --~ Z>o
telle que, pour toutcouple
(~1, ~2)
de nombrescomplexes
transcendants et tout entier n >1,
il existe une infinité denombres entiers H tels que le
système
en les nombres
algébriques
ai et a2, Manuscrit reçu le 21 janvier 2002.presque tout
(au
sens de la mesure deLebesgue
surR~)
couple
(~1, ~2 )
denombres
réels,
laréponse
à laquestion
précédente
estoui,
avec la fonction’liE :
(n
+1)/2 -
e, oÙ - est un réel strictementpositif.
Cependant,
un tel résultat n’est pas valable pour toutcouple
(~1,~2),
ainsi que l’ontmontré D.
Roy &
M. Waldschmidt[8]
en construisant descontre-exemples
explicites
(cf.
partie
2).
A la
réflexion,
l’existence de telscontre-exemples
n’estguère
surpre-nante. Eneffet,
on ne connaît apriori
pas la suite des entiers H pourlesquels
l’équation
(1)
possède
une solution : pour presque tout~,
de telsentiers sont
"nombreux",
alors que,lorsque e
est très bienapproché
par des nombresalgébriques
dedegré fixé, l’inégalité
de Liouvillesuggère
que cette suite est lacunaire. Au cours duprésent travail,
nousprécisons
cesconsidérations, plutôt
vagues, et nous étudions leursconséquences
sur leproblème
deWirsing
simultané.Remerciements : L’auteur
exprime
toute sagratitude
à l’arbitre pour salecture très minutieuse.
2. Notations et résultats
Nous utilisons les notations
usuelles,
à savoir que siP(X)
est unpoly-nôme à coefficients entiers s’écrivant
avec ad >
0,
on noteH(P)
sa hauteur naïveet
M(P)
sa mesure de MahlerCes deux mesures vérifient l’encadrement
À
l’instar de M. Laurent & D.Roy
[6],
on noteSi a est un nombre
algébrique
depolynôme
minimalP(X),
la hauteur de a et sa measure de Mahler sont définies par,respectivement,
H(a)
=H(P)
et
M(a)
=M(P).
Enoutre,
on posep(a) = p(P)
et ondésigne
par
deg(a)
ledegré
de a et parh(a) = p,(a)/ deg(a)
sa hauteurlogarithmique.
Définition 1. Soient r~ > 1 un entier
et e
un nombrecomplexe.
On notela borne
supérieure
des nombres réels w* pourlesquels
il existe uneinfinité
de nombresalgébriques
a, dedegré
ma joré
par n,véri fiant
J. F. Koksma
(voir,
parexemple,
l’ouvrage
de T. Schneider[10])
apro-posé
une classification des nombrestranscendants e
suivant laqualité
deleurs
approximations
algébriques,
mesurée à l’aide deswn(~).
Si la suiteest
bornée, alors e
est,
pardéfinition,
un S*-nombre. Dans le cascontraire, e
est un T*-nombre siw§§ (fl)
est fini pour tout entier n >1,
et un U*-nombre sinon. Il est
possible
de raffiner la classification enintro-duisant la notion de
type
d’un S*-nombre.Définition 2. Le
type
d’unS*-nombre e
est laquantité
-si e
est un T*-nombre ou unU*-nombre,
sontype
t(e)
est,
parconvention,
égal
àl’infini.
La définition du
type
d’unS*-nombre e
varie suivant lesauteurs,
il semble toutefoisplus
naturel de considérer la limitesupérieure
et non le supremumde la suite Nous avons choisi la définition ci-dessus car, dans
les
questions
qui
nous intéressentici,
le supremumapparaît
naturellement.Soulignons
que presque tout(au
sens de la mesure deLebesgue)
nombre réel(resp. complexe)
est un S*-nombre detype
1(resp.
detype
1/2).
Enoutre,
le théorème deWirsing
[11]
énoncé au début de la Partie 1 entraîneque le
type
d’un S*-nombre est au moinségal
à1/4.
Notre résultat
principal
relie l’existence de nombreusesapproximations
d’un nombrecomplexe transcendant e
àla
suite Sa démons-trationreprend
des idées de[1].
-Théorème 1.
Soit e
un nombrecomplexe
transcendant. Soit n > 8 unentier. Pour tout réel H
suffisamment grand,
il existe un nombrealgébrique
a, de
degré
auplus égal
à n et de hauteur auplus égale
àH,
vérifiant
, . ,
Il découle immédiatement du Théorème 1 que tout
S*-nombre e
possède
de nombreuses bonnes
approximations
algébriques.
Corollaire 1.
Soit e
un S* -nombre detype
auplus égal
à t. Pour tout entier n > 8 et tout entier Hsuffisamment grand
(en ,
fonction de e
et deLe Corollaire 1
apporte
uneréponse partielle
à notreproblème
d’ap-proximation
simultanée,
comme l’illustre l’énoncésuivant.,
qui
s’en déduitfacilement.
Corollaire 2. Soient
~1
ete2
deux nombrescomplexes
transcendants. Si(au moins)
l’un des deux est unS*-nombre,
il existe une constante> 0
et,
pour tout entier n assezgrand,
uneinfinité
d’entiers Hpour
lesquels
lesystème
a une solution en nombres
algébriques
al et a2 dedegré
aupl2cs égal
à n et de hauteur auplus égale
à H. Toute constanteC(ÇI, Ç2)
inférieure
àinax~i 2{1/(70((~)+1))}
convient,
étant entendu quet(ei)
désigne
letype
deÇi.
Remarque :
Il est intéressant desouligner
que l’ensemble descouples
(Çl, e2)
oùÇl
etÇ2
sont des T*- ou des U*-nombres est de dimension de Hausdorff nulle.Le Corollaire 2 affirme que si deux nombres transcendants ne sont pas
simultanément bien
approchables
par des nombresalgébriques,
alors ils sont tous deux très bienapprochables.
Nousprésentons
ci-dessous une versionplus
précise
de cette assertion.Corollaire 3. Soient
Çl
ete2
deux nombres transcendants. Soient n > 8un entier et 0 T 1 un réel avec nT
n/4.
Ou bien il existe uneinfinité
d’entiers H pour
lesquels
lesystème
a une solution en nombres
algébriques
al et a2 dedegré
n et de hauteurCe corollaire est motivé par le résultat suivant de D.
Roy
& M. Waldsch-midt([8],
Proposition
10.2).
Soit n > 1 un entier. Pour tout entier ~ >1,
posons ai =[(3n) 1/2] .
Alors,
les nombresne
peuvent
pas être simultanément bienapprochés :
pour tout entier H su$îsammentgrand
et toutcouple
(al, a2)
de nombresalgébriques
dedegré
au
plus n
et de hauteur auplus H,
on aCet
exemple
montre que la conclusion du Corollaire 3 estproche
del’optimalité.
Eneffet, d’après
un résultat de R.Güting
[4],
on a =wl (~2)
= n, alors que l’une des alternativesproposées
par le Corollaire 1conduit à la minoration
3n/ 14 -
2,
pour i=1, 2.
Par
ailleurs,
une version affaiblie du Corollaire 1 se déduit du Theorem1.1 de K. I. Tishchenko
[9],
qui
affirme que, si lapremière
alternative n’est pasvérifiée,
alors la seconde est satisfaite par~1
ou~2
(et
non par~1
et~2).
3. Résultats auxiliaires
Lemme 1.
Soit e
un nombrecomplexes.
Pour tout 8 et pourtout réel t > n
suffisamment
grand
enfonction
dee,
il existe unpolynôme
non nulP(X)
appartenant
àZ[X],
irréductible, tel
queDémonstration : Il
s’agit
du Lemme 3 de[1].
IlLemme 2.
Soient e
un nombrecoraplexe,
d un entierpositif
etP(X)
unpolynôme
non nnl àcoefficients
entiers dedegré
auplus
d. On supposeP(X)
sans racinemultiple
et 1.Alors,
si a est une racine deP(X)
située à distance minimale dee,
on a pour tout entier s > 0 lamajoration
Démonstration : Il
s’agit
du Lemme 3 de[3].
ciLemme 3.
Soit e
un nombrecomplexes
transcendants et soit d > 1 unentier. Pour tout - >
0, il
n’existequ’un
nombrefarci
depolynômes
P(X)
algébriques
a dedegré
d vérifianten contradiction avec la définition de
w*
ci4. Démonstrations
Démonstration du Théorème 1 : Soit t > 0 un nombre réel
suffi-samment
grand.
Soit e un réel strictementpositif
choisi tel que + d + 1 + e3n/14
pourchaque
entier dcompris
entre 1 et n et vérifiant + d + 13n/14.
Le Lemme 1permet
d’associer aucouple
(n, t)
unpolynôme
non nulP(X)
irréductible dedegré
d vérifiantOn suppose t suffisamment
grand,
de sorte que,grâce
au Lemme3,
on aitCombinant
(3)
et(4),
onobtient,
d’unepart,
et,
d’autrepart,
En
outre,
le Lemme 2 montre que, pour tout entier s >1,
lepolynôme
P(X)
possède
une racine a vérifiantSi t est suffsamment
grand,
le choix s = 5implique
lamajoration
...
et
donc,
compte-tenu
de(2)
et de(6),
En
outre,
enposant
H =2net,
on déduit de(6)
l’encadrementIl découle des
hypothèses e
1/2
8 que1+e-3n/14
est strictementsi H est assez
grand.
En combinant(7)
et(9),
on obtient lamajoration
annocée dans le
théorème, grâce
à(5)
et au choix de e. 0Démonstration du Corollaire 2 :
Quitte
àpermuter
lesindices,
onpeut supposer que
~1
est un S*-nombre detype
t. Soit n > 8 un entier.Par le théorème de
Wirsing
[11],
il existe une suite strictement croissanted’entiers
positifs
et des nombresalgébriques
de hauteurHk
et de
degré n
tels queLe Corollaire 1 assure
alors,
pour k
assezgrand,
l’existence de nombresalgébriques
de hauteurHk
et de tels queDes
inégalités
(10)
et(11)
découle le corollaire. DDémonstration du Corollaire 3 : Par le théorème de
Wirsing
[11],
il existe une suite strictement croissante d’entierspositifs
et des nombresalgébriques
ak de hauteurHk
et dedegré
n tels que. Si la
première proposition
de l’alternative n’est pasréalisée, alors,
pour toutk assez
grand
et pour tout nombrealgébrique
a de hauteurHk,
on aLe Théorème 1 entraîne alors que
d’où
Pour
conclure,
il suffit d’intervertir les rôles de~1
et dee2.
o.
Bibliographie
[1] Y. BUGEAUD, Approximation par des nombres algébriques. J. Number Theory 84
(2000), 15-33.
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[9] K. I. TISHCHENKO, On simultaneous approximation of two real numbers by roots of the same polynomial. Preprint.
[10] T. SCHNEIDER, Introduction aux nombres transcendants. Gauthier-Villars, Paris, 1959.
[11] E. WIRSING, Approximation mit algebraischen Zahlen beschränkten Grades. J. reine angew. Math. 206 (1961), 67-77.
Yann BUGEAUD Université Louis Pasteur U. F. R. de mathématiques
7, rue René Descartes
67084 Strasbourg, France