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La qualité, une arme à plusieurs tranchants

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Academic year: 2022

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Intéressant projet d’Alain Berset, annoncé la semaine dernière : la création d’un «Centre na- tional pour la qualité des soins». Le retard de la Suisse est grand, sur ce plan, par rapport aux autres pays développés, qui ont quasi tous des systèmes de technology assessment effi- caces et des agences nationales de qualité et de sécurité des soins. Certes, quelques grou- pes suis ses travaillent déjà dans ce domaine, dont le Swiss medical Board (SMB), l’Associa- tion intercantonale pour l’assurance de la qua- lité (ANQ) ou l’Académie suisse pour la qualité en médecine (ASQM) créée par la FMH. Mais Alain Berset montre l’intelligence de vouloir les fédé rer sous l’aile de son Centre. Sans pou- voir direct, «Indépendant», ce Centre devrait servir de base à un pilotage politique.

Mais attention : dans le domaine chahuté de la qualité, rien n’est pire que la fausse indé- pendance. Or, c’est le Conseil fédéral qui nom- mera les membres du conseil de ce Cen tre.

Quelle place fera-t-il aux patients et aux méde- cins praticiens face aux «partenaires écono- miques» et au cortège d’experts qui leur sont liés, ces éternels invités à la table du pouvoir helvétique ?

Dans la médecine contemporaine, hospitalière en particulier, la norme est désormais de con- cevoir la qualité comme un mixte d’efficience, de sécurité, d’accessibilité, de rapidité et de satisfaction des patients. Tout cela quantifié sous forme de taux : de réadmissions, d’infec- tions nosocomiales, de complications, par exem ple. De plus en plus, ces taux vont déter- miner les financements et servir à l’élaboration de classements. Mais demandez l’avis du per- sonnel hospitalier, des médecins et autres soi- gnants : rares sont ceux qui adhèrent à cette approche. La majorité évoque, comme princi- paux facteurs de qualité, l’ambiance de res- pect, d’attention et d’humanité, ou la valorisation du travail d’équipe, ou encore la possibilité de prendre du temps avec des patients difficiles.

A ses yeux, l’essentiel de la qualité échappe à la quantification.

Que le nouveau centre se réfère à des exper- tises menées par le SMB et, en contrepartie, lui impose les thèmes à traiter et le finance : pourquoi pas ? Mais à la condition que le SMB se réforme, ainsi qu’il l’a promis. Il ne peut con- tinuer à confier les analyses de la littérature médicale à une entreprise spécialisée dans le consulting industriel. Ce travail doit être mené par des médecins dont c’est le métier.

De manière plus large, le moment est venu de reconnaître que la Suisse n’a pas les moyens de développer un véritable centre de Health

technology assessment (HTA). Si elle veut une évaluation sérieuse d’un nombre suffisant d’interventions médicales, et une constante mise à jour de ses avis, une seule option s’offre à elle : renoncer à effectuer le travail de fond.

Pour être réaliste, le nouveau centre devra partir des travaux des systèmes de HTA des autres pays, y compris de la collaboration Cochrane, et en adapter les conclusions, par une critique commentée et une discussion avec des repré- sentants de patients et des praticiens.

Le problème des centres de qualité, c’est qu’ils ont tendance à se donner comme projet d’écrire un catéchisme de la médecine de qualité. Leur modèle, généralement tacite, est le régime d’au- torité et d’obéissance. Or, la démarche de qua- lité exige une forte indépendance d’esprit. En particulier, la science de lecture des études, avec laquelle s’établit un savoir fiable, suppose une pensée critique en alerte. Tout doit être contesté des étu des et des affirmations chif- frées, d’où qu’elles viennent. Les biais se ca- chent partout, les intérêts aussi, dont les ac- tions de parasitage vont jusqu’au bidonnage des résultats. Face à cela, la qualité n’a pas d’autre option que de se cons tituer en contre- pouvoir.

Sans compter que la qualité n’existe pas en soi : elle résulte d’un récit que nous ne ces- sons de construire. Elle peut se concevoir de multiples manières, laissant plus ou moins de place aux malades pour vivre leurs maladies et aux soignants pour exister. Pour qu’il y ait qua- lité, il faut que deux dimensions soient respec- tées : la scientifique, pour laquelle toute action ou interprétation se fait en lien avec l’ensemble des expériences du reste du monde. La per- sonnelle, ensuite, qui exige de laisser une cer- taine liberté d’action aux soignants pour adap- ter la règle à leurs patients, leurs histoires, leurs souffrances, leurs systèmes de valeurs et re- présentations du monde. La qualité n’est donc pas qu’une science se donnant à elle-même sa propre justification : elle traduit aussi une fina- lité et même une utopie humanisante.

La grande mystification, installée dans les es- prits managériaux surtout, consiste à quanti- fier le qualitatif jusqu’à finalement faire croire que le monde des soins, mais aussi, du coup, de la souffrance et de la relation, ne possède qu’une dimension, celle des résultats et des ratings. Or la qualité des soins dépend d’un mélange complexe d’éléments où, à la fin, ce qui compte, y compris au niveau de l’efficience – car tout se tient – c’est une sorte d’esthétique, de beauté pratique. Pas de règles sim ples, pas de slogans, mais une création à cha que fois

renouvelée, où le «plus» n’est pas synonyme de «mieux».

L’idée que la médecine de qualité découle d’une retenue intelligente se trouvait d’ailleurs au cœur du congrès que la Société Suisse de Médecine Interne Générale (SSMI) tenait la semaine dernière conjointement avec l’Euro- pean Federation of Internal Medicine. Le mo- ment est venu de viser une «smarter medicine», expliquait la SSMI. Le problème est que la po- pulation se trouve loin de voir les choses ainsi, elle qui est matraquée à longueur de journée par un marketing affirmant que «plus, c’est mieux». Viser la qualité oblige donc de réflé- chir aux manières de promouvoir une attitude de retenue. Un mélange de marketing intelli- gent et de courage face aux pressions écono- miques.

Mais la population se montre aussi capable de résistance, y compris à ses propres démons.

L’immense plébiscite populaire de la méde- cine de famille, ce week-end, en est la preuve.

La votation ne concernait pas un détail de consommation mais une question de philoso- phie. On s’exprimait sur une façon d’être traité et une conception de la médecine. Et sur la dimension future qu’il y a dans la démarche visant la qualité. Or le futur demande d’agir poli- tiquement : former des médecins de premier recours, les payer correctement et, au-delà, créer des conditions de société qui soutien nent ce qu’il y a de fragile et de peu rentable dans les soins.

Ce que le plébiscite de ce week-end a aussi montré, c’est que, lorsqu’ils se donnent la peine de participer au jeu politique, les médecins sont entendus par la population comme aucun autre groupe professionnel. Vous en connais- sez beaucoup, vous, des professions qui soient soutenus par près de 90% de la population ? Les généralistes ont réussi à convaincre que leur activité est particulière et qu’elle doit res- ter en dehors de la simple approche de mar- ché dans laquelle, pourtant, le Parlement ne cesse de vouloir la placer. C’est une bonne nouvelle pour toute la médecine.

Quant au projet de Centre pour la qualité des soins, les chances qu’il voie le jour sont fai bles.

Le Parlement doit encore l’adopter. Il est dominé par les caisses maladie. Et elles détestent ce genre de nationalisation du pouvoir sanitaire.

Dans le futur qu’elles se donnent, ce sont elles qui doivent interpréter les données concernant la qualité, et donc définir la configuration de la médecine. Décidément, la qualité est une arme à plusieurs tranchants.

Bertrand Kiefer

Bloc-notes

1160 Revue Médicale Suisse www.revmed.ch 21 mai 2014

La qualité, une arme à plusieurs tranchants

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