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La faillite consolidée

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Academic year: 2022

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La faillite consolidée

PETER, Henry

PETER, Henry. La faillite consolidée. In: Foëx, Bénédict ; Thévenoz, Luc. Insolvence,

désendettement et redressement : études réunies en l'honneur de Louis Dallèves . Bâle : Helbing & Lichtenhahn, 2000. p. 221-238

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:32082

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Henry Peter

Professeur à l'Université de Genève, avocat à Lugano

Prologue

Il nous est trop souvent confié la mission de traiter de sujets déjà amplement connus ou, en présence de quelque événement législatif ou judiciaire, de com- menter une question plus ou moins ponctuelle d'une manière en quelque sorte rétrospective. Je suis donc reconnaissant aux initiateurs de ces mélanges de m'avoir permis de me pencher sur un sujet nouveau, prospectif, sans aucune contrainte particulière de lege ou de jurisprudentia lata. J'ai ainsi choisi d'aborder une question chère au jubilaire et qui, malgré son importance, est presque totalement ignorée en Suisse: celui que j'ai intitulé un peu pompeuse- ment "la faillite consolidée".

Puisque ce titre est probablement un peu énigmatique, je me permettrai, tout d'abord, de poser le problème en fait. Dans un deuxième chapitre, je rappellerai 1' approche et les solutions pratiquées dans un régime notoirement plus souple et expérimenté que le nôtre, celui des États-Unis d'Amérique. Ce décor étant planté, je suggérerai ce qui me paraît être la situation actuelle en Suisse, non pas tant dans la perspective traditionnelle- qui est peu enthou- siasmante- mais en tentant d'esquisser les solutions innovatrices qui me semblent pouvoir être appliquées dans notre pays en 1' état actuel du droit.

1. Le problème

Les activités économiques -les entreprises- sont aujourd'hui toujours plus souvent composées non pas d'une seule entité juridique, mais organisées sous

* Texte remanié d'une conférence donnée le 2 décembre 1999 à Olten, à l'occasion de l'assemblée générale de l'Association pour le droit des poursuites et de la faillite.

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HENRY PETER

forme de groupes de sociétés, recourant donc à une pluralité de sujets de droit soumis à une direction commune. Pour paraphraser Paillusseau, on peut d'ailleurs affirmer que le groupe de sociétés est la nouvelle "technique d'or- ganisation de l'entreprise"1. Ceci se vérifie sur le plan national et encore plus sur le plan international, les groupes transnationaux étant de nos jours tou- jours plus nombreux dans un monde de globalisation croissante.

Les raisons pour lesquelles une entreprise est structurée sous forme d'un groupe plutôt que d'une seule entité juridique, possédant le cas échéant des succursales, sont nombreuses: cette solution permet un management plus ef- ficace et plus motivé; elle présente très souvent des avantages fiscaux; elle est parfois requise par la législation des pays dans lesquels le groupe opère.

Disons d'emblée que si ces raisons sont parfois critiquées, elles sont dans la règle parfaitement raisonnables et elles procèdent même en général d'une saine gestion de 1' entreprise considérée comme un tout et donc des parties qui la composent.

Aussi longtemps que, pris dans son ensemble, un groupe de sociétés est solvable, le fait qu'il soit divisé en différents sujets de droit et la manière dont ceux-ci sont gérés ne pose aucun problème particulier, si ce n'est parfois pour le fisc. Celui-ci a toutefois développé ses propres méthodes de lutte contre ce qu'il considérerait comme étant des prix de transfert inadéquats ou la distribution plus ou moins occulte de dividendes.

Les tiers qui traitent avec le groupe ne sont pas préoccupés par cette situation, qu'ils connaissent en général parfaitement. Ils font confiance au groupe et à sa solidité financière consolidée, ce que le Tribunal fédéral lui- même a appelé la erwecktes Konzernvertrauen2. Ne leur présente-t-on d'ailleurs pas ex lege des comptes consolidés pour les informer et les rassu- rer? Je veux dire par là que, par exemple, lorsqu'un client traite avec le Crédit Suisse, il a souvent 1' impression de le faire avec le groupe dans son ensemble, bien qu'en réalité le rapport juridique se noue en définitive et nécessairement avec 1 'une- bien précise- des sociétés qui le composent.

Mais que se passe-t-il si l'une ou l'autre des sociétés qui constituent le groupe devient insolvable? Tout d'abord, en conséquence de l'inévitable effet domino, on assiste alors fréquemment à la faillite successive ou simultanée

1 Jean PAILLUSSEAU, La société anonyme: technique d'organisation de l'entreprise, Pa-

ris (Sirey) 1967.

2 ATF 120 II 331, 336, Wibru Holding AG c. Swissair Beteiligungen A.G.

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de la plupart des sociétés groupées, en Suisse et à l'étranger. Le problème, souvent complexe, se pose dès lors de déterminer précisément laquelle des sociétés du groupe répond des prétentions des créanciers qui se considéraient jusqu'ici comme étant des créanciers du groupe pris dans son ensemble.

Ayant identifié le sujet de droit -la société groupée- qui est juridique- ment débitrice, on se heurte ensuite fréquemment à la question de savoir si celle-ci est la seule à répondre, si cela est équitable et si, tout bien considéré, il ne serait pas justifié que le groupe, qui s'est présenté comme un tout durant son existence, réponde également globalement au moment où il fait naufrage.

A la grande surprise des créanciers du groupe, ceux-ci sont alors en général confrontés à une objection schizophrénique: au moment de la faillite du groupe, c'est-à-dire des sociétés qui le composent, telle lapin que le prestidigitateur extrait de son chapeau, on leur exhibe en effet le principe de l'indépendance juridique de chacune des filiales, outre, évidemment, celui de la territorialité3.

Cette approche atomiste conduit à la liquidation séparée de chacune des sociétés qui forment le groupe, chacune répondant de ses propres dettes sur son propre patrimoine. On découvre alors que certaines masses sont plus solvables que d'autres, en fonction des transferts de substance qui ont été effectués au sein du groupe, parfois en conséquence de la gestion consolidée des liquidités (cash pooling), fréquemment pour des motifs qui relèvent d'un souci d'optimisation fiscale, d'autres fois encore pour des raisons purement aléatoires. Il arrive même que certaines sociétés tombent en faillite tandis que d'autres- plus ou moins inatteignables- demeurent parfaitement solvables.

Une bataille féroce s'entame alors souvent entre les différentes masses.

L'arsenal à disposition des administrations des faillites respectives est très varié: les moyens sont contractuels, pré-contractuels et extra-contractuels;

on recourt à l'action révocatoire4, aux actions en responsabilité5, voire aux

3 Voir à ce propos notamment Pierre-Robert GILLIÉRON, Les dispositions de la nouvelle loi fédérale de droit international privé sur la faillite internationale, Lausanne 1991, pp. 29ss; Hans HANISCH, "Grenzüberschreitende Insolvenz", Editorial Board of the ISCJ (Hrsg.), International Symposium on Civil Justice in the Era of Globalization (Tokyo 1992), Collected Reports, Tokyo 1993, pp. 315ss.

4 Roland VON BüREN, "Der Konzern", Schweizerisches Privatrecht, VIII/6, Bâle 1997, p. 175; Louis DALLÈVES, "Problèmes de droit privé relatifs à la coopération et à la concentration des entreprises", RDSIZSR 1973, vol. II, pp. 680ss; Henry PETER, L'ac- tion révocatoire dans les groupes de sociétés, Bâle et Francfort-sur-le-Main 1990.

5 Andreas VON PLANTA, Die Haftung des Hauptaktionii.rs, Bâle et Francfort-sur-le-Main 1981; Anne PETITPIERRE-SAUVAIN, Droit des sociétés et groupes de sociétés: responsa- bilité de l'actionnaire dominant, retrait des actionnaires minoritaires, Genève 1972.

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actions en restitution de dividendes cachés ou de profits inexistants6, y com- pris certains moyens extraordinaires bien connus telle Durchgriff' par lequel les créanciers d'une société insolvable tentent d'avoir accès aux actifs d'une autre société du groupe8.

Les limites et les défauts de cette approche atomiste sont bien connus et rapidement atteints: les délais et les efforts sont considérables, les coûts sont déraisonnables. Une partie en général substantielle des actifs disponibles sont dilapidés à l'occasion de cette bataille fratricide, au lieu d'être fraternelle- ment divisés entre tous les créanciers des sociétés du groupe. Dans la très grande majorité des cas les masses n'agissent pas conjointement à 1' égard des tiers, en particulier à 1 'égard des personnes physiques ou morales qui ont jusqu'ici contrôlé le groupe et en ont profité parfois abusivement: ces tiers ne sont dès lors pas poursuivis- ou le sont sans succès- car aucune des masses, agissant individuellement, ne dispose des connaissances et des ressources né- cessaires.

Le processus dure souvent des années, ce qui évidemment profite aux liquidateurs en général bien rémunérés, mais certainement pas aux créanciers pris dans leur ensemble. Il n'est pas rare que, malgré tous les efforts et frais engagés, il soit impossible de reconstruire les différentes masses telles qu'el- les auraient dû être dans 1 'hypothèse- idéale mais illusoire- où chacune des sociétés du groupe aurait été gérée de façon autonome. Tout juriste praticien, qu'il soit juge, avocat ou simplement consultant, connaît de nombreux cas de ce genre. Les années écoulées nous ont apporté leur lot d'exemples, tels les faillites des groupes bancaires internationaux BCCI et Banco Ambrosiano ou, en Suisse, les cas Sasea9, Gatoil10 ou Ornni Holdingll.

La problématique a été identifiée et mise en évidence par la doctrine depuis près de vingt ans, notamment par un des spécialistes de la faillite

6 VON BÜREN (n. 4), p. 174.

7 VON BÜREN (n. 4), pp. 17lss; Carsten Thomas EBENROTH, "Zum Durchgriff im Gesellschaftsrecht", SAS/SAG 1985, pp. 124ss; DALLÈVES (n. 4), pp. 677ss; Eric HaMBURGER, "Zum Durchgriff im schweizerischen Gesellschaftsrecht", RSJ/SJZ 1971, pp. 249ss.

8 Voir Henry PETER 1 Francesca BIRCHLER, "Liquidation des groupes de sociétés et con- solidation- Enseignements de la pratique récente", RSDAISZW 1995, pp. 122ss.

9 Pour une analyse plus détaillée, voir PETER 1 BIRCHLER (n. 8), pp. 123ss.

IO Pour une analyse plus détaillée, voir PETER 1 BIRCHLER (n. 8), pp. 128ss.

11 Voir 1 'ATF 123 III 220 = SJ 1998 277, S. F.M. Services Financiers & Management SA c.

Omni Holding AG en liquidation concordataire. Voir également la note relative à l'ar- rêt en question de Christine CHAPPUIS, Semaine judiciaire 1998, pp. 28lss.

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internationale, le professeur Hans Hanisch de notre faculté, qui déclarait en 1992:

"Wegen dieser Schwierigkeiten, aber auch wegen des Stückwerks der genannten Rechtsbehelfe, kônnte es als ideale Lôsung erscheinen, die konzemrechtlich verbundenen Gesellschaften einem einzigen, einheit- lichen Insolvenzverfahren über das kombinierte Gesamtuntemehmen zu unterziehen (consolidation), dies gleichsam mit einem gemeinsamen Haftungspool fiir die Schulden aller Konzerngesellschaften."12.

Face à cette situation objectivement totalement insatisfaisante, les par- ties impliquées dans des faillites de groupes ont, au cours des récentes an- nées, tenté toujours plus souvent d'appliquer au moment de la déconfiture la même approche que celle qui a été pratiquée par le groupe durant sa période d'activité, c'est-à-dire une approche consolidée13

On le sait, la consolidation consiste en quelque sorte à traiter la totalité des actifs et passifs des sociétés du groupe comme si celles-ci ne formaient qu'une seule entité. Nous la concevons ici comme la traduction dans le cadre de la faillite du groupe-c'est-à-dire de la liquidation des différentes sociétés qui le constituent- de ce qu'elle est d'un point de vue comptable: la faillite consolidée est ainsi à la mort du groupe le pendant des comptes consolidés durant son existence. Les créanciers des différentes sociétés du groupe de- viennent créanciers d'une seule masse; ils participent en principe pari pas su à la répartition de l'actif net de l'ensemble. On peut dire que l'on fait en quelque sorte masse des actifs et des passifs de toutes les sociétés composan- tes. Par confusion, une créance existant à l'égard de plusieurs sociétés du groupe devient une créance unique à 1' égard de la masse consolidée. Les prétentions réciproques entre les différentes sociétés groupées disparaissent également, ce qui élimine une partie notable des coûts et délais dont il a été question précédemment.

Aux États-Unis la liquidation consolidée de groupes a été considérée comme "a still neglected corner of the law"14; on verra dans un instant que cela n'est plus vrai, en tout cas beaucoup moins qu'en Suisse où le problème demeure "totally neglected".

12 HANISCH (n. 3), p. 343.

13 Voir notamment Henry PETER, "From Atomism to Consolidation in Group's Insolvency ", Internationales Gesellschaftsrecht, Berne 1998, pp. 87ss.

14 BERRY, "Consolidation in Bankruptcy", 50 Am. Bankr. L.J. 343, 371 (1976).

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HENRY PETER

II. Eléments de droit comparé

L'objet de nos réflexions n'est bien évidemment pas limité au territoire suisse.

Il est international en conséquence de la nature transnationale des activités économiques des groupes. Il est dès lors paru opportun de rappeler briève- ment comment le même problème est approché dans deux systèmes juridiques étrangers, celui du Grand-duché de Luxembourg, d'une part, proche du nôtre à la fois culturellement et par le type d'activités économiques qu'on y rencon- tre, et d'autre part, celui des États-Unis d'Amérique, qui est juridiquement plus souple et judiciairement plus dynamique.

A. L'approche au Luxembourg

Le Grand-duché est, on le sait, siège d'innombrables sociétés, en particulier holding. Il a été confronté à de nombreux cas d'insolvabilité de groupes sou- vent importants, notamment ceux des groupes bancaires BCCI et Banco Ambrosiano. Il est intéressant de constater que, dans les deux cas, la liquida- tion consolidée a été proposée-etjudiciairement approuvée.

1.

La liquidation du groupe Banco Ambrosiano

Cette affaire est désormais ancienne; elle a donné lieu à une décision du Tri- bunal d'arrondissement du Luxembourg datée du 13 juillet 1984. Bien que fort laconiquement motivé, ce jugement mérite d'être rappelé, car il fait fi- gure de précurseur. La consolidation fit ici 1' objet d'un projet de réalisation et de répartition consolidé del' actif qui fut approuvé dans le cadre de la faillite de la société Banco Ambrosiano Holding15.

2. La liquidation du groupe BCCI

Les juridictions luxembourgeoises furent ici précisément confrontées au type de problème que j'ai évoqué, c'est-à-dire la nécessité pratique- et donc la volonté des liquidateurs- de recourir à la consolidation. Celle-ci, bien que

15 Voir à ce propos Patrick KINSCH, "La faillite en droit international privé luxembour- geois", Pasicrisie Luxembourgeoise 1995, pp. 144ss.

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contestée, fut approuvée tout d'abord par le Tribunal d'arrondissement luxem- bourgeois16, puis par la Cour d'appeii7.

Plutôt que de paraphraser les tribunaux luxembourgeois, il me semble préférable de citer ici le considérant topique du Tribunal d'arrondissement:

"Dans l'optique d'une approche consolidée prenant en considération la gestion journalière, spécialement du point de vue trésorerie, qui fut réel- lement poursuivie au niveau du groupe BCCI et qui faisait abstraction des différentes entités juridiques, les commissaires envisagent également l'établissement d'un plan de réalisation et de répartition des actifs de BCCI Holdings entre les créanciers de cette dernière, mais cela non au niveau de la seule entité BCCI Holdings, mais au niveau du groupe BCCI tout entier incluant également les actifs d'autres sociétés, même de droit étranger, ensemble avec les créanciers de ces autres sociétés. Une telle approche tenant juridiquement compte de la réalité économique que cons- titue le groupe de sociétés paraît équitable (et existe déjà pour partie dans la législation d'autres pays de la CEE telle Aktiengesetz allemand).

Elle présente notamment l'avantage d'être plus proche de la réalité éco- nomique, d'éviter de nombreux différends entre les multiples sociétés du groupe et d'organiser une récupération plus efficace des avoirs au niveau du groupe BCCI. Elle semble de plus, à 1 'heure actuelle, faciliter la né- gociation d'une solution globale avec l'actionnaire principal de BCCI Holdings. Elle possède toutefois le désavantage de ne pas faire l'objet d'une réglementation légale dans le Grand-Duché de Luxembourg."18 Comme le relève Kinsch, la solution luxembourgeoise aboutit au demeurant à une "levée du voile social" de la personnalité juridique des différentes socié- tés du groupe insolvablel9.

16 Jugement du Tribunal d'arrondissement luxembourgeois du 9 janvier 1992, BCCI Hol- dings (Luxembourg) S.A, Gestion contrôlée n° 137/91; jugement du Tribunal d'arron- dissement luxembourgeois du 20 juillet 1992, Gestion contrôlée n° 345/92; jugement du Tribunal d'arrondissement luxembourgeois du 31 janvier 1995, Gestion contrôlée n° 56/95.

17 Arrêt de la Cour d'appel du 27 octobre 1993, Elias et autres c. BCCI S.A. et autres, n° 15060 et 15314 du rôle, p. 27; jugement du Tribunal d'arrondissement luxembour- geois du 31 janvier 1995, Gestion contrôlée n° 56/95, p. 10.

18 Jugement du Tribunal d'arrondissement luxembourgeois du 9 janvier 1992, BCCI Hol- dings (Luxembourg) S.A., Gestion contrôlée 137/91.

19 KINSCH (n. 15), p. 145.

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HENRY PETER

B. L'approche aux USA20

La question qui nous occupe se pose exactement de la même manière aux États-Unis depuis des décennies. L'environnement y est, on le sait, enclin aux solutions équitables, ce qui est facilité par le très large pouvoir qui y est laissé aux magistrats. Couplé avec le nombre considérable de cas qui y sont soumis aux tribunaux, on comprend aisément pourquoi la situation aux USA peut servir d'exemple, ou en tout cas de référence, dans le cadre de nos ré- flexions.

De fait, outre-Atlantique la liquidation des groupes sur une base conso- lidée est devenue, si ce n'est la règle, du moins une pratique tout à fait cou- rante. Il m'a dès lors semblé intéressant d'en brosser un rapide tableau.

Sur le plan très général, la loi américaine sur la faillite, qui est codifiée sur le plan fédéral, souscrit dans son principe à une approche atomiste de la faillite des différentes entités insolvables. Il n'existe d'ailleurs aux États-Unis aucune disposition légale qui permette expressément aux tribunaux d' ordon- ner ce qu'il y est convenu d'appeler la substantive consolidation (c'est-à- dire la consolidation matérielle )21 • Lorsqu'ils estiment opportun d'ordonner la consolidation, les juges basent leur décision sur une disposition de portée très ample, l'art. lOS( a) du Code américain de la faillite, qui permet au juge d'émettre "any arder, process or judgement that is necessary or appropriate to carry out the provisions of the code".

1. Les conditions générales de la consolidation

Se fondant sur ce pouvoir très général, les tribunaux américains ont déve- loppé une série de conditions dans lesquelles la liquidation consolidée d'un

20 Voir à ce propos Edward Jr. WES, "Substantive Consolidations in Bankruptcy: A Flow of Assets Approach", California Law Review 1977, vol. 65, No 1, pp. 720ss; Jonathan M. LAND ERS, "Another Word on Parent, Subsidiary, and Affiliates in Bankruptcy", The University of Chicago Law Review 1976, vol. 43, pp. 527ss; Jonathan M. LANDERS, "A Unified Approach to Parent, Subsidiary, and Affiliate Questions in Bankruptcy", The University of Chicago Law Review 1975, vol. 42, pp. 589ss.

21 COLLIER on Bankruptcy 1100.06[1], at 1100-31 to -32 (L. King 151h ed. 1979).

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groupe est prononcée. Plus que de conditions, il s'agit en réalité d'un faisceau d' éléments22. Il est intéressant de les rappeler:

(i) la présence d'états financiers consolidés;

(ii) une unité d'intérêt et de propriété portant sur les différentes entités juri- diques qui forment le groupe;

(iii) l'existence de prêts et de garanties concédés par la société mère ou par les sociétés filiales entre elles;

(iv) le degré de difficulté auquel on est confronté pour identifier et diviser les patrimoines respectifs;

(v) la présence de transferts d'éléments du patrimoine entre les différentes sociétés sans qu'aient été respectées les conditions légales pour ce faire;

(vi) la confusion des patrimoines et des fonctions des organes;

(vii) d'une manière générale, les avantages que procurerait la consolidation par rapport à une liquidation de type atomiste.

La réalisation de 1' ensemble de ces conditions n'entraîne, cela étant, pas auto- matiquement la consolidation. Toute décision à cet égard dépend des circons- tances. De fait, le juge procède dans chaque cas d'espèce à une pesée des intérêts en présence. Comme il a été dit dans Eagle-Pichler Industries !ne.:

"decisions on the subject are fact intensive, and the decisions are made on a case-by-case basis"23.

2. Quatre catégories de précédents

En analysant de plus près les précédents dans lesquels la faillite consolidée- ou plutôt la liquidation consolidée des faillites - a été admise, on s'aperçoit que l'on peut les subdiviser en quatre types de situations:

22 Voir notamment in re Vecco Const1: Indust., 4 B.R. 407, 410 (Bankr. E.D. Va. 1980).

Voir aussi in re Richton Int'l Corp., 12 B.R. 555, 558 (Bankr. S.D.N.Y. 1981); in re Luth, 28 B.R. 564, 566 (Bankr. D. Idaho 1983); in re Donut Queen, Ltd., 41 B.R. 706, 709 (Bankr. E.D.N.Y. 1984); in re Stop & Go of Am., Inc., 49 B.R. at 747 (Bankr.

D.Mass. 1985).

23 Voir in re Eagle-Picher Industries Inc., 192 B.R. 903 (Bkrtcy. S.D. Ohio, 1996).

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HENRY PETER

a) Les corporate instrumentality cases

Il s'agit des cas où les filiales ont été constituées ou utilisées avec pour prin- cipal objectif de porter préjudice à leurs créanciers. Ce type d'espèces a pour caractéristique de permettre aux créanciers des sociétés filles (insolvables) d'accéder, grâce à la consolidation, au patrimoine de la société mère, souvent encore in bonis, ou en tout cas plus solvable que ses filiales. Le résultat ainsi obtenu équivaut dès lors à une levée du voile social (piercing the corporate veil), c'est-à-dire ce que l'on appelle en Suisse leDurchgriff.

Un exemple de ce premier type peut être trouvé dans le précédent Tureaucf24 , où les filiales de Tureaud avaient précisément été intercalées dans le seul but de porter préjudice aux créanciers de l'entreprise. Ceci s'avéra particulièrement choquant sachant que les actifs du groupe avaient été systé- matiquement transférés en faveur de 1' actionnaire majoritaire, lequel avait par ailleurs totalement ignoré le caractère juridiquement distinct des différen- tes entités concernées et les avaient utilisées pour son seul profit et pour celui de sa famille25

b) Les cas où les créanciers font confiance au groupe dans son ensemble (rely on the group as a whole)26

Dans cette seconde catégorie de cas, les tribunaux ont ordonné la consolida- tion lorsque, de bonne foi, les créanciers ont démontré s'être fiés aux actifs et au crédit du groupe pris comme un tout, ou au crédit de la société mère lors- qu'ils traitaient avec ses filiales.

On peut citer à titre d'exemple Rich ton International Corp., une espèce dans laquelle le groupe avait été géré comme une seule entreprise (a single business entity)27 • Les sociétés du groupe présentaient des comptes consoli- dés et, d'ailleurs aussi, des déclarations fiscales consolidées. Les créanciers du groupe pensaient ainsi avoir traité avec une seule entité. On considéra qu'il n'était pas acceptable qu'au moment de la déconfiture cette entité pré- tende être en réalité composée de différents sujets de droit distincts.

24 Voir 45 B.R. 658 (Bankr. N.D. Okla. 1985), aff'd, 59 B.R. 973 (Bankr. N.D. Okla.

1986).

25 Ibidem, pp. 659 à 661.

26 Pour une analyse plus détaillée, voir PETER (n. 13), pp. 97ss.

27 Voir 12 B.R. 555 (Bankr. S.D.N.Y. 1981).

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c) Les cas où il est en pratique impossible ou déraisonnable de reconstituer les masses respectives

La troisième catégorie est composée des cas dans lesquels, bien que le groupe ne se soit pas présenté comme une entité unique et que les filiales n'aient pas nécessairement été constituées pour porter préjudice aux créanciers, le nom- bre, la nature et la complexité des opérations intragroupes sont tels qu'il serait déraisonnable voire impossible, car excessivement long ou coûteux, de défaire ( conceptuellement) chacune de ces opérations afin de reconstituer les patrimoines des différentes entités composantes tel qu'ils auraient été en l'ab- sence de telles opérations28.

L'exemple classique est ici Chemical Bank New York Trust vs. KheeP9,

dans lequel la Cour fut convaincue d'ordonner la consolidation du fait des

"expense and difficulty amounting to practical impossibility ofreconstructing the financial records of the debtors to determine inter-corporate claims, liabilities and ownership of assets"30.

d) Les cas où la consolidation fait partie d'un concordat

La quatrième catégorie de cas est composée des espèces dans lesquels la consolidation est proposée dans le cadre d'un "plan de réorganisation", que 1' on assimilerait probablement en Suisse à un concordat31 . Il n'est alors pas rare que les administrateurs d'une ou plusieurs faillites-voire leur adminis- trateur commun- propose( nt) une liquidation ou une réorganisation consoli- dée (en tout ou partie), soit pour sauver 1' entreprise, ce qui n'est évidemment possible qu'en la traitant comme un tout, soit parce que la liquidation de chacune des sociétés prises individuellement serait totalement déraisonnable.

Je citerai ici 1' exemple Continental Vending Machines Corp. dans lequel la consolidation souhaitée par 1' administration des masses fut approuvée par les juges, malgré 1' opposition de certains créanciers32. Cette espèce paraît

28 Pour une analyse plus détaillée, voir PETER (n. 13), pp. 100ss.

29 Voir 369 F.2d 845 (2d Cir. 1966).

30 Ibidem, p. 848.

31 Voir notamment B. WEINTRAUB 1 A. RESNICK, Bankruptcy Law Manual, 4e éd., Boston (Warren, Gorham & Lamont) 1996, 8.16, at 8-77 et pour un exemple in re Apex Oil Co., 101 B.R. 92, 94 (Bankr. E.D. Mo. 1989).

32 Voir 517 F.2d 997 (2d Cir. 1975), cert. denied, 424 U.S. 913 (1976).

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HENRY PETER

particulièrement intéressante en ce sens que la consolidation proposée n'était pas totale, mais limitée aux créanciers non garantis. De fait, il fut considéré qu'il était injustifié de faire bénéficier de la consolidation ceux des créanciers qui avaient obtenu des sûretés de la société mère ou d'autres sociétés du groupe car, en négociant des garanties, ceux-ci avaient démontré qu'ils étaient conscients de - et voulaient- traiter avec des sociétés bien déterminées du groupe, et non pas avec le groupe pris dans son ensemble33.

III. L'état de la question en Suisse

Revenons maintenant en Suisse.

A. Le principe reste l'atomisme

L'approche fondamentale en Suisse reste atomiste. Ceci a été constamment réaffirmé par le Tribunal fédéral, notamment dans un arrêt de 197934 dans lequel il rappela que: "L'identité juridique est seule déterminante dans les voies d'exécution forcée". Mais, depuis des années, la Suisse a été confrontée aux mêmes résultats inéquitables ou en tout cas insatisfaisants que ceux qui sont à 1' origine de substantive consolidations aux États-Unis35.

Disons d'emblée qu'il n'existe en Suisse aucune base légale permettant expressément de procéder à la liquidation consolidée de sociétés insolvables appartenant à des groupes. Le problème lui-même y a d'ailleurs été peu dis- cuté, voire même seulement identifié par les tribunaux36 et les auteurs suis- ses37. Dans la mesure où une application rigoureuse du principe atomiste produit des résultats choquants, ceux-ci ont traditionnellement été atténués en recourant à la théorie de la transparence (Durchgriff38), par exemple lors-

33 Stephen GILBERT, "Substantive Consolidation in Bankruptcy: a primer", Vanderbilt Law Review 1990, p. 227.

34 ATF 105 II 107/112, Boucheron S.A ..

35 Voir les exemples mentionnées par Henry PETER 1 Francesca BIRCHLER, "Liquidation des groupes de sociétés et consolidation- Enseignements de la pratique récente", RSDA/

SZW 1995, pp. 122ss.

36 Voir infra III.B.

37 PETER 1 BIRCHLER (n. 8), pp. 122ss.

38 Cf. supra note 7.

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que la société débitrice a été considérée conune étant grossièrement sous- capitalisée39.

La portée de cette solution est toutefois limitée et souvent insatisfaisante, car elle se fonde sur l'existence d'un abus de droit (qui n'est pas toujours présent), qu'elle est par nature exceptionnelle et parce que, par ailleurs, elle procède d'une approche bilatérale (un créancier déterminé tente d'avoir ac- cès au patrimoine d'une autre société d'un groupe). Le Durchgriffne donne ainsi pas lieu à une véritable consolidation, puisqu'il produit une sorte de transparence limitée et à sens unique, la mère répondant de certaines dettes de la fille, mais pas le contraire40 • Même s'il s'en approche, le Durchgriffne peut en conséquence pas être assimilé à la consolidation.

B. Les exceptions- rares et timides

Depuis la fin des années quatre-vingt, certainement influencés par l'expé- rience américaine, certains auteurs ont milité en faveur de la consolidation.

Ruedin a, par exemple, suggéré d'inclure des solutions de ce genre dans un éventuel droit suisse des groupes de sociétés41 • Toutefois, près de vingt ans ont passé sans que l'on songe encore sérieusement à légiférer en cette ma- tière. On sait aussi que le problème qui nous occupe n'a pas été résolu lors de la révision de la loi sur la poursuite pour dettes et la faillite qui est récenunent entrée en vigueur: de façon à mon avis surprenante, celle-ci a en effet complè- tement ignoré le phénomène des groupes de sociétés.

L'absence totale de base légale n'a toutefois pas empêché que l'on ait recours en Suisse à la consolidation dans certains cas d'espèce. Je rappellerai tout d'abord qu'en 1974 déjà la liquidation de la BCI -la Banque de Crédit Internationale- fut effectuée sur une base consolidée. De fait, la société mère, dont le siège était à Genève, ainsi que ses sociétés affiliées à Londres, au Luxembourg, à Nassau et à Vaduz, furent liquidées conune si elles avaient

39 EBENROTH (n. 7), p. 133; Louis DALLÈVES (n. 4), p. 679; Aleidus Gérard BOSMAN, Konzernverbundenheit und ihre Auswirkungen auf Vertriige mit Dritten, Zurich 1984, pp. 67ss; PETER (n. 4), p. 211.

40 Voir à ce propos PETER/ BIRCHLER (n. 8), p. 129.

4 1 Roland RUEDIN, "Propositions pour un droit suisse des groupes de sociétés", RSDA/

SZW 1982, pp. 99ss.

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HENRY PETER

formé un tout. En l'absence d'opposition de la part des créanciers, cette solu- tion fut homologuée par l'autorité compétente42.

En 1978, la même solution fut proposée pour la liquidation du groupe dominé par la Banque Leclerc. Cependant, les créanciers de certaines masses plus solvables s'étant opposés à la consolidation de crainte qu'elle ne leur portât préjudice, cette solution fut cette fois refusée. La Cour de justice du canton de Genève, agissant en sa qualité d'autorité d'homologation du concordat, rejeta en effet la consolidation, considérant qu'en 1' absence d'accord unanime des créanciers elle ne pouvait approuver une solution qui enfreignait un principe fondamental du droit matériel suisse: celui de l'autonomie des personnes morales43 •

En 1986, le Tribunal fédéral rendit une décision intéressante dans l'af- faire Banque Commerciale SA44. Contrairement en effet à ce qui avait été décidé dans le cas de la Banque Leclerc, notre Cour suprême admit en effet ici une disposition du concordat qui était contraire au droit matériel suisse (in casu le principe d'égalité de traitement des créanciers), au motif que les prin- cipes légaux peuvent souffrir des exceptions lorsque la solution proposée a pour but de simplifier considérablement la liquidation et d'en limiter les coûts:

"Lorsque le principe de 1' économie entre en conflit avec le principe de 1' éga- lité, il n'est pas contraire aux principes fondamentaux de la réalisation forcée de préférer le principe de 1' économie à celui de 1' égalité ( ... ) On doit consta- ter dès lors que le paiement intégral préalable et sans forme des petits créan- ciers est admissible en matière de concordat bancaire lorsque ce paiement permet une économie importante de frais et un allégement important de la procédure de collocation et de distribution. Une telle économie de frais et de temps profite à l'ensemble des créanciers."45 • Ceci n'est rien d'autre, à mes yeux, que ce qui a été retenu par les Tribunaux américains dans la quatrième catégorie de cas que j'ai mentionnée (cases in which it is practically impos-

42 Voir à propos de cet exemple Alain HIRSCH, "La responsabilité des groupes bancaires internationaux", Travaux de l'Association Henri Capitant, Paris (Economica) 1984, pp. 492ss; Henry PETER, L'action révocatoire dans les groupes de sociétés, Bâle et Francfort-sur-le-Main 1990, p. 210.

43 Voir à propos de cet exemple Alain HIRSCH, "La responsabilité des groupes bancaires internationaux", Travaux de l'Association Henri Capitant, Paris (Economica) 1984, p.

493; PETER (n. 4), p. 209.

44 ATF Ill III 86 = JT 1988 II 57= SJ 1986 137 =Pra. 75 90, Kosta SAc. Banque Commerciale SA en liquidation et en sursis concordataire.

45 ATF Ill III 86, p. 90.

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sible or unreasonable to "unscramble" respective estates). Il me semble qu'il s'agit d'une ouverture importante en Suisse, qui devrait permettre d'ho- mologuer des concordats proposant une liquidation consolidée du groupe, et ce même face à 1' opposition de certains créanciers.

C. Les fondements possibles de la faillite consolidée de lege lata

Quoi qu'il en soit, il faut bien admettre que les cas de liquidation consolidée de groupes de sociétés sont très rares en Suisse. Je suis toutefois de l'avis qu'il n'est pas impossible de les proposer, voire même de les imposer, non pas seulement par la bande- à l'occasion de concordats-mais institutionnellement, dans le cadre de la liquidation ordinaire de sociétés de groupes. Outre les motifs qui ont fondé la décision rendue dans l'affaire Banque Commerciale SA qui vient d'être citée46 , il existe en effet à mon avis trois autres fonde- ments juridiques envisageables pour y parvenir:

1.

Une généralisation du principe du

Durchgriff

Ainsi que je l'ai déjà observé, consolidation et Durchgriff ont les mêmes fondements47 . La différence entre les deux moyens est essentiellement une question de mesure:

a) le Durchgriff

concerne chacun des créanciers pris individuellement: est-il victime d'un abus de droit?

il est bilatéral: il permet au créancier en question de ne pas rechercher seulement son débiteur direct, mais également une société tierce, en gé- néral la société mère;

il est, enfin, en quelque sorte à sens unique; on pourrait parler aussi de semi-perméabilité: il a pour effet que la société mère (en général) répond des dettes de sa filiale, mais pas le contraire;

46 Ibidem.

47 Cf. supra III.A.

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HENRY PETER

b) la consolidation produit, quant à elle, un effet de perméabilité multilatéral et généralisé:

elle s'applique en faveur de 1' ensemble des créanciers du groupe;

elle s'applique multilatéralement à toutes les sociétés du groupe (à toutes les sociétés objet du "périmètre de liquidation consolidée");

elle s'applique dans les deux sens, c'est-à-dire que si la mère répond à 1 'égard des créanciers de ses filiales, le contraire est également vrai.

Cela dit, on peut affirmer- on l'a vu- que la consolidation n'est en définitive rien d'autre que le stade ultime de l'application du principe de la transparence48• Or on sait que le Durchgriff ne se fonde sur aucune base légale spécifique; il est le fruit du principe très général de l'interdiction de l'abus de droit prévu à l'article 2 CCS49 • Dès lors si, comme je viens de le soutenir, la consolidation n'est par essence qu'une généralisation duDurchgriff, elle devrait - en bonne logique - pouvoir être admise en application de la même base légale.

Ce raisonnement devrait ainsi conduire à admettre la consolidation dans tous les cas où le Durchgriff pourrait 1' être, par exemple dans les cas où les filiales du groupe sont sous-capitalisées50, ou en présence d'espèces dans lesquelles la réalité juridique des filiales a été totalement ignorée durant la période d'activité du groupe. Nous renvoyons à la jurisprudence et à la doc- trine abondantes à cet égard, en relevant que cette hypothèse correspond à la première de celles développées aux USA, à savoir lescorporate instrumentality cases.

2. La confiance générée par et dans le groupe pris dans son ensemble

Le Tribunal fédéral suisse a innové, en 1994, dans son arrêt Wibru Holding (plus connu sous le nom d"'anêt Swissair")51 • On sait que notre haute Cour a, à cette occasion, établi une nouvelle source d'obligations proche de la culpa in contrahendo et qui repose, elle aussi, sur l'article 2 CCS. Ce nou-

48 Voir supra C.l et PETER/ BIRCHLER (n. 8), pp. 129ss.

49 Cf. supra note 7.

50 Cf. supra note 39.

5! ATF 120 II 331

=

JT 19951359, Wibru Holding AG c. Swissair Beteiligungen AG.

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veau fondement a été appelé "Haftung aus erwecktem Konzernvertrauen"52

Celle-ci est en substance la sanction de l'impression créée par le groupe (du- rant son existence) que ce dernier (ou sa société mère) répond à 1' égard des tiers, notamment des créanciers de ses filiales. On n'ignore pas que cette impression- cette confiance- est souvent suscitée et délibérément entretenue par les groupes de sociétés, y compris les plus respectables 53. Cet arrêt fon- damental a d'ailleurs très généralement ouvert la voie à la Vertrauenshaftung et a donc une portée qui dépasse le cadre limité des groupes de sociétés. Par souci de rigueur quant à la paternité du moyen de la Vertrauenshaftung dans les groupes de sociétés, on notera qu'il a été préconisé en 1984 déjà par Laubacher, précisément dans le contexte qui nous occupe ici54 .

Même si, de plusieurs points de vue, cette nouvelle doctrine reste en Suisse quelque peu incertaine, je suis d'avis que le principe de la Konzernvertrauen devrait permettre de fonder une liquidation consolidée, au moins dans les cas où les créanciers ont été induits à croire que le groupe concerné répondait dans son ensemble. La consolidation serait ici le résultat -naturel- d'une généralisation des conséquences- déjà admises- de la confiance suscitée. On est ici en présence de cas similaires aux cas améri- cains du troisième type: cases where creditors have relied on the group as a who le.

3. Les groupes considérés comme sociétés simples

Finalement, j'ai avancé 1' opinion que les groupes de sociétés peuvent, dans certains cas du moins, être qualifiés de sociétés simples55 • La conséquence de cette qualification est que chacun des membres du groupe est solidairement responsable sur tous ses biens de l'ensemble des dettes du groupe. C'est, partant, le patrimoine du groupe pris dans son ensemble qui répond de 1' en-

52 Voir supra note 3 et, à propos de la responsabilité pour la confiance créée, VON BüREN (n. 4), pp. 60ss et 184ss; Christine CHAPPUIS, "La responsabilité fondée sur la con- fiance", Semaine Judiciaire 1997, pp. 165ss; Kristina KUZMIC, Haftung aus Konzernvertrauen, Zurich 1998.

53 Pour une description du phénomène et de nombreux exemples, voir PETER 1 BIRCHLER (n. 8), pp. 113ss.

54 Voir Johann LAUBACHER, Die Haftungsproblematik bei Konkurs einer Gesellschaft innerhalb eines transnationalen Unternehmens: eine Untersuchung auf der Gnmdlage des deutschen Aktienkonzernrechts, Constanze (Hartung-Gorre Verlag) 1984, pp. 58ss.

55 PETER 1 BIRCHLER (n. 8), pp. 113ss.

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semble des dettes du groupe. Les créances intragroupes s'annulent et les créan- ces doubles, si elles existent, ne deviennent qu'une. Ceci conduit, ni plus ni moins, à une consolidation du tout.

Cette consolidation se fonde à mes yeux sur une saine et rigoureuse ap- plication du droit positif suisse. Elle permet ainsi de procéder à une liquida- tion consolidée, même lorsque l'on est confronté à l'opposition de certains créanciers, même majoritaires. Elle permet aussi de recourir à la consolida- tion en 1' absence d'une proposition dans ce sens de la part de 1' administration des masses. De fait, elle est le résultat d'une application de notre droit et non pas de la volonté des parties. Si cela était vrai- ce qui est contesté par von Büren et Huber56- on aurait de lege lata trouvé un fondement, si ce n'est à la faillite consolidée, du moins à la liquidation consolidée des groupes de so-

ciétés.

56 Roland VON BüREN 1 Michael HUBER, "Warum der Konzern keine einfache Gesellschaft ist- eine Replik", RSDAISZW 1998, pp. 213ss.

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