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Article pp.51-61 du Vol.6 n°1 (2014)

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doi:10.3166/r2ie.6.51-61 © 2014 Lavoisier SAS. Tous droits réservés

Les difficultés de l’appréhension des signaux faibles dans le domaine de la finance :

le cas des ADR non parrainés

Par Pascal Junghans

Professeur affilié à l’International University of Monaco junghanspascal@gmail.com

Résumé

L’acquisition des signaux faibles, concept de base de l’intelligence économique, est déli- cate à mettre en œuvre. Nous montrons cette difficulté à travers un cas, celui d’un ins- trument financier dénommé American Depositary Receipt, unsponsored. Nous présentons les caractéristiques de cet instrument et ces effets nocifs puis nous analysons le rôle des signaux faibles dans ce contexte. Nous montrons que les signaux faibles rassemblés n’ont pas permis de mettre en échec les effets négatifs de cet instrument. Nous mettrons en évidence les biais cognitifs et organisationnels qui ont conduit à l’absence de réaction des décideurs. Nous montrons enfin qu’il convient de prendre en compte ces biais dans une optique d’intelligence économique. © 2014 Lavoisier SAS. All rights reserved

Mots clés : intelligence économique, finance, signaux faibles, anticipation, construction du sens.

Abstract

The difficulties of understanding weak signals in the field of the finance : The case of unsponsored ADR. The acquisition of the weak signals, the basic concept of the business intelligence, is strongly delicate to implement. We show this difficulty through a case, that of a called financial instrument American Depositary Receipt, unsponsored.

We present the characteristics of this instrument and these harmful effects then we ana- lyze the role of the weak signals in this context. We show that the collected weak signals have failed to defeat the negative effects of this instrument. We shall put in evidence the cognitive and organizational bias which drove to the absence of reaction of the decision- makers. We show finally that it is advisable to take into account these ways in a view of business intelligence. © 2014 Lavoisier SAS. All rights reserved

Keywords: business intelligence, finance, weak signals, foresight, sensemaking.

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Intrduction

Les questions de finance, si importantes aujourd’hui, sont infiniment délicates à traiter avec les outils d’intelligence économique, notamment la veille et le traitement des signaux faibles qui en sont issus. Or, les risques des mouvements financiers, impromptus et utilisant des outils financiers novateurs dont les opérateurs financiers sont friands, sont majeurs tant pour les entreprises ou qu’au plan de la souveraineté des Etats.

Nous allons examiner la question de l’acquisition et du traitement du signal faible en matière financière ainsi que de son acceptation pour action par le décideur politique et économique. Nous allons examiner cette question au travers de l’analyse d’un outil financier bien particulier, celui des « unsponsored American Depository Receipts » (ADR non parrainés), dont nous avons observé, sur plusieurs années, la naissance, le développement et les risques.

Nous tenterons de mettre en lumière les réactions des différentes parties prenantes en nous concentrant sur les réactions des décideurs. Nous tenterons de mettre en évidence les explications cognitives et organisationnelles des actions – ou des non-actions - des différentes parties prenantes.

Pour y parvenir, nous allons d’abord présenter le cas des ADR non parrainés en pré- sentant les caractéristiques de cet outil puis en en examinant les risques (1). Ensuite nous analyserons le rôle des signaux faibles dans ce contexte en étudier leur utilisation par les autorités et en tentant d’analyser pourquoi ils n’ont pas permis de conduire à l’action les dirigeants politiques ou économiques (2).

1. Présentation du cas des ADR non parrainés

1.1. Les ADR non parrainés, un outil financier novateur qui a concerné plus de 1400 groupes de taille mondiale

1.1.1. Définition des ADR non parrainés

Schématiquement, les ADR non parrainés sont des « actions » (c’est-à-dire des titres de propriété d’une entreprise) créés par des banques, sans le consentement de l’entreprise concer- née et sans même l’informer, dans le but de les négocier Wall Street. À l’origine de ces ADR non parrainés, on trouve les ADR classiques qui permettent aux entreprises non américaines de se faire coter aux États-Unis sans passer par les règles très contraignantes de la cotation classique. Ces ADR sont des titres américains émis par une banque d’investissement améri- caine, qu’elle vend sur le marché domestique américain. Pour créer un ADR, la banque achète des actions à un intermédiaire, qui lui-même les achète sur les marchés boursiers américains.

Ces titres figureront dans les livres de la banque et seront conservés par elle en dépôt. Elle peut alors créer des ADR dans la limite du montant des actions qu’elle a acquis. Le nombre d’ADR en circulation évolue en fonction de l’offre et de la demande. Si la demande excède l’offre, il y aura création d’ADR supplémentaires. En cas contraire, des ADR seront annulés.

Allant plus loin et utilisant une subtilité de la loi boursière américaine, certaines banques ont créé des ADR non parrainés afin d’offrir à leurs clients d’autres possibilités

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d’investissement. Pour les créer, la banque agit de la même manière que pour les ADR classiques : achat de titres de l’entreprise, qui figureront dans les livres de la banque et seront conservés par elle en dépôt. Elle pourra donc créer des ADR non parrainés dans la limite du montant des actions qu’elle a acquis et les négocier avec des clients éventuels.

Les droits de l’actionnaire, perception d’un dividende et droit de vote, passent au porteur d’ADR non parrainé par un contrat, appelé deposit agreement. Le deposit agreement est rédigé par la banque seule, qui crée les droits à son gré.

1.1.2. Caractéristiques du marché des ADR non parrainés

Trois banques sont principalement actives sur le marché des ADR non parrainés : Bank of New York, devenue Bank of New York Mellon, la plus ancienne banque américaine, Deutsche Bank et Citi. La seule Bank of New York a émis pour un milliard de dollars d’ADR non parrainés durant le seul premier trimestre 2009 (Bank of New York Mellon, 2009).

Les programmes d’ADR non parrainés ont concerné les plus grandes entreprises mon- diales. Ainsi, le 14 novembre 2006, la Securities and Exchange Commission (SEC), l’auto- rité de régulation des marchés financiers américains, autorise Bank of New York à émettre jusqu’à 100 millions de dollars d’ADR non parrainés sur EADS, soit 12,5 % du capital du groupe, sans son accord (Junghans, 2006). Le 19 novembre 2008, des programmes d’ADR non parrainés sont lancés sur plus de 600 grands groupes de tous pays, dont une trentaine de grande entreprises françaises, comme Areva, Accor, Atos Origin, Bouygues, Eiffage, EDF, Pernod Ricard, Suez Environnement, PPR, Vallourec ou Vivendi (Junghans, 2009).

Les émissions se sont ensuite multipliées. Au total, plus de 1 400 groupes du monde entier seront concernées (Platt, 2009).

Ainsi, trois grandes banques internationales ont créé une nouvelle catégorie de titre boursier, qui ôte une part de la souveraineté de l’entreprise. Loin d’être marginal, ce phé- nomène concerne une part conséquente des entreprises mondiales. De plus, il s’avère que les ADR non parrainés engendrent de graves conséquences pour les entreprises concernées.

1.2. Les risques des ADR non parrainés

1.2.1 Les risques techniques

Un risque théorique : la prise de contrôle de l’entreprise

Ce risque reste théorique. Le détenteur d’ADR non parrainés est certes un actionnaire au titre de la loi américaine et peut donc voter. En pratique, les actionnaires n’ont, semble-t-il, jamais utilisé leurs droits. De la même manière, il semblerait que les banques qui peuvent exercer les droits des porteurs d’ADR non parrainés ne prennent pas part aux votes (Bank of New York, 2011).

Un risque économique : l’impossibilité d’acquérir une entreprise américaine Les entreprises sur lesquelles a été lancé un programme d’ADR non parrainés ne peuvent plus acquérir d’entreprises américaines avec des actions, mais seulement en cash ce qui est beaucoup plus coûteux et plus risqué. En effet, la loi américaine oblige une entreprise étrangère qui souhaite acquérir une société américaine de lancer un programme d’ADR traditionnel. Or, cette loi interdit la cohabitation d’un ADR traditionnel et d’un ADR non

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parrainé. Lorsque qu’une entreprise qui subit un programme d’ADR non parrainé veut acquérir une entreprise américaine, elle doit obtenir la fermeture de ce programme de la banque émettrice. Puis, elle doit ouvrir un programme d’ADR traditionnel. L’entreprise doit alors négocier avec la banque le rachat des titres et la clôture définitive du programme.

1.2.2. Les risques juridiques Le risque de « class action »

Les entreprises sur lesquelles ont été lancé des programmes d’ADR non parrainés sont, sans qu’elles donnent explicitement leur consentement, cotées à Wall Street, et peuvent alors faire l’objet de « class action » ou actions collectives, qui permettent à un cabinet d’avocat de réunir un nombre important de plaignants potentiels et d’agir en leur nom devant les tribunaux américains pour en obtenir de considérables amendes (Junghans, 2009).

Le risque « réputationnel »

Avec les ADR non sponsorisés, les entreprises perdent le contrôle de leurs investisseurs.

De leur côté, les banques émettrices n’ont aucune obligation à fournir des informations aux investisseurs ou à organiser les votes. Elles peuvent en outre fixer unilatéralement le montant des commissions payées par les investisseurs dans le programme. De plus, plusieurs programmes différents peuvent être lancés sur un même émetteur par plusieurs banques.

Cela peut créer une confusion, donnant une mauvaise image des entreprises concernées.

Elles peuvent ainsi être exposées à un certain risque « réputationnel » (Jönsson, 2009).

1.2.3 Les risques criminels Le risque d’opacité

Le marché des ADR non parrainés est un marché parfaitement opaque avec les risques de manipulation qui peuvent en résulter. Les ADR non parrainés sont négociés par la banque qui les a créé avec des clients éventuels, parfois à des fonds d’investissement qui eux même les cèdent à d’autres investisseurs, des fonds de retraite ou des clients particuliers, sans que la traçabilité de ces mouvements soit organisée. Le porteur de l’ADR non parrainé, actionnaire de fait, est désigné sans que l’entreprise en cause dispose d’un droit de regard sur les conditions d’exercice des droits de l’actionnaire, notamment le versement du divi- dende et de l’usage du droit de vote. Le deposit agreement, qui fixe les droits du détenteur du « titre » est rédigé par la banque seule, qui crée les droits à son gré. Ainsi, lorsqu’un programme d’ADR non parrainé a été lancé sur EADS, une enquête a été menée par des services officiels français pour déterminer qui manœuvrait derrière la banque émettrice du programme. Cette enquête n’est pas parvenue à trouver un nom ou une institution bénéfi- ciaire du programme ni ses motivations.

Le risque de blanchiment

Le marché des ADR non parrainés, tel qu’il est organisé, autorise des manœuvres financières occultes, telle que le blanchiment. Ce marché est un marché dérèglementé ou plus exactement hors réglementation, livré au seul bon vouloir des banques émet- trices de programmes d’ADR non parrainés. Les échanges d’ADR non parrainés se

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déroulent sur le marché dit des Pink Sheets ou Pink Quote. Il s’agit d’un système électronique servant à afficher le cours de différents actifs financiers négociés de gré à gré (over the counter – OTC). Les entreprises qui y sont cotées n’ont pas à se soumettre à différentes obligations imposées par les lois boursières américaines, notamment en termes d’informations financières. Ces entreprises ne remettent pas de rapport à la SEC ou alors simplement des rapports non vérifiés. Les volumes échangés sont inconnus. Les informations données par les entreprises cotées sont biaisées ou insuffisantes (Hubbard, Larson, 1995). La SEC qualifie les compagnies présentent sur Pink Quote d’investissements spéculatifs et recommande aux investisseurs d’effectuer des recherches exhaustives sur ces compagnies avant d’y investir (US Securities and Exchange Commission, 2008).

Les ADR non parrainés présentent certains dangers tant techniques que juridiques et même criminels qui concernent directement les plus grandes entreprises mondiales ainsi que les États. La question se pose de savoir si les signaux faibles annonçant la généralisation de ces programmes et la montée des risques ont été détectés et utilisés par les entreprises et les États.

2. L’analyse du rôle des signaux faibles

2.1. Les signaux faibles acquis n’ont pas déclenché une action des autorités

2.1.1. Des faits suffisamment clairs

Les ADR non parrainés connus de longue date

Avant les lancements massifs des années 2006-2009, les programmes d’ADR non parrainés ont concerné les entreprises françaises, en nombre limité, depuis le début des années 80. Ainsi, un programme d’ADR a été lancé sur L’Oréal et Air Liquide le 15 janvier 1983 par Bank of New York, Deutsche Bank, Citi et JPMorgan. Un autre a été lancé sur LVMH, le 3 décembre 2002, par Bank of New York, Deutsche Bank et JPMorgan. Ensuite, Bank of New York lance, seule, des programmes sur Cap Gemini, le 16 juin 2003, Essilor International, le 7 mai 2004 et Vinci, le 12 mai 2004.

Des alertes sont lancées par des cabinets d’avocats et des banques

Les cabinets d’avocats américains préviennent leurs clients des risques, des « menaces des ADR non parrainés » (Weiss, 2004 ; Fitzgerald, Vivero et Reyes, 2009 ; Latham &

Watkins, 2009). La banque JP Morgan prévient que ces programmes sont créés « unilaté- ralement (et) ne correspondent pas toujours aux besoins des entreprises concernées » (JP Morgan, 2008). Une note alarmiste est transmise par un cabinet d’avocat à l’intention du Crédit Agricole S.A. (Ziegler & Associates, 2009)

Des indications venant de l’histoire des banques concernées

Trois banques, parmi les plus actives sur le marché des ADR non parrainés, ont eu maille à partir avec la Justice avant le lancement massif des programmes. Citi group a dû régler 75 millions de dollars à la SEC (AFP, 2010). Deutsche Bank accepte en décembre

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2010 de payer 553,6 millions de dollars à la justice américaine dans une affaire de fraude fiscale (Reuters, 2010). Enfin, pour solder une affaire de blanchiment, Bank of New York a accepté de payer à la justice fédérale américaine quelque 26 millions de dollars, 12 millions de dommages intérêts aux banques victimes et 14 millions de dollars aux douanes russes (US Department of Justice, 2005 ; AFP, 2009). En droit américain, les différents accords permettent aux banques de ne pas se reconnaître coupable ou non coupable.

2.1.2. Des données traitées

Ces faits ont bien été acquis et traités par les services officiels. Plusieurs notes ont été transmises aux autorités lorsque la presse a fait état du lancement du programme d’ADR non parrainés sur EADS. Une note de la Direction de la surveillance du territoire (DST) a été transmise aux autorités politiques qui ont également été alertées par les responsables des services publics d’intelligence économiques. En 2011, une réunion de la cellule de prospective réunie autour du Secrétaire général de l’Elysée a été consacrée en partie à cette question.

En revanche, il ne semble pas que les services d’intelligence économique et financiers des entreprises – à une exception près - aient acquis les signaux faibles et mis en évidence les risques des ADR non parrainés.

2.1.3. Les faits traités n’ont pas donnés lieu à action Les faits traités et les entreprises

La plupart des entreprises concernées ont simplement informé leurs actionnaires.

C’est le cas du groupe l’Oréal qui indique simplement dans son rapport de gestion : « Des American Depositary Receipts non parrainés circulent librement aux États-Unis à l’initiative de quelques banques américaines » (L’Oréal, 2005).

En revanche, et ceci montre que les entreprises peuvent être conscientes des risques que représentent pour elles les ADR non parrainés, certaines entreprises ont réagi. Par exemple, Michelin, sur lequel un programme d’ADR non parrainés a été lancé par Deutsche Bank, en a exigé la clôture. Le groupe, dont la structure de contrôle verrouille totalement le pou- voir, est traditionnellement soucieux de connaître très précisément ses actionnaires petits ou grands. En 2009, quelques entreprises au Japon et en Europe ont émis de très fortes objections contre les programmes d’ADR non parrainés ou ont exigé des banques la clôture des programmes (Jönsson, 2009)

Les faits traités et les autorités politiques

Les autorités politiques françaises, et plus largement les pays occidentaux, n’ont pas réagit aux différentes alertes les informant des dangers des ADR non parrainés.

En revanche, sentant les risques pour leurs entreprises, le Brésil, la Russie, l’Inde et la Chine ont imposé des barrières législatives pour que soit respecté le consentement des entreprises concernées par les programmes d’ADR non parrainés (Platt, 2009).

Ainsi, alors que les faits signalant l’invention et la nocivité des ADR non parrainés étaient bien acquis et traités, les alertes des services officiels n’ont entrainés aucune réaction dans les pays occidentaux et dans la majorité des entreprises. Une analyse théorique et son application à notre cas semblent pouvoir donner une explication.

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2.2. Les signaux faibles en matière financière sont difficilement utilisables par les dirigeants 2.2.1. Le cadre théorique interprétatif de la difficulté d’acceptation

du s ignal faible par le d irigeant

L’acquisition et le partage du signal faible - Le signal faible

Ce que nous avons appelé faits, de manière triviale, sont en réalité des signaux faibles.

Bien repéré par la littérature, ils sont des éléments de perception, donnée fragmentaire, peu ou pas apparente, divergente par rapport aux savoirs acquis, déduit d’un fait, ne reposant pas sur des certitudes, des données, pas encore des informations, ambigües, fragmentaires, incertaines, imprécises, peu répétitives, noyées dans le flot des données. Ces signaux ont une origine extérieure à l’organisation (Mintzberg et al., 1976 ; Lesca, 2001).

- Le signal faible et l’anticipation

Les signaux faibles peuvent être annonciateurs d’événements futurs, de type oppor- tunités ou menaces et donc devenir un outil d’aide à la décision (Ansoff, 1975), même si l’événement qui se prépare n’est pas encore amorcé (Lesca et Kriaa, 2007). Cependant, ces signaux faibles, qui s’apparentent à des bruits, n’ont pas de pertinence intrinsèque en soi (March et Feldman, 1981).

- Le traitement des signaux faibles

Pour devenir source d’anticipation, les signaux faibles doivent faire l’objet d’un traite- ment. Ce n’est qu’alors qu’ils peuvent déclencher une alerte sur un événement important (Blanco, Caron-Fasan, Lesca, 1997). Ce traitement est agencement, confrontation et véri- fication avec des informations formalisées (Mevel et Abgrall, 2009). Mais ce traitement laisse place à la subjectivité et donc à la présence de multiples biais cognitifs (Kiesler et Sproull, 1982 ; Weick, 1995).

- Le partage des signaux faibles dans l’organisation

Les signaux faibles, une fois collectés et traités, semble devoir être diffusés et ainsi irriguer l’entreprise à tous les niveaux (Rouach, 1996). L’organisation doit alors accepter le signal avant de se l’approprier. Cette procédure d’appropriation met alors en œuvre deux régulations celle de l’organisation, les dispositifs existant dans l’entreprise pour faciliter cette appropriation, et celle de l’individu, les dispositifs cognitifs individuels (Vaujany, 2006)

Les difficultés d’acceptation du signal faible - Les facteurs personnels

L’acceptation du signal faible est influencée par des facteurs cognitifs, affectifs et émo- tionnels (Choo, 2010). Cette acquisition relève de l’intuition (Klein, 2003), d’une conviction soudaine ou d’un « malaise » (Damasio, 1999). Certains des signaux faibles peuvent alors être négligés, ignorés, déformés quand ils ne correspondent pas au schéma mental du dirigeant (Calori et Sarnin, 1993). Aussi, l’acceptation de signaux faibles dépend des capacités person- nelles du dirigeant (Brizon et Auboyer, 2009) : tolérance à l’ambiguïté (Blanco, Caron-Farsan et Lesca, 1997) ou acceptation d’événements non familiers (Regnier et Boulanger, 1995).

- Les facteurs organisationnels

Dans leur travail d’acceptation des signaux faibles, les dirigeants sont soumis à une tension en provenance de l’organisation. Le dirigeant reçoit une masse d’information en

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provenance de l’organisation. Celle-ci peut le submerger et l’éloigner de l’acquisition de signaux faibles essentiels (Laroche, 2005). Il doit donc en quelque sorte s’en extraire ce qui ne dépend que de sa volonté (Lesca, 1983, Lesca et Castagnos, 2004).

Ce travail est délicat car le dirigeant doit traiter avec la coalition dominante de l’orga- nisation qui influence l’interprétation de l’organisation (Gioia et Thomas, 1991) afin de faire admettre l’information anticipatrice tirée du signal faible à la « structure cognitive » qui définit et articule les éléments concernant les questions stratégique auxquelles doit faire face l’organisation (Johnson, 1987). Or, les signaux faibles acquis peuvent comprendre des éléments que la hiérarchie de l’organisation n’avait pas l’intention d’y inclure (March et Simon, 1958). Le dirigeant doit donc, éventuellement, accepter d’être en divergence avec le consensus de l’organisation et imposer ses choix.

2.2.2. L’application du cadre théorique interprétatif aux signaux faibles touchant aux que stions financières 

Le biais organisationnel

Le consensus actuel qui règne dans le monde de la finance ne tend pas vers la réglemen- tation des activités financières. Ce que le Prix Nobel Maurice Allais qualifie d’idéologie, est structuré autour des idées libérales de déréglementation qui est devenu un nouvel inté- grisme fondé sur la spéculation et la création de « faux droits » par la création monétaire fondamentalement nocive (Allais, 1999). Dans ce contexte, les banques étaient, pour le consensus de la communauté financière, parfaitement en droit de lancer les programmes d’ADR non parrainés. D’autant plus qu’aucune loi ne l’interdisait expressément.

Les biais cognitifs

Les dirigeants, notamment les plus jeunes, sont assez rétifs intellectuellement à appré- hender les risques que met en évidence l’intelligence économique, dans son volet sécurité, dans le monde de la finance. Ces dangers sont issus de techniques mises en œuvre par des institutions financières respectables qui se situent le plus souvent sur le fil du rasoir. Les risques criminels dans le monde financier doivent être construits pour apparaître comme des dangers. Et cette construction semble suspecte de refus d’efficacité et de pragmatisme (Junghans, 2001).

D’autant plus que l’interpénétration psychologique entre les mondes du légal et de l’illégal se généralise. Près d’un quart des cadres de Wall Street et de la Bourse de Londres estiment que des conduites malhonnêtes ou illégales sont nécessaires pour réussir dans le monde de la finance. Les deux-tiers de ces cadres interrogés estiment que les autorités de régulation des deux côtés de l’Atlantique ne représentent pas une force de dissuasion suffisante pour les arrêter dans la voie de l’illégalité (Labaton-Sucharow, 2012) Les condamnations régulières des banques pour blanchiment ou fraude montrent bien que l’ « efficacité » des méthodes criminelles devient apprécié dans le monde « légal » pour sa brutale efficacité.

(Junghans, 2012, Stein, 1992)

Le traitement et l’appropriation des signaux faibles par l’organisation relève d’une procédure complexe, surtout dans le monde financier où le rôle des biais organisationnels et, surtout, cognitifs est particulièrement puissant.

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Conclusion

Trois grandes banques internationales ont créé une nouvelle catégorie de titre boursier, qui ôte une part de la souveraineté de l’entreprise. Loin d’être marginal, ce phénomène concerne une part conséquente des entreprises mondiales. Au delà de ce choc psycholo- gique, il s’avère que les ADR non parrainés présentent certains dangers tant techniques que juridiques et même criminels qui concernent directement les plus grandes entreprises mondiales ainsi que les États. Mais, alors que les faits signalant l’invention et la nocivité des ADR non parrainés étaient bien acquis et traités, les alertes des services officiels n’ont entrainés aucune réaction dans les pays occidentaux et dans la majorité des entreprises. En effet, notre analyse théorique montre que l’utilisation des signaux faibles par l’organisation relève d’une procédure complexe mettant en place des biais organisationnels et, surtout, cognitifs, particulièrement puissants dans le monde financier.

Ce cas nous permet de mettre en évidence une nouvelle étape dans le jeu des signaux faibles. Après l’acquisition et le traitement, il convient de prêter attention à la phase d’accep- tation et d’appropriation tant par les individus dont, au premier chef, les dirigeants, que par l’organisation. Or, c’est dans cette phase que les biais jouent un rôle très important pouvant aller même jusqu’au refus d’utilisation du signal faible. Nous pensons que, au moins en matière financière, le biais organisationnel pèse lourdement à tel point que le signal faible doit entrer en résonnance forte avec le paradigme dominant. L’analyse des signaux faibles doit donc tenir compte de cette coalition dominante.

Cependant, cette contribution, construite à partir d’une étude de cas, présente certaines limites méthodologiques. Elle doit certainement être consolidée par des recherches plus approfondies notamment à l’aide d’outils qualitatifs et quantitatifs et l’appliquer à d’autres domaines que ceux de la finance

Au plan managérial, il serait également intéressant de se pencher sur les ressources humaines des services d’intelligence économique des entreprises afin de mettre en évidence les compétences dont ils disposent. Cette recherche pourrait mettre en évidence la prédomi- nance de profils militaires ou policiers dont la formation et les centres d’intérêts ne portent pas à maitriser les phénomènes financiers complexes. Cette orientation pourrait expliquer le fait que ces services n’aient peut être pas alerté leurs directions avec suffisamment d’énergie – ni que les directions n’aient pas reçu les éventuelles alertes avec suffisamment de sérieux en raison de supposées absences de compétences financières.

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