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La video-formation au service de la formation des formateurs

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Academic year: 2022

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81 La video-formation au service de la formation des formateurs

LAHRECH MAGUENNI Amel Université Oran 2 Mohamed Ben Ahmed meguenniamel@yahoo.fr

Reçu : 25/09/2019, Accepté: 30/12/2019, Publié: 31/12/2019

Résumé

Si former des formateurs en langues consiste d’abord à lire ensemble le réel, pour comprendre l’articulation entre activité des élèves et celle des enseignants, cela impose au formateur de trouver les moyens de rendre réel une situation d’enseignement/apprentissage. Cela peut prendre la forme de travaux d’élèves, d’évaluations, d’entretiens, mais aussi, le plus en plus souvent, de séquences vidéo du travail dans la classe. La vidéo-formation pour quoi faire? La vidéo de séances de classe est devenue un outil courant en formation permettant de concrétiser une situation de la classe au cœur de la formation. Mais que montre -t-on ? Pour quoi faire ? La recherche donne un certain nombre de renseignements sur l’usage qui en est fait aujourd’hui et des pistes de réflexion.

Il s’agit de développer une culture de l’observation: un travail de mise en mots par les opérateurs de leur vécu, de leurs savoirs en actes, des modes opératoires concrets qu’ils mobilisent pour atteindre leurs objectifs.

Les mots clés : formateur-formation –observation- objectif- réflexion –vidéo Abstract

If train trainers in languages is to first read together the real, to understand the relationship between activity of students and teachers, this requires the trainer to find ways to bring back the real. This can take the form of work of students, assessments, interviews, but also more and more often, footage of the work in the class. Video-training for what? The video of class sessions became a tool in training to bring the reality of the class in the heart of the training. But that watch - t - on? What for? How do we? The search produces a number of information on the use that is made today and reflection.

It is to develop a "culture of compliance": "a work of putting into words by the operators of their experience, their knowledge into action, concrete procedures that they mobilize to achieve their goals.

Key words: trainer-training - -training-observation - objective reflection -video Introduction

L’utilisation de corpus vidéo pour la formation initiale et continue des enseignants de langue étrangère répond à une forte demande d’un public en attente d’exemples concrets. Cet usage représente également à nos yeux un outil pertinent pour développer des capacités d’analyse et de réflexivité sur les pratiques enseignantes. C’est dans cette optique que nous avons commencé à filmer des cours à l’université d’Oran 2 département de français module de méthodologie de l’oral pour les premières années de licence. Notre démarche s’inscrit dans une réflexion autour des pratiques de classe et de l’élaboration d’outils de formation. La réflexion repose également sur une participation active des enseignants filmés : réalisation d’entretiens d’auto-confrontation mais également co-analyse des pratiques et engagement dans la recherche.

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82 L’article abordera quelques enjeux méthodologiques liés à ce dispositif exploratoire, depuis l’accès au terrain jusqu’à la sélection d’extraits de corpus à présenter en formation. Au-delà du recours à des interactions didactiques filmées comme ressource, nous chercherons à mettre en lumière les apports des discours réflexifs tenus par les enseignants. Avant de présenter notre travail de recherche, il sera d’abord nécessaire de replacer cette étude dans le cadre des recherches autour de l’agir professoral et de la formation des enseignants.

L’implication des participants sera présentée dans un troisième temps. C’est après avoir exposé quelques interrogations liées au traitement du corpus que seront analysés trois extraits qui nous semblent pertinents à exploiter pour la formation initiale et continue des enseignants, mais également pour la recherche. Un même thème les réunit : celui de l’écoute en classe de langue.

1- Compréhension de l’activité enseignante

En classe de langue, la démarche ethnographique se manifeste par une volonté de compréhension des pratiques et des gestes professionnels de l’enseignant. La phase d’observation joue un rôle primordial : c’est elle qui va permettre de s’imprégner du terrain pour donner ensuite du sens aux événements en se plaçant dans la perspective des acteurs.

Dans une telle approche, le chercheur s’appuie non seulement sur les notes qu’il a prises, mais également sur les enregistrements, audio ou vidéo, réalisés puis transcrits. C’est dire si l’ethnographie de la classe de langue et l’analyse des interactions didactiques peuvent être intimement liées.

-Dans le cadre des recherches autour de l’agir professoral , il ne s’agit plus seulement de procéder à une analyse fine des échanges qui se produisent entre les différents acteurs de la classe, à travers l’étude des marques énonciatives, des places discursives occupées par les participants, des incursions de l’imaginaire ou encore du recours au métalangage. L’objet se porte explicitement sur l’interprétation que l’enseignant donne de son cours, dimension qui reste cachée à celui qui n’a pas la possibilité de solliciter directement cet acteur. Un monde nouveau, ignoré jusqu’alors des travaux sur les interactions didactiques, voit ainsi le jour : celui des dilemmes des enseignants, de leurs convictions, des réactions à l’imprévu, des stratégies qu’ils mettent en place lorsque des obstacles se présentent.

-Lorsque l’on s’intéresse à la « pensée enseignante », traduction proposée par Aguilar&Cicurel (2014), il est nécessaire de susciter certaines données que le chercheur qui observe une classe ne pourrait spontanément recueillir. Il s’agit des discours réflexifs d’enseignants sur leur pratique. Les entretiens d’auto-confrontation, au cours desquels les enseignants commentent des extraits filmés de leurs cours, permettent de mieux appréhender le point de vue des participants, ainsi que les normes qu’ils ont intériorisées. Les propos de Becker, hors contexte didactique, reflètent précisément les démarches valorisant les verbalisations d’enseignants sur leurs pratiques : « Pour comprendre la conduite d’un individu, on doit savoir comment il percevait la situation, les obstacles qu’il croyait devoir affronter, les alternatives qu’il voyait s’ouvrir devant lui ». En effet, ce sont les discours réflexifs qui permettront cet accès à la perception des acteurs.

Dans un premier temps, il a été nécessaire de présenter la réflexion aux enseignants, de façon à leur donner envie d’y participer. Il est important de garder à l’esprit les perturbations liées à l’entrée d’une personne extérieure dans un cours et à l’enregistrement vidéo. L’auto- confrontation constitue pour sa part une expérience inédite et potentiellement dérangeante.

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83 2.Présentation du travail de recherche aux enseignants

Comment présenter la démarche aux enseignants pour susciter leur motivation ? En acceptant de rejoindre la recherche, les enseignants s’engagent à être filmés et à commenter des séquences vidéo de leurs cours. En se livrant à des entretiens d’auto-confrontation, ils participeront à la mise en mots des savoir-faire professionnels en jeu dans l’enseignement des langues. Il nous a semblé important de préciser que ces ressources ne constitueraient pas seulement un support pour le travail des chercheurs, mais également un support pour la formation. En ce sens, nous cherchons des enseignants experts dont les compétences qui nous sont indispensables pour la formation de formateurs. Cette expertise est le fruit d’une formation en didactique des langues et d’une longue expérience de praticien qu’ils ont développée aussi bien en enseignant le FLE qu’en assurant des missions de formation ou des modules de stage pédagogique. Elle concerne non seulement les pratiques de classe, mais également le regard critique sur ses cours, quant à la manière de gérer la classe ou les interactions, et une capacité à expliquer sa façon de faire, à analyser ce qui se passe dans un cours.

Il a également été fondamental de placer les enseignants en confiance, de les rassurer afin qu’ils se livrent à cette analyse de leurs pratiques. Cela signifie que les enseignants ouvrent les séances de cours qu’ils souhaitent ; ils restent maîtres des vidéos et décident de ce qui peut et ne peut pas être réinvesti. La protection des enseignants est mise en évidence par Lebre, qui souligne cette « possibilité laissée à l’enseignante de donner son opinion sur le montage et de s’opposer éventuellement à son utilisation » (1999 : 231). En outre, nous avons fait le choix de filmer des pratiques enseignantes « spontanées », ordinaires, sans contraindre les enseignants dans la mise en œuvre de leurs séances de cours.

3-Formation des enseignants de langue à travers l’analyse de pratiques

Les recherches autour des gestes professionnels des enseignants peuvent également s’interroger sur la transmission de ceux-ci. Causa (2012) met ainsi en évidence la construction progressive d’un répertoire didactique et d’une posture réflexive chez les enseignants novices grâce à la formation. Le développement de la réflexivité constitue l’un des enjeux cruciaux pour de nombreux auteurs, au même titre qu’une complexification des représentations des futurs enseignants. Une analyse de l’activité peut aider à atteindre de tels objectifs.

L’une des approches possibles repose alors sur l’observation par les enseignants novices de leurs propres pratiques. C’est ce que proposent Altet& Guibert (2014) à des étudiants stagiaires par groupes de pairs. Le dispositif mis en place par Gadoni& Tellier (2014) est plus spécifique : il s’agit de confronter des étudiants stagiaires à des traces filmées de leur activité.

Lors de ces entretiens, les futurs enseignants sont amenés à expliquer et à analyser leurs actions. C’est hors contexte de formation que Azaoui (2014) met en évidence les apports des entretiens d’auto-confrontation pour le développement professionnel des enseignants, qui se manifestent notamment par une prise de « conscience de [leur] identité professionnelle en action » (Azaoui, 2014 : 132). Viau-Guay (2014 : 130) souligne quant à elle les limites de l’auto- observation : le processus réflexif que les formateurs souhaitent faire naître à travers cet exercice ne se construit pas toujours et peut être perçu essentiellement comme une démarche

« académique ». L’auteure suggère ainsi de développer de préférence l’analyse de l’activité d’autres praticiens.

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84 On pense alors bien sûr au stage d’observation de classe, souvent proposé dans la formation des enseignants de langue. Il n’est pas rare que des cours de master ou de licence y préparent les étudiants. C’est dans ce cadre que seront utilisées des séquences filmées de cours

Notre recherche vise également à former des enseignants de FLE à travers l’analyse de pratiques. Nous allons présenter plus spécifiquement les questions qui se posent lorsqu’il s’agit de mobiliser des corpus d’interactions comme ressource pour la formation initiale et continue.

4-Analyse de pratiques filmées et formation des enseignants

Après avoir présenté les visées de la recherche, nous mettrons en lumière le rôle fondamental accordé aux entretiens réalisés à la suite de l’enregistrement vidéo. La démarche mise en œuvre s’inscrit dans une volonté de collaboration entre chercheurs, formateurs et praticiens.

Notre réflexion est née d’une volonté forte exprimée par les étudiants se préparant à l’enseignement du FLE de disposer d’une approche plus directe du terrain. À travers l’analyse de pratiques de classe, nous souhaitons mettre en évidence la diversité des styles professoraux, afin d’aider les futurs enseignants à trouver leur propre style professoral et les enseignants en formation continue à élargir leur répertoire didactique. Il s’agit pour nous de fournir des exemples attestés de pratiques pédagogiques, de façon à créer un inventaire des gestes du métier. L’élaboration de tels outils de formation s’est appuyée pour commencer sur des cours de FLE à destination de d’apprenant. Nous envisageons d’élargir dans un second temps le terrain à d’autres contextes, ainsi qu’à l’enseignement d’autres langues. Il s’agira à plus long terme de proposer une banque de ressources pour la formation initiale et continue en didactique des langues, constituée de séquences filmées de cours, de pistes d’analyse, de documents, de fiches de préparation, mais également du discours de la sollicitation du point de vue de différents acteurs. Le dispositif tel que nous l’envisageons ne limite pas le corpus aux enregistrements vidéo des cours, nous souhaitons solliciter différents discours sur les extraits filmés. Cinq phases sont prévues : (1) un enregistrement vidéo de la séance ; (2) un entretien « à chaud » avec l’enseignant ; (3) un entretien d’auto-confrontation avec l’enseignant

; (4) un entretien d’auto-confrontation avec des apprenants ; (5) un entretien d’auto- confrontation croisée impliquant l’enseignant et l’un de ses collègues. Une telle approche vise à multiplier les points de vue sur une même séance de cours. Jusqu’à présent, seules les trois premières étapes ont été mises en œuvre.

L’entretien d’auto-confrontation permet d’accéder à l’expérience telle qu’elle est décrite par les acteurs l’ayant vécue. La vidéo apporte des traces mnésiques de l’activité et permet ainsi à l’enseignant de revenir sur son action. Cet exercice nous semble avant tout intéressant en ce qu’il invite l’enseignant à expliciter sa démarche et à réfléchir à ses pratiques : y avait-il d’autres manières de faire ? Le dispositif, qui offre la possibilité aux praticiens de mettre en mots leurs savoirs professionnels, peut également constituer un support de réflexion critique.

Les commentaires des enseignants sur leurs séances de cours donnent ainsi accès à leur point de vue sur leurs choix didactiques, leurs gestes professionnels, leur gestion des interactions, en lien avec leurs convictions concernant l’enseignement-apprentissage des langues. Il est alors possible de comprendre la façon dont l’enseignant interprète son action et celle des apprenants, les obstacles qu’il rencontre, ses dilemmes. De telles informations constituent des ressources de grand intérêt pour la formation des formateurs et peuvent aider à mieux cerner les enjeux d’un cours de langue.

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85 Notre réflexion repose également sur l’implication des enseignants, dont la large expérience constitue une richesse. Les ressources recueillies pourront être utilisées pour la formation continue de formateurs assurée, à travers des missions ponctuelles et des stages pédagogiques.

Mais le dispositif vise également de façon complémentaire une mutualisation des pratiques auprès des enseignants. En ce sens, il s’agit là aussi d’une formation continue, à travers le perfectionnement des professeurs en service. Les échanges d’expériences entre collègues sont susceptibles d’apporter une prise de recul, ainsi que l’adoption de nouvelles techniques de classe. Une telle réflexion sur les pratiques et les savoirs d’action s’inscrit dans un travail d’auto-formation visant le développement de l’autonomie professionnelle des enseignants.

Comme nous l’avons annoncé dans l’introduction, cette démarche de formation, qui part de l’observation de pratiques pour construire des savoirs théoriques, répond à une demande exprimée par les étudiants. Voir à l’œuvre des pratiques enseignantes est susceptible d’accroître la motivation. Les vidéos sont ainsi utilisées comme des déclencheurs à partir desquels des questions émergent et une réflexion s’élabore. Un travail autour des vidéos de cours et des commentaires de l’enseignant peut contribuer à la constitution d’un inventaire des gestes professionnels et mettre en évidence la diversité des manières de faire possibles.

Cette approche vise une complexification des représentations, un développement des capacités d’analyse, des compétences de conception et de réflexivité. Nous considérons cependant bien sûr que la confrontation effective avec un public d’apprenants est d’une importance considérable pour les enseignants novices.

Nous développerons également dans notre recherche, les thématiques présentées autour des interactions didactiques, de l’agir professoral et de la formation des enseignants. Une fois que le dispositif d’entretiens d’auto-confrontation croisée et de réunions aura été déployé, nous avons l’intention d’étudier de façon plus spécifique les moments d’échanges et de réflexion entre collègues, de façon à comprendre comment la mutualisation des pratiques peut être mise à l’œuvre. Ce qui fait avant tout l’originalité de la recherche, c’est l’implication directe des enseignants.

5-Implication des enseignants dans la recherche

Notre recherche repose sur un engagement des enseignants, qui non seulement ouvrent leur classe, acceptent d’être filmés et de participer à un entretien d’auto-confrontation, mais s’impliquent ensuite dans la réflexion sur les pratiques de classe et leur transmission. Nous reviendrons ici sur deux phases importantes : celle qui a consisté à convaincre les enseignants de rejoindre le projet et celle qui a consisté à les intégrer à la recherche. Pour cela, nous nous appuierons sur le retour d’expérience rédigé par Mme f., la première enseignante ayant rejoint l’expérience, elle s’est prêtée à l’enregistrement vidéo d’un cours intensif de 2 h, à des entretiens « à chaud » après le cours et à des entretiens d’auto-confrontation, elle a également participé aux discussions et réunions en vue de la présentation du travail de recherche. Dans le témoignage qu’elle a écrit, elle explicite sa perception du dispositif mis en œuvre.

6- Questions méthodologiques

L’exploitation du corpus dans le cadre de la formation des enseignants de langue suscite plusieurs interrogations. Quels critères retenir pour sélectionner des extraits de cours à utiliser en formation ? Comment peut-on juger de l’exploitabilité d’une séquence dans le cadre de cours de didactique des langues ? Est-il préférable de choisir des moments ordinaires ou inhabituels, des séquences jugées pertinentes ou non par l’enseignant et les apprenants ? Quels

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86 passages des entretiens d’auto-confrontation permettraient de complexifier les représentations des apprenants ? Quels phénomènes étudier ? Quelles parts accorder à l’analyse des interactions et à celle de la méthodologie d’enseignement ? Une réflexion sur ces questions a été menée avec les enseignants participant à l’expérience.

Nous considérons que les séquences sélectionnées ne doivent pas représenter les « meilleurs

» moments d’un cours, ou des extraits « idéaux ». Dans une visée d’analyse des pratiques, il nous semble primordial de comprendre les choix de l’enseignant.

Les passages où l’enseignant verbalise les obstacles qui se présentent, où il dit comment il aurait pu faire autrement sont en ce sens très riches, une grande importance est ainsi accordée au point de vue sémique, avec un intérêt particulier porté aux catégories que les enseignants eux-mêmes font émerger dans les entretiens d’auto-confrontation.

Les thématiques à sélectionner pour une exploitation en formation peuvent aussi bien porter sur les méthodologies d’enseignement (les différentes activités langagières, les démarches inductives, etc.) que sur les interactions en classe (la circulation de la parole, la relation didactique, etc.) et l’agir professoral (les convictions de l’enseignant, les stratégies mises en œuvre, etc.). Cela implique de transcrire à la fois les interactions didactiques et les entretiens d’auto-confrontation, afin de permettre une analyse de l’activité discursive et de suspendre le jugement qui apparaît souvent au moment du visionnage d’un film de classe.

Dans le cadre de la professionnalisation, il est important de sensibiliser les enseignants en formation à la décentration. Il s’agit ainsi de construire une compréhension de l’activité didactique en analysant les phénomènes sans se placer dans une posture de jugement.

L’introduction du point de vue de l’enseignant et de celui des apprenants peut également faciliter cette démarche et permettre aux étudiants de prendre conscience de la complexité de l’agir enseignant en réfléchissant à ce qui a pu motiver les choix de l’enseignant filmé, cela ne signifie pas pour autant que le regard de ces acteurs possède une dimension davantage « véridique » que les résultats auxquels on peut arriver par l’analyse des interactions. Ces deux approches nous semblent complémentaires. Une sensibilisation à un éventail de pratiques.

Une autre question qui se pose est celle de la valeur prescriptive de l’observation. Il ne s’agit pas pour nous de proposer des modèles mais bien des pratiques attestées. C’est en ce sens que la façon de présenter les enregistrements vidéo nous semble primordiale, nous faisons nôtre affirmation de Lebre selon laquelle « [i]l faut éviter que les extraits soient montrés comme des « modèles ,négatifs ou positifs » (1999 : 230). Nous souhaitons éviter le risque d’une approche normative qui se fonderait sur une seule manière de faire.

À travers l’analyse d’exemples concrets, les futurs enseignants seront exposés à un éventail de pratiques, ils pourront observer une large palette de styles professoraux. Cette démarche vise à apporter une ouverture permettant aux étudiants se destinant à l’enseignement du FLE de se situer, il s’agit de les aider dans leur cheminement à trouver quels enseignants ils sont les discussions seront focalisées non seulement sur l’agir professoral (obstacles qui se présentent, imprévus constitutifs des cours de langue, etc.), mais également sur les profils d’apprenants (cultures d’apprentissage, langues, niveaux, etc.)

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87 7- Intrusion dans l’intimité d’un cours

Nous avons tenu à prendre en compte les réticences exprimées dans un premier temps par les enseignants sollicités : la peur d’être filmé, jugé, évalué ; le stress lié au fait d’être observé et de se regarder ; l’inquiétude quant au fait que les vidéos soient présentées publiquement.

L’annonce de la thématique peut entraîner la réminiscence des inspections, surtout que la classe représente une forme d’intimité.

« Le fait d’être filmé, c’est ouvrir sa classe et faire entrer des personnes extérieures […] et des objets inhabituels […] dans la classe. Cela n’est pas évident et ne va pas de soi. Bien sûr, la classe est ouverte, accueillante, […]. Mais la classe, c’est aussi un lieu privé, où doit être protégée la relation de confiance établie entre les étudiants et l’enseignant […] et où la bienveillance est primordiale […] Enfin être filmé c’est être dérangé dans son « entre soi », l’entre-soi de la classe, l’intimité du groupe classe. »

Dans cet extrait, Mme F. insiste sur l’intrusion de personnes extérieures à travers l’enregistrement vidéo de son cours. Elle met en évidence le caractère privé du lieu ; cette clôture de la classe est également soulignée par Cambra Giné : « un espace fermé, à l’intérieur duquel ne sont admis que ceux qui ont le statut de professeur et d’élève » (2003 : 46). Pour F., le dispositif conduit nécessairement à une perturbation de cette intimité. L’enseignante révèle l’importance de la relation apprenants/enseignants, fondée sur la bienveillance. l’œil de la caméra peut perturber le déroulement « normal » du cours.

8- Se regarder, une expérience perturbante

Si le fait d’être filmé est considéré comme perturbant, la phase suivante proposée aux enseignants, celle de regarder le film du cours, ne l’est pas moins. F. insiste ici sur le caractère désagréable de cette activité:

Il est étrange de se voir. Il m’est plus facile de regarder le film de la caméra qui est placée derrière moi car le point de vue est presque identique à celui que j’ai dans la classe. Je revois avec plaisir mes étudiants, leurs réactions et leurs réponses. En revanche, il m’est fort désagréable de me voir faire, agir. Je trouve que je fais beaucoup de gestes, de mimiques, de grimaces. Je m’observe bouger. Je scrute mon corps. Ma voix me paraît différente. Je me trouve insupportable. Je me juge durement. Je ne suis pas sympa avec moi-même. Je ne suis pas du tout « bienveillante ».

Dans cet extrait, F. établit une claire distinction entre le fait de s’auto-observer et le fait de regarder les apprenants. Il faut préciser ici que deux caméras ont été utilisées : l’une focalisée sur l’enseignante, l’autre sur les apprenants. La seconde permet à l’enseignante de revoir son cours tel qu’elle l’a alors vécu. Par opposition, la caméra focalisée sur elle-même lui offre un point de vue complètement inédit : F. insiste sur ses réactions négatives, liées notamment à son corps, à travers ses gestes, et à sa voix l’enseignante révèle ainsi une dualité inhérente à l’expérience d’auto-confrontation.

En outre, il y a une sorte de schizophrénie de se voir et de s’entendre ; d’être à la fois le sujet de l’action et l’objet de l’observation. Je me retrouve dans ces deux places différentes en même temps. Je suis à la fois le voyeur et l’objet regardé. C’est bizarre et inconfortable.

Il n’est jamais agréable de se sentir observé, on n’a pas envie d’être « un rat de laboratoire » ou une sorte de « proie potentielle ». Il nous a semblé primordial de ne pas considérer les

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88 professeurs comme des « rats de laboratoire », mais bien comme des partenaires directement impliqués dans la recherche.

-Mme F. explicite dans l’extrait suivant ce que la participation à la recherche lui importe.

Avoir la possibilité de commenter, c’est :

- Avoir la chance d’être un objet d’études qui a le droit à la parole, à l’expression, me permettre de formuler mes idées, de m’exprimer sur mon travail, d’avoir le droit au chapitre, ce qui est rare,

- Transmettre ce qui peut être formateur pour les futurs enseignants,[…]

- Me permettre de prendre de la distance par rapport à ma pratique, - Me remettre en question, […]

- Echanger sur ma pratique de classe, mes valeurs, mon comportement, […]

- Découvrir d’autres façons de faire, m’enrichir, me nourrir.

Pour finir, ma participation à cette « aventure » me permet d’évoluer dans mes réflexions et ma pratique de classe et de continuer à cheminer dans mon parcours d’enseignante.

Ces quelques lignes plaident en faveur d’une co-analyse des pratiques entre enseignant et chercheur. F. insiste ici sur les bénéfices en termes de développement professionnel : prise de distance, remise en question, échanges entre collègues. Ainsi, la recherche, initialement pensé pour la formation d’enseignants travaillant sur des corpus vidéo, s’inscrit également dans une logique.

Conclusion

Dans la phase d’analyse du corpus, nous avons voulu sélectionner des extraits vidéo qui illustrent différentes facettes d’un cours de 2 h et nous nous sommes focalisées sur la combinaison de trois formes d’écoute au sein du même cours. Deux approches innovantes sont apparues : celle où l’enseignante ferme les yeux et celle où elle lâche la bride pour donner libre cours à l’expression des apprenants. Cette variation résulte d’un jeu dans la consigne à différents moments du cours. Les trois extraits témoignent ainsi de l’éventail des possibles devant lequel se retrouve tout enseignant et qui lui demande de faire preuve de créativité et d’une grande souplesse dans les interactions.

Notre objectif a été de montrer comment des vidéos de cours commentées par l’enseignant pouvaient constituer un outil pertinent pour développer des capacités d’analyse et de réflexivité, en complément de l’observation de classe directe. Le travail de recherche s’inscrit dans une optique de professionnalisation des enseignants – novices et déjà en service – visant à les sensibiliser à l’analyse des pratiques. Le recours à de tels corpus dans la formation a également pour ambition d’articuler savoirs pratiques et savoirs théoriques. Les premiers usages de ces vidéos en formation initiale nous ont en effet convaincues de leur intérêt dans une visée d’évolution et de complexification des représentations chez les futurs enseignants.

Les extraits sélectionnés soulèvent des questions comme celles de la relation didactique ou de la correction des apprenants, qui font ensuite l’objet de discussions entre les étudiants.

On voit alors apparaître des moments d’argumentation, qui amènent de nouvelles questions et permettent de relativiser des évidences fortement ancrées chez les étudiants.

Au-delà de l’exploitation de ce corpus pour la formation, la recherche collaborative mise en œuvre conduit à redonner une place aux enseignants, participants invisibles de la plupart des recherches sur la formation. Les entretiens d’auto-confrontation créent des effets de mise en

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89 abyme (Azaoui, 2014), au cours desquels les observés deviennent observateurs. Ce déplacement de point de vue se révèle très éclairant pour une compréhension de l’activité enseignante et d’apprentissage tout au long de la vie pour l’enseignante filmée.

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