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Odeurs et souvenirs, Jipaï

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Academic year: 2021

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Texte intégral

(1)

Le matin, montait l'odeur du bois dont ma grand-mère emplissait son fourneau. Elle attendait que les flammes deviennent vives et dévorantes avant de refermer la gueule ronde et béante de la cuisinière pour y poser la cafetière dont monterait bientôt une odeur de café frais qui sonnait la fin de la grasse matinée.

Les petits matins d'été, juste après l'averse, les effluves mêlés de terre mouillée et des parfums exacerbés des fleurs, embaumaient l'air cristallin traversé des rayons obliques du soleil. La journée promettait d'être belle, le chuintement des vagues était comme une invite, des souffles iodés venaient jusqu'à moi comme un appel.

Quand le soleil avait chauffé la grève et que l'on s'y rendait en bande, nous étions accueillis par le parfum rustique des giroflées auxquels se nouaient les senteurs fortes du varech qui séchait à marée basse. Des exhalaisons marines, vaguement nauséabondes, s’amendaient de la fragrance minérale du sable chauffé par l'été. A l'heure du bain, la mer avait des relents de sel et de goémon qui caressaient nos cuisses quand nous avancions dans cet univers semi-liquide et tiède.

Le soir venu, on pouvait deviner le souper de chacun aux émanations qui s'échappaient par les fenêtres ouvertes et avant que la nuit ne se referme sur des senteurs plus mystérieuses.

Un univers de champs, de grève et de mer.

Les champs aux herbes folles, je me vautre dans les senteurs de fleurs sauvages. L'odeur de genet, celui de la lande, puissante et rustique, et où je me perds avec ma brouette, avant de piquer un somme, sourd aux cris des adultes inquiets qui me cherchent. C'est mon chien qui me flaire et me tire par le sarrau vers la maison basse. J'ai deux ans ? Je ne sais plus trop, je suis un enfant blond, la tête couverte de boucles, je suis fille si j'en crois les photos de l'époque. Je suis sauvage, aussi fuyant que le chien Dick qui s'échappe la nuit et revient au matin maculé de sang.

La vie est facile entre la terre et l'eau. Pourquoi donc faut-il qu'un matin, ma grand-mère me traîne jusqu'à l'école ? Un lieu bruyant, plein de mes semblables, mais où je suis seul. Je panique, pourquoi crie-t-elle cette grande femme à l'air si revêche et sans pitié. De quoi parle-t-elle ? C'est quoi la couleur rose ? Pourquoi pouffent-elles les deux filles derrière moi ? Je ne pige rien, de plus en plus mal à l'aise, tout cela n'a aucun sens, je veux mes champs, je veux mes dunes pour y courir à perdre haleine, loin d'ici, de ce lieu tout de péril et de crainte.

C'était juste un essai, un avant goût, pour une suite plus dure encore. Juste après l'été, mon oncle, maître d'école, m'a juché sur le porte-bagage de son vélo, en route vers la classe. Pas la sienne, non, celle d'une dame elle aussi sévère à faire froid dans le dos d'un enfant. Elle exige, elle impose, je perds pied, elle ne veut pas, non, elle ne veut pas que je tienne le crayon de la main gauche. Je ne comprends pas, je m'affole, ma main droite est rebelle, j'y concentre toute ma force, sans succès, je plonge, tout se mêle en une bouillie infâme de lettres et de sons.

Mon corps se révolte, ne veut pas de ça, je le sens se cabrer, j'ai des tics, j'y vois mal et dès le premier jour de classe de l'année suivante, je suis encore là, dans la section des petits. Dans mon dos, la maîtresse et mon oncle palabrent. Je suis l'objet d'un troc, peu-être où peut-être pas. Irai-je dans sa classe ? Mon oncle tient bon, il me hèle, je viens, franchis le seuil.

(2)

Pas du tout, je reste avec mes tics, mes yeux qui ne voient goutte et mon envie de fuir ce lieu où l'on me contraint à mille choses sombres et d'abord à tenir ma plume de la main droite. J'écris mal, je fais des fautes, on pointe mes manques, j'ai honte, les autres y arrivent, eux.

Je ne sais plus quand le vent a commencé à tourner, ni pourquoi. Comment j'ai rejoint le flot des types moyens en tout, d'abord en queue de troupeau, me hissant à la force de mes bras et de ma tête, domptant mes peurs, gagnant des défis, me fixant des buts. Et me voilà ce soir.

Je veux en rire, cher Pierre Dac, en te citant : « Celui qui est parti de rien pour arriver à pas grand-chose, n'a de merci à dire à personne. »

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