FACULTÉ DE
MÉDECINE
ET DEPHARMACIE DE BORDEAUX
ANNÉES 1898-1899 N° 85
DE
1 U
A
LA PÉRIODE PRIMAIRE DE LA SYPHILIS
THESE POUR LE
DOCTORAT EN MEDEL_„
Présentée et soutenue publiquement le 21
juillet
1899ffg £
^
;PAR
/îj
Emile-Henri LESTAGE
Né à Montévidéo (Uruguay), le 12 décembre 1873
f MM.ARNOZAN,professeur Président.
huiulnr. 4. U Thèse:
S
iSS"8'
RONDOT, agregeprofesso'"'"--)
I Juges,„„\ Ltî DANTEC, agrégé '
Le Candidat répondra aux questions qui lui serontfaites sur les diverses parties
de l'Enseignement médical.
BORDEAUX
r' gounouilhou, imprimeur de la
faculté
demédecine
II, RUE GUIRAUDE, II
1899
FACULTÉ DE MÉDECINE ET DE PHARMACIE DE BORDEAUX
M. de NABIAS Doyen. | M. PITRES. Doyenhonoraire.
MM. MIGE .
AZAM. . . DUPUY.. .
MOUSSOUS
professeurs:
Professeurshonoraires.
Cliniqueinterne. . .
Cliniqueexterne. . .
Pathologieetthérapeu¬
tiquegénérales. . .
Thérapeutique. . . .
Médecineopératoire Cliniqued'accouchements.
Anatomiepathologique. . Anatomie
Anatomie générale et
histologie Physiologie ...
Hygiène
MM.
PICOT.
PITRES.
DEMONS.
LANELONGUE VERGELY.
ARNOZAN.
MASSE.
LEFOUR.
COYNE.
N...
YIAULT.
JOLYET.
LAYET.
Médecinelégale . Physique ....
Chimie
Histoire naturelle Pharmacie . . .
Matière médicale.
Médecineexpérimentale . Clinique ophtalmologique.
Clinique des maladies chi¬
rurgicalesdes enfants . Clinique gynécologique Cliniquemédicale des
maladies des enfants Chimie biologique . .
MM.
MORACHE.
BERGONIÉ.
BLAREZ.
GUILLAUD.
FIGUIER.
deNABIAS.
FERRÉ.
BADAL.
PIÉCHAUD.
BOURSIER.
A. MOUSSOUS.
DENIGÈS.
agrégés en exercice:
section de médecine(PathologieinterneetMédecinelégale.) MM.CASSAET.
AUCHÉ.
SABRAZÈS.
MM. LeDANTEC.
HOBBS.
section de chirurgie et accouchements
Accouchements.iMM. CHAMBRELENT.
FIEUX.
(MM.BINAUD.
Pathologieexterne.) BRAQUEHAYE
( GHAVANNAZ.
section des sciencesanatomiques et physiologiques
iMM.PRINCETEAU. I Physiologie . . . MM.PAGHON.
'
"( CANNIEU. | Histoirenaturelle. BEILLE.
Anatomie
Physique.
section des sciences physiques
MM.SIGALAS. — Pharmacie . . M.BARTHE.
cours complémentaires:
Cliniquedesmaladies cutanéeset syphilitiques MM.OUBRE Clinique des maladiesdes voies urinaires
vrnnRF
Maladies dularynx, des oreilleset dunez
Maladiesmentales HEGIb-mVrc
Pathologie externe
nnvnnf
Pathologie interne HOa
Accouchements t»® ;
v"'
Chimie
•
SaPHON
Physiologie
r\N\TIElj.
Embryologie Pathologie oculaire
CONFÉRENCEd'hydrologieetminéralogie CARLLb.
LeSecrétairede la Faculté:LEMAIRE-
Par délibération du 5 août 1879, la Faculté a arrêté que les opinions
^Sutcurs,
et Thèses qui luisontprésentées doiventêtre considérées commepropresaqu'ellenentend leurdonnerniapprobîtionninnprobation.
INTRODUCTION
Enexaminant la gorge d'un
malade qui entrait à l'hôpital
Saint-Jean pour un chancre
induré, situé
auniveau du frein,
nousremarquâmes une rougeur
diffuse s'étendant
surla partie
inférieure duvoile du palais, se
propageant
auxamygdales et
à lapartie du pharynx que
l'on peut voir à l'éclairage direct,
en se servant de l'abaisse-langue.
Nous demandâmes au malade s'il souffrait de la gorge.
Il
nousrépondit qu'il ne
ressentait
aucunedouleur de
cecôté-là.
Notre malade ne fumait pas, n'était pas
alcoolique, n'avait
subiaucun traitement, et en un mot ne
présentait rien qui
pouvaitjustifier l'énanthème que nous
observions.
Quelque temps après, deux
malades entrèrent à l'hôpital
porteursde chancres mous.
Leur gorge,examinée, ne
présentait rien d'anormal.
Tandis que le premier vit son
chancre évoluer normalement
etguérir en unedouzaine de jours, nous
assistâmes à la trans¬
formation in situ du chancre mou du second en un chancre
induré.
Lorsqu'il fut constitué, que le
diagnostic
nefut plus dou¬
teux, nous examinâmes sa bouche et sa gorge, et nous
vîmes
unénanthème semblable à celui que nous avons
mentionné
plus haut.
Depuis cetteépoque, chaque fois
qu'un malade porteur de
chancre mixte ou induré s'est présenté à
l'hôpital, soit
pour y centrer, soit pour la consultation, nous avonsexaminé sa
gorge.
C'est l'ensemble de nos observations et de nos recherches
sur ce point qui constituela thèseque noussoumettons
aujour¬
d'hui à nos maîtres.
La série des faits observés s'étend du mois de janvier 1898
au mois de juin 1899.
Nous croyons avoir trouvé là une manifestation de la
syphilis qu'aucun auteur, à notre
connaissance,
n'a encore signalée à cette période.En outre, la présence de cet énanthème à la période pri¬
maire de la syphilis établit une analogie intéressante entre cette diathèse et les fièvres
éruptives,
analogie sur laquellenous insisterons dans un des chapitres suivants, sans cepen¬
dant en tirer aucune déduction.
Ce travail est divisé entroisparties : Dans la première, nous décrirons
l'énanthème,
sa dated'apparition,
sa localisation, safréquence,
sa terminaison, etc.Dans la seconde, nous discuterons la nature de cette mani¬
festation.
Dans la troisième enfin, nous tirerons les déductions que
nous croyons être en droit de tirer des faits et des chiffresque
nous avançons.
En dernier lieu, on trouvera les observations les plus inté¬
ressantes que nous avons recueillies sur ce symptôme, et un tableau statistique.
En terminant cette
introduction,
que nos maîtres de la Faculté et des Hôpitaux veuillent bien me permettre de lesremercier de toute la bienveillance qu'ils n'ontjamais cessé de
nous témoigner.
MM. les professeurs
Lanelongue
et Bergônié, MM. lesDrs Davezac et
Mandillon,
chez lesquels nous avons eu 1hon¬neur d'être externe
;
M. le professeurMesnard, MM. les Drs GuémentetLoumeau ont toujours été des maîtres accueillants et bienveillants pout nous; qu'ils reçoivent tous nos remerciements.
Nous exprimons toute notre gratitude à MM. les profésseuis
Coyne et
Auché,
qui ontbien voulu m'admettre,
nonseulement
à titredebénévole, mais encore de préparateur
intérimaire.
Que M. le Dr de Chappelie me permette de lui exprimer
ma sincèrereconnaissance pour la bonté qu'il m'a témoignée pendantles deux années où
j'ai été
soninterne.
Que M. leprofesseur Arnozan reçoive tous mes remercie¬
mentspourl'extrême bienveillance qu'il a eue pour nous pen¬
dant tout le cours de nos études et pourl'honneur qu'il nous fait en acceptantla présidence de notre thèse inaugurale.
DE
L'ÊNÂNTHËME BUCCO-PHARYNCÉ
A LA PÉRIODE PRIMAIRE DE LA
SYPHILIS
CHAPITRE PREMIER
Ilestassezdifficile de dire le moment où un chancreinduré
débute. Le plus souvent, le malade vient vous trouver ne
sachant pas trop, non seulement la date de
l'inoculation, mais
encore le moment où son « écorchure » a commencé à s'in-
durer.
En outre, il arrive fréquemment que
le malade s'est déjà
institué un traitement mercuriel; qu'il fume, qu'il
boit des
liqueursfortes ou qu'il est sujet à desaffections de la
gorge.Par ce rapide exposé, on voit la
difficulté qui
serattache à
savoir si c'est bien à la syphilis qu'ilfaut rapporter
l'érythème
qui fait le sujet de notre thèse ou bien si c'est
à
ces causes accessoires.Enplus, l'accident étant indolore, les malades ne peuvent
vous dire quand il a commencé. Si l'on veut
joindre à cela
q^'ilyaune foule decauses physiologiques qui peuvent
déter¬
miner une congestion fugace de
l'arrière-cavité buccale,
on n'est pas étonné qu'aucun auteur n'aitattaché d'attention à
cettemanifestation.
Lorsque
l'on consulte les auteurs qui se sont occupés desvphiligraphie,
on remarque le soin etl'insistance
avec— 10 -
lesquels ils ont pourtant décrit les manifestations bucco-
pharyngées de lapériode secondaire de la syphilis.
Tous, depuis Ambroise Paré, insistent particulièrementsur
l'hypertrophie des amygdales, l'énanthème de la gorge.
« Leur survient aussi, dit Ambroise Paré, tumeurs aux amygdales qui les gardent bien de parleretavaler leurviande,
même leur salive. »
Swedaur estplus explicite : <r Quandle virus syphilitiqueest absorbé dans la masse du sang, dit-il, il porte le plus souvent
la première action sur la gorge... En examinant la gorge, on
ne trouve parfois qu'un gonflement considérable des amyg¬
dales, » passage qui nous faitprésumer que l'auteur n'a eu en
vue que la période secondaire de la syphilis.
En 1814, Garmichaël et Tanturri parlent aussi de la con¬
gestion dela gorge et des amygdales à la période secondaire.
Plus récemment,
Lancereaux,
Desnos, Ricord, Desprez, Diday, Rollet, Aimé Martin, Cornil, Gouguenheim, Martinaud, Fournié, Mauriac(Jullien),
pour ne citer que ceux-là,ontaussinoté et étudié cette manifestation classique.
Gilles, dansunexcellenttravail surYHypertrophie desamyg¬
dales chez lessyphilitiques, signale 1'«érythème précurseur», mais sans notersa date d'apparition.
Dans ces derniers temps, dans une thèse de Bordeaux (*),
nous avons aussi trouvé la description de cet érythème à la période secondaire. Benoit, dans Y
Érythème
vermillon des syphilitiques, ne parle aussi que de la période secondaire.Carbonnier,
dans sa Contribution à l'angine syphilitiqueaux trois périodes, ne note en fait d'angine à la
première
période que le chancre de l'amygdale.En résumé, parmi tous les auteurs que nous avons cites,
aucun n'a noté la coexistence du chancre induré et de l'énan¬
thème
bucco-pharyngé.
p) Rouchaud, De l'hypertrophie des amygdales à la période secondaire de
lasyphilis.
CHAPITRE II
L'énanthème que nous avons observé estun énanthèmetout
spécial.Vouloir le définir par sa couleur est difficile.
Comme la couleur des accidents syphilitiques en général,sa coloration peut se prêter à de multiples comparaisons.
D'une façon générale, c'est une teinterouge ouplutôt rosée >
ce n'est pas la couleur piquetée, framboisée, qu'on observe
danslascarlatine, le rouge paille comme doré de l'érysipèle,
mais un
rouge pour ainsi dire légèrement carminé, une pousséecongestive s'étendant, commel'érythème des oreillons,
surlapartie inférieure du voile du palais, englobant la luette
etsepropageantjusqu'au pharynx.
Complètement indolore, ne gênant en rien le malade, cet érythèmeestlisse, uni, de teinte à peu près égale partout.
Ses bords se continuentinsensiblement et seconfondent par
uneétroite zone de transition avec les parties saines. Il n'a
aucun relief, ne donne aucune sensation caractéristique au toucher. Ne
s'accompagne
jamais d'adénite cervicale.Ildébute ordinairement par la partie inférieure du voile du palais et la luette, pour, de là, s'étendre dans les limites que uous avons décrites.
Comme nous le faisions remarquer au chapitre précédent, il
estdifficiled'indiquer la date exacte de son début.
Le plus souvent, ce n'est que lorsqu'il est complètement
constituéquel'observateur yfait attention.
Dans quatre cas, nous l'avons vu débuter. Il a commencé,
- 12 —
dans ces quatre cas, environ le dix-huitième jour après l'ino¬
culation.
Dans un cas, le chancre induré était apparu caractéristique
le treizième jour; dans un autre, le dix-septième, et dans
les deux derniers, le dix-huitième. C'est-à-dire que c'est au
moment même où, d'après les auteurs, l'infection syphilitique
est réalisée, qu'apparaît l'érythème.
Dans tous les autres cas que nous avons observés, nous n'avons pas pu fixer d'une façon aussi certaine sa date d'appa¬
rition.
Sa durée est assez difficile à fixer. Dans certainscas il est continué in situ par des accidentsplusgraves outoutaumoins plus intenses. Dans ces cas,qui sont le plus ordinairementdes
cas de syphilis galopante, il précède une hypertrophie des Amygdales ou une éclosion de plaques muqueuses, et il y a entre ces accidents une période de transition difficile à
délimiter.
Dans la majorité des cas, il disparait sans laisser de traces, progressivement, en s'atténuant peu à peu, ce qui
complique
aussi la difficulté de dire exactement le moment précis où
il
a disparu. Ce n'est que par la moyenne etapproximativement
que l'on peut fixer sa durée.
Dans douze cas, il a évolué dans un laps de temps de
douze
à dix-sept jours. C'est-à-dire qu'apparaissantavec
l'induration
du chancre, il s'estterminé avec sa cicatrisation.
Dans trois cas, tous chez des femmes, il n'a pas
disparu
complètement au bout de ce temps, mais il étaitresté
surle
voile du palais une série de petites taches rosées
ayant la
superficie d'un très petit pois, sorte de roséole de
l'arrière-
cavité buccale, ayant assez bien l'aspect des
maculœ sijphi-
liticœ.
C'est seulement dans ces cas particuliers que nous avons
pu
voir cette roséole du voile du palais que quelques auteurs
ont
décrite à la période secondaire, mais sans en
avoir
vu1'
début.
Dans ces trois cas, ces restes d'énanthème
persistèrent, et
peu à peu, eu
quinze jours, une roséole maculeuse précoce
couvritle corpsdes
trois malades précitées.
Sur
quarante-deux
casde chancre indurés que nous avons
recueillis, nous avons
noté dix-huit fois la coïncidence des
deux accidents.
Dans neuf autres cas, nous n'avons pas pu
établir d'une
façonnetteet
indubitable
quec'était bien à la syphilis qu'était
due l'érythème.
Deuxde cesmalades étaient atteints de
laryngite bacillaire.
Les autres étaient ou des alcooliques
invétérés
oubien des
fumeurs obstinés, souvent même
les deux à la fois.
Jeneparle que pour
mémoire de deux chancres de l'amyg¬
dale qui, bien entendu,
s'accompagnèrent d'une congestion
périphérique due àl'accident
lui-même.
Dans ce même ordre d'idées, je signalerai un
chancre de la
lèvre inférieure qui donna lieu
à
unretentissement ganglion¬
naire cervical intense et à une congestion de toute
la bouche,
congestion accentuée surtout
à la région bucco-pharyngée.
Quantauxautres cas, nous n'avons
observé
aucunérythème
chez cesmalades.
Gomme onle voit par ce tableau,
plus de la moitié de nos
malades n'ont pas présenté
la manifestation
quenous
décrivons.
Sa fréquence, suivant le sexe,
semble être beaucoup plus
grande chez les hommes que chez les
femmes; mais il
nefaut
pasoublierquetoutes les
observations
que nous avons,ont été
prises àl'hôpital Saint-Jean, oùla
consultation
pourles femmes
nexiste pas, où les femmes internées sont en
beaucoup plus
petit nombre que les hommes, et
qu'enfin il est très rare,
comme le disent les auteurs, qu'une femme
s'aperçoive de
son chancre induré... et que, surtout
dans la catégorie de
malades soignées à Saint-Jean, elle ne
fasse tout
cequ'elle
peutpourle cacher, si elle s'en aperçoit.
Gest ainsi que nous avons noté
quatorze fois l'érythème bucco-pharyngé
chez les hommes, etquatre fois seulement
chezles femmes.
— 14 -
L'influence du tabac ne semble
guère entrer en ligne de compte sur les dix-huit malades chez lesquels nous avons
observé de l'énanthème
bucco-pharyngé
: huit fumaient modé¬rément, deux fumaient avec excès, les autres ne fumaient pas du tout ou fumaient peu.
Quelques-uns,
que nous avons du reste rangés parmi lescas douteux, fumaient et chiquaient avec excès, malgré le règlement.
Il est à noter que parmi les vingt-quatre malades chez
lesquels nousn'avons pas trouvé d'une façon certaine la mani¬
festation que nous
signalons,
dix-huit fumaient aussi et ne présentaient rien du côté de la gorge.Nous ajouterons que les quatre femmeschez
lesquellesnous avons observé des chancres indurés ne fumaient pas, et que dans les quatre cas nous avons eu de l'érythème.
De même pour l'alcool : nous ne croyons pas que l'usage
des boissons
alcooliques
doive entrer pour beaucoup dans la production del'érythèmebucco-pharyngé.
Outre que son action sur
l'étiologie
des angines en généraln'a jamais été signalée d'une façonréellement sérieuse, nous
ne croyons pas que son usage à lui seul suffise à produire l'érithème
bucco-pharyngé.
Il y a un agent cependant auquel il faut faire attention, car il peut être la cause d'erreurs.
Chez quelques
individus,
l'usage, même très faible, dumer¬cureauteursproduit une
pharyngite
tout à fait spéciale, que quelquesont signalée dans ces derniers temps.
Nous voulons parler d'une angine mercurielle anormale décritepour la première fois, croyons-nous, parLagneau, dans
son Exposé des symptômes de la maladievénérienne.
Cette intoxication mercurielle, que Schulster aaussi décrite
dans ces derniers temps, est caractérisée par ce fait qu'elle se traduit par une
rougeur de l'arrière-cavité buccale.
C'est un énanthème légèrement douloureux et absolument
localisé, sans inflammation ni ulcération des gencives, et ne
s'accompagnant
que de peu de ptyalisme.— 15 —
Nous avouons que
quelquefois
nous avonsété fort embar¬
rassépourtrancher
la question.
Était-cebiendel'énanthèmesyphilitique
auquel
nousavions
affaire, oubien à de
l'intoxication mercurielle? Pour lever nos
doutes, nous ne pouvions que
supprimer le
mercureet voir si
l'érythème
rétrocédait.
C'estainsique chez un jeune
homme porteur d'un chancre
mixte, aussitôt que nous nous
crûmes à
peuprès fixé sur
l'évolution qu'allaitsuivre son
ulcération,
nousinstituâmes un
traitementspécifique: deux
cuillerées de sirop de Gibert par
jour. •
Dès lequatrièmejour de ce
traitement, le malade était por¬
teurd'une inflammation de la gorge. Il est vrai
d'ajouter qu'à
cemoment-là aussi son ulcération n'était plus douteuse, l'in¬
duration étantconstituée.
Dansun cas semblable,quifallait-il
incriminer? La syphilis?
le mercure? Nous ne savonspas trop si ce
n'est
pas enfaveur
denotrethèsequ'il faut faire
pencher la balance.
Ilestun fait bien certain, c'estque Schulster,
qui
adécrit
cetteintoxication à forme anormale, l'adécrite chez des
syphi¬
litiques secondaires. Or, à cette époque,
la poussée congestive
sur la région bucco-pharyngée
n'est-elle
pasla règle, et
neserait-ce pas à la diathèse qu'il
faudrait rattacher cet énan-
thème?En outre, sans nier que cette
forme spéciale de mani¬
festationd'intoxicationhydrargyrique
puisse exister, dans le
casquenous venons de citer, nous avons
peine à croire à
unemanifestationd'ordre mercuriel, la dose étant par trop
faible.
Dans deux autres cas, nous avons eu
affaire à de véritables
intoxications mercurielles au début; mais, en arrêtant
le trai¬
tement, nous vîmes disparaître les
accidents très
peu pro¬noncés que nous avions vus au niveaudesgencives et
persister
larougeur de l'arrière-bouche, ce qui nous
parait trancher la
question définitivement.
A côté deces deux cas, nous devons en
citer
untroisième,
plus douteux.
U serapporte à une jeune femme
à laquelle
sonmari,
sur— 16 —
les conseils d'un médecin, fit subir)un traitement mercuriel
préventif.
Le mari, syphilitique depuis deux ans, s'était marié depuis quatre mois. Sa femme tombant enceinte, très judicieusement
un médecin, consulté,conseilleuntraitementpréventif.Malgré
ce
traitement,
au cours du troisième mois de sa grossesse,la femme vit apparaître un chancre induré sur la grande lèvre gauche, accident sur la nature duquel nous fûmes appelé à donnernotre avis huit jours après.Étant
donnés les aveux du mari et l'aspect caractéristique de la lésion, nous crûmes àun chancre syphilitique, et le traitement antisyphilitiquemer¬
curiel fut seulement continué.
Sept jours après, lagorge fut examinée. Elle présentait une coloration rouge typique, étendue à la partie inférieure du
voile du palais et aux amygdales. La malade ne salivait paset
ne souffrait pas.
Malheureusement,
on n'avait pas examiné la gorge avant l'apparition du chancre induré. Dans ce cas, il est impossiblede dire si c'est au mercure ou à la syphilis que revient l'éry-
thème observé, car, le traitement mercuriel ayant été arrêté
par prudence, l'érythème disparut; mais à ce moment-là le
chancre était cicatrisé. Si l'énanthème était dû au mercure, il
avait disparu du fait même de la suppression de sa cause. S'il
était dû à la syphilis, il avait évolué dans les délais normaux.
CHAPITRE III
Enprésence de l'accident ou plutôt du symptôme que nous
venons de signaler, la première question qui se pose est
de
savoir si c'est bien à la syphilis qu'il est dû et,
question
nonmoins intéressante, commentse fait-il qu'ilait passé inaperçu jusqu'ici?
En premier lieu, pourquoi cet érythème de
l'arrière-cavité
buccale n'existerait-il pas, alors qu'on en observe
dans la plu¬
partdes infections?
Nous sommes surtout appelés à établir ce
point
communentrelasyphilis etlesmaladies infectieusesdepuis que,detous côtés, on tend à faire de la syphilis elle-même une
maladie
infectieuse ayant son agent spécifique au même
titre
quela
diphtérieoula fièvre typhoïde.Gomme les maladies infectieuses, elle a une contamination
àsondébut, une période d'incubation, une réaction
générale
de
l'organisme,
se traduisant par des érythèmes,uneélévation
detempérature. Gomme beaucoup d'entre elles, une première
atteinte confèreà peu près sûrementl'immunité; comme
elle,
enfm,elletuesouventlefœtuslorsqu'elleestàsapériode active.Quel'onneveuille pas voir par ce passage un essai
d'identi¬
fication. Ces rapports et ces coïncidences nous ont frappé.
^L
Cotterell,
de Londres, les a notés au IIe Congrès de Derma¬tologie;
nous les signalons enpassant.Lapériode tertiaire de la syphilis seule constitue une
objec¬
tionsérieuse à ce que nous venons de dire.
—■ 18 —
Il est vrai que l'on peut admettre que, dans la grande majo¬
rité des cas, la syphilis est une infection lente dont les mani¬
festations se portent aux loci minoris resistentiœ, y détermi¬
nant la gomme, accident que, dans ces dernières années, on tend à considérer comme contagieux.
Maintenant, comment se fait-il qu'il soit passé inaperçu jusqu'ici?
Ceci ne constitue pas une objection bien sérieuse. Ce n'est que dans ces deux dernières que l'on s'est aperçu quela dys- phagie était un symptôme indubitable de syphilis.
Unénanthème, indolore, fugace, et, il fautle dire aussi,qui
n'est pas absolument constant, avait toutes les chances de
rester longtemps inaperçu.
Comme le dit fort bien Dumesnil, « dans la plupart des cas, les premières manifestations du processus syphilitique dans le pharynxsontnégligéesparlemalade,etcen'estqu'après destruc¬
tion du tissu qu'il vient demander l'intervention du médecin.»
Si l'on veut joindre à cela qu'en général les accidents syphi¬
litiques sont complètement indolores, apyrétiques; qu'ils sup¬
purent, engénéral, fort peu; qu'ils ont ainsi tout ce qu'il faut
pour passer inaperçus, on ne sera pas étonné que personne
n'ait encore décrit la manifestation fugace qui fait le sujet
de
notre thèse.
Il faut songer, en outre, que cette manifestation n'est pas absolumentconstante, et que les maîtres de la
syphiligraphie
ne l'ayantpas signalée, elle était, de cefaitseul,
implicitement
condamnée.
Depuis le passage très catégorique de Fournier, dansune
de
ses leçons cliniques sur la syphilis : « Voici un malade
qui
acontracté toutrécemment, il y a quelques jours, une
quinzaine,
je suppose, un chancre induré; il ne présente qu'un
chancre,
et rien de plus; vous pouvez l'examiner des pieds à la
tête et
vous ne trouverez qu'un chancre; » personne
n'a songé a
insister. Tout au plus, quelques auteurs ont-ils
signalé quel¬
ques douleurs fugaces, un peu de malaise
général et de la
dysphagie précoce.
- 19 -
Il est vrai que Ricord avait traité la syphilis de «véritable
Protée», et qu'après lui tous les auteurs ont insisté sur les irrégularités de formes
multiples des manifestations syphili¬
tiques.
Que le fait que nous signalons ne soit pas un « symptôme» danstoutelarigueurdumot et danstoutel'acception duterme, puisqu'il est inconstant, qu'il ne soit qu'une manifestation,
nousl'admettons.
Mais cette manifestation est pathognomonique. Un malade porteur d'une ulcération douteuse ou d'un chancre induré accompagné d'énanthème du voile du palais, de l'arrière-cavité buccale, estsyphilitique.
Cet énanthème est une manifestation d'ordre syphilitique.
En effet, sa coïncidence et surtout son apparition, que nous
avons notée plusieurs fois avec le chancre type, constitue une
première preuve.
L'objection qui vient immédiatement à l'esprit est celle-ci:
Dansles états gastriques, même légers, on a noté fréquem¬
ment unerougeur de l'arrière-gorge; mais, point essentiel de diagnostic différentiel, dans ces derniers cas, la langue est chargée, sale, blanche, chose qui n'existe pointdans lasyphilis primaire.
Dureste, voulantéclairer notre opinion, nous avons donné
a plusieurs reprises différentes des purgatifs à nos malades.
Nospurgatifs n'ont eu aucune action sur l'énanthème spéci¬
fique. Il estbien entendu que nous avons eu la précaution de
nejamais donner de calomel.
Cette question du calomel nous amène à parler justement
fiune
angine spéciale dontnous avons déjà dit quelques mots dansle cours de cetravail.
Nous voulons parler de l'angine mercurielle à forme anor¬
male, signalée parSchulster.
Leténanthème hydrargyrique de l'arrière-cavité buccale, où
fiuy
a niptyalisme bien accusé, ni déchaussement des dents,111baleinefétide, n'a été signalé que par deux auteurs, à notre connaissance.
— 20 —
En outre,il rétrocéderaitrapidement, grâce à la suppression
du mercure, et serait douloureux.
Dans l'énanthème spécifique que nous décrivons, il n'ya
jamais de douleur, et l'administration ou la suppression du
mercure ne semble pas avoir une influence notable sur son
évolution.
A côté de cette manifestation de l'intoxication mercurielle,
nous citerons encore l'angine des fumeurs. Mais en interro¬
geant le malade, nous saurons rapidement à quoi nous en tenir.
En outre, la rougeur, dans les cas d'angine des fumeurs,
réside plutôt surle pharynx.
11 y a, en plus de
l'hypertrophie
des papilles, de l'enroue¬ment,chosequenousn'observonspasdans l'angine syphilitique primaire.
Il nous reste encore les angines dues aux fièvres éruptives,
avec lesquelles il estimpossible de laire la moindre confusion.
Toutes les éruptions de fièvres éruptives sont accompagnées
de symptômes généraux quine peuvent passer inaperçus.
Nous citerons encore, pour mémoire, les angines dues
à
des intoxications médicamenteuses :
L'antipyrine donne naissance à une éruption
généralisée,
d'où impossibilité d'erreur.
L'iodure mercurique, d'après Kanassugide Tokio,
produirait
une angine. Comme c'est le seul cas cité, qu'il nenous a pas
été donné d'en observer, et qu'en outre, cette observationest
très courte et très sobre de détails, nousn'insisterons pas.
L'angine iodique pure pourrait peut-être prêter à la
confu¬
sion ; mais quand il y a intoxication iodique, ce n'est pas seu¬
lementsurl'arrière-bouche que portentles manifestations:
il
y a. aussiun catarrhe oculo-nasal qui s'y joint.
En plus, ce catarrhe est légèrement douloureuxet
n'apparaît
qu'à une heure déterminée après l'ingestion.Du reste,
l'interrogatoire
du malade et la cessation dumédi¬
cament sont toujours des pierres de touche certaines.
Il reste maintenant à faire le diagnostic différentiel avec
les
— 21 —
angines
simples. Un élément important de diagnostic est tout
simplement la
douleur, la dysphagie, qui accompagnent
cesinflammationsparticulières. Le maladea
mal à la
gorge,tandis
quedans l'angine
syphilitique primaire il n'en souffre
pas.En outre, les angines très légères avec
lesquelles
on pour¬rait confondre cette manifestation syphilitique, ne durent pas aussilongtemps quenotre symptôme et,en
plus, dans
ces cas,lacongestion n'est pas propagée au
voile du palais.
Les caractères distinctifs généraux que nous venons
d'énu-
mérer suffisent à faire de l'énanthème syphilitique primaire
unsymptôme net, susceptible d'être distingué
des
autresénan-
thèmes aveclesquels on pourrait à la rigueur le
confondre.
CHAPITRE IV
Si 1 on veutse rapporter au début de cette thèse, on verra que, dans 42 casde chancreinduré, nous avons observé 18fois
un énanthèmespécial apparaissantavecl'indurationspécifique, disparaissantle plus souvent avec elle, s'étendantsurlapartie
inférieure du voile du palais, sur lespiliers, les amygdales et
le pharynx.
Cet énanthème est lisse, uni, de couleur rougerosée, con¬
trastant avec la couleur plus pâle de la cavité buccale anté¬
rieure.
Absolument indolore, ne gênant en rien la déglutition, ilse montre toujours, quand il existe, avec le chancre induré.
Il n'existait pas antérieurement au syphilome primitif, n'est
apparu qu'avec lui, et a disparu au fur et à mesureque la
cicatrisation
s'opérait,
ou bien se continuait dansquelquescas par des accidents plus graves.Nous avons successivement éliminé les diverses causes qui
auraient pu nousinduire enerreur. Nous avonscruainsi pou¬
voir rattacher ce symptôme à la diathèse spécifique, dont
il
a,somme toute, tous les caractères généraux.
Quelles sont les indications qu'il va nous fournir?
Quelle est
sasignification pathologique?
En se rapportant à l'observationI, onpeutvoir l'importance qui se rattache à la connaissance de ce symptôme.
Dans
cecas, on avait affaire à une ulcération douteuse; lesrenseigne¬
mentsfournis parle malade étaient nuls ou à peu près.
Grâce
à la présence de la manifestation que nous avons
décrite,
nou>— 23 —
avons pu porter
le diagnostic de chancre induré, et la roséole
quiest apparue
cinq semaines après est venue confirmer plei¬
nement notrefaçon de penser.
On nous objectera que ce symptôme
n'est
pasconstant;
qu'il peut manquer
dans bien des
cas,témoin notre tableau
statistique. Nous sommes
le premier à l'admettre; mais son
absence, dans même beaucoup
de
cas, nelui fait perdre rien
de savaleur, lorsqu'il existe.
Chaque fois qu'on l'observera
coïncidant
avec uneulcé¬
ration douteuse, on pourra affirmer
la nature syphilitique de
cetteulcération.
Aupoint devue du pronostic, nous
n'avons
putirer
aucuneindication. Cependant, dans trois cas
de syphilis maligne pré¬
coceque nous avons observés, il existait
toujours.
Il estvrai que, dans ces cas, 011 peut nous
dire
que ce quenousvoyions avec le chancre était la
poussée classique
secon¬dairedevançant son époque
d'apparition.
Cetargument estjuste;mais il nepeut
s'appliquer qu'à trois
casparticuliers et ne peuten rienserapporteraux
dix-huit
casde syphilis normale que nous citons.
Quant à l'influence du traitement spécifique, elle
semble
hâter un peu l'évolution de cet énanthème au
même titre
qu'elle hâtela cicatrisation du chancre.
Anotre avis, et pour éviter tout mécompte
dans les indica¬
tionsquepeut fournirun semblable symptôme,
il faudra faire
très rigoureusement abstraction de toutes les causes
qui
peu¬ventproduirel'énanthème de l'arrière-cavité buccale.
En terminant cette thèse, nous croyons utile
d'ajouter
un complément à ce que nous avons fait. Onsait
quela question
he laréinoculation de la syphilis à la
période primaire n'a
puencoreêtre tranchée d'une façon définitive.
fout ce que l'on est arrivé à pouvoir dire avec
certitude,
cest quelaréinfectionsyphilitiquedevenait
impossible à partir
du moment où l'infection était généralisée,
c'est-à-dire
aumoment où éclate la période secondaire.
— 24 —
Des auteurs nombreux se sont élevés contre cette manière de voir, et il existe desexemples indiscutablesderéinoculation
syphilitique positive quinze, vingt et vingt-cinq jours après l'apparition d'un premier chancre induré net.
Peut-être l'énanthème que nous signalons est-il une preuve que l'infection syphilitique est réalisée. Dans ce cas, vu le
nombre de sujets chez lesquels nous n'avons pas constaté l'énanthème, faudrait-il conclure qu'il y aurait des inégalités
dans la durée de la généralisation du processus syphilitique?
Dans les premiers, il y aurait généralisation rapide; dans les seconds, généralisation plus lente.
Dans ceux-ci, en conséquence, il y aurait possibilité d'une
seconde réinoculation, impossible à réaliser chez lespremiers.
On voit immédiatement l'importance thérapeutique que
prend la question.
Dans le premier cas, l'exérèse ne produirait rien; dans le second, l'exérèse de l'accident initial, logiquement, devrait produire l'avortement de la syphilis.
Le tempsne nous a pas permis de pouvoir étudieret appro¬
fondir l'hypothèse que nous émettons ici. Nous nous conten¬
tons de la signaler purement et simplement.
RÉSUMÉ STATISTIQUE
Malades observés
Cas non douteux Hommes
Femmes Hommes Femmes
42 14
Casdouteux
Cas où il n'y avait pas d'érythème
7
CONCLUSIONS
1° Il existe assez souvent, en même temps que le chancre induré, un énanthème localisé à la partie inférieure et
anté¬
rieure duvoile du palais, aux amygdales etau pharynx; 2°Naissant avecl'induration du chancre, cet énanthème est fugace et disparaît en une douzaine de jours sans laisser
de
traces, ou se continue par une congestion deplus
enplus
intense : début de plaques muqueuses, début de
dysphagie de
la période secondaire, accidents qui n'éclatent souvent que bienplus1tard après (5 semaines);
3° Cesigne n'est pas constant; mais chaque fois
qu'il existe,
onpeutaffirmer qu'ily a syphilis;
4°L'intérêt de cette manifestation ne réside encore qu'au point de vue du diagnostic.