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Imaginaire et neurosciences. Histoire des théories et des représentations du cerveau humain et de ses fonctions, de l Antiquité au

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Academic year: 2022

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Les imaginaires du dragon : des mythologies à la botanique

Imaginaire et neurosciences. Histoire des théories et des représentations du cerveau humain et de ses fonctions, de l’Antiquité au

XXI  siècle

Imaginary and Neuroscience. History of Theories and Representations of the Humain Brain and Its Functions, from Antiquity to the 21st Century

Joël Thomas

https://publications-prairial.fr/iris/index.php?id=2128

DOI : 10.35562/iris.2128 Référence électronique

Joël Thomas, « Imaginaire et neurosciences. Histoire des théories et des représentations du cerveau humain et de ses fonctions, de l’Antiquité au

XXI  siècle », IRIS [En ligne], 41 | 2021, mis en ligne le 28 novembre 2021, consulté le 23 décembre 2021. URL : https://publications-prairial.fr/iris/index.php?

id=2128

Droits d'auteur CC BY‑NC 4.0

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humain et de ses fonctions, de l’Antiquité au

XXI  siècle

Imaginary and Neuroscience. History of Theories and Representations of the Humain Brain and Its Functions, from Antiquity to the 21st Century

Joël Thomas

PLAN

L’Antiquité : un mélange d’erreurs d’interprétation et d’intuitions géniales Hippocrate

Platon Galien

Les avancées de la Renaissance : le changement de paradigme Le XVII  siècle et la vision mécaniciste du monde

Descartes

Les avancées du XVIII  siècle Lavater

Les révolutions du Gall XIX  siècle : l’identification des zones fonctionnelles du cerveau

Broca Charcot

Le XX  siècle et les avancées technologiques. Une organisation en réseau : le cerveau comme espace de délibération interne

Golgi, Ramon y Cajal, et la communication neuronale Les neurosciences

Cerveau auto-organisé et cerveau machine Le XXI  siècle : le siècle des sciences cognitives

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TEXTE

«  Aussi une ci vi li sa tion su pé‐

rieure devra- t-elle don ner un cer veau double à l’homme, quelque chose comme deux com par ti ments cé ré braux, l’un  pour être sen sible à la science, l’autre, à  ce  qui n’est pas la science. »

Frie drich NIETZSCHE

(Hu main trop hu main, 1968, p. 176)

Le meilleur hom mage que l’on puisse rendre à Gil bert Du rand est de sou li gner com bien son dis cours scien ti fique reste d’ac tua li té et même com bien il conti nue d’être an ti ci pa teur et for ma teur. Les re cherches en an thro po lo gie convergent pour poin ter ce qu’il avait tou jours mar‐

te lé  : l’ima gi naire est le grand mo teur de la psy ché hu maine. On constate main te nant que la grande ré vo lu tion d’Homo sa piens, c’est non seule ment d’avoir eu la pa role (cela, on l’a dit de puis long temps), mais d’avoir parlé de choses qui n’existent pas. De  grands groupes d’in di vi dus peuvent co opé rer avec suc cès s’ils croient à des mythes com muns. Les ré seaux de co opé ra tion hu maine re posent donc d’abord sur des « ordres ima gi naires », les normes so ciales re posent sur des mythes par ta gés. C’est cette « colle my thique » (Ha ra ri, 2015, p. 51) qui a fait de nous les maîtres du monde, pen dant que les four‐

mis (qui sont pour tant des tra vailleuses) en étaient ré duites à man ger nos restes.

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Cette ré vo lu tion cog ni tive, Gil bert Du rand l’avait déjà dé crite il y a cin quante ans, à un mo ment où l’ima gi naire n’était pas en core d’ac‐

tua li té. Dans cette pers pec tive, j’in sis te rai sur un point. Quand il écrit les Struc tures an thro po lo giques de l’ima gi naire, il prend pour ré fé‐

rence la ré flexo lo gie de l’École russe, qui re pré sen tait les re cherches de pointe de la pé riode en an thro po lo gie, et il dé montre brillam ment que les struc tures de l’ima gi naire sont une forme de mi me sis, de cor ‐

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res pon dance et de re flet de ce sys tème tri par ti dans la psy ché hu‐

maine, la ré flexo lo gie en étant en quelque sorte la part bio lo gique, sur la quelle se tisse l’ima gi naire hu main. Mais on ob jec te ra que les études sur la ré flexo lo gie ont beau coup évo lué de puis et pour raient donc consti tuer un sup port scien ti fique dé sor mais ob so lète, re met‐

tant en ques tion la per ti nence de la théo rie du ran dienne. Mon pro pos sera de mon trer que les neu ros ciences qui, pour notre temps, consti‐

tuent la pointe ul time de la re cherche an thro po lo gique, sont un sup‐

port vé ri fiant plei ne ment les conclu sions de Gil bert Du rand et pre‐

nant en quelque sorte le re lais de la ré flexo lo gie. Pour ce faire, je vous pré sen te rai donc une his toire des re pré sen ta tions de l’ima gi naire du cer veau dans le temps, en sou li gnant la façon dont, à me sure que l’on s’ap proche de notre pé riode mo derne, on voit émer ger une conver‐

gence de dé cou vertes met tant en évi dence un sys tème tri par ti, cor‐

res pon dant aux struc tures du ran diennes.

Pour le mo ment, les mys tères du cer veau sont loin d’être tous élu ci‐

dés, ce qui per met tait au pré sident Ba rack Obama de dire, dans son dis cours d’ou ver ture du pro gramme « Ini tia tive Cer veau », Brain Ini‐

tia tive, en 2013 :

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Nous pou vons iden ti fier des ga laxies à des an nées lu mière […], mais nous n’avons pas en core percé les mys tères des trois livres de ma ‐ tière entre nos deux oreilles […] et le plus puis sant or di na teur au monde n’est pas du tout aussi in tui tif que notre or di na teur de nais ‐ sance. (Aber kane, 2015, p. 14)

Mais, mal gré, et sans doute à cause de ces mys tères, la fas ci na tion de l’hu ma ni té pour le cer veau a tou jours été à la hau teur de la com plexi‐

té de cet or gane. Il est même émou vant de voir com bien les in ter pré‐

ta tions dé pendent de l’état des connais sances de chaque pé riode.

Notre fil rouge va donc suivre cette lente émer gence d’un ima gi naire des re pré sen ta tions du cer veau hu main et de ses fonc tions.

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L’An ti qui té : un mé lange d’er reurs d’in ter pré ta tion et d’in tui tions

gé niales

D’abord, et avant que l’on parle des théo ries sur les fonc tions du cer‐

veau, en core faudrait- il que celui‐ci soit re con nu comme l’agent de l’ac ti vi té cé ré brale, et le lieu de la conscience. C’est loin d’aller de soi : on ne le voit pas, rien n’in dique qu’il est à l’ori gine de notre conscience, et même si on le voyait, il est peu por teur d’ima gi naire : c’est un objet amorphe, im mo bile et gri sâtre, qui peut tout au plus évo quer un cer neau de noix. Cela ex plique sans doute que, pen dant long temps, dans l’An ti qui té gréco- romaine, mais aussi au Moyen- Orient et en Inde, on n’ait pas consi dé ré le cer veau comme le siège de la pen sée et de la conscience.

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Les Égyp tiens, cette grande ci vi li sa tion, ne sem blaient pas par ti cu liè‐

re ment éclai rés sur le rôle du cer veau1. Pour  eux, la conscience et l’in tel li gence hu maine ve naient du cœur, et non du cer veau. C’est pour cela que, comme le sou ligne Hé ro dote, ils font grand cas du cœur lors de la mo mi fi ca tion. Quant au cer veau, ils l’ex tirpent sans mé na ge ments par le nez et ils le jettent, preuve du peu de consi dé ra‐

tion des Égyp tiens pour le cer veau.

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Au VIII  siècle av. J.‐C., Ho mère consi dère tou jours le cœur, et non le cer veau, comme le siège de l’âme hu maine, dé si gnée comme le thu‐

mos, siège de la vo lon té, du désir, et en même temps, centre de contrôle de l’en semble des ac ti vi tés cor po relles. Il faut at tendre le

V   siècle av. J.‐C. pour qu’Anaxa gore fasse du cer veau, pour la pre‐

mière fois, l’or gane de l’es prit. Mais tout ceci reste très vague : il l’ap‐

pelle eg ke pha los, «  ce qui est conte nu dans le crâne  », et semble consi dé rer qu’il ne mé rite pas un nom spé ci fique, d’où pour tant notre en cé phale.

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L’idée d’un cer veau Acro pole, temple et centre du corps, sera lente à faire son che min : Aris tote pen sait en core que c’est le cœur qui est le siège des fonc tions in tel lec tuelles. Quant au cer veau, il en fai sait une sorte de ra dia teur ré gu lant la cha leur du cœur. Il s’ap puyait sur le fait que le cœur est au centre du corps, donc idéa le ment placé, et qu’il est

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chaud, alors que le cer veau est froid, d’où la ca pa ci té de re froi dis se‐

ment du cer veau. C’est même comme cela qu’Aris tote ex pli quait que les hommes aient un plus gros cer veau que les ani maux, par rap port à leur poids cor po rel  : c’est parce que l’homme est le plus chaud des êtres vi vants, et qu’il lui faut donc un gros ra dia teur…

Hip po crate

Pour tant, bien avant Aris tote, l’idée du cer veau or gane et siège de l’es prit fait déjà son che min, et fran chit une étape ca pi tale avec Hip‐

po crate (460-vers 379 av. J.‐C.). On lui doit deux axes forts, qui se ront re pris par Ga lien, et per du re ront jusqu’au XVIII  siècle :

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les nerfs sont des ca naux trans por tant le pneu ma (les «  es prits ani maux  ») de puis le cer veau jusqu’aux membres ;

le cer veau est di vi sé en ven tri cules.

Avec ces avan cées, il faut re con naître à Hip po crate, ce contem po rain de So crate et de Pé ri clès, d’avoir af fran chi la mé de cine de la tu telle sa cer do tale.

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Pla ton

Pla ton, prince des phi lo sophes, re prend ces ac quis, mais dans une pers pec tive phi lo so phique. Il s’in té resse da van tage à la conscience, ou plu tôt à ce qu’il ap pelle l’âme. Pour lui, elle est triple. C’est ce qu’il ex plique dans le Timée (Pla ton, 2018, p. 69 et suiv.), où il dis tingue :

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l’âme ra tion nelle, nous, si tuée dans le cer veau ;

l’âme co lé rique, thu mos, si tuée dans le cœur et dé ter mi nant les sen ti ments (la co lère, la peur, l’or gueil, le cou rage) ;

l’âme concu pis cente, epi thu mia, si tuée dans le foie et l’in tes tin, et siège du désir et de ses per ver sions : la luxure, l’avi di té.

Seule l’âme ra tion nelle, nous, est im mor telle. Les deux autres sont mor telles, et consti tuent une sorte de sup port éner gé tique du nous, de l’es prit im mor tel, sous forme de la psy ché, comme in ter mé diaire entre le germe spi ri tuel in con nais sable et le corps phy sique, soma, la ma chine qui sup porte l’en semble. Pla ton l’ex prime dans une mé ta‐

phore cé lèbre du Phèdre (Pla ton, 2020, p. 246 et suiv.), celle du char, lui aussi consti tué de trois élé ments : le co cher (l’es prit), les che vaux

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(la psy ché, l’éner gie) et le char (le sup port ma té riel), les trois étant liés et in dis pen sables au bon fonc tion ne ment de l’en semble. On voit aussi l’in té rêt de cette pré sen ta tion : elle fait du corps un sup port de l’âme, mais dis tingue le psy chique (les pas sions) du so ma tique (les ins tincts).

En même temps, en liant les trois prin cipes et en si tuant le psy chique comme une sorte d’in ter face entre le soma, « le corps », et le nous,

«  l’es prit im mor tel  », elle pose le prin cipe d’une al chi mie spi ri tuelle entre l’es prit et le corps, qui s’ac com plissent l’un par l’autre ; enfin, on peut même dire qu’elle an ti cipe sur l’im por tance du psycho- somatique en mé de cine2.

Ga lien

Au II  siècle av. J.‐C., Ga lien re prend l’es sen tiel des théo ries d’Hip po‐

crate : il donne une forme dé fi ni tive à la théo rie hu mo rale, qui do mi‐

ne ra la mé de cine oc ci den tale pen dant près de mille cinq cents ans3. Ga lien, s’ins pi rant éga le ment de Pla ton, dé crit trois prin cipes :

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l’es prit ani mal (dont l’éty mo lo gie est anima, « l’âme », et n’a rien à voir avec l’ani mal), lié au cer veau et res pon sable de l’in tel li gence ;

l’es prit vital, lié au cœur (éty mo lo gie : vita), res pon sable, par exemple, de la res pi ra tion (selon lui) ;

l’es prit na tu rel, lié au foie (éty mo lo gie  : na tu ra), res pon sable, par exemple, des fonc tions neuro- végétatives, comme la di ges tion.

Mais pour lui, ces centres ne sont plus au to nomes, ils sont re liés par des pneu ma ta, des «  souffles psy chiques  », sto ckés dans les ven tri‐

cules du cer veau, et ca pables, pour com man der les muscles, de cir cu‐

ler dans le canal des nerfs, qui sont vus comme des sortes de tuyaux, de tubes creux ; ou à l’in verse, ces pneu ma ta peuvent trans mettre la trace d’une ex pé rience sen so rielle en la fai sant re mon ter, tou jours dans ces tubes, jusqu’au cer veau.

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Les avan cées de la Re nais sance : le chan ge ment de pa ra digme

Il faut at tendre la Re nais sance pour que les choses évo luent et que des in no va tions scien ti fiques ap pa raissent, avec des per son na li tés comme celle de Vé sale ou de Pa ra celse. Déjà au XIII siècle, Fré dé ric II

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avait donné aux mé de cins de la cé lèbre école de Sa lerne l’au to ri sa tion de pra ti quer des dis sec tions. Une col la bo ra tion pré cieuse s’éta blit alors entre les ana to mistes et les ar tistes (Léo nard de Vinci, Man te‐

gna, Hol bein, Mi chel Ange, le Ti tien), qui font de nom breux et utiles cro quis ana to miques de dis sec tions.

Le XVII  siècle et la vi sion mé ca ni ‐ ciste du monde

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Le XVII  siècle est tou jours sous le signe de la sé pa ra tion dua liste entre le corps et l’es prit. La vi sion mé ca ni ciste qui ca rac té rise les théo ries de la pé riode pro meut une image hor lo gère de l’or ga nisme, dont le mo dèle est l’au to mate. Le De Motu Cor dis de Har vey pré sente le cœur comme une pompe, dans un cir cuit fermé, ce qui met à mal la théo rie hu mo rale. Cela  sus ci ta une vive que relle, qui dura cin quante ans, entre les «  cir cu la teurs  » et les «  anti- circulateurs  » conser va teurs.

Ceux‐ci avaient per fi de ment sur nom mé Har vey cir cu la tor, ce qui, bien sûr, fai sait al lu sion à sa théo rie de la cir cu la tion du sang ; mais cir cu la tor si gni fie aussi mal heu reu se ment, en latin, « le char la tan, le joueur de bon ne teau ».

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Des cartes

Des cartes ad met tait la cir cu la tion, mais ré fu tait la sys tole et la dias‐

tole comme gé né ra trices du mou ve ment cir cu la toire du sang, qu’il ex pli quait par la cha leur du cœur. On a vu qu’Aris tote se re pré sen tait le cer veau comme un ra dia teur. Des cartes, lui, pen sait que la cir cu la‐

tion san guine fonc tion nait comme le chauf fage cen tral : la mé ta phore chauf fa giste est com plète. Cent ans plus tard, il y avait en core des te‐

nants de la théo rie car té sienne de la cir cu la tion du sang.

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Les théo ries de Des cartes sur le cer veau étaient tout aussi contes‐

tables. Pour lui, dans la tra di tion dua liste, l’es prit est dis tinct du cer‐

veau et du  corps, qui est une ma chine. Les ré flexes (dé fi nis comme des com por te ments au to ma tiques, sans in ter ven tion de l’es prit) ca‐

rac té risent le com por te ment des ani maux, qui sont des brutes ne connais sant qu’un sché ma sti mu lus- réponse. Les actes vo lon taires, ré flé chis, sont le propre de l’homme (« Co gi to, ergo sum », Des cartes, 2009, art. 7). Des cartes en reste donc au prin cipe d’une dua li té entre

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le corps et l’es prit, la sub stance ma té rielle (res  ex ten sa) et l’es prit (res co gi tans). Tou jours est‐il que c’est bien au nom de ce dua lisme que Ma le branche bat tait sa chienne, en af fir mant qu’elle ne sen tait rien. D’abord reçu avec ré ti cence, ce concept mé ca ni ciste s’éten dit à toute la com mu nau té scien ti fique eu ro péenne, jusqu’à ce qu’il com‐

mence à être contes té par la pen sée des Lu mières.

Les avan cées du XVIII e  siècle

Le XVIII  siècle est une pé riode char nière, entre, d’une part, un an cien monde en core at ta ché au dua lisme âme- corps et qui mène dé sor mais des com bats d’arrière- garde et, d’autre part, un monde de ré vo lu tions épis té mo lo giques, so ciales et scien ti fiques, qui tend à poser l’émer‐

gence d’une per sonne in di vi duelle, libre et au to nome comme un prin cipe scien ti fique, éthique et ju ri dique. En  par ti cu lier, La  Met trie (1709‐1751) étend à l’homme le prin cipe de l’animal- machine de Des‐

cartes, mais re jette toute forme de dua lisme, au pro fit d’un mo nisme fondé sur la ma tière. L’es prit est alors un pro duit de l’or ga ni sa tion so‐

phis ti quée de la ma tière dans le cer veau hu main. Selon La  Met trie, que l’on sur nom mait «  Mon sieur Ma chine  », à cause de son livre l’Homme- machine, si les hu mains sont su pé rieurs aux ani maux, c’est uni que ment grâce à leur cer veau mieux dé ve lop pé, et non pas parce qu’ils ont une quel conque âme, ra tion nelle ou non.

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Le XVIII   siècle pose donc sur des bases nou velles les grands dé bats éthiques sur l’inné et l’ac quis, sur l’ori gine de la conscience, sur les sen sa tions, et ap porte des ré ponses étayées scien ti fi que ment. Ces grandes avan cées phi lo so phiques sont ac com pa gnées par des dé cou‐

vertes scien ti fiques sur le sys tème ner veux et sur le cer veau4, qui fondent les bases de la neu ro lo gie mo derne. Pour la pre mière fois, on en vi sage que le sys tème ner veux fonc tionne grâce à l’élec tri ci té. Cer‐

tains mé de cins ro mains, comme Scri bo nius Lar gus, le mé de cin de l’em pe reur Claude, uti li saient déjà les dé charges élec triques de cer‐

tains pois sons, comme les tor pilles, pour soi gner la mi graine ou la goutte. Mais l’in ven tion de la bou teille de Leyde (1745) per met de sto‐

cker et  dé char ger à vo lon té de l’élec tri ci té  : la porte est ou verte à l’élec tro thé ra pie. L’ita lien Gal va ni réus sit à pro duire des contrac tions mus cu laires grâce à l’élec tri ci té (d’où notre terme gal va ni ser), et il for mule l’idée que l’élec tri ci té ani male est sé cré tée par le cer veau et

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cir cule dans des ca naux, à l’in té rieur des muscles. Pour la pre mière fois, on évoque une force na tu relle, vi sible, ma ni pu lable et me su rable (ce qui n’était pas le cas avec la théo rie hu mo rale du pneu ma). Les dé‐

cou vertes de Gal va ni et celles de son com pa triote, Volta, lui aussi sa‐

vant illustre, in ven teur de la pile vol taïque, et épo nyme de nos volts, son naient le glas du pa ra digme des es prits ani maux.

Bien sûr, on ne put em pê cher que des char la tans ex ploi tassent l’as‐

pect un peu ma gique de cette dé cou verte : l’Al le mand Wein hold pré‐

tend avoir fait re vivre un cha ton, après avoir vidé sa boîte crâ nienne, et l’avoir rem plie avec dif fé rents mé taux (sans doute pour en faire une pile).

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Dans un do maine plus noble, l’écri vain Mary Shel ley (1797‐1851) sut avec ta lent faire pas ser cette dé cou verte dans le do maine de l’ima gi‐

naire lit té raire et du fan tas tique, en in ven tant le per son nage de Fran‐

ken stein, une sorte de golem, qui re vi site le mythe de Pro mé thée vo‐

leur de feu, ac tua li sé à la sauce gal va nique.

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La va ter

Jo hann Cas par La va ter (1741‐1801) avait eu une in tui tion in té res sante, avec sa phy siog no mo nie : re pre nant ce qui était une science déjà bien at tes tée dans l’An ti qui té gréco- romaine, il af firme que la boîte crâ‐

nienne est vi si ble ment cal quée sur la masse des sub stances qu’elle ren ferme et que son exa men ré vèle donc des per for mances po ten‐

tielles (la « bosse des maths »), ou in ver se ment des in suf fi sances (un cré tin sera si gna lé par la forme de son crâne). Mal heu reu se ment pour La va ter, c’est faux, et ses col lègues le mon tre ront ra pi de ment  ; ses théo ries n’en ou vrirent pas moins la porte aux théo ries ra cistes que l’on sait, avec, par exemple, Va cher de la Pouge.

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Gall

Franz- Joseph Gall (1758‐1828) re prend les théo ries de La va ter, de façon plus sub tile, mais en core in cer taine. Pour lui, l’ins pec tion et la pal pa tion du crâne équi valent à un exa men du man teau cor ti cal. Pour prou ver ses dires, il fait des dis sec tions pu bliques de cer veaux, tout à fait spec ta cu laires, où il as so cie les ter ri toires cor ti caux à des fonc‐

tions spé cia li sées. Cer taines de ses ob ser va tions sont per ti nentes,

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voire gé niales (il re père la zone du lan gage), d’autres sont fausses ou fan tai sistes (il croit re pé rer les zones de la ruse, de l’or gueil, de la gen tillesse, du sen ti ment re li gieux). Il nomme cette nou velle science la phré no lo gie (du grec phren, « la pen sée »). Mais on dé mon tra vite que le crâne ne porte en au cune façon l’em preinte du man teau cor ti‐

cal et les théo ries de Gall mon trèrent d’elles- mêmes leurs li mites, leurs contra dic tions et donc leur manque de va leur scien ti fique.

À par tir de là s’ins tal la une longue que relle scien ti fique entre uni ta‐

ristes (sou te nant que le cer veau est un tout in dis so ciable, un or gane) et lo ca li sa teurs (sou te nant que le cer veau tra vaille par zones spé cia li‐

sées), avec pas mal de mau vaise foi et de sec ta risme de part et d’autre. Les uni ta ristes, avec à leur tête Flou rens, firent pas ser Gall pour un char la tan (il l’était un peu…) et un col lec tion neur de crânes (ce qui fait tou jours mau vais effet ; mais il en avait be soin dans l’exer‐

cice même de sa re cherche…). Parmi les dé fen seurs de Gall, il y eut beau coup de grands noms de la lit té ra ture  : la phré no lo gie reçut l’appui de Sten dhal (qui avait Gall pour mé de cin), de Bau de laire, de Flau bert, d’Edgar Poe, de George Eliot, de Char lotte Brontë. Mais les dé fen seurs de Gall eux‐mêmes man quèrent sou vent d’ob jec ti vi té : le crâne de Des cartes, par sa forme (un front petit et dé pri mé), cor res‐

pon dait, dans les théo ries phré no lo giques, à celui d’un cré tin. À cette ob jec tion, Spurz heim, col lègue de Gall, ré pon dait : « Des cartes n’était peut‐être pas aussi in tel li gent qu’on le croyait ! »

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Les ré vo lu tions du XIX  siècle : l’iden ti fi ca tion des zones fonc ‐ tion nelles du cer veau

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Toute la science du XIX   siècle est ir ri guée par la pen sée de Charles Dar win (1809‐1882) qui, dans la suite de sa théo rie sur l’évo lu tion des es pèces, éta blit que le cer veau hu main et celui des ani maux dé rivent d’un an cêtre com mun. En  consé quence, cer taines fonc tions cé ré‐

brales se ront com munes aux hu mains et aux ani maux, et d’autres ne le se ront pas. La dif fé rence se fait en fonc tion de la ca pa ci té de chaque es pèce à s’adap ter à son en vi ron ne ment na tu rel.

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Mais la marque du XIX siècle, c’est aussi l’im por tance don née à l’ob‐

ser va tion cli nique. Cette étude pa tho lo gique du cer veau de pa tients ayant subi des lé sions (sur tout du lan gage) vien dra confir mer cer‐

taines des idées de Gall.

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Broca

En 1862, Paul Broca (1824‐1880) est le pre mier à poser le prin cipe de la do mi nante cé ré brale de l’hé mi sphère gauche dans la for mu la tion du lan gage. Il iden ti fie ainsi l’aire de Broca, comme centre mo teur de la pa role, à par tir de l’ob ser va tion d’un pa tient, Mon sieur Le borgne, resté dans l’his toire sous le sur nom de « Tan », car c’était le seul mot qu’il pou vait pro non cer. Broca fait le lien entre cette aphé mie5 et la lé sion cé ré brale qu’on ob ser va sur le lobe fron tal gauche de Tan à son décès. En An gle terre, Jack son ar rive aux mêmes conclu sions et ajoute que la per cep tion spa tiale est gérée, elle, par l’hé mi sphère droit.

Broca pen sait avoir trou vé le centre unique du lan gage mais, dix ans plus tard, le neu ro logue al le mand Carl Wer nicke (http://fr.wikipedia.org/w iki/Carl_Wernicke) (1848‐1905) dé cou vrit l’aire qui porte son nom. L’aire de Broca est la zone de pro duc tion des mots par lés alors que l’aire de Wer nicke (http://fr.wikipedia.org/wiki/Aire_de_Wernicke) est res pon sable de la com pré hen sion de ces mots. Tout cela conso lide l’idée que l’hé mi‐

sphère gauche est plus im pli qué dans les fonc tions in tel lec tuelles que le droit, re lé gué dans des fonc tions de lo ca li sa tion spa tiale que l’homme par tage avec les ani maux. Cette in ter pré ta tion, qui confor‐

tait scien ti fi que ment le ra tio na lisme am biant, condui sit cette gé né ra‐

tion à une sur éva lua tion to ta le ment sub jec tive de l’hé mi sphère gauche au dé tri ment de l’hé mi sphère droit, sur éva lua tion qu’on re‐

trouve jusque dans les mythes lit té raires de la pé riode, par exemple dans l’Étrange cas du doc teur Je kyll et de M. Hyde de Ro bert Louis Ste‐

ven son : il est im pli cite que la rai son du doc teur Je kyll est dans son hé mi sphère gauche et sa folie dans son hé mi sphère droit.

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Broca fut moins heu reux quand, s’ins cri vant dans la suite des er re‐

ments de Gall, il écri vit — hor res co re fe rens — que « la pe ti tesse re la‐

tive du cer veau de la femme dé pend à la fois de son in fé rio ri té phy‐

sique et in tel lec tuelle  » (1861, p.  15). Comme Gall, il s’em pê tra dans une pseudo- théorie scien ti fique de la clas si fi ca tion de ses crânes. Il avait éta bli le poids moyen d’un cer veau hu main mas cu lin à

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1 350 grammes. Cer tains grands scien ti fiques ou in tel lec tuels étaient bien au- dessus de la moyenne  : 1  830  grammes pour Cu vier, 2  000  grammes pour Tour gue niev. Mais d’autres crânes ve naient contre dire la théo rie : celui d’Ana tole France (quand même Prix Nobel de Lit té ra ture…) pe sait seule ment 1 017 grammes ; et celui de Gall ne pe sait que 1 198 grammes…, pour ne pas par ler, plus tar di ve ment, de celui d’Ein stein  : le cer veau du sym bole de l’in tel li gence hu maine (volé, comme on sait, par le mé de cin Har vey, et conser vé dans deux bo caux de cidre, au cours de cir cons tances ro cam bo lesques  : sic tran sit glo ria mundi…) ne dé pas sait pas 1 230 grammes. Il fal lait donc clai re ment cher cher ailleurs que dans le poids la rai son des per for‐

mances du cer veau hu main.

Char cot

Mais celui qui ap pa raît comme le fon da teur de la neu ro lo gie mo‐

derne, c’est Jean Char cot (1824‐1893). Il est d’abord (à la suite de Pinel et d’Es qui rol) le père de la psy chia trie fran çaise et l’in ven teur de la cli nique psy chia trique6. Outre ses tra vaux sur l’hys té rie (qui ont contri bué à la dé cou verte de l’in cons cient) et sur la ma la die de Char‐

cot, il s’in té res sa au syn drome de Tou rette, ce syn drome neu ro psy‐

chia trique as so cié à la co pro la lie (la pro duc tion de mots obs cènes) ob ser vé par exemple chez la mar quise de Dam pierre qui ne pou vait s’em pê cher de ponc tuer sa conver sa tion de «  Merde et foutu co‐

chon ! », même dans les oc ca sions les plus in ap pro priées.

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Le XX  siècle et les avan cées tech ‐ no lo giques. Une or ga ni sa tion en ré seau : le cer veau comme es pace de dé li bé ra tion in terne

e

«  La science a prou vé que la Terre est ronde. Ce qu’ac tuel le‐

ment per sonne ne conteste. Or, ac tuel le ment, on en est en core, mal gré ça, à croire que la vie est plate et va de la nais sance à la mort. Seule ment, elle aussi, la vie, est pro ba ble ment ronde, et très su pé rieure en éten due et en ca pa ci té à l’hé mi sphère qui nous est à pré sent connu. » Vincent VAN GOGH

(dans Sir kis, 2017, p. 43)

Golgi, Ramon y Cajal, et la com mu ni ca ‐ tion neu ro nale

Dès la fin du XIX  siècle, la mi cro sco pie s’était dé ve lop pée. Cela per mit de re non cer dé fi ni ti ve ment à la théo rie du canal mé dian des nerfs, et sur tout d’abou tir, en 1891, à la dé cou verte des neu rones, grâce à Ca‐

mil lo Golgi, qui dé cou vrit une tein ture au ni trate d’ar gent ca pable de co lo rer l’ar bo res cence des cel lules neu ro nales. Mais la théo rie ré ti cu‐

laire mise ainsi en évi dence (et ainsi nom mée, parce que le sys tème ner veux y est com pa ré à un filet, re ti cu lum, com po sé de neu rones re‐

liés les uns aux autres) a l’in con vé nient de ne pas rendre compte de la pos si bi li té d’aires cor ti cales dis tinctes  : elle éta blit une ana lo gie (fausse) entre le sys tème ner veux et les vais seaux san guins. Il fau dra at tendre les tra vaux re mar quables de San tia go Ramon y Cajal (1852‐1934) pour éta blir que les cel lules ner veuses re lèvent d’un sys‐

tème qu’Edgar Morin qua li fie rait de dia lo gique : elles sont à la fois in ‐

31 e

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dé pen dantes (comme les autres cel lules du corps) et re liées, sans pour au tant fu sion ner.

Puisque les neu rones ne fu sionnent pas, il res tait à com prendre com‐

ment l’in flux ner veux passe de l’un à l’autre. Cajal sug gé ra que c’était par simple contact entre les axones (les fais ceaux neu ro naux qui conduisent le si gnal élec trique) et les den drites (les portes d’en trée des neu rones qui re çoivent l’in flux élec trique). Cajal sou le va même la pos si bi li té d’une com mu ni ca tion neu ro nale sans contact phy sique, mais il ne put l’ex pli quer. Pour  cela, il fal lut at tendre la dé cou verte des neu ro trans met teurs, ces mo lé cules chi miques qui per mettent à l’in flux ner veux de tra ver ser l’es pace sé pa rant les neu rones. On nomma cet es pace la sy napse (du grec sun, « en semble » et hap tein,

« sai sir, tou cher »). À la jonc tion sy nap tique, le si gnal élec trique in duit le re lâ che ment de sub stances chi miques, qui en gendrent un cou rant élec trique dans le neu rone sui vant de la chaîne (voir Pa rent, 2009, p.  9). La sy napse ne put être vi sua li sée qu’en  1950, grâce au mi cro‐

scope élec tro nique.

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Mais quelle était la sub stance chi mique qui as su rait la jonc tion sy nap‐

tique  ? On connais sait de puis  1856 la pré sence d’adré na line dans le sys tème ner veux, et plus pré ci sé ment dans la glande sur ré nale. Oli ver et Schäfer mirent en évi dence le rôle de l’adré na line comme neu ro‐

trans met teur. En suite, Dale dé cou vrit un autre neu ro trans met teur  : l’acé tyl cho line7, syn thé ti sée à par tir de l’ergot de seigle8. Il ne res tait plus qu’à prou ver l’exis tence de ce pro duit chi mique dans le tissu ani‐

mal ; ce fut fait en 1929 par Dale, qui réus sit à iso ler de l’acé tyl cho line à par tir de 30 kilos de rate de che val.

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On voit la longue chaîne du sa voir qui s’éla bore de Gal va ni à Dale, pour éta blir que l’in flux ner veux se pro page par la double ac tion conju guée d’une éner gie élec trique9 (dans l’axone) et d’une trans mis‐

sion chi mique (au ni veau des sy napses)10.

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Les neu ros ciences

À par tir de là sont nées les neu ros ciences, au mi lieu du XX  siècle. Dé‐

sor mais, les avan cées scien ti fiques concer nant le cer veau se fe ront dans un contexte trans dis ci pli naire, as so ciant des do maines jusqu’ici in dé pen dants  : l’ana to mie, la bio lo gie, la chi mie, la phar ma co lo gie,

35 e

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aux quels s’ajou te ront, à par tir des an nées  1990, les sciences cog ni‐

tives (phi lo so phie, lin guis tique, psy cho lo gie, an thro po lo gie), la ro bo‐

tique et l’in for ma tique. Par  exemple, les tra vaux de Pa tri cia Chur‐

chland, qui croisent phi lo so phie et neu ros ciences, dans le concept de neu ro phi lo so phie, sont une bonne illus tra tion de cette ten dance.

On le voit, les neu ros ciences s’or ga nisent dans un mi mé tisme et une ana lo gie avec l’objet de leur étude : cha cune des sciences par te naires garde sa spé ci fi ci té, mais c’est de leur croi se ment que jaillit l’émer‐

gence d’une connais sance scien ti fique nou velle. De même, on l’a vu, le fonc tion ne ment neu ro nal sup pose que les neu rones sont à la fois dis tincts et re liés : c’est l’objet du connec tome, l’éta blis se ment d’une carte fonc tion nelle du cer veau. Nous sommes ty pi que ment dans un sys tème com plexe, une sys té mique, où l’émer gence re pré sente plus que la somme des com po santes dont elle est issue, et où nous re trou‐

vons les trois ré gimes du ran diens : diurne, noc turne mys tique et noc‐

turne syn thé tique. En effet, à la fin du XX siècle, l’IRM fonc tion nelle et la neuro- imagerie ont per mis de dé fi nir avec pré ci sion les fonc‐

tions cog ni tives spé ci fiques de chaque zone cé ré brale, et en par ti cu‐

lier des deux hé mi sphères cé ré braux :

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e

L’hé mi sphère gauche, ver bal, ra tion nel, ana ly tique, qui cor res pon drait au ré‐

gime diurne, a eu une quasi- hégémonie dans les re pré sen ta tions qu’on se fai‐

sait du cer veau au XIX et dans la pre mière moi tié du XX  siècle. Pen dant long‐

temps, ce cer veau gauche a été pu re ment et sim ple ment iden ti fié à l’en‐

semble du cer veau. Il faut rendre aux mé de cins grecs cette jus tice de re le ver qu’ils avaient déjà su bo do ré un contre- pouvoir de ce cer veau ra tion nel. Mais ils l’avaient lo ca li sé dans le sexe… Sur ce plan, Freud ne les au rait pas désa‐

voués.

L’hé mi sphère droit, ho lis tique, émo tion nel, ar tis tique11, qui cor res pon drait au ré gime noc turne mys tique, n’a donc pu être re pé ré que ré cem ment dans sa fonc tion na li té. Il re vient à An to nio Da ma sio d’avoir ré ha bi li té le rôle de cet hé mi sphère droit, en mon trant :

e e

– que nos évo ca tions d’un objet ne sont pas des re pro duc tions exactes de l’ori gi nal, mais des in ter pré ta tions, des ver sions re cons ‐ truites, re po sant sur des images et non des mots. Donc les images sont les ma té riaux prin ci paux à l’ori gine des pro ces sus de pen sée et la pen sée ne sau rait mieux se dé fi nir que comme un vaste ima gi ‐ naire ;

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– que ce que l’on croit re le ver uni que ment de la ra tio na li té est en fait le fruit d’une né go cia tion per ma nente entre les deux hé mi sphères, ce qui per met une ré con ci lia tion entre le corps et l’es prit, et la ré fu ta ‐ tion dé fi ni tive de ce que Da ma sio ap pelle « l’Er reur de Des cartes12 » et de la concep tion dua liste selon la quelle l’es prit est dis tinct du cer ‐ veau et du corps, consti tués d’or ganes mé ca niques. Cette mé ta phore car té sienne avait en core été am pli fiée, vers le mi lieu du XX  siècle, par la mé ta phore de l’es prit consi dé ré comme un lo gi ciel in for ma ‐ tique. On me sure donc l’im por tance des tra vaux de Da ma sio, qui fait re trou ver à la mé de cine une ap proche ho liste, glo bale, des re la tions entre l’es prit et le corps. Gil bert Du rand a sou vent in sis té sur ce point : c’est un fait que Des cartes, qui a pour tant contri bué à mo di ‐ fier le cours de la mé de cine, l’avait aussi en ga gée dans une fausse route, avec sa concep tion dua liste, en lui fai sant aban don ner l’ap ‐ proche ho liste, dans la quelle l’es prit et le corps ne fai saient qu’un, et qui avait pour tant pré va lu d’Hip po crate à la Re nais sance. Comme le dit Da ma sio non sans hu mour, « Aris tote au rait été bien mé con tent de Des cartes, s’il l’avait su » (1995, p. 339).

e

Il faut ajou ter que le cer veau tient l’es sen tiel de ses ca pa ci tés de sa fa cul té à re lier ces deux hé mi sphères. Cette prise de conscience des mé ca nismes re la tion nels dans la fonc tion na li té du cer veau a en core été am pli fiée par la dé cou verte ré cente des neurones- miroirs (en  1996, par Riz zo lat ti, à Parme). Elle vient plei ne ment cor ro bo rer l’or ga ni sa tion déjà ex pli ci tée par Gil bert Du rand dans ses Struc tures an thro po lo giques de l’ima gi naire, en la si tuant au cœur même de l’or‐

gane cen tral pour l’homme : son cer veau. Les neurones- miroirs sont es sen tiels, car ils per mettent la com mu ni ca tion avec l’autre comme alter ego (ils sont donc iden ti fiés au ré gime « noc turne syn thé tique », et aux fi gures du pas seur). Sans eux, nous se rions au tistes. Ils dé ter‐

minent notre ca pa ci té d’em pa thie par leur fonc tion ne ment mi mé‐

tique, qui nous per met de dé cou vrir, d’ap prendre l’autre en le dé si‐

rant (ou en le re je tant). Les neurones- miroirs créent donc une troi‐

sième ins tance, sous forme d’une fonc tion re la tion nelle, d’es sence imi ta tive, qui est la force mo trice des fonc tions cog ni tive et émo tion‐

nelle, puisque cette fonc tion mi mé tique d’imi ta tion est ca pi tale dans l’ap pren tis sage de l’en fant, puis dans les com por te ments de l’adulte : nous trans for mons les actes des autres en nos propres ac tions. Cela va jusqu’à la ré so nance émo tion nelle  : je res sens ce que l’autre res‐

sent.

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Ainsi, les neu ros ciences nous confirment que l’or ga ni sa tion cé ré brale est bien le re flet fi dèle de l’ima gi naire hu main : bel exemple de phé‐

no mé no lo gie, où l’on voit com ment la théo rie psy cho lo gique et an‐

thro po lo gique de Gil bert Du rand est vé ri fiée, trente ans plus tard, par la re cherche neu ros cien ti fique.

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Cer veau auto- organisé et cer veau ma ‐ chine

À la fin du XX   siècle, l’ima gi naire du cer veau est donc orien té vers deux ten dances : l’une qui fait du cer veau un sys tème ou vert, fondé sur la re la tion, l’in ter con nexion et l’auto- organisation ; et l’autre, di‐

sons tech no cen trée et plus ar chaïque dans ses ré fé rences scien ti‐

fiques, qui fait du cer veau une ma chine.

39 e

Par lons d’abord du sys tème ou vert. À la suite des tra vaux de Fran cis‐

co Va re la et de l’école de Palo Alto, Edgar Morin in siste, lui, sur l’ex‐

tra or di naire plas ti ci té du cer veau, gage de sa créa ti vi té et de ses ca‐

pa ci tés d’adap ta tion et de ré or ga ni sa tion. Pour Edgar Morin, cela vient en par tie de l’in achè ve ment du cer veau d’Homo sa piens. C’est cette ca pa ci té d’ap prendre, d’in ven ter, même après la jeu nesse, cette ju vé ni li sa tion de l’es pèce, qui ouvrent la pos si bi li té d’une in tel li gence et d’une sen si bi li té jeunes chez l’adulte et même chez le vieillard (Morin, 1973, p. 97).

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Au centre de cette ap ti tude, nous re trou vons la com plexi té et les ca‐

pa ci tés re la tion nelles du sys tème cé ré bral et de son pro lon ge ment neu ro nal : ce que les scien ti fiques ap pellent glo ba le ment le connec‐

tome. Par exemple, il a été éta bli que les neu rones sont des cal cu la‐

teurs lents (10 mil li se condes, soit dix mille fois moins qu’un pro ces‐

seur élec tro nique). Mais ils com pensent par leur or ga ni sa tion pa ral‐

lèle, en ré seau, qui, par re cou pe ments et com pa rai sons, per met une re con nais sance très ef fi cace, en 150 mil li se condes.

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D’autre  part, il est dé sor mais éta bli qu’une forme de désordre est consub stan tielle de l’ac ti vi té cé ré brale et in dis pen sable à son dé ve‐

lop pe ment : Homo sa piens est aussi, in ex tri ca ble ment, Homo de mens, sage et fou à la fois. Cela au rait pu être une tare. Mais au contraire, ce sont le dé fer le ment de l’ima gi naire, la mul ti pli ca tion des er reurs qui, loin d’avoir han di ca pé la na ture hu maine, sont à l’ori gine de ses pro ‐

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di gieux dé ve lop pe ments. Le cer veau d’Homosa piens, contrai re ment à la ma chine, fonc tionne avec et mal gré du « bruit », du désordre, de l’er reur. C’est d’ailleurs parce que le sys tème cé ré bral est en au to pro‐

duc tion et en ré or ga ni sa tion per ma nentes qu’il peut ré pondre aux at‐

teintes désor ga ni sa trices ve nant de l’en vi ron ne ment. Donc, on en vient à consi dé rer le cer veau comme un sys tème po ly cen tré, dont le génie est dans l’in ter con nexion et l’in ter com mu ni ca tion.

L’autre ten dance de la fin du XX  siècle, mais qui re lève déjà d’un pa ra‐

digme scien ti fique dé pas sé, de ce que Gil bert Du rand au rait ap pe lé un « mythe en train de mou rir », c’est de faire du cer veau un or di na‐

teur bio chi mique et une ma chine com plexe de trai te ment de l’in for‐

ma tion. Pous sée à sa li mite, cette ten dance voit dans le cer veau une ma chine cy ber né tique, pa ra mé trable, dont on peut aug men ter les per for mances et qu’on peut même cou pler à d’autres ma chines. C’est le règne du cy borg, cet être hu main qui a reçu des greffes de par ties mé ca niques. La science- fiction s’em pare de ce do maine, avec au moins une cen taine de films sur ce sujet des ma ni pu la tions du cer‐

veau, avec deux thèmes ré cur rents :

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le cer veau as ser vi par des ma chines pen santes qui prennent son contrôle ; ou, au contraire, le cer veau qui se li bère du corps (autre vieux rêve pla to ni‐

cien), pour se rac cor der à des au to mates qui dé mul ti plient sa puis sance : c’est le thème du « cer veau dans une cuve », qui vit in dé pen dam ment du corps13.

Le XXI  siècle : le siècle des sciences cog ni tives

e

« Le chaî non man quant entre le singe et l’homme, c’est nous. » Pierre DAC

Le XXI   siècle pour rait bien être le siècle des neu ros ciences et des avan cées dé ci sives dans notre connais sance du cer veau. La com mu‐

nau té scien ti fique semble dé ci dée à s’en don ner les moyens, avec, aux États‐Unis, la Brain Ini tia tive, « Ini tia tive Cer veau », et, en Eu rope, le Human Brain Pro ject, «  Pro jet sur le cer veau hu main  », au tour de l’uni ver si té po ly tech nique de Lau sanne ou des tra vaux du grand ma‐

thé ma ti cien et phy si cien Roger Pen rose.

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D’abord, les avan cées des neu ros ciences ont tout ré cem ment mis en évi dence une don née ex trê me ment in té res sante  : voir et ima gi ner, c’est la même chose. On pense à la phrase de Boris Vian dans l’Écume des Jours : « Cette his toire est vraie, puisque je l’ai in ven tée. » L’An ti‐

qui té en avait déjà eu l’in tui tion, elle qui ne dis tin guait pas aussi ra di‐

ca le ment que nous réel et ima gi naire. On l’a dit, c’est de puis Des‐

cartes que l’ima gi na tion est de ve nue in si gni fiante, «  maî tresse d’er‐

reur et de faus se té » selon Pas cal, et que, de ce fait, l’idée de réa li té s’est étri quée. On sait que Gil bert Du rand a tou jours in sis té sur les dé gâts de ce ra tio na lisme dans l’ima gi naire eu ro péen, et, on l’a vu, c’est Da ma sio qui a dé fi ni ti ve ment remis les pen dules à l’heure avec son Er reur de Des cartes (1995). L’IRM fonc tion nel nous ré vèle, de puis peu, que voir et ima gi ner ac tivent les mêmes zones du cer veau, c’est- à-dire que, pour mon cer veau, si j’évoque l’image de mon chat ou si je le vois réel le ment, il n’y a au cune dif fé rence. En suite, bien sûr, il faut qu’un jeu sub til entre hé mi sphère gauche et droit m’amène à dis tin‐

guer entre « réa li té ima gi naire » et « réa li té ob jec tive », car, comme le di sait Paul Walt za wick, au res tau rant, il n’y a que les schi zo phrènes qui mangent la carte à la place du menu ! Mais on voit les im pli ca tions consi dé rables de ces dé cou vertes. D’abord, c’est la confir ma tion écla‐

tante des théo ries de Gil bert Du rand, avec cin quante ans d’avance.

En suite, c’est la preuve que les sciences hu maines ne sont pas à la traîne des sciences exactes, bien au contraire, qu’elles peuvent les pré cé der, et en suite être confir mées par elles. Enfin, c’est une ex tra‐

or di naire pro mo tion de l’ima gi naire  ; c’est, en quelque sorte, le triomphe de Proust et de son « Temps re trou vé » : sa ma de leine, les chèvre feuilles de Com bray, la so nate de Vin teuil (car le constat est aussi vrai pour les goûts et les odeurs que pour la vi sion) sont pour notre cer veau aussi « vrais » comme sou ve nirs que comme réa li té. Le my tho logue que je suis ajou te ra que ces avan cées scien ti fiques consacrent le rôle pri mor dial de la no tion de re pré sen ta tion, car fi na‐

le ment nous vi vons et pen sons sur des re pré sen ta tions, qui n’ont que la va leur que nous vou lons bien leur don ner. Quand Homo sa piens a émer gé de l’ani ma li té, c’est es sen tiel le ment par sa fa cul té ima gi na‐

tive, et par l’ap pa ri tion de la fic tion et de la ca pa ci té de par ler de choses qui n’existent pas vrai ment (pein tures, ri tuels re li gieux, etc.).

Mais com ment pas ser le seuil de l’ima gi na tion in di vi duelle ? C’est là le coup de génie (peut- être celui que Néan der tal n’a pas eu). Homo sa‐

piens dé couvre la ca pa ci té de co opé rer en masse et donc de mul ti ‐

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plier ses forces, à par tir du mo ment où de grands groupes d’in con nus croient tous à des mythes com muns. À  par tir de là, on peut fon der des em pires. Cette ré con ci lia tion est au centre de l’œuvre de Gil bert Du rand et elle se pro longe dans la no tion de « rai son contra dic toire », au sens où la dé fi nit Jean- Jacques Wu nen bur ger  (1990)  : ré ha bi li ter l’ima gi na tion et lui re don ner sa place dans un sys tème ima gi na tif com plexe, où elle est ré con ci liée avec la ra tio na li té, et co opère avec elle.

Mais nous connais sons un chan ge ment de pa ra digme en core plus spec ta cu laire. Une des ré vo lu tions évo quées par ces pers pec tives, c’est que si une bonne par tie du fonc tion ne ment du cer veau s’ex‐

plique très bien avec les lois de la phy sique clas sique, en re vanche, au ni veau des sy napses, quelque chose de nou veau émer ge rait, qui re lè‐

ve rait des lois de la phy sique quan tique. Au tre ment dit, notre cer veau se rait à la fois un or di na teur clas sique et un or di na teur quan tique.

Cette théo rie, long temps re fu sée par la com mu nau té scien ti fique, a été confir mée en 2014, à la fois au Japon et au MIT amé ri cain (Mas sa‐

chu setts Ins ti tute of Tech no lo gy).

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On sait que la fluc tua tion quan tique re pose sur un sys tème aléa toire et pro ba bi liste, mé ta pho ri sé par la fable du Chat de Schrödinger. Le prin cipe de la su per po si tion quan tique s’y ex plique par le fait qu’un élec tron peut se trou ver en plu sieurs en droits si mul ta né ment ; mais cette su per po si tion dis pa raît dès que l’élec tron est di rec te ment ob‐

ser vé  ; au mo ment où l’on ex trait l’in for ma tion, l’élec tron opte pour un seul en droit et un seul état, il choi sit d’exis ter sous une forme par‐

ti cu lière. Les par ti cules de la fluc tua tion quan tique ap pa raissent sans cause dé ter mi née, presque comme si elles étaient douées de vo lon té.

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Or, puisque le cer veau est com po sé d’atomes, cette fluc tua tion quan‐

tique peut aussi être un des fon de ments de notre fonc tion ne ment cé‐

ré bral. Le cer veau fait face à une mul ti tude de pen sées chao tiques, in or ga ni sées, qui co existent, comme en su per po si tion quan tique, et à un mo ment, il doit choi sir. Face à plu sieurs pos si bi li tés, la conscience opte pour l’une d’elles, un peu comme l’élec tron choi sit une forme, quand il est ob ser vé. Cer tains scien ti fiques pensent que ces « sauts quan tiques » pour raient se pro duire dans les sy napses.

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Donc, dans le cer veau, la fonc tion d’onde en core in dé ter mi née, c’est l’in cons cient, ou l’ima gi na tion, en core aléa toire, où toutes les pos si bi ‐

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li tés co existent en pa ral lèle. La dé co hé rence, l’ef fon dre ment de la fonc tion d’onde (qui ré duit un sys tème phy sique à ce qu’on en a me‐

su ré) trou ve rait donc, dans notre cer veau, un équi valent dans la dé ci‐

sion qui choi sit et concré tise une pos si bi li té unique. Dans ce contexte, cela re vient à dire que, du point de vue ma cro sco pique, tout est dé ter mi né. Mais tout est en core un pro blème de re pré sen ta‐

tion  : du point de vue du mi cro cosme de chaque in di vi du, rien ne semble dé ter mi né, car per sonne ne sait ce qui va se pas ser.

Au tre ment dit, le cer veau fonc tionne bien comme un or di na teur, mais comme un or di na teur quan tique, dont la grosse su pé rio ri té sur l’or di‐

na teur clas sique est jus te ment, grâce au prin cipe de su per po si tion quan tique, de pou voir ef fec tuer en même temps un nombre très élevé de cal culs, alors que l’or di na teur clas sique ne pro cède qu’à un cal cul à la fois. Si ces hy po thèses sont avé rées, la ca pa ci té de trai te‐

ment de l’in for ma tion par le cer veau hu main se rait po ten tiel le ment bien su pé rieure à celle qu’on lui at tri bue au jourd’hui.

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Il y a plus. Les scien ti fiques s’ac cordent main te nant à consi dé rer qu’il n’y a pas deux phy siques dis tinctes, la phy sique quan tique pour le mi‐

cro cosme et la phy sique clas sique pour le ma cro cosme. L’uni vers forme un tout, tout y est relié et les lois sont les mêmes pour le ma‐

cro cosme et le mi cro cosme. Donc, notre cer veau et le cos mos ne sont pas sé pa rés par une bar rière entre « moi » et « le monde », ils forment un tout et ils peuvent com mu ni quer. On voit les pos si bi li tés ex tra or di naires que cela ouvre. À un ni veau plus pro fond de la réa li té exis te rait donc une phy sique de la conscience en core in con nue, re le‐

vant de la phy sique quan tique, et dont nous ne pou vons pour le mo‐

ment qu’en tre voir l’ombre, dans ce que nous pres sen tons du fonc‐

tion ne ment du cer veau au ni veau des sy napses. Mais les tra vaux de Carl- Gustav Jung sur la syn chro ni ci té (Jung & Pauli, 2000), ceux de Roger Pen rose, ceux, certes contro ver sés, de Ru pert Shel drake sur la ré so nance mor phique (Shel drake, 1985) tendent à éta blir que des sys‐

tèmes pour raient in ter agir en l’ab sence de toute re la tion phy sique entre  eux. C’est le sens des tra vaux d’An drew New berg et d’Eu gène d’Aqui li (New berg et coll., 2003) qui créent une mo dé li sa tion fai sant le lien entre l’ex pé rience mys tique et le fonc tion ne ment ob ser vable du cer veau. Notre cer veau tou che rait donc là à l’ex pé rience du su blime, mais en ten dons‐nous bien : sans mettre là de dans la moindre conno‐

ta tion spi ri tuelle ou re li gieuse. Le su blime pour rait alors se dé fi nir

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comme un ra vis se ment de l’être, qui contracte la psy ché, puis la dé‐

con tracte à l’in fi ni : un élar gis se ment du moi qui s’ouvre à la vas ti tude du cos mos, une forme de choc, comme on peut l’éprou ver de vant une mer veille de la na ture ou de l’art : c’est le fa meux syn drome de Sten‐

dhal. Cha cun ac cède alors au centre de lui- même (c’est l’in tror sum as cen dere dont par laient les mys tiques mé dié vaux) et dé couvre que le cos mos s’y trou vait déjà. Selon un prin cipe ho liste, la mé moire du monde est conte nue dans la mé moire in di vi duelle. C’est ce que di‐

saient déjà Jung, et les Upa ni shad de l’hin douisme. Sou li gnons que cette in ves ti ga tion est hors de tout contexte spi ri tuel. Pour re prendre la fa meuse ré plique de La place à Na po léon, qui lui de man dait pour‐

quoi son trai té de cos mo lo gie ne men tion nait pas Dieu, « Sire, je n’ai pas be soin de cette hy po thèse ! » (dans Hugo, 1972, p. 217).

Dans ce contexte, les Struc tures an thro po lo giques de l’ima gi naire prennent une nou velle di men sion. Les trois constel la tions qu’elles mettent en évi dence sont éga le ment les trois schèmes qui dé crivent l’aven ture de la psy ché hu maine dans sa prise de conscience de cette im mer sion océa nique que nous ve nons d’ana ly ser. Pour que cette ex‐

pé rience soit to tale, elle doit pas ser par trois phases :

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mon ter vers ce qui est plus grand que soi : ce sont les schèmes as cen sion nels du ré gime diurne hé roïque, c’est la pro jec tion vers toutes les formes du su‐

blime, c’est l’élan ma gna nime, celui de la grande âme, c’est la poé tique des cimes et des som mets, c’est l’es thé tique du su blime ;

en même temps, elle tend vers un rêve de fu sion : c’est l’im mer sion océa nique de la psy ché dans ce grand corps du monde ; et ce pro ces sus cor res pond au ré gime noc turne mys tique, celui de la fu sion ;

enfin rien de cela n’est pos sible si tous les élé ments de ce grand corps cos‐

mique, y com pris la psy ché, ne sont pas re liés. Ce sont les schèmes de la re la‐

tion et du ré seau, dont les neu ros ciences nous ont ap pris qu’ils étaient in dis‐

pen sables au fonc tion ne ment du cer veau (les An ciens ap pe laient déjà une par tie du cer veau rete mi ra bile, le «  ré seau ad mi rable  »). Ces schèmes du maillage et de la com plexi té sont ca rac té ris tiques du ré gime noc turne syn‐

thé tique, dont les images ma jeures sont celles du Fils, de l’Ini tié et du Voya‐

geur, tous ceux qui passent et qui re lient.

Ces trois ins tances (mon ter, fu sion ner, re lier) consti tuent la ma trice de l’or ga ni sa tion du cos mos, de celle du vi vant, de celle de la psy ché, et, ajou te rai‐je, comme my tho logue, à la base de la construc tion des

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tam ment dans ses Struc tures an thro po lo giques de l’ima gi naire.

En termes d’in for ma tion, le cer veau ne se rait donc pas seule ment relié au corps ; il pour rait pui ser cette in for ma tion dans l’en semble du cos mos, de façon extra- sensorielle. De même (et c’est le prin cipe de la syn chro ni ci té jun gienne), une re la tion pour rait s’éta blir dans le temps entre des états conscients pas sés, pré sents, voire fu turs. On le sait, la chose a été éta blie, en phy sique quan tique, avec la fa meuse ex pé‐

rience d’Alain As pect sur l’in ter ac tion de deux par ti cules en l’ab sence de toute re la tion phy sique entre elles. En termes d’an thro po lo gie, on voit les do maines concer nés, mais aussi les pro blèmes que cela pose : les phé no mènes de pré cog ni tion, de té lé pa thie, qui n’ont guère été abor dés jusqu’ici que dans une am biance de char la ta nisme ou de cré‐

du li té ex ces sive. Mais est‐ce une rai son pour s’en in ter dire l’accès et jeter le bébé avec l’eau du bain  ? On a déjà re mar qué que cer tains états de mé di ta tion trans cen dan tale, de pra tiques du yoga ou d’ex pé‐

riences mys tiques pro voquent une sorte d’ex pan sion de l’es prit, par hy per con nexion des ré seaux neu ro naux entre eux, avec à la clef deux pos si bi li tés  : ou ces phé no mènes sont des hal lu ci na tions, des illu‐

sions  ; ou ils per mettent d’ac cé der à des états de conscience aug‐

men tés et à des éner gies, en nous et hors de nous, aux quelles nous n’avons pas accès dans un état nor mal de conscience. Notre cer veau de vient alors un re lais qui nous met en re la tion avec l’en semble du cos mos ; l’es prit et la ma tière se raient une seule et même chose : ver‐

ti gi neuses pers pec tives, pour les quelles nous au rons bien be soin de so lides pa ra pets éthiques. Je crois que Gil bert Du rand, ce com bat‐

tant, au rait aimé l’in cer ti tude de ces en jeux pé rilleux et que sa pen sée nous au rait éclai rés pour af fron ter ces défis.

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