770 Revue Médicale Suisse – www.revmed.ch – 2 avril 2014
actualité, info
… la consommation du cannabis entraînait des troubles de l’attention, de la mémoire et des fonctions exécutives …
Le cannabis ne doit plus être considéré comme une drogue douce (1)
Il est des sujets majeurs de santé publi que nettement plus difficiles à aborder que d’autres. Personne ne conteste plus, aujour
d’hui, la nocivité majeure de la consomma
tion de tabac ni son caractère puissamment addictogène. Les choses sont plus complexes avec le cannabis, substance aux effets psy
chotropes également massivement consom
mée mais qui a longtemps été entourée d’un halo de «drogue douce». Elle a aussi fait longtemps (et fait encore), en Occident, l’objet de campagnes visant à obtenir soit la dépé
nalisation, soit la légali sation de sa consom
mation. Des campa gnes souvent soutenues par plusieurs familles politiques générale
ment situées à gauche.
Après sa promotion bon enfant, il y a un demisiècle, par les courants new age, le can
nabis a souvent été (est encore) le symbole d’un nouvel hédonisme, un hédonisme soft.
Avec lui, la palette des psychotropes pos
sibles s’élargirait sans que la santé publique en soit menacée. Puis vint une autre série d’arguments puissants, développés par une droite ultralibérale : mieux valait commer
cialiser (et taxer) le cannabis plutôt que laisser fructifier des réseaux commerciaux clandes
tins, une économie souterraine, source de violence et de trafics en tout genre ; réseaux que l’on ne parvient ni à contrôler ni à dé
truire en dépit d’énergies policières et de budgets publics considérables. Ce sont là des arguments développés à échéance régulière par l’hebdomadaire anglais The Economist et qui commencent à avoir l’oreille de person
nalités de gauche. Des arguments qui vien
nent d’être traduits dans les faits en Uru
guay.
Reste la réalité de l’impact de la consom
mation du cannabis sur l’organisme humain.
Equation assez complexe. Plusieurs études ont montré que le D9THC, principal prin
cipe actif du cannabis, entraînait des trou
bles de l’attention, de la mémoire et des fonctions exécutives. Mais il apparaît aussi que ces troubles sont liés à la dose, à la fré
quence, à la durée d’exposition et à l’âge de la première consommation. Ils peuvent dis
paraître après un sevrage, mais des anoma
lies durables s’observent chez les personnes ayant débuté leur consommation avant l’âge de quinze ans. La bibliographie spécialisée établit que la fréquence de la dépendance au cannabis (essentiellement caractérisée) par
le craving, la perte de contrôle et des reten
tissements importants sur la vie familiale, professionnelle et sociale est d’environ 1%
en population générale sur la vie entière. Ce qui est loin d’être négligeable.
Un point documenté vient d’être établi en France par un groupe de spécialistes 1 dirigé par le Dr Alain Dervaux, Service d’addicto
logie «Moreau de Tours», Centre hospitalier SteAnne, Paris). Ces spécialistes faisaient partie du groupe d’experts qui a réalisé, il y a peu, à la demande des autorités sanitaires, un rapport pour établir l’état des connais
sances sur les conduites addictives chez les adolescents.2 Ils précisent les liens pouvant
exister entre consommation de cannabis et risque de présenter ultérieurement des trou
bles psychotiques. Le risque, dosedépendant, apparaît aujourd’hui plus élevé lorsque la consommation de cannabis a débuté avant l’âge de quinze ans ainsi que chez les sujets ayant des antécédents familiaux de troubles psychotiques. «La toxicité cérébrale du can
nabis est liée à l’interaction du D9THC sur les récepteurs cannabinoïdes cérébraux CB1, résume le Dr Dervaux. La consommation de cannabis pouvait interférer avec le système endocannabinoïde cérébral lors de la matu
ration du cerveau à l’adolescence.»
Chez l’homme, de nombreuses études castémoins montrent que la consommation chronique de cannabis (au moins une fois par semaine sur une période minimale de
trois ans) est significativement associée à des troubles cognitifs, avec en particulier des troubles de l’attention, de la mémoire de travail, de la mémoire prospective et de la mémoire épisodique avec des altérations de l’encodage, du stockage et du rappel des informations ainsi qu’à des troubles du trai
tement de l’information nécessaire aux prises de décision. «Ces troubles sont liés à la dose, à la fréquence de la consommation, à la durée d’exposition et à la précocité de la première consommation, avant l’âge de quinze ans, résument les auteurs français. Ils sont aussi liés aux taux les plus élevés de D9THC, alors que le cannabis contenant des taux élevés de cannabidiol (autre substance cannabinoïde psychoactive contenue dans le cannabis) limiterait les effets délétères du D9THC.»
Dans les études castémoins, la consom
mation régulière de cannabis est aussi asso
ciée à des troubles des fonctions exécutives (planification, capacités adaptatives, capa ci
tés d’établir des priorités, flexibilité mentale, résolution de problè mes, capacités créatri ces). Les cannabi
noïdes interfèrent également avec l’estimation du temps, indispensable dans l’adaptation à l’environnement. «Les trou bles des fonctions exécutives peuvent entraîner une gêne dans les activités quoti
diennes, ajoutent les auteurs. La consomma
tion régulière de cannabis induit notamment des altérations des performances psy cho mo
tri ces. Ces troubles ont été mis en évidence dans des populations de sujets non consom
mateurs d’autres drogues, sans troubles psy
chiatriques associés, ce qui limite les biais.»
Des éléments importants sont fournis, sur le long terme, par l’étude de cohorte longi
tudinale néozélandaise Dunedin Multidisci- plinary Health and Development Study (Dunedin Study) qui a évalué le devenir des 1037 sujets, nés en 1972.3 Elle a confirmé que les consom
mateurs de cannabis présentaient plus de troubles cognitifs que les sujets abstinents.
avancée thérapeutique
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Et que les sujets dépendants au cannabis qui avaient débuté leur consommation avant l’âge de dixhuit ans présentaient en moyen ne une baisse de huit points au QI par rapport aux sujets qui avaient commencé leur con
sommation après. Ces anomalies étaient in
dépendantes du niveau scolaire et de la con
sommation d’alcool ou d’autres drogues. En outre, les consommateurs qui ont consommé du cannabis avant l’âge de dixhuit ans, ne récupèrent pas complètement leurs fonctions cognitives après avoir arrêté leur consom
mation depuis au moins un an.
Les études d’imagerie cérébrale retrou
vent (par rapport aux sujets témoins) une diminution dosedépendante de la densité de la substance grise au niveau de l’hippo
campe, des régions parahippocampiques et de l’amygdale par rapport aux sujets té
moins. Ces anomalies sont d’autant plus marquées que l’âge de début de la consom
mation de cannabis était précoce et les quan
tités fumées importantes.
On ajoutera que les troubles cognitifs ont un impact sur l’apprentissage et favorisent les difficultés scolaires chez les adolescents, en particulier chez ceux qui sont déjà en situation d’échec. «Deux revues de la littéra
ture et une métaanalyse de treize études ont conclu que les troubles attentionnels et ceux de la mémoire de travail chez les adultes, consommateurs réguliers de can nabis, avaient tendance à disparaître dans le mois suivant l’arrêt de la consommation, soulignent les auteurs français. Néanmoins, certaines études ont rapporté la persistance d’altérations des mémoires sémantique et procédurale ainsi que des troubles subtils de planification et de prise de décision. Chez les adolescents, les troubles de l’attention, de la mémoire verbale et de la planification pourraient per
sister plus longtemps, quatre à six semaines après le sevrage. En pratique, il faut souli
gner que les consommateurs ayant arrêté leur consommation ont de meilleures per
formances de la mémoire immédiate que ceux qui continuent.»
(A suivre)
Jean-Yves Nau jeanyves.nau@gmail.com
1 Alain Dervaux, Marie-Odile Krebs, Xavier Laqueille (Ser- vice d’addictologie Moreau de Tours, Centre hospitalier Ste-Anne, Paris).
2 «Conduites addictives chez les adolescents. Usages, prévention et accompagnement». Rapport du groupe d’experts coordonné par le Pôle Expertises Collectives de l’Inserm à la demande de la Mildt. Paris : in press.
3 Meier MH, Caspi A, Ambler A, et al. Persistent cannabis users show neuropsychological decline from childhood to midlife. Proc Natl Acad Sci USA 2012;109:E2657-64.
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