FACULTÉ DE MÉDECINE ET DE PHARMACIE DE BORDEAUX
Année scolaire 1894-1 895 3ST° 79
CATHÉTÉRISME
ET LA MICTION SPONTANÉE
POST-PARTUM
DANS LES MATERNITÉS DE BORDEAUX
THESE
POUR LE DOCTORAT EN MÉDECINE
Présentée et soutenue publiquement le 28 juin 1895
PAR
Jean-Henri BRIEU /S~ -:>•
Ex-interneprovisoire des Hôpitaux | \ '} I:V.| ' î I {•! !
i C ^
Né à Coutras (Gironde) le 13 Août 1P70
MM. MOUSSOUS, professeur, PrésidentL
„ . . , , . m, , ) ARNOZAN, professeur, )
Examinateurs de la These ( _ f
POUSSON, > Juges.
CHAMBRELENT, )
Le Candidat répondraaux questions qui lui serontfaites sur les diverses parties
de l'enseignement médical.
BORDEAUX
IMPRIMERIE NOUVELLE DE MAOHY, PEOH Se Cie
46 — RUE CABIROL — 46
1895
FACULTÉ DE MÉDECINE ET DE PHARMACIE DE BORDEAUX
M. PITRES Doyen.
PROFESSEURS :
MM. MICÉ 1 Professeurs honoraires.
AZAM.
Clini<iue interne.
Messieurs PICOT.
PITRES.
rr • .
J DEMONS.
Clinique externe
j LANELONGUE.
Pathologieinterne DUPIJY.
Pathologie etThérapeutiquegénérales VERGELY.
Thérapeutique ARNOZAN.
Médecineopératoire MASSE.
Clinique d'accouchements MOUSSOUS.
Anatomie pathologique t COYNE.
Anatomie
BOUCHARD.
Histologieet Anatomiegénérale VIAULT.
Physiologie JOLYET.
Hygiène LAYET.
Médecinelégale MORACHE.
Physique BERGON1É.
Chimie BL.AREZ.
Histoire naturelle
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Pharmacie
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Matière médicale de NABIAS
Médecineexpérimentale FERRÉ.
Clinique ophtalmologique BADAL.
Cliniquedes maladies chirurgicales des enfants. P1ÉCHAUD.
Cliniquegynécologique BOURSIER.
AGREGES EN EXERCICE
section de medecine
PaLhoIogie interneet Médecine légale
MOUSSOUS.
dubreuilh.
MESNARD.
CASSAÉT.
AUCHÉ.
section de chirurgie et accouchements l POUSSON.
DENUCÉ.
j VILLAR.
Accouchements
I
Pathologie externe
section des sciences Anatomie etPhysiologie..] PREVs^ErEAE.
CHAMBRELENT.
anatomiques et physiologiques Histoire naturelle N.
section des sciences physiques
Physique SIGALAS.
Chimie et Toxicologie DEN1GÈS.
Pharmacie
BARTHE.
COURS COMPLÉMENTAIRES
Clin. int. des mal. des enf. mm. A. moussous.
Clin, desmal.syphil.eteut. dubreuilh.
Clin, des mal. desvoiesurin. pousson.
M. dularynx, des oreillesetdunez.. moure.
Maladies mentales régis.
Pathologie externe MM. DENUCÉ.
Accouchements RIVIÈRE.
Chimie DENIGÈS.
Zoologie BEILLE.
LeSecrétaire de laFaculté, LEMAIRE.
Par délibération du 5 août 4879, la Faculté a arrêté que les opinions émises dans les thèses qui lui sont présentées doivent être considérées comme propres à leurs auteursetqu'ellen'entendleur donner ni approbation ni iinprubafion.
MONSIEUR LE DOCTEUR L. MOUSSOUS;
Professeur declinique obstétricale, Chevalier de la Légion d'honneur.
LE
GATHÉTÉRISME
ET LA MICTION SPONTANÉE
POST-PARTUM
DANS LES MATERNITÉS DE BORDEAUX
« On peut exiger beaucoup de celui qui devient auteur pour acquérir de la gloire ou parmotif d'intérêt; mais celui qui n'écritque pour satisfaire àun devoir dont il ne peut se dispenser,àuneobligationqui luiestimposée,
asans doute de grands droits à l'indulgence
de seslecteurs. »
La Bruyère.
A peine allons-nous entreprendre notre travail inaugural et
déjà nous sentons à combien peu de choses se réduisent nos
connaissances. Autre chose, en effet, est de savoir faire quel¬
ques pansementsou prescrire quelques centigrammes d'opium,
autre chose est de pouvoir produire une œuvre utile et méritoire.
Aussi, la vérité des paroles bien souvent répétées par un de
nos maîtres les plus expérimentés hante-t-elle à chaque
instant notre esprit :
« A la fin de sesétudes médicales, l'étudiant ne possède pas de connaissances assez mûries par l'expérience pour faire une thèse vraiment scientifique. »
— 8 —
Et, partant de cette idée vraie, notre
excellent professeur
verrait, avec plaisir, la thèse remplacée par
quelque chose de
plus pratique etde plus
personnel.
• Nous aussi, nous souhaitons à ceux qui nous suivront qu'on
leur évite l'obligation de produire un
travail
que nosmaîtres
seuls sontaptes à produire.
Toutefois, nous ne voudrions pas être prétentieux au
point de
nousposeren juge dansune
question où notre inexpérience
nousinvite à rester muet.
Suivant la tradition, comme nos aînés nous nous inclinons
bien volontiers devant l'obligation qu'elle nous impose, et puisqu'il est dû une thèse, ô
grande Université, cette thèse tu
l'auras.
Puisse notre modeste travail être quelque peu digne de toi et
des maîtres éminents qui te rendent prospère et
glorieuse!
C'est là notre ambition la plus grande, et ton indulgence
l'exaucera.
Pour arriver aux conclusions qui sontà lafin de notre travail,
nous n'avons point rêvé des pages; nous avons
voulu seule¬
ment asseoir ces conclusions sur des faits précis, résultat d'une
observation quotidienne, estimant qu'en
médecine
toutdoit être
empirique, les hypothèses étant
du domaine du. mystère, in
médicina, majorem vim facitobservatioquam
ratio (Bagl'ivi).
C'est donc à coups d'observations que nous
essaierons de
façonner notre travail inaugural. Ces
observations,
nousles
avons recueillies nous-même il y a un an, pendant notre
externat à la maternité de l'hôpital Saint-André.
Nous avons été tout particulièrement dirigé dans ce
travail
par les conseils de notre
excellent chef de clinique, le
docteur Audebert, dont nous garderons
toujours le meilleur
souvenir.
Dans leurs leçons cliniques et en face du lit des accouchées,
M. le Prof. Moussous et M. Audebert nous avaient dit bien souvent que dans le service du docteur Pinard, à Paris, on ne
pratiquait le cathétérisme post-partum qu'à la dernière limite, lorsqu'on y était forcé par des circonstances extraordinaires.
Gomme à la clinique de l'hôpital Saint-André de Bordeaux la pratique du cathétérisme était encore en honneur, nous avons voulu rechercherquels résultats nousdonnerait l'abandon systé¬
matique de la sonde.
Grâce au bon vouloir de nos maîtres, nous avons obtenu de suspendre complètement le cathétérisme post-partum, sauf à y
revenir si cette abstentionentraînait des, accidents. Les femmes
de la clinique qui, jusqu'alors, avaient été sondées régulièrement quelques heures après leur délivrance, ne le furentplus du tout.
Toutes les observations que nous avons recueillies roulent sur
des primipares. Nous verrons, dans la suite,qu'ensebasant sur
ces observations, nous avons pu établir que l'abstention du
Prof. Pinard était légitime et que le cathétérisme post-partum, qui tendait à devenir la règle, devait être relégué parmi les exceptions les plus rares.
Dans un premier chapitre, nous donnerons les opinions des principaux auteurs sur le cathétérisme post-partum.
Dans un deuxièmechapitre, nous discuterons les opinions de
ces auteurs.
Dans un dernier chapitre, nous exposerons les dangers du cathétérisme.
Chemin'faisant, nous serons amené à conclure à l'abandon presque absolu de la sonde.
Mais avant de commencer, il nous reste une obligation à remplir à l'égard des maîtres éminents qui nous ont prodiguési
2
— 10 —
généreusement leur enseignement et nous ont aidé de leurs
conseils.
M. le Prof. Pitresa eu pour nous une bienveillance que nous n'oublierons jamais; nous sommes heureux d'avoir été son externe et d'avoir pu apprécier ses précieuses qualités de
savant, de clinicien et de maître.
M. le Prof. Démons a guidé nospremiers pas dans la carrière
médicale avec une bonté toute paternelle ; qu'il reçoive ici l'expression de notre plus vive reconnaissance.
Nous n'oublierons pas non plus que c'est dans le service du
Prof. Moussous que nous avons été initié, pendant un an, dans
la pratique difficile des accouchements. Ce maître distingué
nous fait aujourd'hui l'honneurd'accepter la présidence de notre thèse : c'est une marque d'attention dont nous sommes vérita¬
blement touché.
CHAPITRE I
Opinion desdifférents auteurssur la miction «post-partum ».
Ce n'est point par espritde système que nous nous élèverons
contrele cathétérisme post-partum. Les opinions des différents
auteurs à ce sujet, et la discussion de ces opinions, grâce à l'appui de nos observations personnelles, nous permettront d'établir si nous avons le droit de le faire.
« Si les femmes, dit Merger, ne peuvent uriner seules, cela
est dû au boursouflement du méat et des parties environnantes.
Il faut, dans ces cas, exposer les parties de la femmeà lavapeur d'eau chaude, ou d'une décoction émolliente, ou bien pratiquer
le cathétérisme. »
A ce moment, il y avait à peine cinq ans que le cathétérisme
était en honneur en obstétrique. C'est Gouville qui, le premier,
en fait mention dans sa Thèse (1830). Avant cette époque, les
auteurssont très vaguesà cesujet.
En 1862, Podzinski s'exprime ainsi : « Le remède essentiel de la rétention après l'accouchement est le cathétérisme répété
deux ou trois fois par jour. La vessie a reçu un traumatisme plus ou moins violent, qui exige pour sa guérison un repos
physiologique absolu de l'organe lésé. On comprend facile¬
ment qu'en laissant l'urine s'accumuler dans son réservoir,
celui-ci réagissant sans cesse, mais d'une façon insuffisante
— 12 —
pour expulser le liquide qu'il contient, se trouve dans de
très mauvaises conditions pour réparer ses désordres. »
D'Hôtel, lui aussi, est d'avis de pratiquer le cathétérisme.
Autefage dit dans sa Thèse « qu'un précepte important est celui
non seulement de veiller sur la rétention d'urine lorsqu'elle existe, sonder au moins deux ou trois fois par jour, mais encore s'assurer que les nouvelles accouchées, chez qui le col de la
vessie est ou bien anesthésié ou bien rendu douloureux par la compression exercée à son niveau par le passage de la tête du fœtus, s'assurer que même certaines paresseuses urinent deux
fois par jour au moins. »
En 1877, Barcker explique la rétention par « la compression
par la tête de l'enfant pendant un séjour trop prolongé dans
l'excavation. Dans ce cas, dit-il, ilfaut sonder la femme deux
ou trois fois par jour.
Si nous consultons ensuite Mattei, Lucas-Championnière,
nous voyons que tous sont partisans du cathétérisme.
Pendant que nous faisons une injection à nos nouvelles accouchées, dit Mme Henry, nous les invitons à uriner; si elles
ne peuvent pas, nous pratiquons le cathétérisme deux ou trois
heures après sou accouchement, pourempêcher la distension de
la vessie, la mauvaise direction de l'utérus, la rétention des lochies et les hémorragies secondaires.
Dans le service de M. Champetier de Ribes, on ne sonde
presque jamais. A l'hôpital de la Gharité, on attend trente-
six heures avant d'avoir recours à la sonde; à Lariboisière, on laisse s'écouler vingt-quatre heures; à la Pitié, douze heures;
à Saint-Louis, dix-huit heures.
Quant aux classiques modernes, les plus en honneur aujour¬
d'hui, voici leurs opinions :
Tarnier s'exprime ainsi dans son Traité d'accouchement :
« Après avoir interrogé les malades sur l'émission des urines,
l'accoucheur devra s'assurer par lui-même que la vessie ne
contient pas d'urine, car, dans tousles cas, il est très important
de ne pas méconnaître cet état. Pareille faute est souvent commise, et alors le médecin tombe fatalement dans une erreur de diagnostic sur la cause de la douleur du bas-ventre. Pendant
tout le temps que dure la rétention, il faut pratiquer le cathété-
risme au moins deux fois par jour. »
Dans son livre, Auvard recommande « un cathétérisme régulier et aseptique. »
Ribemont-Dessaigne se montre très peu partisan de la sonde.
Nous reproduirons ici tout au long les idées qu'il professe au
sujet de la miction post-partum, dans son Précis d1 accouche¬
ments :
« La nouvelle accouchée reste souvent plusieurs heures sans uriner. Tantôt l'absence de miction tient à une sorte d'insensi¬
bilité de la vessie qui se laisse passivement distendre sans provoquer le besoin d'uriner, tantôt elle est due à une véri¬
table rétention d'urine. Malgré ses efforts, la femme ne peut
uriner. Le traumatisme subi par le col de la vessie et l'urètre pendant le travail rend douloureux le contact de l'urine avec la
muqueuse de ce canal; il en résulte une contraction spasmo-
dique du col vésical, qui met obstacle à l'émission de l'urine.
11 ne faut point se hâter de sonder les femmes en pareil cas;
il est rare, en effet, qu'au bout de vingt-quatre ou trente-six
heures l'émission d'urine n'ait paslieu spontanément. Il faut ne
pratiquer qu'exceptionnellement le cathétérisme chez les accou¬
chées, c'est le meilleurmoyen d'éviter la cystite puerpérale due,
dans la majorité des cas, à une infection par une sonde insuffi¬
sammentaseptique. »
Enfin, dernièrement vient de paraître un travail de Recht
faisant au cathétérismepost-partum une guerre à outrance.
— 14 -
CHAPITRE II
Discussion des opinions des auteurs au sujet de la miction
« post-partum ».
D'après l'exposé des recherches que nous venons de faire, il
est un fait remarquable, c'est que, sauf M. Ribemont et le Prof.
Pinard, tous les accoucheurs arrivent à pratiquer le cathétérisme après un laps de temps plus ou moins déterminé.
Les premiers auteurs, comme Gouville, Merger, Padzinski, d'Hôtel, Barcker, Mattei, Lucas-Championnière, ne parlent pas du temps qu'ils laissaient s'écouler entre l'accouchement et le premier cathétérisme. Ils ne nous disent pas non plus ce qu'ils
entendent par rétention d'urine chez la nouvelle accouchée et
surtoutà quel moment, selon eux, commence cette rétention.
Quant aux accoucheurs plus modernes, ils sont plus précis,
mais très variables sur le moment de l'intervention. Pourquoi
les uns attendent-ils quelques heures seulement avant de sonder
la femme, pourquoi les autres attendent-ils douze, dix-huit, vingt-quatre ou trente-six heures ? Serait-ce à ces moments-là
que,d'après eux, devrait recommencer la miction physiologique?
Toutes ces questions reviennent à nous poser celle-ci : la stagnation de l'urine dans la vessie, après l'accouchement d'une
femme saine, doit-elle être désignée sous le nom de rétention et
être regardée par ce fait même comme pathologique et suscep¬
tible d'intervention ?
Voulant essayer de répondre à cette question, nous avons laissé sans les sonder toutes les femmes qui font l'objet de nos
observations, résolu à attendre la miction spontanée, à moins d'accident grave nous imposant une intervention immédiate.
Nous avons observé attentivement tout ce qui s'est passé, et
voici ce quenous avons constaté :
Tout d'abord, nous avons été frappé de l'extrême variabilité dans le laps de temps qui s'écoule entre la parturition et la première miction (voir le tableau). Prenant les observations extrêmes, nous avons rencontré des femmes qui urinaient seules immédiatement après l'expulsion du foetus et du placenta, et quelques-unes qui ont attendu pendant trente-six ou même
quarante-huit heures.
De telles variations nous expliquent pourquoi lesauteurs n'ont jamais signalé de moment précis auquel doit se produire
l'urination post-partum. Nous pourrions bien établir une
moyenne et dire que, d'après nos observations, la femme urine environ quatorze heures après son accouchement, mais cela,
selon nous, n'a aucune utilité. Peut-être est-ce une moyenne
qui, observée cliniquement par les accoucheurs, a fait prescrire,
le cathétérisme au bout d'un temps déterminé pour chacun d'eux. La chose est très vraisemblable ; mais il est un fait dont
nos observations font foi et qui nous a fait négliger les
moyennes, c'est que presque toutes les femmes arrivent à uriner spontanément, tôt outard, après leur accouchement. —
Nous faisons évidemment table rase de l'étude de la miel ion dans les cas pathologiques; nous éliminons les tumeurs, les délabrements dela vessie, de l'urètre et du méat, où les choses certainement ne doiventpas se passer toujours comme nous le disons.
— 16 —
Donc, le moment précis de la première miction après l'accou¬
chement est indéterminé; mais il est un fait prouvé par
l'observation, c'est que cette miction se fait toujours spontané¬
ment s'il n'existe pas de lésions trop considérables de l'urètre
et de la vessie.
En parcourant des yeux notre tableau, on peut se rendre compte, en effet, que les lésions qui n'intéressent pas les orga¬
nes urinaires ne constituent nullement un obstacle à la miction
spontanée. Les érosions des grandes et des petites lèvres, les plaies du vagin, les périnéorraphies, les épisiotomies .n'ont
aucune influence sur l'émission des urines. Mais une simple
érosion du méat peut amener un spasme urétral et rendre la miction difficile et douloureuse. Cette lésion est heureusement
assez rare; nous ne l'avons observée nettement qu'une fois (Obs. VII). Nous avons bien rencontré souvent des érosions très près du méat, mais dans tous les cas elles n'ont gêné en rien l'urination; il faut pour qu'il y ait complication que l'ulcé¬
ration siège juste surles bords de l'orifice externe. Certes, dans
bien des cas nousn'avons pas pu nous rendre exactementcompte
si le méat était oui ou non ulcéré, car on n'y voit pas toujours
clair au milieu de tous ces tissus mutilés par la tête fœtale; mais il est un fait que nous pouvons affirmer, c'est que chez toutes les femmes oùnous avons eu des doutes, l'émission des urines s'est faite spontanément.
Après de telles affirmations, nous ne sommes pas sans nous attendre à de nombreuses objections delà part des partisans du
cathétérisme.
Ils nous accorderont peut-être que la nouvelle accouchée,
indemne de lésions profondes des organes urinaires, arrive tôt
ou tard àvider spontanément sa vessie; mais ils ne manqueront
pas de nous objecter que, souvent, ce ne sera pas sans acci¬
dents consécutifs.
Ils nous lancerontcomme un défi toutes ces complications que
nous trouvons à chaqueinstant dans les livres classiques : nous
voulons parler des douleurs, des tranchées utérines, des dévia¬
tions utérines, des hémorragies secondaires mortelles, de la cystite par rétention, de la douleur produite par le contact de
l'urine avec les érosions vulvaires de l'infection produite par cette urine, peut-être même de la rupture vésicale.
Sans nul doute, nous n'aurions qu'à mettre bas les armes devant de telles objections, si les accidents dont nous venons
de parler étaient si fréquents qu'on veut bien le dire.
Pour notre part, nous pouvons nous permettre d'avancer qu'ils doivent être excessivement rares. Excepté les douleurs, jamais nous ne les avons observés pendant tout le temps que
nous avons passé à la clinique de l'hôpital Saint-André. Du reste, les douleurs, les cystites, les hémorragies, etc., mises
sur le compte de la réplétion vésicale, sont souvent discutables,
et souvent il faudrait peut-être chercher ailleurs que dans la
vessie leurs causes productrices.
I. Et tout d'abord,les douleurs. Elles tiennent à la vessie ou
à l'utérus; dans ce dernier cas, elles prennentje nom de tran¬
chées. Les douleurs vésicales sont dues évidemment à la dis¬
tension, et l'évacuation de l'urine d'une façon ou de l'autre les calme immédiatement. Quant aux tranchées utérines que les
auteurs regardent presque toujours comme étant causées parla distension de la vessie, nous avons remarqué, au contraire,
combien rarement il fallait incriminer la vessie comme cause
productrice.
Ce qui le prouve, c'est que chez à peu près toutes les malades que nous avons vues et qui ont eu des tranchées, l'évacuation
— 18 —
de la vessie n'a pas amené la cessation de la douleur. D'ailleurs
n'avons-nous pas dans l'utérus lui-même toutes les raisons
suffisantes pour expliquer sa souffrance? N'avons-nous pas la fatigue du muscle utérin, la rétention de lochies, de débris pla¬
centaires, de caillots sanguins, n'avons-nous pas le réflexe produit par la succion de l'enfant lorsqu'il prend le sein, réflexe qui sollicite la contraction intermittente de la matrice? Et puis,
les tranchées se produisent de préférence chez les multipares;
or, nous avons remarqué que ce sont elles qui évacuent le plus
vite et le plus facilement leur vessie après leur délivrance.
II. Cystite. — Certains auteurs accusent la rétention d'urine
d'être la cause ordinaire de la cystite et préconisent le cathéter
comme moyen curateur. Dans son travail de 1883, Prieur, con- tr'indiquant le cathétérisme post-partum, signale l'opinion de
ces auteurs sur la cystite par rétention : « Quoique la rétention
s'établisse souvent à la suite du cathétérisme, il faut cependant
la pratiquer pour éviter la cystite. »
Cette opinion est-elle légitime?Elle l'est peut-être si le séjour
de l'urine est très prolongé et s'ily a des lésions de lamuqueuse
vésicale. L'urine se décomposantpeut, par sestoxines, produire
les accidents de la cystite. Mais ce ne sera pas une cystite d'origine microbienne, la vraie cystite. L'urine par elle-même,
chez des individus sains, est un liquide aseptique, exempt de
germes pyogènes. La cystite étant généralement d'origine microbienne, comment pourrait-il se faire qu'un microbe put
s'introduire dans la vessie s'il n'y est pas porté par un instru¬
ment?
Mais, admettons que le séjour de l'urine détermine l'inflam¬
mation de la vessie, ce ne sera certes pas au bout de 24 ou 36 heures que cet accident se produira : nos observations sont
là pour en faire foi.
Nous tendrions plutôt à croire que les auteurs qui ont préconisé le cathétérisme pour éviter une prétendue cystite
n'ont fait qu'en produire une véritable en se servant de la sonde.
III. Déviations utérines. — Quant aux déviations utérines
produites par la réplétion vésicale et si souvent relatées dans les auteurs, nous les croyons aussi très rares dans les premiers jours du post-partum. Jamais non plus nous ne les avons
rencontrées dans nos observations.
Nous croyons, du reste, que ces déviations se produisent
surtout lorsque la femme recommence trop tôt ses travaux ordinaires.
D'une façon générale, il faut des mouvements, des efforts et la position verticale pour entraîner des déplacements del'organe
utérin. Ce n'est pas, croyons-nous, en se distendant lentement
comme elle le fait que la vessie peut projeter la matrice vers le
rectum.Ce n'est pas nonplus après 12ou 24 heures de rétrover¬
sion que l'utérus,si ses ligaments sont sains, sera incapable de
revenir dans sa position normale. Dans le post-partum, un utérus non malade voit ses ligaments et son volume revenir peu à peu à l'état qu'ils doivent avoir, et si, après 24 heures de rétentiond'urine,la vessiese vide, l'utérus reprendra sa position première.
IV. Douleurs et infection dues au contact de l'urine
avec les parties externes. — C'est encore une objection faite
par les partisans du cathétérisme. Sans nul doute, toutes les femmes en urinant spontanément éprouvent des picotements désagréables au niveau des érosions vulvaires, nous l'observons
tous les jours. Mais cela n'a pas beaucoup d'influence sur la cicatrisation des plaies: d'abord, parce que l'urine est aseptique
— 20 —
par elle-même, ensuite parce qu'on a l'habitude de faire la
toilette vulvaire de la femme au moins deux fois parjour.
Combien de fois M. Pousson ne nous a-t-il pas fait remarquer
avec quelle facilité les plaies se cicatrisaient après la taille et la néphrotomie? L'objection des partisans de la sonde tombe
donc d'elle-même.Ils nous diront peut-être que ce serait déjà un avantage, alors même que le
cathétêrisme
ne ferait qu'éviter àla femme les sensations de brûlures produites par le contact
des urines. Gela serait indiscutable, si le passage de la sonde
11'élait pas parfois très douloureux, et si les accouchées étaient
sondées régulièrement jusqu'à guérison complète des plaies
volvaires; mais n'est-il pas vrai qu'à la maternité de Paris,
et surtout à celle de Bordeaux, on cesse de sonder les
femmes dès qu'elles arrivent à uriner seules toutes les quatre
ou cinq heures? Or, ce fait se produit ordinairement après un
ou deux cathétérismes. Les érosions des parties externes sont-
elles guéries à ce moment-là? Assurément non. Dès lors la
femme souffrira en urinant spontanément, et les partisans de
la sonde voient ainsi leurs propres armes se retourner contre
eux.
t
Y. Ruptures de la vessie. — Nous n'en parlons que pour être complet. Nous n'en avons pas trouvé d'exemples dans les
auteurs. Trye,Wikinson etVelpeau citent bien des observations
de rupture vésicale pendant l'accouchement, mais pas dans le post-partum.
Dupuytren et Le Denlu inclinent à penser que pour qu'un tel
accidentsurvienne, une altération préalable des parois vésicales
existe très probablement.
Les ruptures par rétention sont très rares. Thompson, dans
son Traité des maladies desvoies urinaires, n'en cite que trois exemples. E. Monod [Annales de gynécologie, 1880) parle de
deux cas dans le cours de la grossesse dus à Linn et à Moreau.
Rivingtoncite un cas d'origine hystérique. M. Pousson admet jusqu'à un certain point la rupture par contraction simple du
muscle vésical distendu par l'urine, mais, dans ce cas, il faut un obstacle invincible à l'urine. Il se demande même si une vessie
jeune et non pathologique peut se rupturer ainsi.
VI. Hémorragies secondaires. — L'accident le plus grave
après l'accouchement est certainement constitué par les hémor¬
ragies secondaires. Ces hémorragies sont-elles dues à la
rétention d'urine ? Nous pouvons affirmer qu'il n'en est rien, et
nous avons à l'appui de notre affirmation °291 observations recueilliespar Recht, à Paris, et 103observations personnelles.
Jamais nousn'avons rencontréd'hémorragieschez nos malades,
et c'est certainement un des points sur lequel nous avons porté
le plus d'attention. Si nous prenons l'observation dans laquelle
le séjour de l'urine dans la vessiea été le plus long,nous voyons
unefemmeprimipare de seize ans, Gabrielle B..., qui est restée
une première fois quarante-huit heures après sa délivrance sans
uriner; puis elle a uriné sans effort,sans douleur, sans perte de
sang. Elle est restée ensuite une deuxième fois quarante-huit
heu-res sans miction et sans avoir pour cela présenté la moindre hémorragie.
S'il y a hémorragie après l'accouchement, cet accidentne doit donc pas être mis sur le compte de la rétention d'urine, mais plutôt sur le compte de l'inertie utérine, de la rétention de caillots ou de débris placentaires : « On conçoit très bien, dit Cazeaux, en parlant de l'inertie utérine après l'accouchement,
que de la paresse des fibres utérines, de leur défaut de ressort,
comme l'appelait Leroux, à l'inertie plus ou moins complète, il n'y a qu'un pas, et qu'une hémorragie secondaire pourrait bien
être la conséquence de cette absence de contractilité si elle était portéejusqu'au relâchement. *
_ 22 —
Ce n'est paslà l'opinion d'Autefage, qui nevoit point dans cette
paresse des fibres utérines un accident primitif, mais bien une
• complication due, le plus souvent, à la présence de la vessie
distendue par l'urine.
S'inspirant de Wieland et d'Avrard, l'auteur s'exprime ainsi :
« Le retrait de l'utérus après l'accouchement est naturellement progressif. L'état de la vessie,en première ligne, les tranchées,
descontractions isolées non douloureuses, enfin des causes non définies donnent des variations considérables. » Et plus loin il ajoute : « L'augmentation de volume de l'utérus après
l'accou¬
chement peut tenir à l'état de la vessie qui, en se distendant,
exerce une grande influence sur l'utérus... Qu'une rétention
d'urine soit méconnue pendantdeux ou trois jours, quela femme
n'urine que rarement oumême qu'aprèsl'accouchement ellereste longtemps sans uriner et laisse la matrice se distendre, on conçoit l'inertie utérine et l'hémorragie plus ou moins grave, on conçoit la rétention de restes de membranes, de liquides qui
se putréfient. »
Nouspourrions citer un grand nombre d'opinions identiques
à cellesd'Autefage, mais le peu d'étendue de cetravail ne nous le permet pas.
Examinons plutôt comment cesauteurs expliquent les hémor¬
ragies dues à la distension vésicale. L'opinion dominante est
celle-ci : la vessie, en se distendant, entraîne l'utérus vers
l'ombilic, empêche ainsi son involution : de là hémorragie.
Si cette pathogénie est la vraie, combien d'hémorragies
aurions-nous eu à constater, nous qui avons laissé toutes les
vessies se remplirautant qu'elles ontvoulu ! ! ! 400 observations
sont là pour attester que cette théorie est bien loin d'être toujours vraie.
Nousavons de la peine à croire que l'utérus post-partumsoit
entraîné en hauteur par la vessie. Ilest encore bien lourd et ses ligaments sont bien relâchés en ce moment pour que la vessie
puisse avoir une telle action sur lui. En augmentant de volume,
la vessie redresse évidemment l'utérus en s'insinuant entre lui et le pubis, elle fait disparaître son antéversion normale; mais
ensuite elle continue à glisser sur la face antérieure de cet organe; elle refoule le péritoine et le cul-de-sac utéro-vésical,
mais n'entraîne pas la matrice en hauteur.
Nous en avons fini avec les objections qu'on aurait pu nous faire. Nous nous croyons autorisé à conclure :
1° Que le séjourde l'urine dans lavessieaprès l'accouchement, pendant aumoins quarante-huit heures, n'est pointpathologique et, par suite, ne mérite pas le nomde rétention.
2° Que les accidents que nous venons de passer en revue sont pourla plupart d'une extrême rareté et ne réclamentpas par ce
fait même un cathétérisme préventif.
D'autres raisons nous feront préférer l'attente à une inter¬
vention immédiate. Nous voudrions pour cela examinerunpoint
de pathogénie et établir à quoi est dû le séjour prolongé de
l'urine dans la vessie après l'accouchement.
Les réponses ne manquent pas à ce sujet.
Depuis la simple érosion du méat entraînant le spasme de
l'urètre et du col vésical, jusqu'aux délabrements les plus considérables, déterminant la paralysie du réservoir urinaire,
touta été incriminé.
Mais la cause la plus universellement reconnue par les accou¬
cheurs, c'est le passage de la tête fœtale amenant par compres¬
sion l'anesthésie et la parésie de la vessie. La vessie, devenue insensible et paralytique, ne réagit plus sous l'action de l'urine;
elleselaisse distendresans conscience etne songe pas à expulser
son contenu : la femme n'éprouve même pas le besoin d'uriner.
C'est là un fait absolument vrai. Mais si la cause de l'absence de miction réside toutentière dans ce fait, pourquoi cette miction
se fait-elle attendre dans certains cas où il n'existait pas la
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moindre lésion et où la tête fœtale était véritablement trop petite pour exercer une compression capable d'entraîner la paralysie vésioale?
Combien n'y a-t-il pas de femmes qui faisant un simple avor- tement à quelques mois restent très longtemps sans avoir de
miction ?
Nous voudrions ici exposer deux raisons très simples qui pourraient peut-être expliquer ces faits :
1° D'abord le décubitus dorsal, que l'on impose aux femmes
dans leurs suites de couches, n'en serait-il pas une? Qu'y a-t-il
de plus favorable que le décubitus à l'absence de miction ? Le
nombre des personnes est considérable qui restent facilement
sans uriner dès qu'elles sont au lit. « Le besoin d'uriner, dit un
auteur, sefait sentir plus tardlorsqu'onest couché que lorsqu'on
est debout. Cela tient à ce que la charge provenant du poids de
l'urine sur l'orifice urétral est moins considérable dans le
premier cas que dans le deuxième, et qu'il en est de même de la pression exercée par la masse intestinale sur la vessie. •> Nous pourrions ajouter que le décubitus dorsal employé pourfavoriser
le séjour de l'urine dans la vessie a beaucoup plus sa raison
d'être'chez la femme que chez l'homme, parce que la femme n'a
pas de prostate : c'est pour cela, qu'à l'occasion d'un effort quelconque, de la toux, du rire, certaines femmes urinent
souvent malgré elles : aussi le nom trivial de « pisseuses », dont
le vulgaire a gratifié les personnes du sexe féminin, paraît justifié.
Enfin, Vinay est si bien convaincu de l'action du repos hori¬
zontal sur l'absence de miction, qu'il s'exprime ainsi dans son livre : « Peut-être la prophylaxiede la rétention consisterait-elle
à exercer les jeunes femmes, avant leur accouchement, à prati¬
quer la miction dans la position horizontale. »
2° Nous disions au début de ce chapitre que les auteurs attribuaient au volume de la vessie le défaut d'involution de l'utérus; nous avons émis l'opinion que la vessie redresse
l'utérus sans l'entraîner en hauteur.
Prenant maintenant la proposition contraire, nous sommes d'avis que l'utérus gêne la vessie plus que la vessie ne gêne
l'utérus.
N'est-il pasvrai que, pendant lagrossesse, la vessie supporte le poids énorme de l'utérus gravide qui la comprime contre le pubis, l'irrite, empêche sa distension et provoque le réflexe
incessant du besoin de miction?
Cette considération pourrait peut-être nous expliquer' pour¬
quoi la femme reste si longtemps sans uriner après son accou¬
chement.
Fatiguée comme elle l'a été pendant plusieurs mois par le
lourd fardeau constitué par l'utérus gravide, la vessie éprouve,
comme tout organe fatigué qui en trouve l'occasion, le besoin
de prendre du repos. Le jour où elle est débarrassée de son
fardeau, elle se repose, en effet; elle s'endort pour ainsi dire
d'un lourd sommeil réparateur et n'obéit plus aux excitations.
Ce ne sera qu'au moment où ses forces seront revenues qu'elle
se réveillera, entrera de nouveau en fonctions et la miction
s'établira. Ce n'est qu'un engourdissement général, dit Robert, qui produit la rétention : « Non seulement la vessie ne se contracte pas pour donner la première impulsion et manque d'autant plus que la femme n'éprouve même pas le besoin
d'uriner. »
Il n'est donc pas besoin d'aller chercher bien loin les causes ordinaires de rétention post-partum. Il n'est même pas besoin,
bien des fois, d'invoquer le traumatisme foetal : le décubitus dorsal, le repos physiologique de la vessie, exténuée par plu¬
sieurs mois de fatigue, nous l'expliquent suffisamment. Et nous