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CONCLUSIONS. M. Xavier de LESQUEN, rapporteur public

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N° 401589

Ministère des finances et des comptes publics

c/société Barnes et autre N° 403627

Société Barnes et autre 6ème chambre jugeant seule Séance du 8 décembre 2016 Lecture du 16 décembre 2016

CONCLUSIONS

M. Xavier de LESQUEN, rapporteur public

I. La commission nationale des sanctions (CNS), instituée auprès du ministre chargé de l'économie par l’ordonnance n° 2009-104 du 30 janvier 2009 relative à la prévention de l'utilisation du système financier aux fins de blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme, a rendu le 21 mars 2016 une décision comportant plusieurs sanctions à l’encontre de la société Barnes, agence du secteur de l’immobilier de luxe, et de son président, M. V… : pour la société, une interdiction temporaire de l’activité d’agent immobilier de trois ans d’exercice avec sursis, une sanction pécuniaire de 200 000 euros et une participation aux frais de contrôle de 1 500 euros et, pour son président une sanction pécuniaire de 15 000 euros. La commission a par ailleurs décidé la publication des sanctions, sans mention du nom des personnes sanctionnées, dans trois publications : Barnes Luxury Homes, Le Journal de l’agence et Air France magazine.

La société et son président ont demandé au tribunal administratif de Paris d’annuler la sanction.

Ils ont à cette occasion soulevé une QPC dirigée contre les articles L. 561-41, L. 561-42 et L. 561-45 du code monétaire et financier relatifs à la CNS, le tribunal vous l’a transmise par une ordonnance n° 1609254/2-1 du 19 septembre 2016, enregistrée le 20 septembre 2016, sous le n° 403627.

Ils ont par ailleurs saisi le juge des référés du tribunal d’une demande de suspension de l’exécution de sanction, en tant seulement qu’elle prévoit la publication de la sanction dans le magazine Barnes Luxury Homes. Par une ordonnance n° 1609258/9 du 30 juin 2016, le juge des référés a fait droit à sa demande. Le ministre se pourvoit en cassation sous le n° 401589, et vous êtes saisis d’une QPC en défense dirigée également contre les articles L. 561-41 et L. 561-42.

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II. Nous vous proposons de commencer par la QPC enregistrée sous le n° 403627.

Il convient de préciser les textes applicables au litige, car ces articles ont été remplacés ou modifiés par la toute récente ordonnance n° 2016-1635 du 1er décembre 2016 renforçant le dispositif français de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme.

S’agissant de la procédure appliquée devant la formation ayant prononcé de la sanction, c’est bien évidemment à la date de la décision qu’il faut se placer (voyez par exemple, Banque Populaire Côte d'Azur du 11 avril 2012, n° 336839, aux T. , pour les effets d’une QPC déclarant inconstitutionnel les dispositions en vigueur à la date de la décision). En l’espèce, c’est donc les articles dans la rédaction que leur a donnée respectivement la loi n°2009-526 du 12 mai 2009 et l’ordonnance n° 2009-104 du 30 janvier 2009.

Vous pourrez faire un sort à part aux dispositions de l’article L. 561-45 relatives au droit d’accès indirect aux données à caractère personnel ayant fait l'objet d'un traitement aux seules fins de l'application de certaines obligations relatives à la lutte contre le blanchiment des capitaux, le financement des activités terroristes et les loteries, jeux et paris prohibés, non applicables au litige.

Les deux autres dispositions le sont en revanche.

L’article L. 561-41 dans sa version applicable au litige dispose que « La Commission nationale des sanctions reçoit les rapports établis à la suite des contrôles effectués par les autorités administratives mentionnées au II de l'article L. 561-36 et notifie les griefs à la personne physique mise en cause ou, s'agissant d'une personne morale, à son responsable légal. »

L’article L. 561-42 dispose que le président de la Commission désigne un rapporteur et précise que « Celui-ci ne peut recevoir aucune instruction » et que « La Commission statue par décision motivée, hors la présence du rapporteur de l'affaire ».

Ces dispositions n’ont pas été examinées par le Conseil constitutionnel.

III. Il est soutenu que ces deux dispositions méconnaissent le principe d’impartialité.

La CNS n’a pas le statut de juridiction. Mais vous pourrez l’assimiler aux autorités administratives indépendantes (AAI) exerçant un pouvoir de sanction dans le cadre de prérogatives de puissance publique.

Elle se distingue des AAI classiques par son champ d’activité restreint : nul pouvoir règlementaire ou de régulation, voir même d’enquête et de contrôle. La CNS est exclusivement une autorité de sanction, qui vient jouer un rôle complémentaire à celui d’AAI existantes, telles l’AMF, l’ACP ou l’ARJEL (Autorité de régulation des jeux en ligne). Ses pouvoirs sont importants : en vertu de l’article L. 561-40, elle peut prononcer des sanctions administratives allant jusqu’à l'interdiction temporaire d'exercice de l'activité ou d'exercice de responsabilités

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dirigeantes au sein d'une personne morale exerçant cette activité pour une durée n'excédant pas cinq ans, voir le retrait d'agrément ou de la carte professionnelle. Et en sus de ces sanctions, elle peut infliger une sanction pécuniaire dont le montant peut aller jusqu’à 5 M €, ou le double de l'avantage retiré du manquement poursuivi.

La CNS a donc toutes les caractéristiques de ce qui a été appelé, après la décision d'assemblée D… du 3 décembre 1999 (n° 207434, A), un « quasi-tribunal » ou un « tribunal au sens de l'article 6 de la CESDH», au vu de la qualification matérielle de la décision de sanction, qui revêt de façon certaine un caractère répressif, de l’association à la fonction de juger et enfin de la nature de l’instance administrative de sanction, et notamment de l’indépendance dont elle est dotée.

En l’espèce, l’indépendance de la CNS résulte en particulier de sa composition, fixée par l’article L561-39. Elle est formée d’un conseiller d'Etat, président, désigné par le vice-président du Conseil d'Etat, d’un conseiller à la Cour de cassation, désigné par le premier président de la Cour de cassation et d'un conseiller-maître à la Cour des comptes, désigné par le premier président de la Cour des comptes, ainsi que de quatre personnalités qualifiées en matière juridique ou économique, nommés par décret pour un mandat de cinq ans, renouvelable une fois.

C’est par sa décision n° 2012-280 QPC du 12 octobre 2012 sur l’organisation et le pouvoir de sanction de l’Autorité de la concurrence que le Conseil constitutionnel a formalisé sa jurisprudence à l’égard des AAI exerçant un pouvoir de sanction, l'exercice de ce pouvoir devant être assorti par la loi de mesures destinées à assurer la protection des droits et libertés constitutionnellement garantis ; qu'en particulier, doivent être respectés le principe de la légalité des délits et des peines ainsi que les droits de la défense, principes applicables à toute sanction ayant le caractère d'une punition, même si le législateur a laissé le soin de la prononcer à une autorité de nature non juridictionnelle ; que doivent également être respectés les principes d'indépendance et d'impartialité découlant de l'article 16 de la Déclaration de 1789 ».

V. La question qui vous est soumise n’est donc pas nouvelle. Reste à savoir si elle est sérieuse.

1. Est d’abord critiquée l’insuffisance des mesures destinées à assurer la séparation des fonctions de poursuite et de jugement.

C’est l’une des exigences qui se déduisent du principe d’impartialité : voyez pour un exemple de censure la décision n° 2011-200 QPC du 2 décembre 2011 rendue sur les pouvoirs disciplinaires de l’ancienne Commission bancaire, les dispositions organisant son activité n’ayant pas séparé en son sein, d'une part, les fonctions de poursuite des éventuels manquements des établissements de crédit et, d'autre part, les fonctions de jugement des mêmes manquements, qui peuvent faire l'objet de sanctions disciplinaires. Voyez également, pour un autre cas de censure, la décision 2013-331 QPC du 5 juillet 2013 sur le pouvoir de sanction de l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP), le directeur général qui décide des

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poursuites étant nommé par le président de l'Autorité et placé sous son autorité et assistant aux délibérations de l'Autorité.

En sens inverse, la décision n° 2012-280 QPC déjà citée valide de ce point de vue le dispositif de l’Autorité de la concurrence, qui confie la fonction de poursuite au rapporteur général nommé par arrêté du ministre chargé de l'économie après avis du collège et bénéficiant de garanties légales d'indépendance à l'égard des formations de l'Autorité de la concurrence compétentes pour prononcer les sanctions.

S’agissant de la CNS, les textes alors en vigueur n’organisent pas de séparation claire. C’est la commission qui reçoit les rapports établis à la suite des contrôles et qui notifie les griefs (L. 561-41) et qui ensuite statue sur la poursuite (L561-41).

Une séparation n’intervient qu’avec l’ordonnance du 1er décembre 2016, qui confie la fonction de poursuite au secrétaire général de la commission et organise une séparation organique : le secrétaire général est nommé par arrêté conjoint du ministre chargé de l'économie et du ministre de l'intérieur, après avis du président de la commission (L. 561-39 nouveau) et ne peut recevoir aucune instruction dans l'exercice de ses attributions (L. 561-41 nouveau).

Mais en l’état du texte qui vous est soumis, la question nous paraît sérieuse.

2. Vient ensuite une critique sur la séparation des fonctions d’instruction et de jugement.

Les requérants font état de la décision n° 2010-110 QPC du 25 mars 2011, mais elle porte sur une autre question : il s’agit de la composition de la formation de jugement, en l’espèce la commission départementale d'aide sociale.

L’exigence de séparation entre, d'une part, les fonctions de poursuite et d'instruction des éventuels manquements et, d'autre part, les fonctions de jugement des mêmes manquements, résultent cependant des décisions déjà citées.

Vous admettez la désignation du rapporteur chargé de l’instruction par le président de la formation de jugement : voyez 9 juillet 2007, Mme B… et ministre de l’économie, des finances et de l’emploi, n° 258552 et 303512, A (pour la chambre régionale de discipline auprès du conseil supérieur de l'ordre des experts-comptables). Et vous allez même jusqu’à admettre que les personnes chargées de l’instruction des griefs participent au délibéré, au regard de leur fonction : voyez Association des topographes géomètres et techniciens d'études du 6 décembre 2012 (n° 341004, aux T.), s’agissant de commission d’instruction constituée au sein du conseil supérieur de l’ordre des géomètres-experts, chargée un rapport constituant un exposé objectif des faits et ayant ni le pouvoir de classer l’affaire ni celui de modifier le champ de la saisine de la juridiction.

S’agissant de la CNS, l’article L. 561-42 prévoit que « La Commission statue par décision motivée, hors la présence du rapporteur de l'affaire. » Il nous semble que cet élément est suffisant. Nous vous signalons que l’ordonnance du 1er décembre 2016 a renforcé les garanties,

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en précisant que « Le président de la Commission nationale des sanctions désigne un rapporteur » et que « Celui-ci ne peut recevoir aucune instruction ».

Mais en l’état du texte applicable au litige, vous pourrez transmettre la question prioritaire de constitutionnalité dirigée contre les articles L. 561-41 et L. 541-42 du code monétaire et financier, afin que le Conseil constitutionnel soit saisi de la façon la plus large possible du dispositif litigieux.

VI. Nous en venons au pourvoi n° 401589

Vous pourrez pour les raisons dites transmettre la QPC présentée en défense contre les mêmes articles.

Tel est le sens de nos conclusions.

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